Facteurs pouvant influencer les incompatibilités physico-chimiques

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Effets des particules injectées dans le corps humain

Les incompatibilités décrites précédemment peuvent avoir des conséquences cliniques variées, allant de l’absence de problèmes à une dégradation du/des principe(s) actif(s) et à une diminution de leur efficacité ou la formation de dérivés toxiques. En plus, ces incompatibilités peuvent conduire
à la formation de précipités ou de complexes insolubles qui existent sous la forme de particules solides. En effet, si les particules solides formées sont denses ou volumineuses, elles vont obstruer les tubulures de perfusion ou même les cathéters, bloquant ainsi tout passage de substances [82]. Mais si elles sont suffisamment petites pour ne pas être retenues par le dispositif d’administration (tubulure sans filtre ou avec des pores trop larges (15µm)), elles vont pouvoir pénétrer dans la circulation sanguine. Dans ce cas, il est possible que ces particules s’y dissolvent, mais cela dépendra de plusieurs paramètres (nature du précipité, pH, débit sanguin, diamètre des veines, …). Dans le cas contraire, elles pourraient y faire des dégâts. Ainsi en 1987, Backhouse C.M et al ont calculé qu’aux soins intensifs, les malades recevaient quotidiennement plus de 107 particules étrangères de taille supérieure à 2 µm, simplement à cause des contaminations des solutions injectables (morceaux de bouchon ou particules détachées des contenants, tubulures, connecteurs, cathéters ou aiguilles) [83]. Bien que les standards de production aient évolué depuis, il est très probable qu’il reste encore un certain nombre de contaminants dans les médicaments injectés.
En 2002, un modèle animal développé par Lehr et son équipe a permis de simuler l’état d’un patient agressé (trauma ou chirurgie majeure) ou souffrant d’autres conditions pouvant affecter l’apport sanguin vers les tissus et organes vitaux (choc, syndrome de détresse respiratoire aigu, sepsis ou défaillance multiple d’organes). Grâce à ce modèle, ils ont pu démontrer que les contaminants particulaires pouvaient compromettre la perfusion capillaire dans un lit microvasculaire ayant subi une ischémie et une reperfusion. Ceci contribuant alors à aggraver la perte du nombre de capillaires fonctionnels dans les muscles striés en post-ischémie. Ce phénomène n’aurait par contre pas lieu dans un muscle non agressé, comme l’ont prouvé les tests réalisés sur des animaux sains [84]. Le patient de soins intensifs semble être plus susceptible qu’un autre, de développer des problèmes après une injection de substances étrangères insolubles. Bien que la littérature se rapportant à l’injection de particules insolubles (précipités) soit assez maigre, il existe des cas potentiellement fatals. Un précipité est une forme de contamination particulaire, au même titre que des morceaux de bouchons, des poussières ou d’autres éléments solides présents dans des solutions injectées. Ainsi, les dégâts provoqués par ces contaminants sont probablement de même type que ceux dus à des précipités injectés. Des études portant sur les risques de la contamination particulaire des solutions injectables peuvent nous aider à envisager les conséquences potentielles du passage d’un précipité dans les vaisseaux sanguins. Il ne fait plus de doute maintenant que l’injection de particules peut être à l’origine de phlébites, par obstruction de la veine au site d’injection [82]. Parallèlement à cela, des effets moins manifestes et surtout moins immédiats sont possibles. Les particules peuvent migrer dans de nombreux organes, particulièrement dans les plus petits vaisseaux (reins, poumons, cerveau, foie, rate) et y rester «prisonnières » [85,86].
L’observation de poumons de lapins artificiellement « contaminés » ou de poumons d’humains ayant reçu d’importantes thérapies intraveineuses juste avant leur décès a permis de faire les constatations suivantes : lorsque de petites particules sont injectées, elles semblent se déposer surtout dans la microcirculation des poumons et y provoquer divers problèmes, allant du
granulome pulmonaire indécelable au décès, en passant par l’infarcissement tissulaire local, la pneumonie fibreuse focale ou la dysfonction pulmonaire sévère[84]. Les mécanismes impliqués seraient un blocage mécanique des artérioles et de capillaires de petites tailles par des particules plus larges, une activation des plaquettes et/ou des neutrophiles avec la formation de microthrombi et une thrombo-embolisation de la microcirculation, une destruction de l’endothélium vasculaire, la formation de granulomes et de cellules géantes à corps étranger, le développement d’un thrombus à la surface de la particule étrangère [87].
D’autres complications ont encore été rapportées : septicémie, embolies, infarctus rénaux, réactions inflammatoires ou embolie des artères rétiniennes notamment [6;88-90]. Des problèmes liés à l’apparition de précipités de phosphate de calcium ont également été rapportés suite à l’administration de nutritions parentérales : artérite pulmonaire granulomateuse, pneumonie interstitielle granulomateuse diffuse et hypertension pulmonaire avec occlusion des artères pulmonaires, pouvant conduire au décès [91,92].
Finalement, des tests réalisés sur des animaux ont permis à Turco et al. d’extrapoler les effets que des précipités chimiques ou des émulsions lipidiques avec des gouttelettes très grandes pourraient avoir sur l’homme d’occlusion physique des vaisseaux ainsi que diverses réponses inflammatoires, antigéniques ou néoplasiques qui sont les principaux problèmes rapportés suite à cette étude. Tous ces articles tendent à démontrer qu’il est peu probable que l’injection d’un précipité dans le sang ait des conséquences immédiates (les phlébites mises à part) ; mais, des effets à long terme, pas très bien connus, sont possibles. Il est utile de rappeler ici que, pour être visible à l’œil nu, une particule doit mesurer au moins 40-50 µm [93]. Or, Walpot et al. ont déterminé que la plupart des microthrombi sont dus à des particules de moins de 2 µm de diamètre [6;94].
Par ailleurs, d’autres études animales ont prouvé que la distribution tissulaire des particules dépend de leur taille (10-12 µm dans les capillaires pulmonaires, 3-6 µm dans les nodules lymphatiques du foie et de la rate et 1 µm dans le foie) [95]. Niden et Aviado ont démontré que l’injection de petites particules provoquait un dysfonctionnement pulmonaire d’autant plus grave que les particules étaient petites [93]. Ainsi, la majorité des particules pouvant poser des problèmes ne sont pas visibles à l’œil nu. Il serait important de s’assurer d’une compatibilité totale entre deux produits avant de les mettre en contact, afin d’éviter également la formation de petits précipités invisibles pour l’œil humain. Cependant, il sera toujours difficile d’attribuer ces problèmes aux substances injectées, car les patients ont souvent des pathologies de base qui pourraient expliquer certains des symptômes [87;96,97].

Recommandations liées aux problèmes d’incompatibilités physico-chimiques

En 1996, des cas graves de pharmacovigilance ont été rapportés [98]. Ils concernaient les conséquences d’une incompatibilité physico-chimique entre la Ceftriaxone et le gluconate de calcium. Des précipités dans la tubulure et dans le parenchyme pulmonaire ou rénal de nouveau-nés et de prématurés ont été signalés en France. En 2002, un décès a même été déploré, alors que les deux médicaments étaient administrés par deux voies intraveineuses différentes et à des heures différentes. Ces évènements ont caractéristiques du produit médicament. motivé, en 2006, la modification du résumé des (RCP) par l’Agence Nationale de Sécurité  De cette modification (concernant l’administration aux nouveau-nés) a été assortie de recommandations supplémentaires:
 perfuser la Ceftriaxone sur une voie séparée et dans une période de temps où le calcium n’est pas administré ;
 administrer la Ceftriaxone seule, sans mélange avec d’autres médicaments ;
 la Ceftriaxone ne doit pas être mélangée à des solutions contenant du calcium ;
 il est indispensable de rincer la tubulure entre chaque administration.
En 2007, l’autorité compétente des Etats-Unis d’Amérique Food and Drug Administration, a également publié des recommandations aux professionnels de santé du pays en précisant, en plus de conseils similaires à l’ANSM, qu’une fenêtre de 48 heures devait séparer les deux administrations [99]. A la suite de la parution de ces nouvelles consignes, GIN A. et WALKER S. publient dans le Journal Canadien de Pharmacie Hospitalière des interrogations quant à ces dernières consignes [100]. Ils mettent ainsi en lumière l’une des plus grandes difficultés du problème d’incompatibilités physico-chimiques en termes pratiques : comment réorganiser les schémas d’administration des médicaments dans la pratique quotidienne d’une unité de soin pour réussir à se conformer parfaitement aux avis des autorités compétentes [99].

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GENERALITES SUR LA PERFUSION ET SUR LES INCOMPATIBILITES PHYSICO-CHIMIQUES DES MEDICAMENTS ADMINISTRES PAR VOIE PARENTERALE
CHAPITRE I : GENERALITES SUR LA PERFUSION
I. Définition de la perfusion
II. Objectifs de la perfusion
III. Classification des différentes techniques de perfusion
IV. Principe de la perfusion par gravité
V. Bonnes pratiques cliniques de perfusion
V.1. Prescription médicale
V.2. Préparation de la perfusion
V.3. Etiquetage des perfusions
V.4. Administration du médicament
V.5. Surveillance au cours de la perfusion
VI. Raisons des bonnes pratiques de perfusion
VII. Dispositifs médicaux pour perfusion
VII.1. Principe du réglage du débit : loi de Poiseuille
VII.2. Facteurs influençant la précision du débit
VII.2.1. Facteurs liés au perfuseur.
VII.2.2. Facteurs liés aux autres dispositifs médicaux de la ligne perfusion
VII.2.3. Facteurs liés au patient
CHAPITRE II : GENERALITES SUR LES INCOMPATIBILITES PHYSICO-CHIMIQUES DES MEDICAMENTS ADMINISTRES PAR VOIE PARENTERALE
I. Définitions
I.1. Définition de la stabilité selon les ICH
I.2. Définition de l’incompatibilité
II. Incompatibilités physico-chimiques
II.1. Incompatibilités physiques
II.2. Incompatibilités chimiques
II.3. Facteurs pouvant influencer les incompatibilités physico-chimiques
II.3.1. Concentration
II.3.2. Temps de contact
II.3.3. pH
II.3.4. Lumière
II.3.5. Température
II.3.6. Ions polyvalents
II.3.7. Oxygène
II.3.8. Véhicule
II.3.9. Présence de co-solvants
II.3.10. Vitesse de dissolution
II.3.11. Relargage (salting out)
III. Effets des particules injectées dans le corps humain
IV. Recommandations liées aux problèmes d’incompatibilités physico-chimiques
DEUXIEME PARTIE: TRAVAIL EXPERIMENTAL
I. Objectif
II. Cadre de l’étude
III. Matériel et méthode
III.1. Matériel de laboratoire
III.2. Médicaments
III.2.1. Quinine résorcine (PALUJECT®)
III.2.2. Métopimazine (VOGALENE®)
III.2.3. Sérum glucosé 10%
VII.2.4. Sérum glucosé 5 %
III.3. Méthode
IV. Résultats
IV.1. Inspection visuelle
IV.2. Indice de réfraction
IV.3. Densité
IV.4. pH
IV.5. Conductivité
V. Discussion
CONCLUSION
REFERENCES

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