Etre bilingue » : bilinguismes et diglossies

Etre bilingue » : bilinguismes et diglossies

En dehors des compétences linguistiques, la prise en compte d’autres paramètres internes et externes relatifs aux conditions d’acquisition des langues par l’individu a été mise en avant pour catégoriser différents types de bilinguisme (voir Hamers & Blanc, 1983). L’âge d’acquisition des langues en fait partie (voir entre autres Titone, 1972 ; Romaine 1995, De Houwer, 2006). A partir de ce critère, une première distinction est effectuée entre : – Un bilinguisme dit précoce ou infantile, lorsqu’un enfant acquiert des compétences dans une deuxième langue avant l’âge de 5-6 ans, période à laquelle se développe également le langage.« Cette expérience bilingue a lieu alors que l’enfant n’a pas encore atteint une maturité dans les diverses composantes de son développement et peut donc intervenir dans ce développement. » (Hamers & Blanc, 1983 : 25) – Un bilinguisme dit tardif, lorsque l’individu acquiert des compétences dans une deuxième langue après la période d’acquisition du langage. « Vers les sept ans, le processus d’apprentissage d’une deuxième langue change progressivement de nature […] il s’affirme encore vers dix/onze ans comme apprentissage de plus en plus volontaire et structuré de langue vivante étrangère. Ce qui justifie dès lors le qualificatif de ‘tardif’ qui renvoie à un détour permanent – explicite ou non, conscient ou non – par la langue maternelle […] » (Dalgalian, 2000 : 28) En fonction de l’âge d’acquisition, on parle également de : – bilinguisme d’enfance, pour un individu qui acquiert une seconde langue avant l’âge de 10-12 ans. – bilinguisme d’adolescence, lorsque « l’état de bilingualité [est] atteint après l’enfance mais avant l’âge adulte, soit acquisition d’une compétence en seconde langue entre 10-12 ans et 16-18 ans » (Hamers & Blanc, 1983 : 446) – bilinguisme de l’âge adulte, qui qualifie « un état de bilingualité atteint après l’adolescence » (ibid.). Dans le cadre du bilinguisme précoce, deux subdivisions existent également en fonction des conditions d’acquisition des langues en présence. Le bilinguisme précoce simultané correspond aux enfants qui acquièrent deux langues, ou plus, simultanément, pendant la période du développement du langage. Ils possèdent alors deux langues premières de socialisation. C’est notamment le cas des enfants issus de couples linguistiquement mixtes. La notion de bilinguisme précoce consécutif ou successif se rapporte, elle, aux enfants qui acquièrent une deuxième langue pendant la période d’acquisition du langage mais après un temps d’acquisition d’une première langue de socialisation, soit vers 3-4 ans (voir aussi Abdelilah-Bauer 2006). C’est le cas d’une grande majorité des enfants rencontrés dans le cadre de cette recherche qui ont appris le français à la maison avec leurs parents, non bretonnants pour la plupart, et qui découvrent consécutivement le breton lors de leur première rentrée scolaire en classe bilingue breton-français ou immersive en breton, à l’âge de 2 ou 3 ans. Sur le plan du développement cognitif, les travaux de Weinreich (1953), et d’Ervin et Osgood (1954) ont mis en évidence une autre distinction entre les bilingues dits composés et 30 les bilingues dits coordonnés : « Le bilingue composé est celui qui possède deux étiquettes linguistiques pour une seule représentation cognitive alors que chez le bilingue coordonné des équivalents de traduction correspondent à des unités cognitives légèrement différentes » (Hamers & Blanc, 1983 : 23) Alors que les bilingues composés développeraient deux signifiants (ici chien et dog) pour un même signifié (la représentation du chien), les bilingues coordonnés, eux, créeraient deux signifiants associés chacun à un signifié distinct dans chaque langue, qu’ils pourront comparer ensuite par traduction. Certains chercheurs, spécialistes, psycholinguistes, neurolinguistes, partant du fait que le langage, en tant que faculté de l’être humain à s’exprimer (à différencier des langues en tant que systèmes de signes) ne s’apprend qu’une fois dans l’enfance, affirment que le fait d’entendre puis d’utiliser deux langues de manière simultanée dès la naissance est la meilleure façon de devenir un bilingue équilibré, « c’est-à-dire celui qui a des compétences équivalentes dans les deux langues » (Hamers & Blanc, 1983 : 23). Ils font le lien entre la flexibilité organisationnelle du cerveau démontrée (organisation cognitive composée ou coordonnée) et les conditions d’acquisition des langues (bilinguisme simultané ou consécutif). L’acquisition de compétences serait ainsi facilitée lorsque celle-ci aurait lieu précocement et de manière simultanée afin de développer un bilinguisme composé, envisagé comme « équilibré » (Voir entre autres Hagège, 1996 ; Petit, 2005). Il est à noter qu’à l’inverse Ervin et Osgood (1954) voient dans le bilinguisme composé les risques d’interférences entre les deux langues, contrairement au bilinguisme coordonné 31 marqué par l’indépendance des deux langues, modèle qui représenterait pour eux le « vrai » bilingue (El Euch, 2010, Hamers & Blanc, 1983). De plus, bien qu’il y ait un lien important entre l’âge d’acquisition et le type d’organisation cognitive du cerveau, Hamers & Blanc (ibid.) précisent qu’une vision simplificatrice qui présente une adéquation totale entre âge d’acquisition et forme de représentation cognitive est erronée. Ces auteurs rappellent que : « le concept porte essentiellement sur une distinction d’organisation sémantique chez le bilingue » (ibid. : 24) L’ensemble de ces classifications de formes de bilinguisme, enfantin particulièrement, intéresse fortement cette recherche, dans la mesure où certains discours scientifiques à propos du bilinguisme tendent à se vulgariser et se retrouvent dans les mises en mots de parents, de différentes manières, pour expliquer leur choix de scolarisation en breton pour leurs enfants. Cela sera perceptible dans les analyses (cf. Partie II). Mais « Etre bilingue » ne se résume pas à des conditions internes, d’ordre développemental ou cognitif, qui modèlent la manière d’acquérir des compétences linguistiques chez l’individu. C’est un phénomène complexe en lien avec la socialisation de l’individu. Le statut attribué aux langues dans l’environnement socioculturel de l’individu joue notamment un rôle prépondérant. Après avoir placé l’individu au centre du processus de contacts des langues, à l’instar de Weinreich (1953), Georges Lüdi et Bernard PY affirment le caractère foncièrement social de tout bilinguisme : « Etre bilingue ne signifie donc nullement employer indistinctement deux langues. Très souvent, au contraire, chacune des langues se voit conférer des fonctions communicatives soigneusement distinctes. […] Cette répartition des fonctions n’est nullement arbitraire, mais en général gouvernée par certaines règles sociales. » (2003 : 11). Il ne s’agit plus alors d’atteindre un bilinguisme équilibré, au sein duquel chaque langue serait permutable à l’identique au gré des envies de l’individu bilingue ou des compétences linguistiques de l’interlocuteur. L’individu bilingue fait usage de ses langues en interaction, compte tenu des « règles sociales » en vigueur dans la société où il évolue. Il est alors question de diglossie. Bien que le terme soit emprunté à Pschiari (1928), le concept de diglossie est véritablement développé en sociolinguistique par Ferguson (1959) à partir de cas d’étude des usages et pratiques de deux variétés d’une même langue, comme l’arabe classique et l’arabe dialectal ou le français et le créole haïtien. La diglossie est alors conçue comme « une situation linguistique relativement stable » (Ferguson, cité par Lüdi & Py, 2003 : 11) au sein de laquelle s’effectuerait une répartition fonctionnelle de deux variétés d’une même langue, 32 avec une variété haute (« high variety », Ferguson, 1959 : 234) de prestige pour les actes formels et une variété basse (« Low », ibid.) pour les usages ordinaires. Les différentes fonctions de ces langues seraient régies par des règles, des normes socioculturelles intégrées et acceptées par les locuteurs comme légitimes. Les deux variétés de la langue ne seraient donc pas en concurrence. Dans un premier temps, le modèle fergusonien de diglossie a été remis en question simplement du fait de son caractère restrictif. Les propositions d’évolution vont dans le sens d’un élargissement du concept à toutes situations de bilinguisme ou de plurilinguisme mettant en contact une ou plusieurs langues ou variétés de langues (Gumperz, 1971, Lüdi, 1989). Joshua Fishman élabore alors un autre modèle qui met en avant quatre configurations possibles, alliant bilinguismes individuels et situations diglossiques sociétales : la diglossie et le bilinguisme, la diglossie sans bilinguisme, le bilinguisme sans diglossie, ni diglossie ni bilinguisme (1971 : 87-102). Georges Lüdi et Bernard Py (2003 : 15-17), qui commentent ce modèle fishmanien, en évoquent les limites. Ils s’interrogent notamment sur la possibilité d’un cas de « diglossie sans bilinguisme », tel que celui présenté de l’ancienne Russie, dans lequel une partie de la population, l’aristocratie, maîtriserait une langue de prestige, valorisée, et le reste de la population une ou d’autres langues ordinaires, minorées, sans qu’aucun contact ne soit possible entre eux s’il n’existait pas une frange, même minime, de population bilingue. Ces auteurs parviennent alors à la conclusion d’un nécessaire dépassement de ces dichotomies en faveur : « d’un continuum comprenant surtout de nombreux degrés intermédiaires de bilinguisme et diglossie, variables selon le pourcentage des bilingues dans une population, le degré de leur bilinguisme, l’importance des deux langues dans l’ensemble de la population, etc. » (ibid. : 16-17). Ma conception étendue du bilinguisme individuel, présentée en introduction, et la situation sociolinguistique en Bretagne, où se côtoient entre autres des locuteurs francophones, des locuteurs bilingues, notamment français – breton – passifs ou actifs –, des individus plurilingues, tendent à confirmer la nécessité d’un modèle non dichotomique. Cependant, le dernier élément de cette citation, relatif à la valeur des langues, me conduit également à mentionner que les sociolinguistes suisses s’inscrivent, à la suite de Ferguson, dans une définition de la diglossie qui ne fait pas nécessairement apparaître de notion de hiérarchie entre les langues. Georges Lüdi et Bernard Py (2003) expliquent ce positionnement par l’exemple de la répartition fonctionnelle et non conflictuelle des usages de l’allemand et 33 du suisse allemand en Suisse. Ils proposent alors une définition élargie de la diglossie sur des bases fonctionnelles : « situation d’un groupe social (famille, ethnie, ville, région, etc.) qui utilise deux ou plusieurs variétés (langues, idiomes, dialectes, etc.) à des fins de communication, fonctionnellement différenciées, pour quelque raison que ce soit. » (2003 : 15) Les sociolinguistes catalans et occitans, en revanche, remettent totalement en question la stabilité envisagée des situations dites diglossiques et une répartition fonctionnelle des usages des langues en contact. A la suite des écrits fondateurs de L. Aracil et R. Ninyoles, le Grup Català de Sociolingüistica (1974) problématise le concept de diglossie en terme de conflits (Boyer, 2001). Comme le reconnaissent Georges Lüdi et Bernard Py, « il est rare que la répartition fonctionnelle entre les variétés en contact n’engendre pas de déséquilibre. Les termes de High et Low suggèrent un rapport de pouvoir » (2003 : 13). Pour les chercheurs « périphériques » (Boyer, 2001 : 53) du domaine catalan, et du domaine occitan autour de Robert Lafont, ce déséquilibre se traduit en termes de langue dominante et langue dominée dans une vision dynamique et conflictuelle du concept de diglossie. Il s’agit : « de la domination d’une langue (langue dominante : le français, l’espagnol) sur une autre (langue dominée : le catalan, l’occitan). Car la compétition dont parlait Martinet (1969), dans le cas de deux ou plusieurs langues en un même lieu, ne saurait être exempte de violence (violence qui est fait par le groupe dominant). qui a inéluctablement une orientation glottophagique » (Boyer, 2001 : 53). Les usages des deux langues en présence dans un espace social sont donc uniquement pensés comme concurrents et en conflit. La diglossie est la résultante de ces conflits linguistiques. La diglossie est alors vécue comme une concurrence déloyale du fait d’impositions aux locuteurs d’une langue dominante au détriment des usages de la langue dominée. Dans ce point de vue, ces impositions, historiquement issues d’un pouvoir totalitaire dans le cas du catalan, ne pourraient alors qu’aboutir à la substitution de la langue dominée. Face à la considération d’une menace de substitution linguistique, ces chercheurs se présentent comme des sociolinguistes engagés, sur leur propre terrain, qui se donnent entre autres objectifs : « de dénoncer une situation critique et les représentations qui l’alimentent, en prenant toute leur part à l’entreprise collective de récupération d’usages et des fonctions de la langue jusque-là minorée. » (Boyer, 2001 : 56) 34 Comme je l’ai spécifié, ce travail s’inscrit dans une démarche sociolinguistique impliquée, contextualisée et critique, mais plus distancée de l’action de terrain, que celle définie par l’école catalane. Pour autant, leur conception des situations de contacts des langues dans la société est plus proche des réalités bretonnes que la vision harmonieuse, non hiérarchisée du concept suisse. En ce sens, la Bretagne se caractérise par une situation sociolinguistique diglossique complexe et hiérarchisée, dans laquelle se pratiquent le français, seule langue officielle, et deux langues dites régionales, le breton et le gallo, non officielles au niveau étatique, longtemps minorées sur leur territoire de pratique mais tolérées. Le breton est enseigné dans trois types d’institutions scolaires depuis la fin des années 1970. Le français y a, officiellement, statut de langue dominante, comme partout en France. Le statut du breton a évolué et évolue encore (cf. chapitres 2 et 3), d’où l’importance d’une vision diachronique et dynamique de ces rapports, telle que décrite par la sociolinguistique catalane. Par ailleurs, le « modèle catalano-occitan » (Boyer, 2001 :54) a mis en avant le poids des représentations et attitudes des locuteurs vis-à-vis des langues en présence, de leurs usages et pratiques, dans la dynamique des conflits. Leurs recherches ont ainsi démontré que les valeurs attribuées aux langues et à leurs usages allaient majoritairement dans le sens de la langue dominante, reconnue comme la norme à suivre. Les représentations négatives de la langue dominée jouent bien entendu un rôle prépondérant dans sa stigmatisation, mais aussi dans son abandon par auto-dénigrement des dominés eux-mêmes (Lafont, 1971). Et, même lorsque ces représentations et attitudes correspondent à des évaluations positives, par idéalisation de la langue dominée, cela n’est vraisemblablement pas au profit de cette dernière : « Un autre trait dangereux de cette idéologisation diglossique est qu’elle s’appuie solidairement sur des préjugés, des stéréotypes contraires à la langue dominée (langue du passé, langue de la ruralité, de l’inculture…) et sur une idéalisation de cette même langue (langue du cœur, des racines, d’un passé prestigieux – mais définitivement révolu – du naturel, de l’authenticité…). Ce paradoxe évaluatif est encore une fois porteur de leurre : car la langue dominée est d’autant plus sublimée qu’elle ne sert plus à dire la modernité et qu’elle est condamnée à la folklorisation. » (Boyer 2001 : 55) Ces chercheurs « natifs », engagés, dénoncent cette « idéologisation de la diglossie », qui irait uniquement dans le sens de la langue dominante, et œuvrent pour inverser la tendance notamment par la « mise en place d’instances de gestion de la normalisation » de la langue dominée, qui passe nécessairement, pour eux, par sa normativisation linguistique. La présence de représentations contraires à l’égard de la langue bretonne, mais aussi d’autres langues (français, anglais…), dans les discours de mes informateurs, me fait considérer avec attention ce « paradoxe évaluatif » et ces constats sur lesquels je reviendrai 35 lors des analyses. Comme le note Philippe Blanchet, la diglossie est donc à envisager comme une « perception particulière du bilinguisme » (2000 : 130) : « C’est tout autant un phénomène collectif (ethno socio-culturel) qui s’inscrit dans les fonctionnements globaux du groupe, qu’une réalité individuelle (psycholinguistique) qui s’inscrit dans les pratiques et la conscience du locuteur, ces deux ‘niveaux’ collectif et individuel interagissant. » (ibid.)

Bilinguisme scolaire et appropriation

Les premières recherches sur le bilinguisme de l’enfant ont d’abord été effectuées à propos de couples linguistiquement mixtes, dans des contextes dits « privilégiés », de familles aisées, des chercheurs qui ont étudié le cas de leurs propres enfants (Ronjat, 1913 ; Smith 1935, Leopold 1970, etc.), ce qui, sans en rejeter les apports incontestables, a également entraîné une vision du bilinguisme, en tant que phénomène rare, un bilinguisme d’élite, associé à des langues de grande diffusion. Petit à petit, la recherche s’est toutefois ouverte à d’autres contextes, plurilingues, en particulier à des études sur les bilinguismes des enfants des minorités linguistiques, d’abord considérés comme bilinguismes de masse. Comme le souligne Christine Deprez (1994), les études menées en contexte scolaire ont commencé par affilier ces types de bilinguisme à des difficultés scolaires, des échecs. Remises en question aujourd’hui, la recherche sociolinguistique sur ces formes de bilinguisme social s’ouvre à la diversité : « Les enfants qui vivent aujourd’hui avec deux ou plusieurs langues développent une relation à chacune de leurs langues et aux cultures qui leur sont associées, relation qu’il est important de reconnaître parce qu’elle est le fruit de leur histoire personnelle et de celle de leur famille, et qu’elle aura une influence sur les attitudes envers l’apprentissage en contexte scolaire, selon le statut de la langue de scolarisation et la place faite à la (aux langues) langue(s) de la famille. Il est évident que ces histoires individuelles s’inscrivent dans un environnement social et politique plus large qu’il faut également prendre en compte. » (Hélot, 2007 :32) La prise en compte de ces éléments sur le terrain permet désormais de développer des approches pédagogiques de sensibilisation aux plurilinguismes qui mettent en valeur les langues premières de ces enfants. (Bigot et al., 2013). Dans le cas de la langue bretonne, il ne s’agit pas d’un bilinguisme social à grande échelle. La nouvelle langue à acquérir, le breton, est une langue dont les locuteurs ont un statut de minorité sur leur territoire de pratique. Les enfants sont, pour la plupart, peu ou rarement en contact avec cette langue en dehors de l’école. Ce bilinguisme a parfois été apparenté à un bilinguisme d’élite, notamment du fait 37 qu’il s’agisse d’un bilinguisme choisi et dans la mesure où les premières écoles en breton ont été créées par des intellectuels. Cependant, la situation évolue comme cela sera perceptible dans cette recherche. Pour le jeune enfant, l’acquisition du langage et de sa ou ses langues s’effectue dans divers lieux de socialisation (maison, école, centre de loisirs, …) en interaction avec différentes personnes (parents, amis, enseignants…) – des instances de socialisation – au cours desquelles il se les approprie. Pendant ces moments de socialisation, il acquiert, en interaction, à la fois la maîtrise de la langue mais aussi les moyens discursifs et communicatifs pour produire des significations et des règles socio-culturelles d’usage. En cela, on peut parler de socialisation langagière plus que d’acquisition, terme plus restrictif (Delamotte-Legrand, 1997 : 63-115). Dans le cadre du bilinguisme scolaire breton-français, l’apprentissage de la langue bretonne par le jeune enfant résulte d’un choix parental de scolarisation. Pour la plupart de ces enfants, la langue bretonne n’est pas la langue du foyer. L’enfant évolue et se construit dans une situation sociolinguistique diglossique où la langue bretonne est, le plus souvent, uniquement la langue de scolarisation. Les langues participent de sa construction identitaire. Cet enseignement/apprentissage en langue minoritaire choisi par les parents est chargé de différents enjeux qui peuvent influencer le développement linguistique et socio-culturel de l’enfant, bilingue en devenir. Cette recherche porte donc un intérêt fort pour l’étude des mécanismes de constructions identitaires au travers de cette éducation bilingue particulière. La notion d’éducation bilingue recouvre autant, si ce n’est plus, de réalités diversifiées que celle de bilinguisme (Hamers & Blanc, 1983). Le cadre restreint de cette thèse ne permet pas d’y présenter une typologie exhaustive des modèles d’éducation bilingue. Les modèles éducatifs et la situation chiffrée de l’enseignement/apprentissage bilingue breton-français en Bretagne sont présentés aux chapitres 2 et 3. La définition resserrée d’Hamers et Blanc peut être un point de départ : « Par éducation bilingue nous entendons tout système d’enseignement dans lequel, à un moment variable et pendant un temps et des proportions variables, simultanément ou consécutivement, l’instruction est donnée dans au moins deux langues, dont l’une est normalement la première langue de l’élève. » (1993 : 301) Il s’agit dans ce cas d’un enseignement en langue, et non des langues en tant que matières scolaires. Du point de vue théorique, cette recherche interroge la définition de l’individu bilingue lorsque ce bilinguisme, précoce, se développe de manière consécutive, par le biais d’une scolarité bilingue, alliant langue dominante et langue minoritaire, dans laquelle la 38 langue minoritaire n’est majoritairement pas la langue première de socialisation de l’enfant. De la même manière que l’on sait qu’il est opératoire de mettre en évidence les représentations existantes sur un objet d’apprentissage afin qu’elles ne créent pas de difficultés lors de l’apprentissage, il est envisagé ici que la mise en lumière des représentations parentales sur cet objet puisse faciliter l’appropriation sociolangagière de cette langue par le jeune enfant. La thématique du bilinguisme est donc abordée du point de vue de sa genèse : les origines et les facteurs d’une construction identitaire bilingue chez le jeune enfant. Mais, il est également intéressant de se demander ce que seront ces jeunes bilingues à l’avenir qui, à l’inverse des minorités linguistiques étudiées habituellement en contexte scolaire, ont pour langue de l’intimité la langue officielle dominante du pays et pour langue de scolarisation une langue minoritaire qui n’est pas ou très peu utilisée dans d’autres instances de socialisations. Quels sont et seront leurs rapports aux langues et à la langue bretonne ? Y at-il appropriation sociolangagière ? Qu’est-ce que véritablement le bilinguisme scolaire ? 

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