Etude de l’évolution morphologique du Vieux Rhin depuis le 19ème siècle

Etude de l’évolution morphologique du Vieux Rhin depuis le 19ème siècle

Les enjeux et les questionnements de l’analyse rétrospective

Une démarche rétrospective présente plusieurs intérêts, scientifiques et opérationnels, pour la restauration du Vieux Rhin. Tout d’abord, la connaissance de la morphologie du fleuve au 19ème siècle, avant les travaux de correction ainsi que les ajustements en réponse à cet aménagement, est utile en termes de communication sur l’état historique (« ce qu’on a perdu avec les aménagements ») et de valorisation des futures actions de restauration (« ce qu’on peut espérer retrouver dans le Vieux Rhin restauré »). Il est évident que les emprises spatiales ont changé avec l’occupation des sols, du Rhin en tresses large de 3 km au début du 19ème siècle au Vieux Rhin endigué de 250 m, et que certains de ces changements sont irréversibles. Cependant, nous considérons qu’il est important de bien comprendre les impacts des travaux sur les différents compartiments de l’hydrosystème, et d’appréhender la diversité des milieux aquatiques du fleuve naturel, diversité qui pourra être recouverte partiellement, en tout cas fonctionnellement, avec la restauration. En particulier, le Rhin sauvage présentait plusieurs types de chenaux : Certains types ont-ils été plus résistants à la correction que d’autres ? Quels types ont évolué vers d’autres types ? Quelles sont les vitesses de changement ? Les travaux ultérieurs, régularisation, barrage de Kembs et Grand Canal d’Alsace, ont porté sur le lit corrigé et ont créé la configuration que nous connaissons aujourd’hui. Dans cet espace, la connaissance des ajustements morphologiques depuis la fin du 19ème siècle s’avère primordiale pour replacer les prochaines évolutions du fleuve dans un contexte pluri-décennal, et aider ainsi à guider les futurs choix de restauration. L’hypothèse est qu’un pavage lié à l’incision s’est mis en place précocement, et a figé les formes fluviales (Dittrich et al., 2005, 2010). Nous chercherons à valider cette hypothèse en tentant de répondre aux questions suivantes : le Vieux Rhin actuel suitil une trajectoire ancienne héritée du 19ème siècle, ou est-il ajusté aux nouveaux débits liquides et solides imposés par le barrage de Kembs depuis 50 ans ? Peut-on mettre en évidence une dynamique sédimentaire récente ? Qu’en déduire sur les stratégies de restauration à adopter, ainsi que sur la réactivité du tronçon fluvial aux futures actions ? 2. La démarche générale 2.1. Les échelles d’étude Une approche diachronique a été privilégiée dans ce chapitre, de manière à analyser l’évolution morphologique du Rhin à la suite des différents travaux d’aménagement intervenus depuis deux siècles, et en tenant compte des héritages géomorphologiques plus anciens. Notre travail est également basé sur l’observation et la quantification des processus morphologiques à différents niveaux scalaires du système fluvial. La démarche a été menée : Chapitre 2 – Géomorphologie historique 80  à l’échelle du Rhin entre Kembs et Breisach (50 km), dans le but d’appréhender les tendances générales d’évolution ;  à l’échelle de tronçons fluviaux (de 100 m à quelques km), afin d’étudier finement la manifestation des processus, d’extraire les logiques spatiales et de mettre en évidence les liens de causalité. 

Le cadre d’analyse et les sources d’information

Pour répondre aux questions posées, notre travail a bénéficié des apports de quelques études antérieures, centrées essentiellement sur la compréhension des processus hydrodynamiques et sur les effets des crues récentes sur le chenal du Vieux Rhin, dans le cadre d’études préliminaires au programme IRP (Hartmann et al., 1998 ; Dittrich et al., 2000, 2005, 2010). L’analyse rétrospective que nous restituons dans ce chapitre représente la première étude quantifiée sur le fonctionnement géomorphologique ancien et contemporain du Vieux Rhin, dans une perspective de restauration écologique. Une base de données hydro-morphologique a été constituée dans ce cadre. Les sources d’information exploitées sont de deux types :  des documents d’archives, acquis auprès de l’IGN, d’EDF, des bibliothèques et des services de gestion des eaux d’Alsace et du Baden-Württemberg (collectés en partie dans le cadre du Master 1 de K. Johnstone, 2010). Il s’agit surtout de cartes représentant le tracé du Rhin au 19ème et au début du 20ème siècle, de plans d’avancement des travaux d’aménagement, de photographies aériennes depuis les années 1950 et de relevés topographiques ;  des mesures in situ effectuées pendant la thèse : elles concernent principalement les épaisseurs de sédiments fins déposés sur les marges (collectées dans le cadre du Master 2 de V. Ferrier, 2011) et la granulométrie des bancs. 

L’analyse quantitative des données 

Les méthodes d’analyse spatiale

L’ensemble des données collectées a été intégré dans un Système d’Information Géographique (logiciel ArcGis). Nous avons travaillé à un pas d’espace de 500 m et de 100 m pour l’étude des cartes et des photographies aériennes, respectivement. L’extraction des métriques à ces échelles a été effectuée par désagrégation spatiale, au moyen de segments élémentaires (Alber et Piégay, 2011) (fig. 2.1 et 2.2). Les structures spatiales d’évolution ont ensuite été analysées par agrégation et identification de tronçons fluviaux homogènes (Alber et Piégay, 2011) (fig. 2.1). Des agrégations spatiales ont également été appliquées sur les données topographiques collectées dans cette étude, levées à un pas de 200 m. Les échantillonnages granulométriques des bancs ont également été spatialisés. Introduction 81 Figure 2.1 : Description des méthodes de désagrégation et d’agrégation spatiale pour l’identification de tronçons fluviaux homogènes selon la procédure d’Alber et Piégay (2011). Exemple des superficies de bancs en 1956 extraites à un pas de 100 m. Illustration entre les PK 175 et 179 Figure 2.2 : Description de la méthode de génération des segments élémentaires selon la procédure d’Alber et Piégay (2011). Exemple de la segmentation de l’espace intra-digues à un pas de 100 m. Illustration sur l’ortho-photographie d’août 2008 au droit de la barre d’Istein Bancs par segments élémentaires = Objets géographiques désagrégés Tronçons fluviaux homogènes = Objets géographiques agrégés Tronçon homogène n°1 Tronçon homogène n°2 Tronçon homogène n°3 Extraction des métriques (superficies) Agrégation spatiale (test de Hubert sur les superficies) Cartographie des bancs en 1956 = Objet géographique unitaire Segments élémentaires de 100 m (cf. fig.2.2 pour la méthode de génération de ces segments) (178 : PK) Désagrégation spatiale Etape 1 : création de l’axe médian entre les 2 digues 1. Conversion du polygone « Digues de Tulla » en polyligne : ET Geowizard, fonction convert : polygon to polyline 2. Différenciation des deux rives : ArcMap, fonction fractionnement : attribution des identifiants 0 et 1 3. Conversion des deux polylignes en fichier de points tous les 10 m : ET Geowizard, fonction polyline : split polyline/segments length 10 m, puis fonction convert : polyline to point. Les points ont pour attribut les identifiants 0 ou 1 (1) 4. Polygonisation de Thiessen sur les points : ArcInfo, fonction coverage tools : proximity/Thiessen (2) 5. Fusion des polygones de Thiessen selon l’identifiant 0 ou 1 : ArcMap, fonction fusionner (3) 6. Conversion du polygone en polyligne : génération de l’axe médian Etape 2 : création des segments de désagrégation 1. Conversion de l’axe médian en fichier de points tous les 100 m : ET Geowizard, fonction polyline : split polyline/segments length 100 m, puis fonction convert : polyline to point (4) 2. Polygonisation de Thiessen sur les points (5) 3. Intersection des polygones de Thiessen avec le polygone « Digues de Tulla » : génération des segments élémentaires .

 Les méthodes d’analyse statistique

Les données vectorisées (ex. : superficies de bande active, zones de dépôt et d’érosion…) ont fait l’objet de différents traitements en utilisant les fonctions de calcul d’ArcGis et les logiciels Excel, StatView et R. Plusieurs méthodes statistiques ont été employées : Pour représenter la distribution statistique des variables, nous avons utilisé des graphiques en boîte (box plot), indiquant les valeurs minimale, maximale, moyenne, médiane ainsi que les 10ème, 25ème, 75ème et 90ème centiles (fig. 2.3). Figure 2.3 : Principe du graphique en boîte (boxplot) Pour tester la significativité des différences entre deux groupes de données appariés, nous avons utilisé le test non paramétrique de Wilcoxon. Celui-ci est basé sur la somme des rangs des individus Xi dans la réunion des deux groupes X et Y à comparer. L’hypothèse nulle H0 est que les groupes présentent la même distribution ; l’hypothèse est rejetée pour un niveau de probabilité p conventionnellement inférieur à 0,05. Par exemple, dans le cas de l’analyse de l’évolution planimétrique de la bande active entre 1956 et 2008 (cf. C/2.3.3), les années (soit les groupes de largeurs de bande active mesurées par segments élémentaires de 100 m) ont été comparées deux à deux. Un niveau de probabilité p très inférieur à 0,05 indique une différence significative entre deux années, ce qui permet d’extraire des périodes homogènes en termes d’évolution. Pour détecter des ruptures dans l’évolution amont-aval d’une variable, nous avons utilisé le test de stationnarité d’Hubert et al. (1989) (cf. fig. 2.1 et 2.4). Celui-ci est basé sur la comparaison de la moyenne du segment élémentaire i avec la moyenne des segments voisins. L’hypothèse nulle H0 est l’absence de rupture dans la série Xi ; cette hypothèse est rejetée pour un niveau de probabilité inférieur à 0,05. Un seuil a été appliqué afin d’extraire des tronçons fluviaux homogènes supérieurs à 1,5 km de long. Pour représenter le patron longitudinal d’une variable et son évolution temporelle, nous avons eu recours à des graphiques cumulés. La comparaison des pentes des courbes cumulées permet de visualiser aisément la distribution spatiale des processus, et la comparaison diachronique permet Introduction 83 de mettre en évidence l’éventuelle propagation des changements vers l’aval. Par exemple, dans le cas de l’analyse de l’évolution des vitesses d’érosion et de dépôt dans la bande active entre 1950 et 2009 (cf. B/2.3.2), une pente négative correspond à un tronçon fluvial homogène en incision au cours de la période ; une pente positive à un tronçon en dépôt ; une pente nulle à un tronçon en équilibre (fig. 2.4). Sur tous les graphiques représentant l’évolution longitudinale de variables, les repères naturels et anthropiques jalonnant le linéaire, tels que la barre d’Istein, les rampes miliaires et les ponts construits dans les années 1960-1970, ont été renseignés en abscisse, afin de faciliter la lecture.

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