Contribution à un programme de recherche enjeux sociaux et scientifiques

Contribution à un programme de recherche enjeux sociaux et scientifiques

Nous mettons d’abord en exergue les problèmes et questions relatifs à l’identification d’une demande sociale – une meilleure compréhension et un accompagnement accru de l’entrée dans le métier des enseignants du second degré – et expliquons son intégration à un programme de recherche. Nous précisons ensuite la notion de programme de recherche pour caractériser celui dans lequel s’insère la thèse : le programme empirique et technologique du « cours d’action », dont le volet en vidéoformation des enseignants est l’une des différentes spécifications par lesquelles il existe. L’étude du travail enseignant au quotidien pour décrire et comprendre ses caractéristiques, ses difficultés et ses évolutions, a connu à partir de la fin des années 1990 un essor au sein de la recherche francophone sur l’enseignement (Ria, 2008). L’ergonomie et plus généralement l’analyse de l’activité ont contribué à renouveler les cadres d’interprétation de l’enseignement scolaire, et notamment à instruire significativement des enjeux cruciaux de connaissance et d’accompagnement de l’entrée dans le métier des enseignants du second degré, parfois esquissés de longue date dans la littérature. Lors de l’entrée dans le métier, les enseignants débutants rencontrent très souvent des difficultés importantes identifiées depuis longtemps par la recherche.

« Choc de la réalité » (Veenman, 1984), « choc de transition » (Corcoran, 1981) ou encore « phase de survie » (Huberman, 1989 ; Woods, 1977) caractérisent un fait récurrent et relativement indépendant des contextes d’intervention qui consiste en « l’effondrement » d’idéaux et d’attentes concernant le métier – parfois entretenus voire développés par leur formation initiale – lors des premières confrontations à la réalité de la classe. Ces premières expériences s’accompagnent de niveaux de stress importants, qui peuvent, en fonction des contextes, s’aggraver à terme en une forme de surmenage professionnel. En dépit de différences importantes entre les programmes de formation à l’échelle internationale, la littérature indique que la transition de la formation initiale à la pratique est décrite de manière univoque comme problématique, à la fois du point de vue de la santé au travail des enseignants et du point de vue de la performance académique de l’institution scolaire (Dicke, Elling, Schmeck & Leutner, 2015). Dans le contexte français de désacralisation des lieux et des acteurs de l’institution scolaire, voire de ses contenus (Périer, 2009), les enseignants débutants effectuent un travail dont la difficulté et la complexité sont croissantes (Maroy, 2006).de telle manière que les novices (i) peuvent être affectés sur tout le territoire et n’obtiennent souvent la zone demandée qu’après plusieurs années ; (ii) bien qu’a priori les moins armés, sont souvent affectés en éducation prioritaire, où les difficultés liées au « manque d’expérience » sont exacerbées par le public, souvent peu « scolaire ».

Aussi, aux difficultés déjà décrites peuvent s’ajouter des inquiétudes relatives au déracinement géographique et social, à la découverte du contexte socio-culturel local, à la méconnaissance de l’institution, ou encore à l’intégration dans l’établissement. Cette dynamique anxiogène est de nature à contraindre le développement professionnel et personnel des novices. Dans ce contexte, il arrive que des enseignants dépassés temporairement ou durablement par les enjeux de leur mission développent des logiques de « fuite ». Celles-ci peuvent prendre plusieurs formes mais certaines sont plus fréquentes que d’autres. La demande de mutation en est une, importante : elle traduit la recherche d’un environnement de travail plus confortable. Elle explique aussi le turn-over très important qui sévit dans les équipes pédagogiques des établissements difficiles (certains de ces établissements voient leurs équipes pédagogiques renouvelées à plus de 40% chaque année). La bonification de barème attribuée à l’anciennetéévoqué, l’enseignant2 peut avoir tendance à renoncer à son niveau d’exigence préalable, voire à vivre des périodes de désengagement professionnel (Lantheaume & Hélou, 2008), voire de résignation (Rouve-Llorca, 2013). Son intervention peut se limiter, souvent sans qu’il s’en satisfasse, à des simulacres pédagogiques reposant sur des routines de travail pour maintenir la « paix scolaire » avec des exigences moindres en termes de contenus d’enseignement.

L’abandon de la profession est une autre de ces formes de fuite ; elle reste faible en France (moins de 5%) mais peut atteindre 40 % dans certains pays européens. (sous-prescription des moyens nécessaires pour réaliser les missions, difficultés liées à la discipline, à la transmission des savoirs, à l’intégration dans l’établissement, dans l’institution). Ce hiatus conduit à l’adoption de compromis (Lantheaume, 2007 ; Ria, 2012a ; Saujat, 2010). Ces compromis sont provisoires, locaux et nécessaires à l’économie de soi (pour « tenir » dans le métier) mais parfois préjudiciables en termes d’exigences scolaires (évincement ou réduction de certains objectifs, etc.) Ils résultent d’ajustements situationnels, ou stratégies de « faire face ». Fréquentes, celles-ci sont personnelles mais néanmoins ancrées dans un sentiment partagé de mal-être au travail, voire d’épuisement et de souffrance (Ciavaldini-Cartaut, Marquié-Dubié & d’Arripe Longueville, soumis). Elles sont employées par l’enseignant en réaction à la perception de la pénibilité du travail. Elles peuvent ou non réduire un risque avéré d’usure précoce, avec une efficacité variable, mais restent généralement dysfonctionnelles à moyen et long termes (Ciavaldini-Cartaut, 2013).

 

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *