Développement d’outils numériques pour l’audit énergétique des bâtiments

En 1968, un groupe international de scientifiques, économistes, politiques et industriels indépendants se réunit à Rome afin de discuter de l’évolution des systèmes complexes que sont les sociétés actuelles. Dénommé le Club de Rome, il commande un rapport, au début des années 1970, traitant des problématiques environnementales liées à la croissance irréfléchie, [Meadows et al., 1972]. Il définit notamment la notion d’empreinte écologique, et tire l’une des premières sonnettes d’alarme environnementale à grande échelle. Cette analyse est publiée dans le même temps que la création de la conférence des Nations Unies sur l’environnement humain, premier sommet de la Terre, tenue en 1972 à Stockholm. Celle-ci aboutit à un programme des Nations Unies pour l’environnement, et les dirigeants mondiaux s’engagent à faire un point régulier tous les dix ans sur l’évolution de la Terre. Parallèlement, le monde subit le choc pétrolier de 1973. Face à la hausse du prix des hydrocarbures, la France, à l’instar de nombreux pays, adopte une politique de réduction des consommations. Le secteur du bâtiment étant parmi les plus gourmands en énergie, cette politique se traduit par le vote de la première règlementation thermique française. L’histoire se répète en 1979 avec un second choc pétrolier, et la volonté de réduire les dépenses énergétiques s’accroit rapidement.

Durant la décennie suivante, la forte exposition médiatique de nombreuses catastrophes naturelles et industrielles va accélérer la prise de conscience collective de la nécessité d’une solidarité, aussi bien nationale qu’internationale, pour lutter contre les bouleversements environnementaux. Citons par exemple la découverte des pluies acides [Likens et Bormann, 1974], de l’effet de serre [National Research Council, 1979], du trou dans la couche d’ozone [Farman et al., 1985], ou encore l’accident nucléaire de Tchernobyl en 1986. C’est dans ce contexte que la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, fondée en 1983 par l’Organisation des Nations Unies, rédige le rapport Brundtland [Brundtland, 1987] résumant plus de 75 études internationales sur les problématiques environnementales et économiques des sociétés. Ce document définit un programme de coopération internationale pour appréhender les problèmes environnementaux. Il introduit et démocratise également le concept de développement durable, à l’époque éco-développement, comme suit :

Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.

En particulier, le rapport servira de base pour la célèbre conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, tenue à Rio en 1992.

À l’aube des années 1990, le bâtiment, tête de liste des secteurs les plus consommateurs en énergie et émetteurs de gaz à effet de serre, reste l’un des enjeux économiques et environnementaux majeurs en France. Après celles de 1973 et 1982, une troisième règlementation thermique voit le jour en 1988, avec de nouvelles exigences en termes de consommations. Quelques années plus tard, les signatures de la déclaration de Rio  en 1992 et du protocole de Kyoto  en 1995 appuient cette volonté politique, et donnent naissance à la loi de 1996 sur l’utilisation rationnelle de l’énergie. Ces mesures sont mises en application par le vote de la directive européenne sur la performance énergétique de 2002, l’adoption du plan climat de 2004, la définition du programme national de recherche et d’expérimentation sur l’énergie dans les bâtiments (PREBAT) lancé en 2006, et la publication de nouvelles règlementations thermiques en 2000 puis 2005. Outre une baisse des consommations et des émissions des bâtiments, ces nouvelles règlementations ajoutent la notion de confort d’été, et affinent la considération du climat local, de l’inertie thermique, et des énergies renouvelables. Elles contraignent également des aspects techniques, comme la performance des équipements (éclairage, chauffage, climatisation et eau chaude sanitaire).

Les initiatives prises depuis les années 1990 ont permis de stabiliser les hausses des consommations d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre. Cela s’observe en particulier dans le secteur du bâtiment, puisque les politiques de maitrise de l’impact environnemental ont compensé la construction de nouveaux ouvrages ainsi que la multiplication des appareils électriques. Pour aller plus loin dans cette démarche, et suite au Pacte écologique de 2006, la France organise le Grenelle Environnement, une série de rencontres politiques, durant la fin de l’année 2007. Ces réunions ont pour ambition de prendre des décisions sur le long terme en matière d’environnement et de développement durable. Elles concernent, entre autres, l’amélioration de l’efficacité énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre des bâtiments à l’horizon 2020. Les objectifs se concrétisent par l’application de mesures réglementaires, la mise en place de soutiens financiers, de sensibilisation et de formation, et l’ouverture du secteur à de nouveaux acteurs industriels et de services. Ces efforts sont accompagnés par un second volet du programme de recherche PREBAT2, ayant pour objectif de moderniser le parc des bâtiments existants, et proposer des solutions innovantes, tant au niveau des techniques que des composants, pour généraliser les constructions à énergie positive [PREBAT, 2008]. La volonté gouvernementale d’améliorer la performance énergétique du bâtiment est de nouveau clairement exposée. Elle donne naissance à une nouvelle règlementation thermique en 2012, ajoutant des exigences de résultats en ce qui concerne l’efficacité énergétique du bâti, la consommation énergétique de l’ouvrage et le confort d’été dans les bâtiments non climatisés [MEDDE, 2011].

Aujourd’hui, les constructions neuves sont largement encadrées en termes de consommation énergétique et d’émissions de gaz à effet de serre, notamment grâce aux outils utilisés lors de la conception, et aux nouvelles techniques et technologies disponibles. Les labels Bâtiment basse consommation (BBC) et Bâtiment à énergie positive (BEPOS) .

Malgré cela, le secteur du bâtiment représente aujourd’hui encore près de 45% des consommations d’énergie en France [ADEME, 2014,MEDDE, 2014]. Par ailleurs, étant donné son taux annuel de renouvellement de l’ordre de 1%, on estime que la moitié du parc des bâtiments existants en 2050 sera constitué de constructions précédant les règlementations thermiques, i.e. bâties avant 1975. Pour atteindre l’objectif de réduction des consommations d’un facteur 4 à l’horizon 2020, le pays doit exploiter l’important gisement d’économies d’énergie que représente le parc de bâtiments existants.

En parallèle des actions gouvernementales, le développement durable s’est fait une place importante dans les consciences collectives. Une étude récente met en avant le fait que seulement 2, 5% des industriels perçoivent l’efficacité énergétique comme une contrainte [Coutance, 2014]. La plupart la perçoit comme un devoir (21%), une priorité (29%), ou comme un moyen de réduire les coûts d’exploitation (45%). La volonté d’utiliser les ressources énergétiques avec parcimonie est manifeste dans tous les secteurs du bâtiment, [ADEME, 2012]. L’outil majeur s’appliquant aux bâtiments existants est l’audit énergétique, dont l’objectif est de caractériser les performances de l’ouvrage étudié au moyen de mesures et de relevés. Dans le cadre de la réhabilitation de bâtiments, ces diagnostics constituent le principal outil d’aide à la décision dans la planification de travaux de rénovation, [ADEME, 2011], en fournissant une base d’évaluation des scénarios de travaux. Malheureusement, en l’absence de carnet de santé des ouvrages, ces relevés d’informations sont souvent superficiels ou incomplets, ce qui engendre des incertitudes dans le modèle permettant de prévoir la performance de différents travaux de rénovation. Un manque se fait ressentir aujourd’hui pour des outils permettant de prévoir de manière fiable et quantitative l’impact d’un bouquet de travaux. Le besoin se situe essentiellement sur la caractérisation de l’état du bâtiment qui doit être rénové pour fournir un modèle suffisamment détaillé et précis pour le représenter avec autant d’exactitude que possible en envisageant différents types de travaux. Les travaux de la thèse se sont orientés vers le développement de méthodes de caractérisation de propriétés thermiques du bâtiment pour répondre à ce besoin.

Table des matières

Introduction
1 Audits énergétiques des bâtiments
1.1 Les méthodes d’audit
1.2 Techniques d’instrumentation dans le bâtiment
1.3 Insuffisance des données et incertitudes
2 Modélisation thermique
2.1 Équation de la chaleur
2.2 Discrétisations des zones
2.2.1 Modélisation CFD
2.2.2 Modélisation multizone nodale
2.2.3 Modélisation multizone zonale
2.2.4 Modélisation monozone
2.2.5 D’autres choix de discrétisations
2.3 Modélisation de l’enveloppe
2.3.1 Propriétés internes
2.3.2 Transferts thermiques aux limites
2.3.3 Cas particulier des vitrages
2.4 Apports internes dans les zones
2.5 Aéraulique
2.6 Modèle thermique de la méthode d’audit
2.7 Application et influence des paramètres
2.7.1 Description du modèle sur le cas d’étude
2.7.2 Influence des incertitudes et choix des inconnues
2.8 Conclusion
3 Problèmes inverses et application à l’audit énergétique
3.1 Introduction aux problèmes inverses
3.1.1 Principe et caractère mal posé
3.1.2 Formulation dans le cas linéaire
3.1.3 Régularisation
3.1.4 Extension au cas non linéaire
3.1.5 Identifiabilité
3.1.6 Problèmes inverses et erreurs
3.2 Identification de modèles thermiques
3.2.1 Problème inverse d’identification de paramètres
3.2.2 Adimensionnement
3.2.3 Formulation du problème d’optimisation
3.2.4 Résolution par la méthode de Levenberg-Marquardt
3.2.5 Calcul du gradient par l’état adjoint
3.3 Méthode d’audit énergétique instrumenté
3.3.1 Identification de paramètres pour le cas d’étude
3.3.2 Application de la méthode d’audit : Variante 1
3.3.3 Application de la méthode d’audit : Variante 2
3.3.4 Incertitudes plus importantes
3.4 Conclusions et perspectives
Conclusion

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