Techniques de justification et de neutralisation en tant que distorsions cognitives

DÉVIANCE ET DÉLINQUANCE SEXUELLES

Pour tenter de comprendre les agresseurs sexuels, il est important avant tout de comprendre ce que sont la déviance sexuelle et la délinquance sexuelle mais aussi et surtout de savoir les différencier. L’agresseur sexuel peut être perçu comme un délinquant sexuel mais aussi comme un déviant sexuel. « La délinquance sexuelle fait référence à un comportement de nature sexuelle qui enfreint les lois ; les délinquants sexuels sont des individus qui ont été reconnus coupables d’une infraction, ou qui ont déclaré avoir commis une infraction sexuelle » (Born, Glowacz, 2014). Les personnes incarcérées pour fait d’infractions sexuelles sont donc considérées comme « délinquant » non pas parce qu’elles rentrent dans certains critères diagnostiques mais bien parce qu’elles ont commis un acte illégal, qu’elles ont dépassé les limites posées par les lois belges (Born, Glowacz, 2014).

Est déviant tout ce qui s’écarte de la norme (Larousse). « La déviance sexuelle serait dès lors une déviation par rapport à une norme de la population quant aux conduites sexuelles dans un groupe donné et un temps donné. La définition de la déviance est fonction des groupes sociaux, et tous les groupes sociaux ne nomment pas déviant les mêmes comportements. (Born, Glowacz, 2014).

La déviance sexuelle est actuellement définie par le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-V, 2013)  sous le diagnostic de la paraphilie. La paraphilie – ou déviations sexuelles – peut être définie comme « un comportement sexuel déviant dont les formes les plus fréquentes sont la pédophilie, l’exhibitionnisme, le voyeurisme, le frotteurisme, le sado masochisme, le transvestisme et enfin le fétichisme. (Thibaut, 2013). Dans le cadre de cette étude, nous allons seulement développer le cas de la pédophilie étant donné le nombre important de sujets (15/19) pouvant rentrer dans cette paraphilie. (DSM-V, 2013).

Les critères de la pédophilie sont :
A. Présence de fantaisies imaginatives sexuellement excitantes, d’impulsions sexuelles ou de comportements impliquant une activité sexuelle avec un enfant pré pubère ou des enfants (généralement âgés de 13 ans ou moins), survenant de façon répétée et intense, pendant une période d’au moins 6 mois.
B. Les impulsions sexuelles, les désirs sexuels ou fantasmes sont à l’origine d’une souffrance marquée ou de difficultés interpersonnelles.
C. Le sujet est âgé de 16 ans au moins et a 5 ans de plus que l’enfant mentionné au critère A. Elle peut être de type exclusif (attirance seulement par les enfants) ou non exclusif (enfants et adultes). Et il est également important de préciser si la personne est sexuellement attirée par les garçons, par les filles ou par les deux (garçons et filles) et si cette dernière se limite à l’inceste ou non.

Un lien existe néanmoins entre déviance et délinquance sexuelle. Ce qui définit les paraphilies comme illégales, c’est le fait de porter atteinte à l’autre, d’adopter un comportement contraire à l’ordre public. C’est-à-dire qu’une personne peut présenter des fantaisies sexuelles déviantes sans pour autant aller à l’encontre de la loi. Et inversement, le délit sexuel n’est pas forcément associé à un trouble du comportement sexuel tel que défini dans le DSM. (Born, Glowacz, 2014).

PROFILS DES AUTEURS D’INFRACTIONS À CARACTÈRE SEXUEL

Nous avons été amenés à rencontrer 4 types d’auteurs : un « cyberprédateur », des « pédopornographes », des violeurs et des pédophiles. Il me semble donc pertinent de développer en quelques mots ces quatre profils. Le viol est défini par l’article 375 du Code Pénal Belge comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n’y consent pas, constitue le crime de viol. Il n’y a pas consentement notamment lorsque l’acte a été imposé par violence, contrainte ou ruse, ou a été rendu possible en raison d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale de la victime. » En fonction de la qualité de la victime (âge, vulnérabilité de la victime) et de la qualité de l’auteur (âge, ascendant, abus d’autorité), des circonstances aggravantes peuvent intervenir et donc augmenter les peines portées par le Code Pénal Belge. La pédophilie est une forme de violence sexuelle sur mineur. La violence sexuelle « désigne l’exploitation sexuelle d’un enfant qui, en raison de son jeune âge, est incapable de comprendre la nature d’un contact et d’y opposer une résistance… La violence sexuelle sur l’enfant peut revêtir différentes formes : exhibitionnisme, caresses, pratiques buccales, sodomie, pénétration et pornographie ». (Bilheran, Lafargue, 2013). La pédophilie peut être de plusieurs types : exclusivement intrafamiliale, exclusivement extrafamiliale ou intrafamiliale et extrafamiliale. La pédophilie intrafamiliale se définit notamment par l’inceste. L’inceste étant le fait d’avoir un rapport sexuel avec un membre de sa famille. Dans le cadre de la pédophilie, on parle d’un rapport sexuel (attouchements de l’enfant sur l’adulte et vice-versa, pénétration) entre un parent, un frère, une sœur et un autre membre de la famille ou l’un des deux est mineur d’âge. La pédophilie extrafamiliale recouvre toutes sortes d’agressions sexuelles sur mineurs en dehors du cadre familial (à l’école, dans la rue…). (Bilheran, Lafargue, 2013). La cyberprédation, également appelée le « Grooming », est le fait d’utiliser des réseaux sociaux, des messageries instantanées, pour rentrer en contact avec des mineurs dans le but de leur faire commettre des actes à caractère sexuel. Le « cyberprédateur » se fait généralement passer pour quelqu’un de mineur ou du même âge que la victime potentielle. (Coutanceau, Damiani, Lacambre, 2016). La pédopornographie ou pornographie infantile est définie par la Convention relative aux droits de l’enfant (1989) comme « toute représentation, par quelque moyen que ce soit, d’un enfant s’adonnant à des activités sexuelles explicites, réelles ou simulées, ou toute représentation des organes sexuels d’un enfant, à des fins principalement sexuelles ». La pédopornographie existe depuis toujours à travers des magazines, des images, des photos. Mais depuis l’arrivée d’internet, celle-ci a connu un développement exponentiel. Il existe différents profils au sein des « pédopornographes » : ceux qui téléchargent du contenu à leurs fins personnelles ; ceux qui créent le contenu en filmant, en prenant en photo et en le rendant public et ceux qui font les deux. La pornographie infantile peut également favoriser, renforcer les idées et les comportements déviants et donc favoriser la prédisposition de certains individus à commettre des infractions sexuelles (Wyre, 1992).

TECHNIQUES DE NEUTRALISATION

La théorie publiée par G. Sykes et D. Matza (1957) est une théorie de la délinquance très utilisée en criminologie car elle peut être utilisée dans presque toutes les formes criminelles (Dantinne, 2015). Nous allons l’utiliser ici, dans le cadre de la délinquance sexuelle. « La neutralisation est définie comme un moyen de justifier un comportement criminel ou de dévier la responsabilité et l’autoaccusation pour s’être engagé dans ces comportements » (Spraitz, Bowen & Arthurs, 2017). Sykes et Matza (1957) affirment que pour expliquer un comportement illicite ou illégal, les délinquants auront recours aux cinq techniques. Ces techniques étant : « Le déni de responsabilité, le déni de dommage, le déni de victime, la condamnation des « condamnateurs », l’appel à des loyautés supérieures ». D’une part, ces techniques permettent au délinquant de se libérer d’un sentiment de honte ou de culpabilité qu’il présente après avoir commis les faits (Copes, Vieratis, & Jochum, 2007 ; Topallo, Higgins & Copes, 2014)). Et d’autre part, elles peuvent être utilisées pour poursuivre leur activité criminelle mais également pour tenter d’échapper à une condamnation. (Maruna & Copes, 2005). Cependant, elles peuvent aussi précéder les faits. Elles vont permettre à l’individu de « neutraliser » de manière temporaire les normes qui l’empêchent de commettre l’acte répréhensible et donc lui permettre de s’engager dans la délinquance sans porter atteinte à l’image de soi. (Divard, 2013). Autrement dit, un délinquant sexuel peut avoir recours à ces techniques aussi bien avant qu’après la commission des faits. Avant les faits, ces techniques permettront au délinquant de justifier son acte, de diminuer les aspects négatifs et transgressifs de son acte, ce qui le poussera à agir. Après les faits, donc une fois que l’acte a été posé, elles vont permettre à l’auteur de se protéger. Se protéger des blâmes que l’auteur pourrait s’infliger à lui-même (remords, culpabilité…) mais également des blâmes que pourraient lui envoyer des tiers (comme la justice, la société…). (Dantinne, 2015).

DÉSENGAGEMENT MORAL

La théorie du désengagement moral d’Albert Bandura rejoint les techniques de neutralisation de Sykes et Matza. Dans leur développement moral, les individus adoptent des normes de bien et de mal. Ces normes vont les guider ou les dissuader dans leurs conduites et donc dans leur passage à l’acte. C’est ce qu’on appelle le processus d’autorégulation. Celui-ci permet aux individus de surveiller leurs conduites et de les gérer. Ils vont poser des actes qui leur procurent une certaine satisfaction et une certaine estime de soi et à l’inverse, ils s’abstiendront de se comporter de telle manière si cela viole leurs normes morales. (Bandura, 2014). Les mécanismes de désengagement moral (MD) se réfèrent « aux processus cognitifs sociaux par lesquels une forme de comportement illicite, nuisible et antisocial est psychologiquement transformé de sorte qu’elle n’a plus ses qualités négatives qui auparavant dissuadaient l’individu de s’engager dans un tel comportement ». (Petrucelli, Simonello, Barbaranelli, Grilli, Tripodi & Urso, 2017).

Ces mécanismes interviennent donc dans le processus d’autorégulation des AICS selon lequel le contrôle moral interne peut être dégagé d’une conduite préjudiciable (Petrucelli et al, 2017). Ces auteurs vont avoir recours à ces mécanismes pour tenter de justifier leur conduite répréhensible et de la rendre la plus acceptable possible pour eux mais également pour la société.

Bandura (1996, 2000) a mis en place huit techniques de désengagement moral divisées en trois sousgroupes. Le premier permet de reconstruire l’acte pour valoriser sa moralité et diminuer son immoralité. Ces mécanismes agissent sur la perception du comportement répréhensible que l’auteur peut avoir. On y retrouve : la justification morale, la labellisation euphémistique, la comparaison avantageuse. Le deuxième processus vise à masquer/minimiser le rôle de l’auteur dans les dommages causés à la victime. On y retrouve : le déplacement de la responsabilité et la diffusion de la responsabilité. Le troisième processus vise à minimiser les conséquences de l’acte avec comme mécanismes : la distorsion des conséquences de l’acte, la déshumanisation et l’attribution de la responsabilité.

Selon nous, quelques similitudes peuvent être relevées entre les techniques de Matza et Sykes et celles de Bandura. Le déni de responsabilité peut faire référence au déplacement de responsabilité et la diffusion de responsabilité. Le déni de dommage peut être mis en lien avec le processus qui vise à minimiser les conséquences de l’acte et ainsi la distorsion des conséquences. Le déni de victime peut faire référence à la déshumanisation et à l’attribution de la responsabilité. (Ribeaud, 2010) .

Table des matières

2. INTRODUCTION THEORIQUE
2.1. Déviance et délinquance sexuelles
2.2. Profils des auteurs d’infractions à caractère sexuel
2.3. Techniques de neutralisation
2.4. Désengagement moral
2.5. Techniques de justification et de neutralisation en tant que distorsions cognitives
3. OBJECTIF ET QUESTION DE RECHERCHE
4. METHODOLOGIE
4.1. Echantillon investigué
4.2. Procédure
5. RESULTATS
5.1. Techniques de neutralisation mobilisées par les AICS
5.1.1. Déni de responsabilité
5.1.2. Déni de dommage
5.1.3. Déni de victime
5.1.4. Condamnations des « condamnateurs »
5.1.5. Appel à des loyautés supérieures
5.2. TECHNIQUES DE DESENGAGEMENT MORAL MOBILISEES PAR LES AICS
5.2.1. Processus visant à reconstruire l’acte pour valoriser sa moralité
5.2.1.1. Justification morale
5.2.1.2. Langage euphémique/Labellisation euphémistique
5.2.1.3. Comparaison avantageuse
5.2.2. Processus visant à masquer/minimiser le rôle de l’auteur dans les dommages causés
5.2.2.1. Déplacement de la responsabilité
5.2.2.2. Diffusion de la responsabilité
5.2.3. Processus visant à minimiser les conséquences de l’acte
5.2.3.1. Distorsion des conséquences/maintien des conséquences hors de la conscience morale
5.2.3.2. Déshumanisation
5.2.3.3. Attribution de la responsabilité
5.3. Distorsions cognitives et AICS
6. DISCUSSION
6.1. Les résultats
6.1.1. Techniques de neutralisation et techniques de justification morale
6.1.2. Echelle Abel & Becker et distorsions cognitives
6.1.3. Conclusion intermédiaire
6.2. Forces de l’étude
6.3. Limites de l’étude
6.4. Perspectives de recherches – Implications théoriques
7. CONCLUSION

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