Fracture de films minces de silicium provoquée par l’implantation d’hydrogène

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Principe général de la fabrication de SOI par Smart Cut™

La Figure I-2 montre les différentes étapes du procédé de fabrication du SOI par Smart Cut™. Une première plaque de silicium est oxydée thermiquement puis implantée par des ions hydrogène formant ainsi une zone saturée en hydrogène en dessous de la surface du wafer. Une seconde plaque de silicium est ensuite solidarisée par collage direct et sert de raidisseur mécanique. Cette structure se fracture lors d’un recuit à des températures comprises entre 300°C et 600°C, et permet d’obtenir un substrat de SOI ainsi qu’une plaque de silicium réutilisable. Le SOI subit alors plusieurs traitements de finition consistant à éliminer les défauts résiduels de l’implantation, avec par exemple un recuit à haute température (de l’ordre de 1100°C). Enfin, un polissage mécano-chimique permet de diminuer la rugosité de surface du film de silicium transféré et éventuellement d’ajuster son épaisseur.
Ce procédé est en théorie tout à fait générique. Il peut ainsi servir à reporter d’autres matériaux que le silicium comme le carbure de silicium (SiC) [Di Cioccio et al., 1996], le phosphure d’indium (InP) [Aspar et al., 2001], le nitrure de gallium (GaN) [Tauzin et al., 2005] ou le germanium (Ge) [Deguet et al., 2004]. Si le procédé de fabrication Smart Cut™ est aujourd’hui relativement bien maitrisé pour obtenir des substrats de SOI, certains mécanismes sous-jacents à la fracture du silicium restent encore à éclaircir.

Évolution thermique des défauts générés par l’implantation d’hydrogène

Au cours du recuit, l’agglomération des défauts hydrogénés se fait par des transformations successives à plusieurs échelles (Figure I-3). Les dimensions des défauts observés sont caractéristiques de l’avancée du phénomène de fracture dans le matériau.

Avant recuit : dommage et complexes formés à la suite de l’implantation

L’implantation d’hydrogène à température ambiante génère trois types de défauts ponctuels : les lacunes, les interstitiels de silicium et les atomes d’hydrogène. Ces défauts étant mobiles à la température ambiante, ils peuvent s’associer et former des complexes multi-lacunaires (Vn), multi-interstitiels (In), à base d’hydrogène (Hm), mais aussi des complexes VnHm et InHm. En plus de ces complexes, la rencontre d’un interstitiel avec une lacune (I+V) conduit à l’annihilation de ces deux défauts.
Aucune technique expérimentale ne permet de mesurer les concentrations respectives de ces complexes. De plus, la seule existence des complexes Vn et In n’a pas pu être mise en évidence. Toutefois, la présence des complexes hydrogénés (VnHm, InHm et H2) peut être détectée à l’aide de techniques de spectroscopie optique de type Raman ou infra-rouge (FTIR) [Daix, 2009; Personnic, 2008]. Ces techniques reposent sur l’identification des modes de vibration des liaisons Si-H excitées par une onde électromagnétique [Bech Nielsen et al., 1996; Lavrov et al., 2001; Weldon et al., 1997]. La Figure I-4 montre un exemple d’un spectre Raman indiquant la présence des complexes hydrogénés.
Figure I-4 Spectre Raman mesuré après une implantation d’hydrogène (37keV – 2.5x1016cm-2) à température ambiante dans un wafer de silicium (001).
Les principaux complexes hydrogénés à base de lacunes (VnHm) sont les complexes composés d’une lacune (VH, VH2 VH3 et VH4), et les complexes composé d’une bi-lacune (V2H2 et V2H6). Ces complexes sont représentés dans la Figure I-5.
Figure I-5 Représentations schématiques de plusieurs complexes VnHm dans la maille de silicium.
Etonnamment, un seul complexe hydrogéné à base d’interstitiels de silicium (InHm) a été détecté par spectroscopie optique, il s’agit du complexe IH2.

Avant recuit : contrainte et déformation générées dans la couche implantée

Macroscopiquement, l’implantation d’hydrogène est responsable de l’apparition d’une déformation de la couche implantée, perpendiculaire à la surface. Celle-ci a été mesurée par plusieurs techniques d’analyse [Cherkashin, Reboh, Lubk, Hytch, & Claverie, 2013; Sousbie, Capello, Eymery, Rieutord, & Lagahe, 2006]. La Figure I-6 présente les variations de la déformation hors du plan en fonction de la profondeur d’implantation mesurées par holographie électronique en champ sombre.
Figure I-6 Déformation perpendiculaire à la surface dans un cristal de silicium (001) implanté à une
dose de 1x1016cm-2. (a) Image TEM en champ clair en condition deux ondes avec le vecteur de diffraction g=111. (b) Déformation hors du plan obtenues par holographie électronique en champ sombre (d’après [N. Cherkashin et al., 2013]).
Cette déformation résulte de la réaction du cristal à la présence d’une contrainte compressive dans
les plans parallèles à la surface du wafer. Cette contrainte joue donc un rôle déterminant lors de la
formation et l’évolution des défauts étendus pendant le recuit. Toutefois, aucune étude n’a jusqu’à
présent tenté de relier cette contrainte à la concentration d’hydrogène implanté.

Après recuit : platelets d’hydrogène

Pendant des recuits à relativement basse température (environ 200 à 300°C), des cavités plates circulaires désignées sous le terme de « platelets » apparaissent. Ces cavités renferment du dihydrogène sous forte pression et se forment selon deux familles de plans : {001} et {111}. En raison des symétries du cristal, il existe 7 variants des platelets (3 variants {001} et 4 variants {111}). La Figure I-7 montre une image TEM typique de platelets d’hydrogène formés dans un wafer (001).
Figure I-7 Clichés TEM de platelets observés selon l’axe de zone [1-10] après une implantation d’hydrogène (37keV – 1,3x1016cm-2) et un recuit (350°C – 30min) dans un wafer (001).
Les platelets sont le résultat d’une co-précipitation de lacunes et d’hydrogène amorcée à partir de certains germes que sont les complexes hydrogénés VH4 et/ou V2H6 [Daix, 2009; Grisolia, 2000; Personnic, 2008; Reboredo et al., 1999]. La croissance des platelets au cours du recuit s’effectue par des échanges d’hydrogène et de lacunes entre les platelets, selon un mécanisme de type maturation d’Ostwald conservative [Grisolia et al., 2000].
Les variants d’une même famille de plan, {111} ou {001}, ont les mêmes caractéristiques, et se forment donc, en principe, avec la même probabilité. Toutefois, lorsque les concentrations d’hydrogène implantés sont grandes, les platelets sont observés en majorité dans les plans parallèles à la surface [N. Cherkashin & Claverie, 2012; Di et al., 2007; Hebras et al., 2007; Nastasi et al., 2005]. Cet effet s’explique par une interaction entre le champ de déformation généré par les platelets et le fort champ de contrainte provoqué par l’implantation dans la région où ces platelets se forment. Plusieurs auteurs ont ainsi montré que les occurrences des platelets pouvaient fluctuer en modifiant le champ de contrainte présent dans la plaque implantée [Nastasi et al., 2005; Pitera & Fitzgerald, 2005; Reboh et al., 2013; Reboh et al., 2008]. Toutefois, ces études ne permettent pas de prédire quantitativement les occurrences des différents platelets formés. En effet, l’occurrence d’un variant dépend de la différence entre l’énergie libre de Gibbs de ce variant et l’énergie libre de Gibbs des autres variants. Or, l’énergie libre de Gibbs d’un platelet n’a jamais été déterminée.

Après recuit : nano et micro-fissures

Pour des recuits plus longs et des doses d’hydrogène suffisantes, des fissures de dimension nanométrique ou micrométrique apparaissent dans la couche implantée (Figure I-3). La formation et l’évolution de ces fissures a été étudiée par plusieurs travaux [S. Reboh, 2006; S. Personnic, 2008; N. Daix, 2009; J. D. Penot, 2010]. À partir d’observations par microscopie électronique in-situ, il a été montré que la formation des micro-fissures n’était pas liée à une augmentation progressive du diamètre des platelets. Il s’agit de la coalescence de plusieurs platelets dans les zones où ils sont en forte densité [N. Daix, 2009]. Lorsque plusieurs platelets sont suffisamment proches et leurs rayons suffisamment grands, leurs champs de contrainte se recouvrent et l’intensité de cette contrainte devient alors suffisante pour « ouvrir » la surface qui sépare les platelets.
En l’absence de raidisseur, les micro-fissures courbent le film de silicium qui les surmonte, et des cloques se forment à la surface du substrat.
Lorsqu’un raidisseur est solidarisé à la plaque implanté, il empêche la déformation du film implanté dans la direction perpendiculaire à la surface et les fissures vont croître latéralement dans le substrat (Figure I-8). Dans un premier temps, cette croissance s’effectuerait par deux mécanismes : la maturation d’Ostwald et la coalescence [J.-D. Penot et al., 2013; S. Personnic et al., 2008]. Figure I-8 Croissance de fissures enterrées formées dans un substrat de silicium implanté par hydrogène puis collé à un second substrat. Cette évolution est observée par microscopie optique en fonction du degré de fragilisation du substrat (d’après [J.-D. Penot et al., 2013]).
Pour des durées de recuits proches de la fracture, la coalescence devient le phénomène dominant. Cette croissance des microfissures se termine par le déclenchement d’une onde de fracture qui se propage dans le matériau à des vitesses de l’ordre de plusieurs kilomètres par seconde et permet la coalescence presque simultanée de toutes les fissures qui sont présentes dans le substrat [J. D. Penot, 2010].

Bilan et objectifs

Malgré de nombreux efforts, plusieurs mécanismes du procédé Smart Cut™ restent peu ou mal compris ce qui limite les voies d’optimisation. En particulier, l’état initial d’un wafer de silicium implanté par des ions hydrogène est relativement méconnu. Or, celui-ci joue un rôle prépondérant sur l’évolution du système jusqu’à la fracture. C’est pourquoi nous nous focaliserons dans ce travail sur les caractéristiques du système juste après l’implantation et dans les premiers instants du recuit.
Si la nature et l’évolution thermique des complexes formés à la suite de l’implantation à température ambiante ont été caractérisées d’après les spectres Raman ou infra-rouge, leurs concentrations et leurs distributions respectives restent inconnues.
De plus, le lien entre la présence de ces complexes, la contrainte et l’état de déformation qui sont générés par l’implantation n’a jamais été explicité.
Enfin, si l’évolution thermique des défauts étendus (platelets et fissures) a été étudiée, le mécanisme de nucléation des platelets n’a jamais été expliqué. Or, celle-ci joue un rôle déterminant sur l’évolution future du système.
Ce sont ces différents points que nous aborderons dans ce travail.

Théorie des milieux continus : déformation, contrainte et élasticité

Dans cette partie, nous détaillons les différentes sollicitations que peuvent subir les matériaux sous contrainte ainsi que leur réaction par la modification de leur volume. Puis, nous rappelons les relations liant contrainte et déformation régies par les relations d’élasticité.

Contrainte dans un matériau

Une contrainte est générée lorsqu’une force est appliquée sur une surface d’un matériau. La définition d’une contrainte nécessite donc de spécifier l’amplitude et la direction de la force mais aussi la surface sur laquelle elle s’applique. Considérons un cube de volume infinitésimal, nous pouvons appliquer à ce cube des forces selon les trois directions des vecteurs de base ⃗ , ⃗ , ⃗ par rapport à chacune des faces du cube et ainsi aboutir à neuf composantes indépendantes permettant de décrire l’état de contrainte de ce cube.
Figure II-1 Expression des composantes du tenseur des contraintes dans la base (⃗ ,⃗ ,⃗ ).
La Figure II-1 représente les neufs éléments de la contrainte dans la base (⃗ ,⃗ ,⃗ ). Le premier indice correspond à la face du cube concernée par la contrainte, alors que le deuxième indice nous indique la direction de cette force. Il existe donc deux types de contrainte, les contraintes normales ou principales, où les indices sont répétés, et les contraintes dites « de cisaillement », où les indices sont alternés. Une contrainte normale est une contrainte dont la force appliquée est normale à la surface sur laquelle elle agit. Une contrainte normale de valeur positive décrit une contrainte en tension alors qu’une valeur négative décrit une compression. Les contraintes de cisaillement sont des contraintes dont la force est appliquée dans une direction appartenant au plan sur lequel elles agissent.

Table des matières

Introduction générale
I. Fracture de films minces de silicium provoquée par l’implantation d’hydrogène
I.1 Intérêts technologiques de l’élaboration de Silicium-sur-Isolant
I.1.1 Architecture du Silicium-sur-Isolant
I.2 Description du procédé Smart Cut™
I.2.1 Principe général de la fabrication de SOI par Smart Cut™
I.2.2 Évolution thermique des défauts générés par l’implantation d’hydrogène
I.2.2.1 Avant recuit : dommage et complexes formés à la suite de l’implantation
I.2.2.2 Avant recuit : contrainte et déformation générées dans la couche implantée
I.2.2.3 Après recuit : platelets d’hydrogène
I.2.2.4 Après recuit : nano et micro-fissures
I.3 Bilan et objectifs
II. Déformation et contrainte engendrées par l’implantation d’hydrogène dans le silicium
II.1 Introduction
II.2 Théorie des milieux continus : déformation, contrainte et élasticité
II.2.1 Contrainte dans un matériau
II.2.2 Déformation dans un matériau
II.2.3 Relations d’élasticité dans un matériau homogène
II.2.4 Valeurs moyennes des constantes élastiques du silicium
II.3 Déformations et contraintes dans le silicium implanté par des ions hydrogène
II.3.1 Relations d’élasticité
II.3.2 Mesures des déformations générées par l’implantation d’hydrogène
II.3.3 Variations du coefficient de Poisson avec la concentration d’hydrogène
II.3.4 Contrainte générée par l’implantation d’hydrogène dans le silicium
II.4 Conclusion
III. Défauts ponctuels générés par l’implantation d’hydrogène à température ambiante
III.1 Introduction
III.2 Simulations Monte Carlo
III.2.1 Simulations par TRIM
III.2.2 Simulations avec « Sentaurus Process »
III.3 Détection expérimentale des défauts ponctuels dans le silicium
III.3.1 Boucles de dislocations comme détecteurs de défauts ponctuels
III.3.2 Couches « delta » de bore : estimation des concentrations d’interstitiels libres
III.4 Effet de la dose d’hydrogène
III.4.1 Procédure expérimentale
III.4.2 Observations TEM
III.4.3 Analyse statistique des défauts
III.5 Conclusion
IV. Modélisation de la précipitation de défauts ponctuels sous la forme de complexes
IV.1 Introduction
IV.2 Modèle de précipitation des défauts sous la forme de complexes AnBm
IV.2.1 Concentration locale des complexes en fonction des concentrations locales de défauts 75
IV.2.2 Concentrations locales et concentration moyenne
IV.3 Application à la formation de complexes hydrogénés
IV.3.1 Caractéristiques des complexes considérés
IV.3.2 Réactions de formation des complexes
IV.4 Ajustement du modèle à partir des mesures de déformations
IV.4.1 Déformations hors du plan et concentrations moyennes des complexes
IV.4.2 Hypothèses physiques pour l’ajustement du modèle
IV.4.3 Ajustement des paramètres
IV.4.4 Exploitation des résultats
IV.5 Conclusion
V. Energie libre d’un platelet d’hydrogène formé sous l’effet d’une contrainte
V.1 Introduction
V.2 Modélisation de la précipitation de l’hydrogène sous la forme de platelets
V.2.1 Taux de nucléation d’un platelet à partir d’un complexe précurseur
V.2.2 Caractéristiques des platelets d’hydrogène
V.2.3 Energie libre de Gibbs d’un platelet d’hydrogène
V.3 Mesures des occurrences des platelets
V.3.1 Protocole expérimental
V.3.2 Variants équivalents et non équivalents
V.3.3 Avant recuit : complexes précurseurs disponibles
V.3.4 Après recuit : occurrences des variants des platelets d’hydrogène
V.4 Détermination de l’énergie de Gibbs d’un platelet d’hydrogène
V.4.1 Contrainte compressive dans les plans parallèles à la surface
V.4.2 Calibration des paramètres intervenant dans l’énergie de Gibbs
V.4.3 Impact de la température de recuit
V.4.4 Discussion
V.4.5 Exploitation des résultats : énergétique des platelets d’hydrogène
V.4.6 Levée de la dégénérescence énergétique des platelets dans différentes plaques
V.5 Conclusion
Conclusion générale
Annexes

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