Du métabolisme énergétique des chondrocytes arthrosiques jusqu’au développement d’un outil de vectorisation

Du métabolisme énergétique des chondrocytes arthrosiques jusqu’au développement d’un outil de vectorisation

L’arthrose 

Epidémiologie

L’arthrose est une maladie articulaire qui touche toutes les articulations mobiles. C’est la maladie articulaire la plus répandue, dont 528 millions de personnes souffrent dans le monde [1]. La symptomatologie repose principalement sur une diminution de la mobilité articulaire, des déformations des articulations et l’apparition de douleurs. Ces symptômes imposent une réduction importante de la qualité de vie, constituant la première cause d’invalidité des personnes de plus de 40 ans, et mènent ainsi à d’importants coûts pour la société. Plus précisément, les coûts directs peuvent représenter de 1 à 2,5% du Produit Intérieur Brut des pays économiquement développés [2]. Les coûts indirects quant à eux sont plus complexes à mesurer, mais ne sont pas à négliger pour autant, et impliquent principalement un manque de productivité au travail, des absences plus nombreuses, et des départs à la retraite souvent anticipés. La prise en charge actuelle est graduelle et dépend de l’évolution symptomatique de la maladie (Figure 1). Dans un premier temps, une approche non médicamenteuse peut être proposée, reposant ainsi principalement sur la perte de poids et la mise en place d’une activité physique adaptée, accompagnés d’une sensibilisation générale du patient à une bonne hygiène de vie [3]. Une récente étude a d’ailleurs mis en évidence le bénéfice d’une diminution de l’indice de masse corporelle (IMC) dans l’arthrose du genou [4]. D’autres mesures noninvasives comme le recours aux LIPUS (Low-Intensity Pulsed Ultrasound) peuvent aussi être envisagées [5]. Dans les cas où ces mesures ne seraient pas (ou plus) suffisantes à la diminution des symptômes, une prise en charge médicamenteuse intervient. La prise de paracétamol en première intention puis d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) est alors fréquente pour pallier à la douleur [6]. Cependant, la prise d’AINS implique plusieurs effets secondaires pouvant aller des problèmes gastriques aux problèmes cardiaques. De plus, leur utilisation à long terme tend généralement à diminuer leur efficacité, voire à augmenter à terme la douleur ressentie par les patients. Des injections intra-articulaires de corticostéroïdes peuvent alors être envisagées, permettant à court terme une amélioration significative de la Page 20 sur 198 douleur qui n’est cependant pas durable, et qui sembleraient même être délétères à 5 ans [7]. Ajouté à cela, la répétition systématique d’injections intra-articulaires n’est pas envisageable à cause des risques d’infections et de l’inflammation locale associée. Une intervention chirurgicale est alors inévitable dans les cas d’arthrose les plus sévères. Dans les cas les plus simples, les traitements chirurgicaux peuvent être peu invasifs et réalisés sous arthroscopie comme lors d’un lavage articulaire ou d’une ostéotomie. En revanche, elles peuvent aussi aller jusqu’au remplacement partiel ou total de l’articulation atteinte par une prothèse. Cette ultime solution, génère une augmentation importante des coûts directs de l’arthrose, mais reste pour autant très pratiquée à la vue de l’amélioration importante de la qualité de vie qu’elle engendre chez la majorité des patients. Pour autant, il n’existe aujourd’hui aucun médicament permettant de rétablir l’intégrité de l’articulation ou même de simplement enrayer les mécanismes menant au développement de l’arthrose (Disease-modifying osteoarthritis drug : DMOAD). Compte tenu du nombre important de patients atteints d’arthrose et du coût engendré pour la société, le développement de DMOADs représente alors un enjeu majeur de santé publique. Figure 1 : Prise en charge de l’arthrose actuellement 2. Facteurs de risques L’arthrose est une maladie soumise à différents facteurs de risque. La diversité de ces facteurs souligne la complexité de cette pathologie (Figure 2). En effet, ces différents facteurs de risque participent, chacun à leur manière, au développement de dérégulations anatomiques (dégradation du cartilage et des tissus mous adjacents, inflammation de la membrane synoviale, ostéophytes et sclérose de l’os sous chondral…), moléculaires (dérégulation de l’expression de matrix métalloprotéinases, dégradation des composants matriciels tels que le collagène de type II, l’agrécane et la COMP – Cartilage oligomeric matrix protein – ) et/ou physiologiques (fibrose de la membrane synoviale, rigidité et déformation du cartilage…). Ces dérégulations mènent finalement toutes à l’apparition de symptômes communs comme la Page 21 sur 198 douleur ou la rigidité articulaire. La multiplicité des facteurs pouvant participer à l’apparition de l’arthrose en fait une maladie complexe à détecter mais aussi à comprendre. Figure 2 : Les facteurs de risque de l’arthrose. a. Âge L’âge est parmi les facteurs de risque les plus largement cités et décrits. En effet, une grande partie de la population âgée mondiale est touchée par l’arthrose puisque 9,6% des hommes et 18% des femmes de plus de 60 ans sont atteints d’arthrose (Figure 3) [8]. Ce facteur de risque représente un enjeu majeur dans nos populations vieillissantes. Ainsi, la prévalence de l’arthrose qui a déjà augmenté de 114% depuis 1990 [9], [10], ne cesse d’augmenter avec le vieillissement de la population.   Figure 3 : Prévalence de l’arthrose (2017) mettant en évidence l’âge et le sexe comme facteurs de risque. Tirée de Safiri et al. 2017 [8]. Au-delà d’une prévalence accrue chez les personnes âgées, les mécanismes mis en jeu au cours de l’arthrose ainsi qu’au cours du vieillissement sont très similaires. Les caractéristiques cellulaires du vieillissement sont les suivantes : l’instabilité génomique, le raccourcissement des télomères, les altérations épigénétiques, la perte de l’homéostasie protéique, la dérégulation du système de détection et de régulation des nutriments, les dysfonctions mitochondriales, la sénescence, l’appauvrissement de la capacité régénératrice des cellules souches ainsi que la dérégulation de la communication intercellulaire [11]. Parmi ces caractéristiques, les altérations épigénétiques, la perte de l’homéostasie protéique, les dysfonctions mitochondriales, ainsi que la sénescence, sont les principales caractéristiques aussi retrouvées au cours d’un développement arthrosique. Il est intéressant de noter que malgré la forte prévalence de l’arthrose dans la population âgée, toutes les personnes âgées ne souffriront pas d’arthrose [12].Cette observation conforte l’aspect complexe et multifactoriel de la mise en place de cette maladie. D’un point de vue thérapeutique, le mimétisme de certains mécanismes impliqués dans le vieillissement et dans le développement de l’arthrose fait des facteurs anti-âges des cibles d’intérêt. Cette stratégie thérapeutique sera développée ultérieurement dans ce manuscrit. Page 23 sur 198 b. Génétique L’arthrose n’est pas une maladie génétique. Pour autant, certains loci peuvent être significativement associés à un développement d’arthrose. Une récente étude très complète a d’ailleurs permis de mettre en évidence une centaine de loci associés à l’arthrose [13]. Cette étude est d’autant plus intéressante qu’elle a distinguée 11 phénotypes d’arthrose différents, permettant ainsi d’identifier des loci spécifiquement associés à la localisation anatomique, au sexe ou encore au stade d’arthrose. Les loci d’intérêt ont alors pu être associés à des mécanismes biologiques présentant donc un rôle clé dans la pathophysiologie de l’arthrose comme l’adipogenèse, le développement squelettique, ou encore la réponse immunitaire et l’inflammation. c. Sexe D’une manière générale, les femmes sont plus sujettes au développement de l’arthrose. Cependant, les différences sont plus ou moins marquées d’une articulation à une autre (Figure 4). En effet, alors que la différence est très marquée pour la gonarthrose, et l’arthrose des mains, elle l’est beaucoup moins pour la coxarthrose par exemple [14]. De façon intéressante, à événements traumatiques égaux, les femmes sont aussi plus susceptibles de développer une arthrose post-traumatique [15]. Il est intéressant de noter que chez la souris, la sévérité de l’arthrose induite chirurgicalement est plus importante chez les mâles que chez les femelles [16]. De façon plus marquante encore, le rôle de certaines voies de signalisation, comme l’IL6 chez la souris, peut différer d’un sexe à l’autre [17]. Récemment, il a été montré que la signalisation de l’IL-6 contribue à la dégradation du cartilage et à la douleur chez les souris mâles mais pas chez les souris femelles[18]. En revanche, une étude récente a mis en évidence que tant les mâles que les femelles présentaient de la douleur en réponse à une induction chirurgicale d’arthrose.

Physiopathologie

En plus d’être une pathologie multifactorielle, la complexité de la compréhension de l’arthrose s’accroit avec le fait que ce soit une maladie de l’articulation entière. Ainsi tous les tissus de l’articulation peuvent être atteints au cours de l’arthrose. En effet, alors que l’intérêt principal de la communauté s’est longtemps exclusivement porté sur le cartilage et les dérégulations menant à sa dégradation, on prend aujourd’hui conscience du rôle de l’articulation dans son intégralité (Figure 6). De plus, plusieurs endotypes, définis par des sous-types d’arthrose associés à différents mécanismes moléculaires, peuvent être distingués impliquant par exemple préférentiellement soit une altération des mécanismes de réparation, soit la présence d’inflammation, ou la dérégulation des mécanismes métaboliques [37]–[39]. Ceci implique une compréhension non seulement de l’aspect moléculaire mais aussi de l’aspect phénotypique associés à une atteinte plus marquée du cartilage, de la membrane synoviale ou bien de l’os sous-chondral. Bien que ces 3 tissus soient ceux qui sont communément reconnus comme pouvant mener au développement de l’arthrose, tous les autres tissus articulaires (tendons, ligaments, muscles etc.) participent également à la dérégulation de l’homéostasie articulaire. Page 28 sur 198 Figure 6 : Altérations articulaires pouvant survenir au cours de l’arthrose. a. Le cartilage articulaire Le cartilage articulaire est le tissu conjonctif présent à la surface des os impliqués dans une articulation. C’est un tissu qui n’est ni innervé, ni vascularisé et qui puise alors les différents éléments utiles à sa survie (nutriments et O2) par diffusion depuis les tissus adjacents et, dans le cas d’une articulation synoviale, le liquide synovial. Enfin, seulement 1 à 10 % de son volume total est constitué de cellules. Les cellules du cartilage, les chondrocytes, à l’image du reste du tissu sont précisément organisées en différentes couches (Figure 7). On observe alors, une couche superficielle où les chondrocytes sont densément présents, de morphologie ovale et orientés parallèlement à la surface articulaire. On retrouve dans cette couche superficielle des cellules chondro-progénitrices qui expriment notamment Prg4 codant pour la lubricine, un protéoglycane [40]. Puis, une couche intermédiaire où les chondrocytes présentent une morphologie un peu plus sphérique sans organisation précise. Et enfin, une couche profonde délimitée par la tide mark où les chondrocytes sphériques sont empilés en colonne, sous laquelle, avant l’os sous-chondral, se trouve une zone où le cartilage est calcifié, se traduisant par la présence importante de collagène de type X et par une hypertrophie des chondrocytes. Page 29 sur 198 Figure 7 : Représentation schématique de l’organisation cellulaire au sein du cartilage articulaire normal. Le reste du volume du cartilage (> 90%) constitue la MEC [41]. La MEC se compose principalement d’eau (~80%), le reste étant composé de macromolécules [42]. Les macromolécules, jouent un rôle extrêmement important dans le maintien de la structure et de la fonction du cartilage articulaire. Ces macromolécules peuvent se sous-divisés en trois grandes familles, les protéines collagéniques et non-collagéniques (fibronectine, laminine etc.), les protéoglycanes et les glycosaminoglycanes (Figure 8). Le collagène de type II représente 90 à 95% des différents types de collagène qui composent la MEC [43], et est garant de la structure, et du volume du cartilage. Les collagènes de type IX et XI représentant respectivement ~3% et ~1% du collagène matriciel, participent eux, via des interactions avec le collagène de type II au maintien de la MEC et à la résistance aux forces imposées à l’articulation [25]. Enfin le collagène de type VI participe aux interactions entre la MEC et les chondrocytes [44]. Les agrécanes, protéoglycanes majoritairement retrouvées, covalemment liées aux glycosaminoglycanes (GAGs) participent largement au maintien des propriétés biomécaniques du cartilage lui permettant de répondre aux compressions lors de la mise en charge des articulations, ainsi qu’aux forces de friction [43]. Parmi les GAGs, on retrouve les héparanes sulfate, la chondroïtine sulfate ou encore l’acide hyaluronique. L’acide hyaluronique est capable d’interagir avec le CD44 des chondrocytes [45], participant ainsi au maintien de la MEC péri-cellulaire [46]. De nombreux autres protéoglycanes sont aussi retrouvés dans le cartilage comme la décorine ou encore le glypican. Enfin, les COMP participent aussi au Page 30 sur 198 maintien de la structure de la MEC, d’une part, en favorisant la synthèse d’éléments essentiels comme le collagène de type II et les protéoglycanes et d’autre part, en inhibant la production de collagène I et X [47]. Le tout forme un ensemble extrêmement bien organisé, chaque composant étant indispensable à l’autre, à l’instar des cellules, qui, bien que relativement peu représentées sont indispensables à la production de la MEC.

Table des matières

I. Introduction
A. L’arthrose
1. Epidémiologie
2. Facteurs de risques
a. Âge
b. Génétique
c. Sexe
d. Traumatisme
e. Troubles métaboliques
3. Physiopathologi
a. Le cartilage articulaire
b. L’os sous-chondral
c. La membrane synoviale
B. Les cibles thérapeutiques dans l’arthrose
1. Le vieillissement
a. La sénescence
b. L’autophagie
c. Les facteurs anti-vieillissement
(1) α-Klotho, une molécule anti-âge d’intérêt pour l’arthrose ?
(2) Propriétés anti-âge d’α-Klotho
(3) α-Klotho et l’arthrose
(4) D’autres exemples de molécules anti-vieillissement
2. L’inflammation
3. Le métabolisme
a. Le métabolisme énergétique
(1) Les transporteurs de glucose
(2) HK2
(3) PKM2
(4) LDHA
(5) La mitochondrie et l’ATP
b. Les autres voies métaboliques altérées au cours de l’arthrose
C. Outils thérapeutiques en développement
2. Thérapie cellulaire
3. Thérapie génique
a. Avant-propos
b. Revue de la littérature en préparation
c. La thérapie génique combinée à l’utilisation de matériaux biocompatibles
II. Objectifs de la thèse
III. Résultats
A. Dérégulations du métabolisme énergétique de chondrocytes issus d’articulations
arthrosiques après un traitement pro-inflammatoire
1. Rationnel de l’étude
2. Article expérimental soumis dans Science Advances : “Osteoarthritic chondrocytes
undergo a glycolysis-related metabolic switch upon exposure to IL-1β or TNF-α”
3. Perspectives de l’étude
B. Evaluation de différents AAVr en injection intra-articulaire chez la souris
1. Rationnel de l’étude
2. Matériel et Méthodes
a. Culture cellulaire
(1) Isolation des chondrocytes primaires
(2) Transduction 1
(3) Analyse FACS (Fluorescence activated cell sorting)
b. Expérimentation in vivo : Injections intra-articulaires
(1) Aspect éthique et schéma expérimental
(2) Chirurgie et suivi
(3) Analyses moléculaires
3. Résultats expérimentaux
a. Efficacité de transduction de 6 sérotypes d’AAVr in vitro sur des chondrocytes
primaires
b. Influence du sérotype sur l’efficacité de transduction in vivo
c. Evaluation de la bio-distribution des sérotypes étudiés
d. Influence du transgène sur l’efficacité de transduction in vivo
4. Conclusion
5. Perspectives
IV. Conclusion générale
V. Bibliographie

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