Enjeux et dynamiques de l’information géographique dans la gouvernance des territoires urbains du sud-Bénin

Enjeux et dynamiques de l’information géographique dans la gouvernance des territoires urbains du sud-Bénin

L’Afrique de l’Ouest indépendante, entre mutations et stabilité

 Depuis cinquante ans et la vague des indépendances, l’Afrique de l’Ouest se singularise par de fortes dynamiques de peuplement à la base d’un renouvellement fréquent des approches scientifiques de la région. Deux grandes études, la West Africa Long-term Perspectives Study (WALTPS) et Africapolis, financées par des bailleurs de fonds internationaux, se sont intéressées à la mise en perspective des évolutions de la population dans cette région. Ces études décrivent, avec différentes méthodologies, une multiplication des villes et de leur nombre d’habitants. Elles montrent également le passage d’une situation majoritairement rurale à un état d’urbanité qui concerne dorénavant une proportion importante de la population. Dans cette partie du continent africain, en effectuant un zoom sur le Golfe de Guinée, on perçoit la structuration d’un chapelet de villes de toutes tailles entre Abidjan en Côte d’Ivoire à Lagos au Nigeria dans un milieu de densités rurales très élevées. Ce réseau urbain est animé par d’intenses mobilités entre les pays, elles-mêmes facilitées par un axe routier performant. Des prévisionnistes y voit l’ossature d’une « mégalopolis ouest-africaine » [DORIER E. et DOMINGO E. 2004 – AFRICAPOLIS 2009]. Figure 1 : Projection 2020 de l’organisation socio-spatiale de la région du littoral du Golfe de Guinée selon les travaux de WALTPS Source : Base de données WALTPS, 1991. Construction : LPED, Charles-Dominé J., 2012. Dans son évolution administrative et politique, l’Afrique de l’Ouest présente, sur la même période de 50 ans, un double mouvement : celui d’une intégration des États dans des organisations intergouvernementales et, plus récemment, celui d’un renforcement des pouvoirs locaux à travers des réformes de décentralisation de l’administration territoriale. Introduction générale 13 La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union Économique et Monétaire Ouest-africaine (UEMOA) ont été créées respectivement en 1973 et 1975. Ces deux grandes organisations politiques, chacune à leur niveau, favorisent par différents mécanismes (harmonisation des législations entre les différents États membres, monnaie et marché communs) l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest à partir des mobilités des hommes, des marchandises et de capitaux dans un vaste territoire transnational. Figure 2 : Les deux grandes organisations sous-régionales en Afrique de l’Ouest Construction : LPED, Charles-Dominé J., 2012. Concomitamment à un processus de démocratisation de la vie politique au début des années 90, la région s’est impliquée, avec les soutiens de plusieurs bailleurs de fonds internationaux, dans une recherche d’autres formes de régulations institutionnelles en œuvrant pour la décentralisation. Les élections communales, dont les premières sont organisées au BurkinaFaso en 1995, se présentent comme des réformes totales à la croisée de multiples attentes dans le processus global de développement économique et social impulsé par la base. L’application de lois sur la décentralisation est à l’origine d’un ensemble de dynamiques inédites comme la politisation de la vie locale et une diversification des acteurs opérant dans les territoires. Ces réformes institutionnelles éveillent, par ailleurs, des préoccupations nouvelles comme l’organisation d’un budget local, des activités de gestion et d’entretien des infrastructures et des équipements, l’élaboration technique de plans d’urbanisme ou de schémas d’occupations des sols à l’échelle d’une commune ou d’une agglomération urbaine [DORIER-APPRILL E. et JAGLIN S. 2002 a – DUBRESSON A. et FAURE Y-A. 2005]. Introduction générale 14 Figure 3 : Dates des premières élections locales démocratiques en Afrique de l’Ouest Source : Observatoire de la décentralisation, Partenariat pour le Développement Municipal (PDM) 2005 – Mise à jour LPED, Charles-Dominé J., 2012. Construction : LPED, Charles-Dominé J., 2012. Dans ce contexte singulier d’évolutions rapides depuis plusieurs décennies, les technologies de l’information géographique et tout particulièrement les Systèmes d’Information Géographique (SIG) font figure d’outils incontournables pour la région avec leurs nouveaux procédés d’analyse des territoires et des instruments de gestion de plus en plus performants. Ils offrent une meilleure connaissance des territoires et de leur patrimoine et une appréhension fine des dynamiques de peuplement. Les SIG peuvent soutenir les collectivités locales en construction dans leurs différentes préoccupations d’administration et d’aménagement. Les technologies de l’information et de la communication dans leur ensemble suscitent depuis une vingtaine d’années un vif intérêt dans les pays riverains du Golfe de Guinée, ainsi que d’importants investissements de la part des institutions d’aide au développement, notamment, dans le cadre de ce processus de décentralisation

Présentation du sujet 

Définie comme un « type d’information très répandue décrivant des objets, phénomènes, êtres vivants ou sociétés dès lors qu’elle est reliée à un territoire » [DENEGRE J. et SALGE F. 1996, page 5], l’information géographique, encore plus fine et interactive avec la banalisation des technologies de l’information et de la communication, s’impose de plus en plus pour l’aménagement et la gestion des espaces et en particulier des villes. Sa disponibilité est utile pour la planification de l’entretien des infrastructures, l’intendance du patrimoine, le développement des ressources et les travaux de prospective [COURET C. 1986], différents avantages qui intéressent particulièrement les responsables des villes dont la tâche est, par définition, la gestion d’un territoire. Ces données représenteraient entre 70% et Introduction générale 15 80% des informations utilisées dans les collectivités locales françaises [PRALLONG A. 1993]. Faisant intervenir l’informatique, des notions de cartographie et de structuration de bases de données, les SIG sont des outils techniques assez complexes. Leur mise en place et leur développement dans un pays pauvre comme le Bénin exigent plusieurs conditions de faisabilité. Doivent être pris en compte, notamment, la disponibilité d’informations de base, les cadres de référence en matière de périmètres administratifs, de gestion et d’aménagement du territoire et les capacités humaines et matérielles pour l’accueil et le développement des données et des outils informatiques. Sur ces divers aspects, à l’évidence, tous les territoires ne présentent pas les mêmes dispositions pour accueillir l’information géographique. Dans le présent travail, nous allons nous intéresser, spécifiquement, aux modalités d’évolution de l’information géographique et de ses outils informatiques en Afrique de l’Ouest à partir d’une étude de cas sur la région urbaine du sud-Bénin. Pour ce faire, trois angles d’approche ont été retenus : – Le travail s’inscrit, de façon générale, dans l’appréhension d’une activité dédiée à une meilleure connaissance et mise en valeur du territoire. Sous cet angle, la prise en considération de l’objet information géographique doit tenir compte des évolutions liées aux progrès des techniques modernes de production et aux initiatives qui portent sur leur diffusion dans les pays en voie de développement. – L’évolution de l’information géographique en Afrique se situe dans un contexte récent de réformes de l’administration territoriale avec la décentralisation et la municipalisation. Ces deux orientations nouvelles des pouvoirs locaux, impliquent, chacune à leur niveau, des considérations singulières vis-à-vis des usages de l’information géographique pour l’aménagement des territoires. La décentralisation modifie la nature réglementaire des relations entre l’État et les collectivités locales. La municipalisation génère un nouveau cadre démocratique et plus d’autonomie face aux choix stratégiques du développement local notamment en matière de planification urbaine. Ces deux orientations nécessitent également, pour leur bon fonctionnement, la mobilisation de nouveaux moyens financiers. L’information géographique et ses outils prennent, dans cette perspective, un intérêt majeur par leurs capacités à localiser avec précision et sûreté les « matières » de la fiscalité locale fondée sur le foncier bâti et non bâti et celles des taxes de l’occupation du domaine public communal. – L’étude s’inscrit, enfin, dans le cadre de changements territoriaux rapides. Il s’agit, en l’occurrence, pour la région du sud-Bénin ici étudiée, d’importantes dynamiques démographiques, sociales et d’habitat, des risques environnementaux et, de façon très appuyée, des enjeux fonciers. Notre travail va prendre en considération ces trois approches. Nous questionnerons successivement les dynamiques de diffusion des technologies de l’information géographique, leur connexion avec la décentralisation et la doxa des institutions internationales d’aide au développement et le contexte des territorialités locales dans la réception de ces outils. Introduction générale 

 Problématique et questions de recherche

 Les questions auxquelles ce travail souhaite apporter des éléments de réponse portent sur les manières d’appréhender les modalités de gouvernance des territoires des pays des Suds à partir du prisme de l’information géographique numérique et spécialement des SIG urbains. En quoi la production et la mise en place de ces outils révèlent-elles des intérêts et des jeux d’acteurs sur un territoire donné ? Comment certains acteurs acquièrent-ils, avec le développement de l’utilisation de l’information géographique, une nouvelle légitimité alors que d’autres se trouvent disqualifiés ou écartés ? Notre hypothèse principale est que la production et les usages de l’information géographique numérique sont à la fois un analyseur et un déclencheur de changement des pratiques liées au territoire. La mise en place et les effets de ces outils peuvent révéler et aviver la complexité des enjeux d’administration, de gestion et d’aménagement d’un territoire donné. Plusieurs hypothèses secondaires étayent cette perspective d’étude : – Dans sa production, l’information géographique numérique dévoile différentes formes de modalités d’interventions (coopération technique internationale, coopération décentralisée, appui de l’État, échanges informels entre plusieurs individus) et d’identités d’acteurs (expatriés en contrat de coopération, fonctionnaires de l’État et de collectivités locales, élus, salariés d’entreprise privée, consultants indépendants, acteurs individuels isolés ayant circulé à l’étranger, visiteurs). Elle s’inscrit, également, dans un processus historique et conjoncturel propre (orientations politiques et fonctionnement de l’aide publique au développement, démocratisation de la vie politique, ouverture aux capitaux étrangers, contexte économique). – Son utilisation met en lumière des formes singulières de pratiques locales (appropriation partielle ou totale, partage, rétention, relation interpersonnelle, désintérêt, sabotage). Elle révèle, par ailleurs, des enjeux de contrôle et de gestion des territoires entre l’État, les autorités locales, les acteurs individuels, les corporations de métier et les encadrements traditionnels et religieux. – L’information géographique numérique est à l’origine de rétroaction sur les dynamiques d’acteurs, sur les territoires eux-mêmes et sur les pratiques de ces territoires [COURET D. 1996 – ROCHE S. et HODEL T. 2004 – CARON P. et CHEYLAN J-P. 2005 – DUBUS N., HELLE C. et MASSON-VINCENT M. 2010]. L’information géographique numérique crée une dépendance vis-à-vis des technologies [TUDESQ A-J. 1991] et, corrélativement, de certaines sources de financement notamment d’origine étrangè

 Motivation du choix du terrain d’étude : triple singularité

 Dans la problématique exposée, trois aspects de la région étudiée sont à l’origine du choix de ce sujet. Le Bénin est considéré, d’abord, comme un pays pauvre et fortement soutenu par les bailleurs de fonds étrangers ce qui en fait un territoire plutôt perméable aux injonctions internationales sur le développement. Il fait figure, par ailleurs, à double titre, de « bon élève » dans deux processus diffusés ensuite largement en Afrique de l’Ouest. Il s’agit d’un engagement dans un vaste mouvement de réforme de son administration territoriale [NACH MBACK C. 2001] et l’installation d’outils autour de l’information géographique numérique dans les centres urbains. Introduction générale 17 – Un territoire perméable aux injonctions internationales sur le développement En 1989, face à la dégradation persistante de la situation économique et après plusieurs mois de fortes mobilisations multisectorielles [BANEGAS R. 1995 b] et sous les instances des institutions de Bretton Woods, le Bénin a accepté un premier Programme d’Ajustement Structurel (PAS). Ce programme va le contraindre à mettre en œuvre des politiques monétaires et budgétaires rigoureuses et un certain nombre de réformes structurelles et sectorielles. Ces réformes vont porter notamment sur le désengagement graduel de l’État, la privatisation des entreprises publiques, la réforme de la fonction publique et la libéralisation de l’économie et le renforcement du secteur privé. Deux autres PAS seront signés en 1992 et en 1995. En 2006, la population du Bénin était estimée à 7,8 millions. Le revenu moyen par habitant était de 510 USD. La population située en dessous du seuil de pauvreté national était de l’ordre de 33%. Dans le classement des pays selon l’Indice de Développement Humain (IDH) qui compile trois dimensions du développement humain (l’éducation, la santé et le revenu), le pays se classait, toujours pour l’année 2006, avec un indice de 0,435, à la 134e place sur 169 pays disposant de données comparables, plaçant le pays en dessous de la moyenne régionale de l’Afrique subsaharienne [Référence Internet Indicateurs du PNUD sur le Bénin]. Le Bénin est membre des 5 institutions de la Banque mondiale (la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, l’Association internationale de développement, la Société financière internationale, le Centre internationale pour le règlement des différends relatifs aux investissements et l’Agence multilatérale de garantie des investissements). Il a bénéficié, par cette participation, de plusieurs prêts définis ou octroyés dans le cadre d’un document stratégique CAS (Stratégie d’aide-pays). Le Bénin est l’un des 10 pays pilotes concernés par l’initiative du Secrétaire général des Nations Unies visant à soutenir la mise en œuvre des engagements de réalisation des Objectifs de Développement pour le Millénaire (ODM). Au niveau de l’OCDE, le pays a d’abord été regroupé dans la catégorie des Pays les moins avancés (PMA) c’est-à-dire le groupe de pays dont le revenu par habitant était égal ou inférieur à 765 USD en 1995. Puis en 2000, il est un des premiers pays à être intégré dans le nouveau classement du groupe des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) le faisant bénéficier d’un accord triennal suivi de deux Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et de la Croissance (FRPC) auprès du Fonds Monétaire International (FMI) en 2000 et en 2005. Par cette catégorie, il fait partie des pays receveurs de l’aide du Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE comme 32 autres pays du continent africain. Le positionnement du Bénin dans les Pays Africains de la Zone Franc (PAZF) en fait un pays privilégié historiquement puisqu’il reçoit l’aide bilatérale de la France, bien qu’il ne fasse pas partie de ses quinze premiers bénéficiaires. Jusqu’en 1999 et la réforme du dispositif de la Coopération française, le Bénin faisait partie des 37 pays du « champ » du ministère de la Coopération. À ce titre, il a pu bénéficier des crédits de l’aide bilatérale des Fonds d’Aide et de Coopération (FAC), dispositif privilégié de l’aide publique au développement de la France. Avec le rattachement du ministère de la Coopération à celui du ministère des Affaires Etrangères, le Bénin a été classé dans le groupe des pays de la Zone de Solidarité Prioritaire (ZSP). À travers ce groupe de 58 pays principalement africain, l’impact de l’aide française est Introduction générale 18 particulièrement significatif par rapport aux besoins locaux en matière de développement. Le Bénin y bénéficie à ce titre, depuis leur mise en place en janvier 2000, de l’appui du Fonds de solidarité prioritaire (FSP) qui a pour vocation exclusive le financement de programmes de coopération institutionnelle dans les domaines dits régaliens et de l’intervention de l’Agence Française de Développement (AFD). C’est par l’intégration à ce groupe de pays que le Bénin a contractualisé avec la France ses relations sous la forme d’un accord pluriannuel de partenariat pour l’appui au développement. En 2004, l’aide publique au développement nette versée au Bénin était de 378 millions USD ce qui était estimé à 9,34% du revenu national brut [Référence Internet Enquête de suivi de mise en œuvre de la Déclaration de Paris – groupe pays Bénin]. En mars 2005, le Bénin a souscrit à la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement. Il s’est engagé, entre autre, par cette action à amener les donneurs à faire reposer l’ensemble de leur soutien sur les stratégies nationales de développement, à mieux harmoniser et rendre plus transparentes les actions de l’aide pour une plus grande efficacité collective.

Table des matières

Introduction générale
Partie 1 : Le sud-Bénin, un contexte singulier d’évolution pour l’information géographie numérique
Chapitre 1 : Une région métropolisée polycentrique, des enjeux territoriaux complexes
1.1 Des processus d’urbanisation à différentes échelles du territoire
1.2 Sur le terrain, des dynamiques territoriales plurielles
Chapitre 2 : Le Bénin urbain à l’heure de l’information numérique et de la géomatique
2.1 TIC et SIG en Afrique, à la croisée d’évolutions technologiques et institutionnelles
2.2 Une nouvelle conjoncture de production et de diffusion de la documentation géographique
Partie 2 : Décennie 1990-00, entre injonction de décentralisation et projet expérimental de registre foncier urbain (RFU)
Chapitre 3 : L’information géographique dans les stratégies des coopérations internationales d’appui à la décentralisation
3.1 La décentralisation au Bénin, une innovation radicale minutieusement préparée sous l’égide des bailleurs de fonds
3.2 Le Registre Foncier Urbain (RFU), un outil qui va accompagner les appuis à la décentralisation et à la gestion urbaine
Chapitre 4 : La création ex nihilo de registre foncier urbain, une instrumentalisation de l’action publique décentralisée ?
4.1 L’organisation d’un cadre de lecture rationnelle du territoire communal
4.2 Un outil qui va influer sur l’organisation des services communaux
Partie 3 : Quels usages de l’information géographique, pour quels projets et quelles « territorialiés » des pratiques ?
Chapitre 5 : Technologies de l’information géographique foncière à l’épreuve du terrain : réalisations, limites et dérivations d’une prescription de développement
5.1 Les conditions d’évolution des outils au niveau des communes décentralisées, présages de premières difficultés
5.2 Représentations sociales des outils par les acteurs locaux, d’autres enjeux pour l’information numérique locale
Chapitre 6 : Promouvoir de nouveaux moyens et échelles de la gouvernance territoriale ?
6.1 Les apports des projets RFU dans la maîtrise d’ouvrage communale
6.2 Vers une intercommunalité dans la région sud-est Bénin ?
Conclusion général

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