Etude de l’estuaire souterrain dans la lagune de Venise à l’aide des isotopes du radium et du radon

Etude de l’estuaire souterrain dans la lagune de Venise à l’aide des isotopes du radium et du radon

Les apports d’eau souterraine en zone côtière 

 Des romains jusqu’à l’actuel

 Les apports d’eau souterraine sont connus depuis longtemps. Ainsi Pausanius, au 2ème siècle avant J.-C., décrit la présence de sources en Grèce et en Italie utilisées par la population comme eaux thermales. Pline l’ancien fait lui référence au 1er siècle avant J.-C. de sources artésiennes le long de la Mer Noire, en Italie, Espagne et Syrie. Des écrits de l’époque romaine décrivent également la présence de sources d’eaux sous-marines utilisées par la population comme ressource en eau potable ou comme source thermale (Kohout, 1966; SCOR-LOICZ, 2004). Le géographe romain Strabo qui vécut entre 63 avant J.-C. et 21 après J.-C., fait mention d’une source d’eau douce sous marine en Syrie, près de l’île d’Aradus, collectée et transportée ensuite jusqu’à la ville comme source d’eau potable. D’autres récits mentionnent la présence à Bahrain, dans le golfe Persique, de marchands d’eau collectée à partir d’une source sous marine au large. Bien que ces sources soient connues et utilisées depuis des siècles, les connaissances scientifiques à leur sujet sont restées anecdotiques jusqu’à très récemment. De par ce fait, les apports d’eau souterraine ont souvent été négligés dans le bilan hydrologique des zones côtières ainsi que dans le bilan géochimique marin. Or, depuis les années 1970, une prise de conscience sur leur potentielle importance hydrologique 14 et/ou écologique a émergé (Valiela et al., 1978; Johannes, 1980; Zektser and Loaiciga, 1993). En effet, ces scientifiques ont posé la question de l’impact potentiel écologique de ces apports d’eau souterraine en zone marine, du fait qu’elles peuvent constituer des voies de transports de nutriments et autres composés dissous potentiellement toxiques pour l’environnement. Toutes ces études convergent vers le fait que ce flux peut être très significatif, voire dominant dans certains systèmes côtiers aux apports d’eaux surfaciques restreints. De nombreuses études ont depuis été menées dans le monde afin de quantifier ce flux et d’estimer son importance dans le cycle hydrologique ainsi que son éventuel impact écologique sur les écosystèmes côtiers. Toutes convergent vers le fait que ce flux ne peut pas être négligé de manière systématique. Spécialement, en 1996, Moore a montré lors d’une étude en Caroline du Sud, dans la zone sud de la Baie Atlantique, que ce flux pouvait représenter jusqu’à 40% du flux des eaux de surface. De manière générale, les flux que l’on trouve dans la littérature représentent entre 0.2 et 40% du flux des eaux de surface. La gamme d’oscillations observées rend les études locales de ce processus primordiales, et les programmes de recherches sur les décharges d’eau souterraine ne cessent de croître (Figure I.1), avec une volonté de la communauté scientifique d’augmenter les sites d’études locaux et les intercomparaisons. Les méthodes peuvent alors être comparées afin de développer une approche rigoureuse pour la quantification des décharges d’eau souterraine en zone côtière, l’objectif étant d’intégrer dans la compréhension du processus général des facteurs liés aux paramètres géomorphologiques, lithologiques, physiques, biologiques et météorologiques locaux. Figure I.1 : Nombre de publications relatives à l’étude des SGD entre 1980 et nos jours, par différentes méthodes (données issues du site http://scholar.google.fr/). La carte montre la localisation des zones d’études de ces publications compilées par Taniguchi et al. (2002). 

 Signification hydrologique d’une décharge d’eau souterraine en zone côtière

 Les nombreuses études ont mis en avant la complexité hydrologique des décharges d’eau souterraine. Dans son sens le plus général, celles-ci sont désignées dans la littérature sous le terme de SGD, pour ‘Submarine Groundwater Discharge’. La décharge totale d’eau souterraine SGD est définie comme tout flux d’eau à travers le plancher océanique, sans distinction entre sa composition, origine ou mécanisme de transport (Burnett et al., 2003). Le flux de SGD est la somme de deux processus physiquement distincts : la décharge d’eau douce continentale issue d’un aquifère côtier (FSGD pour ‘fresh submarine groundwater discharge’), et l’eau de mer recyclée au sein de l’aquifère (RSGD pour ‘recirculated submarine groundwater discharge’), (Figure I.3). Les forces physiques responsables de cette décharge diffèrent pour les deux termes. La décharge d’eau douce souterraine continentale est induite par le gradient piézométrique terrestre. La recirculation d’eau marine dans les sédiments côtiers est elle induite par plusieurs mécanismes océaniques, tels que la marée, les phénomènes de convection, la houle, ainsi que par les forçages atmosphériques (montée du niveau marin). La décharge d’eau souterraine est spatialement diffuse et discontinue, et peut mettre en jeu plusieurs aquifères, confinés ou phréatiques. Un simple bilan hydrologique sur la zone considérée présente des incertitudes importantes. Des études de modélisation ont montré que, de manière générale, le terme de SGD relatif à l’eau recyclée représentait entre 60 et 99% du terme global SGD (Li et al., 1999; Kaleris et al., 2002; Destouni and Prieto, 2003). Cette importance du terme d’eau recyclée dans le bilan du flux de SGD rend délicate à l’utilisation les méthodes hydrologiques conventionnelles. En effet, une estimation de la capacité de la décharge d’eau souterraine par la loi de Darcy, basée sur les paramètres du bassin versant et le gradient hydraulique, présenterait l’inconvénient de n’intégrer que le flux net d’eau douce (FSGD). Elle peut constituer tout au mieux un outil de comparaison lorsque l’on cherche à distinguer les deux composantes FSGD et RSGD (Corbett et al., 1999; Kroeger et al., 2007). Depuis une dizaine d’années, de nombreuses méthodes physiques, et chimiques ont alors été développées et appliquées pour quantifier la décharge « SGD » totale. Figure I.2 : Coupe schématique de la zone côtière montrant les forces à l’origine du processus de transfert d’eau souterraine en zone côtière (SGD). FSGD représente la décharge d’eau souterraine d’eau douce continentale (infiltration d’eau météorique dans le sous-sol) induite par le gradient hydraulique de l’aquifère ; RSGD représente la décharge d’eau souterraine d’eau marine recyclée dans l’aquifère induite par les forces physiques telles que la marée et la convection. Modifié d’après Taniguchi et al. (2002). 

 Outils pour la quantification des flux d’eau souterraine

 Trois approches principales sont utilisées pour la mesure des SGD : les mesures directes, les techniques avec traceurs isotopiques et les modélisations hydrologiques. Les premiers travaux sur la quantification des flux de SGD ont été effectués à l’aide de mesures directes par détecteurs d’infiltration (Bokuniewicz, 1980; Simmons Jr, 1992). Cette méthode permet de quantifier le phénomène de manière continue, et d’acquérir des données sur la variation temporelle à courte échelle. Elle présente cependant le désavantage de ne fournir qu’une information spatialement ponctuelle. Or, en dehors des sources artésiennes localisées, les décharges d’eau souterraine sont souvent un phénomène diffus sur toute une étendue de zone côtière, ou sur tout un bassin d’eau. Pour palier à cela, l’utilisation des traceurs naturels a été développé et permet d’estimer un flux intégré sur toute la zone d’étude. Ces méthodes reposent principalement sur l’utilisation des traceurs isotopiques naturels, et Chapitre I : Les apports d’eaux souterraines en zone côtière 17 notamment des radioéléments du radium (Rama and Moore, 1996; Krest and Moore, 1999; Charette et al., 2003; Krest and Harvey, 2003; Hwang et al., 2005; Kim et al., 2005; Lee et al., 2005; Boehm et al., 2006; Breier and Edmonds, 2007) et du radon (Cable et al., 1996; Corbett et al., 1997; Burnett and Dulaiova, 2003; Lambert and Burnett, 2003; Schwartz, 2003; Burnett and Dulaiova, 2006). Depuis quelques années, les études d’intercomparaisons se multiplient afin de mieux contraindre la représentativité du flux mesuré par les différentes techniques (Burnett et al., 2001; Burnett et al., 2006; Mulligan and Charette, 2006). Les travaux de modélisation sont de plus en plus développés, permettant de mieux contraindre et comprendre les processus effectivement mesurés en prenant en compte des paramètres hydrologiques et écologiques (Kaleris et al., 2002; Destouni and Prieto, 2003; Oberdorfer, 2003; Smith and Zawadzki, 2003). Il est important de connaître la signification hydrologique des flux estimés car les deux composantes FSDG et RSGD peuvent avoir des impacts environnementaux différents, en raison de leurs différences géochimiques. Le tableau I.1 donne un exemple de valeurs estimées pour les SDG par différentes méthodes. Par la suite, nous nous intéresserons principalement à l’utilisation des isotopes du radium et radon comme traceurs des SGD.

Utilisation des isotopes du radium et du radon comme traceurs spécifiques de SGD

 Généralités sur les propriétés physico-chimiques du radium et du radon 

Le radium a quatre isotopes radioactifs 223Ra, 224Ra, 226Ra et 228Ra, ayant des demivies respectives de 3,66 jours, 11,4 jours, 1599 ans et 5,76 ans. Ces isotopes sont produits de façon continue dans toutes les solutions ou matrices solides par décroissance radioactive de leurs parents respectifs (227Th, 228Th, 230Th et 232Th) des chaînes de désintégration de l’uranium et du thorium. Le radon a trois isotopes naturels : l’« actinon » 219Rn, le « thoron » 220Rn et le « radon » 222Rn, de demi-vies respectives de 3,96 secondes, 55,6 secondes et 3,8 jours. Ils sont respectivement formés par désintégration radioactive des isotopes du radium 223Ra, 224Ra et 226Ra. L’isotope de plus longue période et qui nous intéresse lors de cette étude, le 222Rn, est principalement produit par phénomène de recul lors de la décroissance du 226Ra lié aux particules ou dissous en solution. Le transport du radium en eau souterraine est fortement affecté par les processus d’adsorption et d’échanges ioniques. Ainsi, le radium est relativement immobile en eau douce car il est fortement adsorbé aux particules (Elsinger and Moore, 1980). Les réactions d’adsorption-désorption sont des réactions rapides, s’étalant entre quelques secondes et quelques heures. Associé aux facteurs de retardation élevés en eau douce, le radium ne semble à priori pas intéressant pour le traçage de masse d’eau. Cependant, les zones d’intrusion marine constituent une exception : les facteurs de retardation sur la mobilité sont beaucoup moins important et le radium s’y trouve fortement enrichi (Langmuir and Riese, 1985; Gonneea et al., 2008). Ainsi, le coefficient d’adsorption (Kd) du radium diminue sous l’effet de l’augmentation de la force ionique : le radium se désorbe alors des particules au cours des interactions eau/roche et est extrait des phases minérales par compétition d’ions (Li et al., 1977; Elsinger and Moore, 1980; Webster et al., 1995; Hancock and Murray, 1996), (Figure I.3).

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : LES PROCESSUS HYDROLOGIQUES EN ZONE COTIERE
I.1. Les apports d’eaux souterraines en zone côtière
I.2. Utilisation des isotopes du radium et du radon comme traceurs spécifiques de SGD
I.3. Estimation des flux diffusifs de radium et radon
CHAPITRE II : PRESENTATION DE L’AIRE D’ETUDE – LA LAGUNE DE VENISE
II.1. Introduction
II.2. Formation de la lagune de Venise
II.3. Contexte géologique
II.4. Contexte hydrologique
CHAPITRE III : MATERIEL ET METHODOLOGIE – ANALYSE DU RADIUM PAR SPECTROMETRIE A THERMO-IONISATION
III.1. Introduction
III.2. Principe théorique de la dilution isotopique
III.3. Les traceurs isotopiques (« spike ») enrichis en 228Ra
III.4. Séparation chimique et purification du radium
III.5. Mesure des teneurs en 226Ra par TIMS
CHAPITRE IV : ETUDE DE SALINISATION DANS LES
AQUIFERES COTIERS
IV.1. Introduction
IV.2. Résultats et interprétations
Article accepté à Journal of Hydrology : “Isotopic and geochemical
characterization of salinization in the shallow aquifers of a reclaimed subsiding zone: the Southern Venice lagoon coastland.”
IV.3. Conclusion
CHAPITRE V : QUANTIFICATION DU FLUX D’EAU
SOUTERRAINE A L’AIDE DES TRACEURS ISOTOPIQUES NATURELS DU RADIUM (226Ra) ET DU RADON (222Rn)
V.1. Quantification du flux d’eau souterraine
Présentation d’un article en vue de soumission: “Submarine
groundwater discharge in a depressed subsiding lowland coastal zone: a 226Ra and 222Rn investigation in the Southern Venice lagoon.”
V.2. Modélisation de la distribution des traceurs au sein de la lagune
CONCLUSIONS GENERALES
ANNEXE I
ANNEXE II

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