Évaluation du bénéfice des antiplaquettaires sur les interactions Plaquettes-Bactéries

Évaluation du bénéfice des antiplaquettaires sur les interactions Plaquettes-Bactéries

Revue de la littérature

L’ensemble des interactions plaquettes-bactéries décrites précédemment et leurs conséquences délétères sur l’évolution des infections et notamment de l’EI ont poussé de nombreuses équipes à s’intéresser précisément à l’impact que pourrait avoir l’utilisation d’antiplaquettaires sur ces évènements. En effet, les traitements antiplaquettaires sont actuellement utilisés dans le cadre de la prévention primaire ou secondaire de la survenue d’évènements emboliques chez les patients à risque cardio-vasculaire élevé. De plus, les traitements actuels de l’EI se concentrent sur une antibiothérapie associée ou non à une chirurgie cardiaque, mais leurs effets restent modérés sur le risque embolique, ce dernier représentant pourtant une complication grave et relativement fréquente de l’EI comme nous avons pu l’évoquer dans la première partie de ce travail (2,19). Les résistances aux traitements antibiotiques sont également de plus en plus nombreuses, et conduisent à des impasses thérapeutiques pour les patients. Il parait donc judicieux de s’intéresser à de nouvelles molécules capables de réduire l’activation des facteurs de virulence bactériens nécessaires à l’initiation et à la progression des infections. Cibler les plaquettes, bien qu’elles possèdent également des effets bénéfiques sur l’évolution de l’infection, pourrait offrir une nouvelle alternative thérapeutique.

Données in vitro

Aspirine et acide salicylique

De nombreuses études se sont concentrées sur les effets de l’aspirine et de son métabolite principal : l’acide salicylique in vitro, et les mécanismes responsables de son effet sur S. aureus notamment. En 2001, l’équipe de Polonio et al. s’intéresse à l’éradication du biofilm de S. epidermidis par l’utilisation d’une association de salicylate de sodium et de vancomycine. En effet, la formation du biofilm des bactéries est un paramètre important pour leur virulence, principalement dans la pathogenèse des infections de dispositifs implantés divers. Cette équipe a montré un effet bénéfique de l’utilisation de cette association in vitro puisqu’elle inhibe la formation du biofilm de S. epidermidis, et l’utilisation simultanée du salicylate de sodium et de la vancomycine augmente l’efficacité de la vancomycine seule (137). Kupferwasser et al. vont élucider les mécanismes d’action de l’acide salicylique sur l’atténuation de la virulence de S. aureus 2 ans plus tard. En effet, cette équipe observe que l’acide salicylique agit sur deux paramètres impliqués dans la virulence de S. aureus : la sécrétion de l’α-toxine et la liaison à la fibronectine (138). L’acide salicylique est ainsi capable d’agir au niveau transcriptionnel en réduisant l’expression du gène promoteur de l’α-toxine hla, et celui responsable de la liaison à la fibronectine fnbA. En fait, l’acide salicylique génère une réponse au stress du gène sigB, qui va atténuer l’expression des régulateurs globaux sarA et agr, et par conséquent celle des gènes de l’α-toxine et de la FnBPA et/ou FnBPB. L’acide salicylique peut également être responsable d’une diminution directe de la liaison à la fibronectine. L’opéron sigmaB est composé de 4 gènes : rsbU, rsbV, rsbW et sigB. RsbU est un détecteur qui répond à de nombreuses stimulations environnementales par autophosphorylation, qui va alors activer le gène suivant de l’opéron : RsbV. En effet, RsbU phosphorylé agit comme une phosphatase pour déphosphoryler RsbV, qui peut alors se lier compétitivement à un facteur anti-sigma : RsbW, ce qui déplace l’inhibiteur normal RsbW du complexe qu’il forme avec SigB (139). Ainsi, le régulateur SigB peut être activé par des voies dépendantes de rsbU et rsbV, et permet à S. aureus de survivre à de nombreuses conditions de stress, telles que des températures, pH, osmolarité et restrictions nutritives extrêmes, ou encore une exposition à l’éthanol ou une déplétion en oxygène in vitro (140). Enfin, SigB peut également lui-même réguler un autre système de régulation à deux composants : saeRS, lui-même étant capable de réguler positivement l’expression de hla et fnbA. Toutefois, l’équipe de Karlsson et al. a montré que les souches de S. aureus n’expriment pas toutes le même niveau intrinsèque de sigB et par conséquent n’ont pas toutes la même expression des gènes dépendants de sigB, et elles possèdent également une variabilité dans leur capacité à produire la protéase V8 (staphylococcal serine protease) (141). De plus, les 2 loci sarA et agr corégulent les gènes qui encodent une variété d’exoenzymes et de toxines de S. aureus dont celles responsables de la cytolyse des tissus de l’hôte. L’effet de l’aspirine sur le régulateur agr peut ainsi être direct avec une downrégulation des promoteurs agr RNAII et agr RNAIII, mais également indirect à travers la suppression du locus sarA. 63 De manière semblable, la réduction de la production de l’α-toxine peut se faire soit par la suppression de la voie agr-dépendante, soit par celle de la voie sarA-dépendante, car le promoteur hla peut être activé en réponse aux deux signaux. D’autres publications ont également fait état de l’effet de l’aspirine in vitro et montrent une réduction de l’adhésion aux biomatrices (142), une diminution de la production des capsules bactériennes (143,144), ainsi qu’une atténuation de la formation du biofilm (137), ce qui est en accord avec les constatations énoncées précédemment. De plus, il apparaît que l’acide salicylique a un impact sur l’expression du ClfA, variable en fonction de la phase de croissance dans laquelle se trouve la bactérie au moment où la molécule est utilisée (138). Un effet moindre peut être retrouvé sur les autres adhésines de liaison au fibrinogène telles que la Coa ou le ClfB. Finalement, l’acide salicylique permet une réduction de la liaison aux ligands de la matrice impliquant la colonisation des tissus (fibrinogène, fibronectine et fibrine), ainsi qu’une réduction de la liaison aux cellules endothéliales et plaquettes (145) et de la production d’αtoxine (138). Dotto et al. ont récemment mis en évidence un effet distinct de l’aspirine qui modifie la virulence de S. aureus : l’acide salicylique induit une expression et par conséquent une production augmentée de PIA (polysaccharide intercellular adhesin), ce qui diminue le taux de fer libre dans le biofilm et le rend plus sensible à l’action des antibiotiques et aux défenses de l’hôte (146). Toutefois, il a également été observé une augmentation consécutive de la formation du biofilm de S. aureus en présence d’acide salicylique par l’intermédiaire de PIA, ce qui peut alors contribuer défavorablement à la persistance de l’infection. Enfin plus récemment, l’équipe de Chabert et al. s’est intéressée à l’effet de l’aspirine et de la fluvastatine sur l’activation plaquettaire et la réponse inflammatoire in vitro à S. aureus. Ils ont ainsi mis en évidence une efficacité de l’aspirine, mais pas des statines, pour limiter l’activation plaquettaire et la libération des facteurs de l’inflammation. L’utilisation de l’acide acétylsalicylique a également permis de restaurer le compte plaquettaire, en protégeant les plaquettes de l’induction de l’expression des marqueurs de mort cellulaire par S. aureus (147). 

Thiénopyridines

Très peu d’études se sont actuellement intéressées à l’effet des thiénopyridines in vitro dans le contexte des infections. Farha et al. ont tout de même mis en évidence une capacité de la ticlopidine à cibler la N-acétylglucosamine-1-phosphate transférase, codée dans le gène tarO – qui est le gène codant pour la première étape de la synthèse des acides teichoïques de la paroi bactérienne – qui permet donc de bloquer cette synthèse (149). Les acides teichoïques de la paroi bactérienne sont impliqués dans la résistance aux antibiotiques à travers le soutien de la fonction coopérative des protéines de liaison à la pénicilline (PBP) qui sont à la base de la résistance aux β-lactames. Cette équipe a ainsi montré une potentialisation de l’effet du céfuroxime par la ticlopidine, permettant une limitation efficace de la croissance des souches de SARM in vitro et in vivo. Enfin, l’équipe d’Alsharif et al. a montré que le ticagrelor inhibe la recapture de l’adénosine cellulaire et que ceci potentialise l’effet de cette adénosine sur la chimiotaxie et la phagocytose des PNN (150). En effet, l’adénosine est connue pour être un médiateur majeur de l’inflammation et de l’immunité innée. Elle est générée à partir de l’ATP libérée en condition de stress cellulaire et capable d’upréguler les fonctions pro-inflammatoires des PNN et macrophages. 

Modèles animaux

Ces résultats in vitro laissent suggérer une efficacité des antiplaquettaires in vivo, et plusieurs équipes ont donc étudié ces traitements sur des modèles animaux d’EI expérimentales. Ces études ont été surtout réalisées avec des souches de S. aureus, mais quelques-unes se sont également intéressées au streptocoque. Les résultats de ces études sont globalement contradictoires en fonction des souches et des traitements utilisés. Ainsi, Levison et al. dès 1977 avaient testé l’effet de l’aspirine sur un modèle lapin d’EI à Streptococcus viridans. Toutefois, cette équipe n’avait pas constaté d’efficacité du traitement avec une taille de thrombus identique par rapport au groupe contrôle non traité (151). Plus de 15 ans après, Nicolau et al. ont mené plusieurs études également sur des modèles lapin d’EI expérimentale à S. aureus. Cette équipe a quant à elle montré une réduction de la densité bactérienne dans les végétations avec l’utilisation d’aspirine à faible dose ainsi qu’une réduction de la taille de ces végétations (152). Elle a ensuite testé l’association de l’aspirine avec la vancomycine, ce qui a permis de constater que les doses d’aspirine de 2.5 et 10 mg/kg entraînent une réduction significative de la taille des végétations par rapport au groupe contrôle et que l’association de ces doses à la vancomycine permet de réduire également la densité bactérienne des végétations proportionnellement à la réduction de la taille des végétations, ce qui n’était pas le cas avec l’aspirine seule (153). Les doses de 20 et 50 mg/kg également testées entraînent également une réduction de la taille des végétations mais de manière non statistiquement significative. L’utilisation de doses supérieures d’aspirine ne semble donc pas apporter de bénéfice supplémentaire et l’effet de l’aspirine est dose-dépendant.

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