DUPLICATIONS ET VARIATIONS DANS LE ROMAN FRANCOPHONE CONTEMPORAIN

DUPLICATIONS ET VARIATIONS DANS LE
ROMAN FRANCOPHONE CONTEMPORAIN

LA TRADITION ORALE

Dans ce chapitre final de cette première partie, nous nous exercerons à revisiter l’apport de la tradition orale dans la littérature africaine écrite en général et dans la production romanesque d’Ahmadou Kourouma en particulier. Dès lors que le chapitre qui précède a été consacré à l’apport des grands genres littéraires dans Les Gommes et La Jalousie, une telle répartition pourrait laisser supposer que nous excluons Monnè, outrages et défis et En attendant le vote des bêtes sauvages de l’héritage du support classique et, de facto, Les Gommes et La Jalousie des acquis de la tradition orale. Que nenni, nous voudrions seulement rappeler que c’est l’appartenance de Robbe-Grillet et de Kourouma à des aires culturelles différentes qui justifie une telle démarche. Il a fallu, avant tout comparatisme, montrer que l’archétype varie suivant l’aire culturelle et justifie notre choix délibéré de séparer les legs qui influencent Robbe-Grillet et Kourouma. Mais, parce que l’universalité de la littérature157 permet un croisement d’œuvres dont les sources diffèrent, notre démarche est non seulement justifiée mais également enrichissante. Elle révèle la souplesse de ce domaine d’activité qui s’enrichit dans la différence et la diversité. Cette mise au point faite, nous pouvons nous permettre d’examiner l’ancrage de Monnè, outrages et défis et d’En attendant le vote des bêtes sauvages dans la tradition orale. Ces deux œuvres, comme la plupart de toutes les œuvres de la littérature africaine, ont une structure éminemment orale. Celle-ci s’appuie sur les réalités immuables, les épreuves initiatiques et le rôle des griots-narrateurs. Le texte de Kourouma porte la résonnance des réalités immuables. De la même manière que le romancier occidental se sert de la poétique pour délimiter son champ d’action, celui africain insère des réalités dont le sens dépasse parfois la raison. Ces 157 Bernard Mouralis soutient que la littérature africaine s’inscrit dans une dynamique, à bien des égards, universelle : « Les écrivains africains se réfèrent le plus souvent qu’on ne pourrait le penser aux auteurs et aux œuvres de l’Antiquité gréco-romaine. Ces références font ainsi apparaître ce que l’on pourrait appeler leur « bibliothèque antique » qui, dans leurs textes, prend place aux côtés d’autres bibliothèques : bibliothèque coloniale, bibliothèque africaine, bibliothèque occidentale moderne et contemporaine », « Littératures africaines et Antiquité gréco-romaine », in Littératures africaines et comparatisme.  réalités transcendent le cadre de l’intrigue et entrent dans la composition poétique158 . En effet, avant même l’acte de création, le romancier intériorise l’idée selon laquelle il y a des valeurs, des pouvoirs, des attributs et même des phénomènes qui font partie de la structure narrative. De même, les épreuves initiatiques dépassent le cadre fictionnel et intègrent la psychologie, la pédagogie, l’ethnographie, l’histoire… africaine. Enfin, les griots-narrateurs, par leur omniscience et leur entregent, font plus que rappeler le passé. Ils sont des personnages-écrivains qui se hissent à un niveau supérieur. Ils assurent, à l’interne, un travail de contrôle qui permet d’avoir les mêmes repères qui nous avaient permis de délimiter les genres et leur mode de fonctionnement. 158 Mettant en relation la culture et la civilisation, en s’appuyant sur les contes, Pierre N’Da ne manque pas de montrer que la littérature est un miroir social : « Les contes africains sont un fait de civilisation, le reflet de valeurs idéologiques, un mode d’expression de la pensée, un art et une littérature. L’étude des contes peut permettre de mieux comprendre le monde africain, sa vision de l’univers de Dieu, de l’homme, des êtres et des choses, de mieux apprécier sa culture et sa littérature », dans Le Conte africain et l’éducation, Paris, L’Harmattan, 1984, p. 87. 110 3. 1. Les réalités immuables Les réalités immuables sont d’ordre social. Contrairement à la littérature occidentale cernant, le plus souvent, les personnages dans leur individualité, celle africaine accorde une grande place au système social. Le comportement de l’individu est régi par des ordres auxquels il ne peut se soustraire. Cette catégorisation immuable apparaît sous diverses formes et oriente la création littéraire. Ainsi, notre objectif n’est pas d’étudier les faits et gestes des personnages en rapport avec une intrigue spécifique mais, plutôt, de déceler une vision du monde qui n’est pas à loger dans la fictionnalisation mais dans le support d’une œuvre littéraire africaine quelle que soit son orientation thématique. Il y a donc des constantes qui rivalisent avec les principes aristotéliciens. Elles apparaissent à travers la relation au pouvoir, d’une part, et la hiérarchisation de la société suivant l’âge et le statut, d’autre part. Les œuvres de littérature obéissent à une démarche qui devient leur poétique et demeure une constante qui outrepasse l’imagination qui structure l’intrigue. La relation au pouvoir, quoique complexe, obéit à certaines constantes : la lignée ou la détention de forces mystiques. Dans Monnè, outrages et défis, Djigui est un Kéita, descendant de Soundjata. Cette descendance suffit à lui assurer un destin de roi. Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, dès le bas âge, Koyaga a une étoile qui se différencie des autres et qui ne laisse pas indifférent les hommes de science : Ton fils, ajouta le marabout, est de la race des hommes qui ouvrent, des hommes qui se font suivre, des maîtres, de ceux qui doivent savoir s’arrêter à temps, de ceux qui ne doivent pas rester en deçà ni aller au-delà. Malheureusement, d’après les diverses positions des figures géomantiques, ton fils ira loin, terminera au-delà. Il terminera trop grand, donc trop petit ; trop heureux, donc malheureux. Il sera notre élève et notre maître, notre richesse et notre pauvreté, notre bonheur et notre malheur… Énorme ! (EVBS, 64). Ces deux exemples illustrent, pour ainsi dire, une réalité inscrite dans le temps. Pour jouer les premiers rôles dans une société qui trouve ses repères dans le contact à l’oralité, il ne s’agit pas de gagner des élections ou d’être choisi au hasard, mais il faut avant tout être consacré par les forces qui régentent cette société. Djigui doit sa posture et son autorité à la place qu’occupaient ses ancêtres. Koyaga, quant à lui, est 111 béni par les forces qui jouent le rôle de modérateur de la société à laquelle il appartient. Ce qui est intéressant, dans cette composition sociale, c’est que l’être concerné, pris dans son individualité, n’y joue aucun rôle et n’a véritablement pas le choix d’accepter ou de rejeter le cours des choses. Il se doit juste de perpétuer cet acquis en allant à la rencontre de son destin. Cet état de fait est assez éloquent car il dévoile une facette de l’oralité jusque-là inconnue : le caractère œdipien. Le second exemple en est une illustration. Bokano Yacouba, marabout-guérisseur, tel l’oracle qui avait décliné la sinueuse trajectoire d’Œdipe, dit à la mère du futur conquérant que son fils est marqué du sceau des gloires et de celui de la déchéance. Tout le reste du récit ne sera alors qu’une longue justification de ce propos prophétique. Le destin de Djigui n’est certes pas si explicitement annoncé au début de Monnè, outrages et défis, mais les germes de la fin malheureuse étaient déjà là au tout début du récit : La vérité était que rien n’avait été renouvelé dans le Mandingue depuis des siècles. Le pays était un lougan en friche, une case abandonnée dont le toit de toutes parts fuyait, dont les murs lézardés s’écroulaient. Tout était arriéré et vermoulu. Le legs était un monde suranné que des griots archaïques disaient avec des mots obsolètes. Le soir l’avait surpris avec ses compagnons dans un village de montagne où les habitants les avaient accueillis et avaient courbé avec eux la dernière prière. La nuit, un rêve l’avait éveillé : il arrivait trop tard ; une bourrasque à laquelle le pays ne pouvait pas résister s’approchait (MOD, 16). Cet énoncé annonce la fin du règne des Kéita. Djigui allait être le malheureux dernier roi159 qui allait assister à la fin de la grande apogée entamée par Soundjata. Les trajectoires de Djigui et de Koyaga démontrent qu’il y a une réalité antérieure à l’intrigue. Tel un fatum, elle insuffle au héros et à l’histoire une force qui devient la trajectoire à suivre. Certes, cette force ne peut être appréhendée par la raison, encore moins par la logique du fameux bon sens, mais elle est aussi constante, aussi pérenne que les principes structurant les récits occidentaux, ainsi qu’on le voit dans la tragédie racinienne. À l’instar d’Aristote qui se fonde sur des critères logiques pour 159 Jean Ouédraogo, appréhendant cette fatalité liée au destin dira : « Le problème c’est que dans les sociétés africaines (…), le destin de l’homme c’est déterminé d’avance. On n’échappe pas à son destin. C’est cela la mentalité africaine. Et tout ce qu’ils font quand ils font des sacrifices, c’est un peu pour déplacer le destin. Mais sinon, le destin, on n’y échappe pas », Maryse Condé et Ahmadou Kourouma :  séparer, par exemple, le genre comique du genre tragique, l’oralité, à la différence qu’elle n’est pas théorisée hors de son champ de représentation, soumet une classification qui permet déjà de cerner le degré de gravité de la plume de l’écrivain. Djigui, par son bon sens, interprète bien sa situation et guide le lecteur profane, comme en témoigne cet énoncé : Tout autre (…) se serait proclamé prophète, se serait tout permis, aurait repris sa vie de délectation d’antan. Allah en soit loué ! Djigui n’était pas seulement façonné avec de la bonne argile, il était aussi franc, charitable et matineux. Des qualités qui ne trahissent jamais ! Les matineux voient tôt et loin ; Djigui avait aperçu ce qui se passait sur les marches du royaume. Les francs entendent juste et clair ; Djigui avait perçu, par-dessus les dithyrambes des griots, les râles lointains de certains peuples imprudents. Les charitables présentent vite et fort ; Djigui avait présumé que sa vie serait une destinée de monnè (MOD, 17). Ce temps matineux dont il est question équivaut, dans la littérature occidentale, au rôle que les critiques ont joué pour orienter la fiction. Outre les signaux stables qui permettent la délégation du pouvoir, la hiérarchisation de la société suivant des critères que nous avons identifiés transcende le texte de Kourouma et s’inscrit dans un cadre beaucoup plus global qui précède la naissance du texte littéraire purement fictif. Il y a, pourrait-on dire, un transfert de réalités sociologiques vers la littérature. Mais, dès lors que celles-ci sont en amont de la création et l’orientent quel que soit l’objectif de l’auteur, il y a lieu d’étudier sa prise en charge par une écriture qui en fait une poétique. Un des éléments fondamentaux de cette hiérarchisation est l’âge. Dans le roman africain, l’âge influence le rôle que l’on peut jouer dans telle ou telle autre intrigue. Dans Monnè, outrages et défis, dès lors que Djigui est « centenaire », il bénéficie d’un traitement assez particulier. Même si, comme nous l’avons dit, il est le roi qui assiste au déclin des Kéita, il est ménagé parce que, finalement, l’âge est aussi une sorte de puissance qui régule le texte littéraire. La vieillesse loin d’être une dépossession, comme on serait porté à le croire, est l’accumulation d’expériences qui donnent à son détenteur des possibilités d’être témoin-écrivain de l’histoire. Jeune déjà, Djigui a été initié à l’exotérisme.

Les épreuves initiatiques

L’initiation est très caractéristique du parcours des héros africains. C’est pourquoi, nous nous appuierons essentiellement sur les œuvres de Kourouma pour étayer nos propos. Aussi bien dans Monnè, outrages et défis que dans En attendant le vote des bêtes sauvages, les personnages, les plus en vue surtout, subissent un certain nombre d’épreuves qui consolident leur appartenance à un type de société où l’homme se définit par rapport aux valeurs de celle-ci. Selon que nous soyons dans Monnè, outrages et défis ou dans En attendant le vote des bêtes sauvages, le type d’épreuves varie, quand bien même la finalité est sensiblement la même. Dans Monnè, outrages et défis, la première épreuve oppose les Noirs aux Blancs. Elle met, semble-t-il, face à face le monde des valeurs et celui des antivaleurs. Légitime prince mandingue, Djigui, s’adressant à l’interprète, l’intime : – Dis aux Blancs que c’est contre eux, Nazaras, incirconcis, que nous bâtissons ce tata. Annonce que je suis un Kéita, un authentique totem hippopotame, un musulman, un croyant qui mourra plutôt que de vivre dans l’irréligion (…). Je fais le serment sur la tombe des aïeux. Nous les vaincrons malgré leurs canons. Redis, redis encore qu’Allah des croyants n’acceptera pas que la victoire finale reste aux incroyants (MOD, 35). Ces deux séquences révèlent deux aspects sur le regard que le Noir de Soba porte sur le Blanc. Il y a, d’abord, le complexe de supériorité du Noir qui croit que ces traditions en font un être supérieur, ensuite, la posture de Djigui, pur sang royal, et, enfin, la banalisation du dieu auquel le Blanc croit. Ces trois paramètres attestent de l’existence d’un processus de maturation de l’être social africain qui en fait un initié portant les valeurs de sa communauté, de manière positive. L’initiation est le premier trait distinctif, la première épreuve qui construit la sociabilité du Noir en rapport avec les traditions sur lesquelles s’adosse sa communauté. Même si l’œuvre de Kourouma ne donne pas de plus amples informations sur les vertus de l’initiation, elle révèle le mépris dont sont victimes ceux qui ne sont pas initiés. Par cet antagonisme, apparaît une classification de la 123 société qui répartit les êtres selon qu’ils aient ou non subit un certain nombre d’épreuves. Chez l’homme africain, l’initiation est indispensable. Senghor, dans « Chant de l’initié », considérait déjà la circoncision comme un « voyage aux sources ancestrales » dont la finalité est de « renaître dans la révélation de la Beauté »162 . L’initiation est primordiale dans la société africaine. Elle permet d’ajouter à la première naissance, qui définit le genre, une seconde, qui rend l’homme apte à défendre les valeurs de la société. Les personnages de Kourouma sacrifient au rituel, de sorte que son œuvre rend compte du préjugé défavorable et du mépris à l’égard de l’incirconcis, car, rappelons-le, la circoncision est une étape de l’initiation. Il y a une division totale, tant sur les points de vue que sur le rapport au monde entre les circoncis noirs et les incirconcis blancs. Nous sommes tentés de dire que la première cause de divergence entre les Noirs et les Blancs réside dans le fait que les uns accordent une charge sémantique très significative à la circoncision. Djigui, interprétant le sens qu’il donne à la poignée de main échangée avec le Blanc, dira : « c’est une main d’infidèle et d’incirconcis qui m’a souillé » (MOD, 37)163. Par-delà une opposition entre le Noir, oppressé, et le Blanc, oppresseur, se note, en filigrane, une hiérarchisation de la société selon que l’on soit initié aux vertus de la vie en société ou pas. Avant de montrer comment s’illustre, dans le texte de Kourouma, cette classification, il y a lieu de dire que cette opposition de deux civilisations met en exergue, d’une part, la nécessaire définition de l’homme noir par rapport aux composantes de sa société et, d’autre part, l’individualisme de l’Européen qui se définit, le plus souvent, par rapport à lui-même. Comme nous le soulignions précédemment, les attitudes de l’un et l’autre sont guidés par la manière dont se 162 « Chant de l’initié », Nocturnes, in Œuvre poétique, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1964, 1973, 1979, 1984, 1990, p. 200. 163 Le dédain qu’éprouve Djigui est semblable à celui que Toundi ressent après avoir découvert que le commandant est incirconcis : « Cette découverte m’a beaucoup soulagé. Cela a tué quelque chose en moi… Je sens que le commandant ne me fait plus peur. Quand il m’a appelé pour que je lui donne ses sandales, sa voix m’a paru lointaine, il m’a semblé que je l’entendais pour la première fois. Je me suis demandé pourquoi j’avais tremblé devant lui », Ferdinand Oyono, Une vie de boy, Paris, Julliard, coll. « Pocket », 1956, p. 45 ; Lire à ce propos Augustin Coly, « Ambivalence du personnage du nègre indigène dans le roman africain contemporain : Ville cruelle et Une vie de boy », in Éthiopiques. Revue négro-africaine de littérature et de philosophie, n° 83. Littérature, philosophie et art, 2ème semestre 2009, pp. 127-143. 124 structurent les sociétés auxquelles ils appartiennent. L’œuvre littéraire étant l’écho des faits sociaux, la littérature véhicule les composantes constitutives de ceux-ci. Dans sa Poétique, à forte résonnance occidentale, Aristote accordait la primeur à l’individu qui, par ses capacités, pouvait orienter la marche du monde. Les germes de l’individualisme étaient alors semés et toute la littérature qui suivra ne fera qu’illustrer cette orientation. Par contre, la littérature africaine écrite, fortement influencée par l’oralité, gardait en son sein cette incapacité de l’être à se départir d’autrui. De ce fait, il faut comprendre la circoncision comme une initiation qui renforce le sentiment d’appartenance à une structure plus vaste et plus forte. Les personnages de Kourouma peuvent, par cet acte, être cernés comme entités appartenant à des groupes d’initiation. Au-delà de celle liée au genre et qui nous a servi à appréhender les sources du bannissement dont les Blancs font l’objet de la part de Djigui et de ses sujets, il existe d’autres formes d’initiations qui, à l’interne, justifient la détermination du chef à révéler, avec fierté, qu’il est « authentique totem hippopotame ». En effet, dans la société africaine, inspiratrice de Kourouma, à la naissance, on appartient à une catégorie qui s’identifie soit par son totem, soit par une activité spécifique. Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, la plupart des chefs d’État auxquels Koyaga rend visite pour parfaire sa formation sont désignés par leur totem. Voici une série de quelques séquences qui l’illustrent : Tiékoroni, le maître de la République des Ébènes, avait pour totem le caïman. C’était un petit vieillard rusé qu’on appelait l’homme au chapeau mou et qui se faisait appeler dans son fief le bélier de Faso et le sage de l’Afrique (EVBS, 185). Bossouma, l’homme au totem hyène, appelé aussi le gros vin rouge, l’Empereur du pays aux Deux Fleuves, était déjà là sur la terrasse du salon d’honneur. Il n’avait pas attendu que toutes les phases de l’accueil réservé à un chef d’État aient été accomplies (EVBS, 208). Ah ! Tiécoura. L’homme au totem léopard était un potentat. De la criminelle espèce, de la pire. Quand on doit parler d’un dictateur d’une telle étrangeté, avec de telles aspérités dans un récit, il vaut mieux débuter par les gestes, les donsomanas du pays et du peuple qui ont engendré un tel dictateur (EVBS, 226-227). 125 Vous avez achevé votre visite initiatique par un pays musulman du Nord de l’Afrique, le pays du potentat au totem chacal du désert, les pays du Djebels et du Sable (EVBS, 256). Ces multiples exemples, consacrant l’appartenance à un totem, impliquent une certaine posture de la part de ceux qui les portent. À côté de cette énumération, apparaît celle liée à l’activité. Celle-ci est triple, si nous nous référons à l’itinéraire de Koyaga. Il est d’abord descendant d’un homme nu, champion de lutte (confer EVBS, 13). Ensuite, il est, également comme ses parents, chasseur : À neuf ans, les lointaines brousses et montagnes retentirent des cris de détresse des bêtes qui passaient de la vie au néant, les animaux virent leurs rangs s’éclaircir irrémédiablement ; nombreux parmi eux devinrent orphelins. Déjà, Koyaga, vous aviez fléché et tué une panthère et, les nuits de veillées, vous dansiez dans les rangs des maîtres chasseurs… (EVBS, 22-23). Enfin, il est chef de l’État du Golfe. Cumulée aux deux premières activités – la lutte et la chasse –, celle de président est toute nouvelle pour Koyaga, en ce sens qu’elle n’est ni héréditaire ni acquise en théorie. Elle nécessite un exercice pratique et une capitalisation de l’expérience des uns et des autres : La politique est comme la chasse, on entre en politique comme on entre dans l’association des chasseurs. La grande brousse où opère le chasseur est vaste, inhumaine et impitoyable comme l’espace, le monde politique. Le chasseur novice avant de fréquenter la brousse va à l’école des maîtres chasseurs pour les écouter, les admirer et se faire initier (EVBS, 183). Cette dernière activité attire davantage notre attention, en ce sens qu’elle intègre non seulement les deux autres, – nous le prouverons incessamment –, mais elle nous permet, dans les détails, de jeter un regard sur la complexité de la tâche de président et sa flexibilité suivant le temps et l’espace. Ainsi, au rythme des voyages de Koyaga, verrons-nous, comment, s’appuyant sur le fictif, Ahmadou Kourouma, implicitement, révèle que, dans la sociologie africaine, toute attribution nécessite une initiation. Ainsi lors de son passage chez Tiékoroni, dictateur de la République des Ébènes, apprend-il que le chef de l’État, prolongement du chasseur et du champion de lutte, doit être le détenteur du pouvoir financier :

Table des matières

PREMIÈRE PARTIE : L’ARCHÉTYPE REVISITÉ
Chapitre 1 : L’ancrage aux sources génériques
1. 1. La Poétique : référence du modèle occidental
1. 2. Le roman africain : de l’oralité à l’écriture
Chapitre 2 : Le support classique robbe-grillétien
2. 1. Les survivances du mythe
2. 2. L’influence du théâtre
2. 3. Les croisements avec la nouvelle
2. 4. Les traces du “Polar” et du roman d’espionnage
2. 5. Le champ visuel cinématographique
Chapitre 3 : La tradition orale
3. 1. Les réalités immuables
3. 2. Les épreuves initiatiques
3. 3. Les griots-narrateurs
DEUXIÈME PARTIE : LES FLUCTUATIONS DE L’ARCHÉTYPE
Chapitre 4 : L’ambiguïté du personnage
4. 1. Les avatars d’Œdipe
4. 2. Le dépérissement de l’être
4. 3. Les identités doubles des personnages
Chapitre 5 : Les dédoublements de l’intrigue
5. 1. La pluralité des possibles dans les récits
5. 2. Les mises en abyme
Chapitre 6 : L’espace du chaos
6. 1. Les lieux fermés et vicieux
6. 2. Les variations expansives du désordre
6. 3. Les espaces d’outrage et de mort
Chapitre 7 : Les discontinuités temporelles
7. 1. Les temps mythique, labyrinthique et réaliste
7. 2. Les stases temporelles
7. 3. Les datations saisonnières
TROISIÈME PARTIE : L’AVENTURE DE L’ÉCRITURE
Chapitre 8 : L’écriture et la langue
8. 1. “Un parler” de l’écriture
8. 2. Une écriture “du parler”
8. 3. L’entre-deux-langues et le mélange de registres
Chapitre 9 : L’écriture au rythme du chaos
9. 1. La non-signifiance du signifié
9. 2. Une énonciation de l’échec
9. 3. L’humour satirique
CONCLUSION

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