Dynamique des grandes échelles de la convection dans la photosphère solaire

Dynamique des grandes échelles de la convection dans la photosphère solaire

Observations et modèles de la photosphère solaire 

Le seul exemple observationnel de convection dans un système astrophysique nous est donné par la surface solaire. Les télescopes solaires nous révèlent en effet au premier coup d’œil le motif de la granulation, qui pave la surface de notre étoile. Au-delà de la granulation, un vaste ensemble de processus magnétohydrodynamiques plus ou moins reliés à la convection forment un continuum d’échelles spatiales et temporelles. Les mesures photométriques, vélocimétriques, mais aussi magnétiques, réalisées depuis plus d’un siècle en attestent. Des plus petites échelles résolues observationnellement aux plus grandes, on peut citer la mésogranulation, la supergranulation, les cellules géantes. Les taches solaires offrent quant à elles un exemple excitant de la diversité des échelles de temps : leur durée de vie peut être importante, et elles présentent des oscillations à courte période. Dans ce chapitre, nous nous proposons de présenter une partie des très nombreux résultats relatifs à ces phénomènes (la plupart d’entre eux ont été obtenus dans la deuxième moitié du XXe siècle) et de les analyser dans une perspective de dynamique des fluides. L’objectif est d’obtenir un état des lieux de ces phénomènes astrophysiques fondamentalement complexes, pour lesquels les principes de simplicité s’appliquent malheureusement fort difficilement. Pour parvenir à nos fins, nous suivrons deux directions : d’une part, les observations de la dynamique photosphérique, riches et variées en contenu, pas toujours conciliables. D’autre part, les simulations numériques, en plein essor, mais malheureusement toujours limitées à des régimes de paramètres hydrodynamiques astrophysiquement irréalistes. Nous verrons malgré tout à cette occasion les perspectives que l’outil numérique a ouvertes au cours des dernières années. Avant toute chose, il nous semble indispensable de donner une image générale de l’unité de lieu de ce manuscrit, à savoir la zone convective solaire. Les paragraphes suivants sont consacrés à un compte-rendu des observations puis des simulations qui ont contribué à la construction de cette image. Une synthèse des différents renseignements obtenus par la littérature est entreprise en fin de chapitre.

 Phénoménologie de la zone convective du Soleil 

Convection en profondeur

À l’intérieur du Soleil, le transport de l’énergie libérée au centre par les processus nucléaires est assuré par radiation. La zone radiative s’arrête à une profondeur d’environ 200 000 km (0.713 R), qui marque le début de la zone convective1 (Christensen-Dalsgaard et al. 1991, Basu et Antia 1997). En-deçà de cette profondeur, les recombinaisons successives de He++, de He+ et de l’hydrogène ionisé font augmenter l’opacité du milieu et l’énergie latente du gaz. Le transport radiatif cède alors progressivement sa place à la convection au fur et à mesure qu’on se rapproche de la surface. Remarque Le coefficient de diffusion radiative augmente considérablement dans un milieu complètement ionisé. Dans l’approximation de diffusion, le flux radiatif est donné par Fν = −κν∇T , (1.1) avec κν ∼ T 3/Kν où Kν est l’opacité (en général l’opacité est notée κ mais cette notation est souvent utilisée en convection pour le coefficient de diffusion thermique). Dans un gaz ionisé, l’opacité est régie par des transitions libre-libre (opacité de Kramers) et est alors proportionnelle à T −3.5 . Pour un gradient de température donné, le flux radiatif varie alors comme T 6.5 (Kippenhahn et Weigert 1994), et diminue donc vers l’extérieur de l’étoile. 1Une telle précision n’a été atteinte que très récemment grâce à l’avènement de l’héliosismologie, qui a également permis de déterminer le profil de rotation différentielle au sein de la zone convective (Kosovichev et al. 1997). Histoire de l’observation de la dynamique photosphérique 21 La recombinaison des ions abaisse significativement le gradient adiabatique et favorise le développement de l’instabilité convective au sens du critère de Schwarzschild (∇ > ∇ad). On estime d’autre part à 1023 le nombre de Rayleigh dans la zone convective (rapport entre l’intensité de la force d’Archimède, le moteur de la convection, et la diffusion de quantité de mouvement et de chaleur, les freins), ce qui signifie que la convection est extrêmement efficace et génère un profil thermodynamique vertical quasi-isentropique, correspondant à un gradient de température très proche du gradient adiabatique. Le temps de parcours d’une bulle de gaz chaude depuis la base de la zone convective jusqu’à la surface est de l’ordre du mois (voir par exemple Brandenburg et al. 2000).

 Convection photosphérique

 Contrairement aux profondeurs de la zone convective, la photosphère (« l’extérieur immédiat » du Soleil) est par définition un milieu optiquement transparent dans lequel le transport de l’énergie s’effectue grâce à la lumière. On observe donc une transition au niveau de cette surface entre le régime convectif et le régime radiatif. Ceci se traduit par le spectaculaire effet de la granulation solaire (figure 1.1) : la radiation refroidit brutalement le gaz chaud et montant dans la zone convective et donne ainsi une vigueur très importante à la convection, qui se manifeste sous la forme d’un ensemble de cellules au centre desquelles le gaz chaud et brillant monte, puis s’étend horizontalement, avant de redescendre, après refroidissement, de manière très turbulente dans les zones sombres dites intergranulaires (intergranular lanes). La diffusion radiative à la surface est le principal obstacle à la convection, dans le sens où la photosphère supérieure est un milieu stablement stratifié, mais c’est aussi un moteur, puisque le refroidissement rend la convection très active à la surface. À la granulation se superposent la supergranulation (figure 1.2), à laquelle on attribue habituellement une échelle horizontale de l’ordre de 30 000 km et (peutêtre) la mésogranulation (figure 1.3), qui aurait une échelle intermédiaire entre granulation et supergranulation. Ces deux structures sont entre autres responsables de l’advection du motif de la granulation. Finalement, il est possible que des écoulements à plus grande échelle encore existent, comme par exemple les cellules géantes (résultats observationnels marginaux). 

 Une (brève) histoire de l’observation de la dynamique photosphérique 

Dans ce paragraphe, nous proposons un panorama des observations de la surface solaire, et tout particulièrement des structures comme la granulation, la mésogranulation, la supergranulation ainsi que des structures magnétiques associées. Pour commencer nous donnons une description sommaire des différentes FIG. 1.1 – Cliché de la granulation solaire telle qu’elle apparaît en lumière visible, mettant en évidence des zones sombres et étroites correspondant au gaz froid descendant et des panaches clairs et chauds montants. L’échelle caractéristique des granules est de l’ordre de 1 000 km (paragraphe 1.3.b). Image réalisée avec le réflecteur de 48 cm de la coupole tourelle du Pic du Midi. méthodes utilisées et des informations physiques auxquelles elles permettent de remonter.

Méthodes d’observation et d’analyse Photométrie

 Les images en lumière blanche ou dans l’infrarouge constituent la plus ancienne technique d’observation de la surface solaire. Elles permettent d’étudier des structures thermiques et vélocimétriques. Le suivi (tracking) des structures apparentes (comme les granules) par corrélation d’images successives permet alors de calculer les champs de vitesse horizontaux responsables de l’advection de ces structures. On peut citer dans ces méthodes la LCT (Local Correlation Tracking) et la CST (Coherent Structure Tracking). Les avantages et inconvénients de ces différentes méthodes sont détaillés dans Roudier et al. (1999), Rieutord et al. (2000). Dopplergrammes Les dopplergrammes permettent uniquement d’obtenir des informations sur les champs de vitesse, puisque par définition, le signal qu’ils renvoient est directement proportionnel au champ de vitesse suivant la ligne de visée. Ils ont entre autres permis de découvrir la supergranulation (Hart 1954). L’instrument Histoire de l’observation de la dynamique photosphérique 23 FIG. 1.2 – Visualisation du motif de la supergranulation solaire à partir d’un dopplergramme obtenu par l’instrument MDI sur le satellite SOHO, mettant en évidence une circulation de gaz à l’échelle de 30 000 km (paragraphe 1.3.c), responsable de l’advection des granules solaires. MDI (Scherrer et al. 1995) à bord de SOHO a notamment permis ces dernières années d’obtenir des informations détaillées sur la structure des champs de vitesse par cette technique. La LCT est couramment utilisée pour analyser des dopplergrammes, mais de nouvelles méthodes d’héliosismologie locale comme l’ analyse « temps-distance » (Duvall et al. 1997) ont vu le jour avec SOHO. L’analyse tempsdistance permet entre autres de déterminer des champs de vitesses moyens à la surface en calculant la différence de temps de parcours entre deux points pour deux ondes sonores se propageant en sens opposé. Magnétogrammes et spectrohéliogrammes associés En parallèle des observations photométriques et vélocimétriques se situent les observations des structures magnétiques. Plusieurs approches sont utilisées. Celles basées sur la polarisation associée à l’effet Zeeman (par exemple sur la raie FeI à 525 nm) donnent la composante suivant la ligne de visée des champs d’intensité importante (de l’ordre de quelques dizaines de Gauss au minimum). Des spectrohéliogrammes utilisant la signature des ions Ca+K (λ = 393.3 nm) FIG. 1.3 – Carte de divergence horizontale du champ de vitesse moyenné sur plusieurs dizaines de minutes, obtenue par November et Simon (1988) par local correlation tracking. L’échelle caractéristique des motifs obtenus est de l’ordre de 8 000 km, ce qui correspond à la mésogranulation (voir paragraphe 1.3.d). piégés par le champ magnétique quelques milliers de kilomètres au-dessus de la photosphère permettent de leur côté de remonter à la distribution spatiale de champs magnétiques (voir par exemple Schrijver et al. (1997)). À partir de cartes de ces structures magnétiques, il est également possible d’utiliser les techniques de corrélation évoquées plus haut (voir par exemple Lisle et al. 2000). 

 Données relatives à la granulation 

On connaît depuis longtemps la taille caractéristique des granules. Historiquement, c’est W. Herschel, en 1801, qui le premier donna une description du phénomène qu’il présenta comme un ensemble de « grains de riz ». Janssen (1896) estima la taille de ces grains entre 750 et 1 500 km. Chevalier (1908) donna ensuite une valeur remarquable pour la durée de vie des granules de cinq minutes (un historique intéressant de l’évolution des mesures de la granulation est présenté dans Spruit et al. (1990)). Les observations vélocimétriques et photométriques de la deuxième moitié du XXe siècle, plus fiables, n’ont pas contredit ces résultats, bien au contraire (voir par exemple Bray et al. 1984). Le groupe de Princeton a évalué la durée de vie moyenne à 8 minutes (Bahng et Schwarzschild 1961) et dans une revue sur le phénomène, Leighton (1963) a conclu à des cellules de taille 2 000 km, avec des bords sombres de l’ordre de 300 km, mettant en évidence l’asymétrie entre les écoulements montant et descendant. Il serait possible de donner des centaines de références d’observations sur la granulation, tant ce phénomène a été étudié. Dans ce domaine (et contrairement  au cas des phénomènes qui seront décrits plus loin), les différents observateurs s’accordent plutôt bien. Nous nous contenterons donc de citer une dernière étude assez récente, celle de Title et al. (1989). Leurs observations aboutissent à des vitesses granulaires entre 0.5 et 1.4 km s −1 , à des tailles de 1 000 km, et à des durées de vie de 10 minutes. Remarquons au passage qu’il existe une dispersion importante dans les différentes mesures, qui nous montre de toute évidence le rôle fondamental de la turbulence dans ce milieu.

Table des matières

Remerciements
Sommaire
Notations utilisées
Problématique générale
1 Observations et modèles de la photosphère solaire
2 Équations MHD dans un milieu fortement stratifié
3 Approche linéaire de la supergranulation solaire
4 Simulations numériques à grand rapport d’aspect
5 Théories de champ moyen
Conclusions et perspectives
A Méthodes numériques et tests
B Oscillations alfvéniques d’une coquille sphérique
Bibliographie
Liste des publications
Liste des communications
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