Intérêts des analyses toxicologiques dans la recherche des causes de la mort

DEFINITIONS

Le suicide

Certaines définitions donnent au suicide une connotation d’agression à l’égard d’autrui ou de soi-même, de maladie, de perturbation, de crime ou de faute. D’autres, par contre mettent en évidence le caractère lucide et libre du geste en tant qu’affirmation ou réalisation de soi.
Selon Durkheim : « on appelle suicide tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d’un acte plus ou moins accompli par la victime elle-même et qu’elle savait devoir produire ce résultats » [11]. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé(OMS), le suicide est un acte délibéré accompli par une personne qui en connait parfaitement, ou espère, l’issue fatale [12].

La tentative de suicide (TS)

Elle se définit par une conduite ayant pour but de se donner la mort sans y aboutir [13].
La TS se distingue du suicide dans la mesure où elle n’aboutit pas au décès de la personne, bien que l’intention d’attenter à sa vie ait été délibérée dans l’esprit du suicidant.

Le suicidant

Il s’agit de celui qui commet une TS ou qui s’est manifesté par un comportement autoagressif à finalité plus ou moins suicidaire [1].

Le suicidé

Le suicidé est un sujet dont le geste a débouché sur son décès. On parlera alors de suicide abouti [1].

Le suicidaire

Ce terme désigne celui qui risque d’intenter à sa vie [14].

La crise suicidaire

Il s’agit d’une crise psychique dont le risque majeur est le suicide. Elle constitue un moment d’égarement où la personne présente un état d’insuffisance de ses moyens de défense, de vulnérabilité, la mettant en situation de souffrance qui ne se manifeste pas toujours extérieurement, et de rupture [15] ; la TS est l’une des manifestations possibles. Cet état de crise s’accompagne le plus souvent d’idéations suicidaires [16].

Les idéations suicidaires

Ce sont des idées selon lesquelles le suicide pourrait constituer une solution à la situation ou bien à la douleur morale et à la détresse dans laquelle la personne se trouve et qu’elle juge insupportable.
Ces idées se transforment par la suite en :
-ruminations (évocations récurrentes de la mort)
-puis en cristallisation (formation d’un plan précis pour passer à l’acte : ou ?, quand ?, comment ?) pour aboutir à l’acte suicidaire planifié [17].

EPIDEMIOLOGIE DU SUICIDE

L’OMS a estimé qu’un million de personnes meurent par suicide autour de l’année 2000 dans le monde. Le suicide constitue un problème de santé publique car il fait partie des 10 premières causes de décès chez la population générale et l’une des 3 premières causes de décès chez les jeunes de 15 à 35 ans [18,19].
On estime qu’une personne se suicide toutes les 40 secondes dans le monde, et à côté, toutes les 3 secondes une personne tente de se suicider [18].
En France, le taux de mortalité par suicide pour l’homme était à 26,4 et 7,2 chez la femme pour 100000 habitants [20].
Le pourcentage des suicides augmente avec l’âge, cependant, la majorité des suicides accomplis survient entre 15 et 34 ans. Chez l’homme, il existe un pic après 45ans et après 55 ans pour la femme [20]. Pour la récidive, environ 2% des patients arrivent au suicide dans l’année qui suit une tentative [20].

Les facteurs de protection

S’il existe des facteurs de risque suicidaire, il faut également mentionner l’existence de facteurs de protection. Il s’agit essentiellement d’un soutien familial et social de bonne qualité (relations amicales diversifiées, le fait d’avoir des enfants), et d’une prise en charge thérapeutique adaptée [24].
On peut citer également la capacité de l’individu à faire face à l’adversité [25].

Autopsie psychologique

Il s’agit d’une méthode, née aux Etats-Unis dans les années 1960, dont le but initial était d’élucider les origines des décès pour lesquelles un suicide était suspecte, sans pouvoir être clairement affirmé comme un acte mortel auto-infligé et intentionnel [23].
Elle repose sur une enquête a posteriori, conduite sur la base de l’interrogatoire des proches, l’analyse des sources médicales, le recueil d’informations concernant les antécédents familiaux et personnels, la psychologie de la personne décédée, son style de vie, ses relations et les évènements ayant précédé la mort. Ces données sont confrontées aux données objectives relatives au passage à l’acte pour conclure ou non à l’existence d’un suicide [23].

LES MOYENS UTILISES

Pour les moyens adoptés et mis en œuvre pour réaliser le suicide, une recherche effectuée en France a montré que pour tout âge et sexe confondu, la pendaison était le procédé le plus utilisé (près de 4fois sur 10) suivi de l’arme à feu (1sur 5), ensuite les intoxications, la défenestration et la noyade [19-21].
Pour les TS, les moyens utilisés sont dominés par l’intoxication neuf fois sur dix, parfois associée à d’autre toxique comme l’alcool en particulier, l’ingestion médicamenteuse est adoptée dans deux tiers des cas. Au cours d’une TS, la prise d’alcool concomitante avec d’autres toxiques, s’élève jusqu’à 25% [1,19]
Ces méthodes sont inépuisables et que certains sujets arrivent même à se suicider en avalant des cailloux, en plongeant la face dans un baquet ou par strangulation à l’aide d’un mouchoir ou en sectionnant les veines[1].

LES CONCEPTIONS MEDICO-LEGALES DU SUICIDE

L’association de l’examen du corps de la victime avec ou sans autopsie et les éléments médicaux permet de poser l’hypothèse du suicide. Le recours à un examen médico légal représente ainsi un des éléments clés de l’enquête qui permet de conclure au geste suicidaire [23].
Le suicide est toujours considéré comme une mort violente ainsi il doit être traité comme telle par l’ensemble des instances judiciaires et médico légales [24]
Devant toute mort violente il faut répondre à la question: S’agit-il d’un suicide ou non?, la réponse sera donnée par l’enquête et l’autopsie [24].

La pendaison

Elle se définit comme une asphyxie mécanique dans laquelle un lien passé autour du cou de la victime est attache à un point fixe, la striction du cou étant réalisée de manière passive par le poids du corps [25].
Dans la majorité des cas, la pendaison est un acte suicidaire, elle est rarement accidentelle et est exceptionnellement criminelle [26].
La mort présumée par pendaison est une mort violente ainsi le médecin requis et les experts doivent répondre à la question : la mort est-elle due à une pendaison ou non. Ainsi, il est très important d’effectuer un examen externe du cadavre [26].

Examens externes 

Cet examen doit être complet, la victime doit être déshabillée mais dans un premier temps, le lien de pendaison doit encore rester en place. Ce dernier consiste en :
-la vérification de l’absence de toute trace de violence comme la recherche d’un traumatisme crânien, d’anesthésie préalable, de lésions traumatiques sur les zones de défense, de prise, de lutte ou de chutes ou de toute trace suspecte, notamment sexuelle.
A noter que ces traces sont différentes de celles produites par les convulsions secondaires à la pendaison.
-l’inspection des lividités cadavériques qui siègent au niveau des membres inférieurs, de la région pelvienne et de la partie distale des membres supérieurs.

Les examens biochimiques

L’objectif de ces méthodes est de caractériser le passage d’un élément abondant dans le milieu de noyade (eau douce ou eau salée) dans le milieu intérieur, ou de révéler les perturbations hydro-électrolytiques liées à l’hémodilution ou à l’hémoconcentration.
Le strontium(Sr) est le marqueur biochimique de référence pour le diagnostic d’une noyade vitale [30,31].Le Sr sanguin constitue certainement un excellent marqueur de la noyade en eau de mer, mais son interprétation doit être plus nuancée pour les noyades en eau douce ; dans tous les cas les résultats devront être appréciés au vu d’un dosage comparatif dans l’eau d’immersion [30].

Les méthodes biophysiques

Ces méthodes consistent en des mesures comparatives du cœur droit et du cœur gauche, de la densité du sang, de son point de congélation (= delta cryoscopique) ou de son osmolarité.
Il s’agit d’un autre moyen pour tenter de mettre en évidence une hémodilution [32,33] ou une hémoconcentration [34] en rapport avec les phénomènes osmotiques de la noyade.

La mise en évidence des diatomées

Les diatomées sont des algues monocellulaires siliceuses résistantes à la putréfaction [35]. Cette procédure consiste en un prélèvement rigoureux des échantillons à analyser :
– On effectue des prélèvements hydriques sur les lieux de découverte du cadavre ou sur le lieu d’immersion si celui-ci est connu. On utilise des récipients de 0,5 l préalablement rincés, avec une solution de soude moléculaire si possible. Il est nécessaire de réaliser au minimum un prélèvement d’eau en surface et un autre à proximité du fond si ce dernier est accessible, après avoir agité la vase ou autres dépôts présents à ce niveau.
– les prélèvements tissulaires sont effectués lors de l’autopsie, et comprendront des échantillons de poumon (droit et gauche), foie, rein, encéphale et moelle osseuse.
Il est important de rechercher les diatomées non seulement au niveau du parenchyme pulmonaire mais aussi au sein d’autres tissus et viscères. Leur présence à ce niveau témoigne du fait qu’au moment de son immersion la victime présentait encore une activité hémodynamique. Les différents prélèvements (10 g minimum de chaque) seront conditionnés séparément dans des tubes secs sans conservateur, puis stockés à + 4 °C jusqu’au moment de leur analyse [35].

Le contenu gastrique

Ce milieu a l’avantage d’être souvent abondant. Il permet parfois de retrouver le produit recherché non métabolisé.
En cas d’intoxication par les caustiques ménagers, il constitue le milieu de choix voire le seul.
Il faut prélever 50ml dans un flacon en verre sans conservateur tout en précisant le volume total mesuré au cours de l’autopsie [39].

La bile 

Le prélèvement se fait à la seringue et en quantité limitée. Ce milieu est intéressant en absence d’urine et compte tenu du cycle entéro-hépatique de nombreuses molécules et leurs métabolites. Il a un intérêt surtout lorsqu’il s’agit d’une overdose à l’héroïne et qu’il n’y a pas d’urine car possibilité de mise en évidence du 6 -MAM signant la prise d’héroïne.
Il faut prélever 5 à 10ml, en absence d’urine [39].

L’humeur vitrée

Prélevé au niveau de la chambre antérieure de l’œil sans effraction vasculaire à travers la cornée et le cristallin. C’est un milieu bien protégé des contaminations bactériennes et fongiques. Le prélèvement doit se faire avant toute manipulation du crâne (en particulier si le potassium vitréen doit être mesurer).
Ce milieu présente un double intérêt en médecine légale: estimation du délai post mortem par analyse du K+ et confirmation de l’alcoolémie, liée à un grand pouvoir discriminateur (pas ou très peu de formation post-mortem d’éthanol dans le vitré).
Le prélèvement de 1 à 2 ml se conserve dans des tubes Eppendorff [39].

Les phanères

Ces derniers concernent surtout les cheveux, ils présentent l’avantage d’une conservation exceptionnelle.
Ce tissu possède la propriété unique d’être le marqueur des expositions répétées ou chroniques, permettant en outre d’établir le profil de consommation à long terme et son évolution.
Les cheveux sont généralement prélevés en vertex postérieur. Une mèche de 80 cheveux (diamètre d’un crayon à papier) est suffisante. Les mèches doivent être prélevées le plus près de la peau, coupée au ciseau (ne pas arracher) et orientée racine extrémité au moyen d’une cordelette, fixée 1 cm au- dessus du niveau de la racine.
La conservation est facile; elle s’effectue en tube sec ou dans une enveloppe, à température ambiante. Les cheveux permettent de disposer d’informations toxicologiques antérieures au décès [39].

Les viscères

Actuellement, les techniques utilisées permettent de détecter le microgramme, le nanogramme et même le picogramme de substances actives ce qui permet de travailler à partir d’une quantité d’organe de l’ordre de quelques dizaines de grammes. Prélèvement de 20 à 30g dans un flacon en verre sans conservateur ni d’alcool ni de formol : foie, rein, cerveau, cœur, poumon [39].

Intérêts des analyses toxicologiques dans la recherche des causes de la mort

Parfois, les causes de décès sont déterminées dès l’étape de l’autopsie, notamment dans la plupart des morts violentes, traumatiques ou instrumentales (comme les blessures par arme blanche ou par arme à feu, pendaisons, strangulations, accidents de la circulation…) [40].
Par ailleurs, pour certaines autopsies, persiste parfois le doute d’une association avec des toxiques (par exemple lors d’une noyade). En effet, il est possible que l’absorption d’une ou plusieurs substances stupéfiantes puisse entraîner certains troubles de la vigilance, voire de la conscience, pouvant avoir pour conséquence la survenue du décès [40].
Parfois, certaines autopsies ne permettent pas d’établir la cause du décès (absence de lésions de violence et de lésions organiques). Une expertise toxicologique est dans ces cas, souvent demandée afin d’expliquer le décès.
Même si parfois cette expertise ne permet pas davantage de conclure à la cause de décès (absence de xénobiotiques ou quantité trop infime de prélèvements à disposition), elle apporte, la plupart du temps, des renseignements très importants aboutissant soit à l’explication du décès (comme pour une noyade), soit à l’établissement de la cause du décès (mort toxique, suicide médicamenteux).Ainsi, une étude de Cirimele V. et coll [41] stipule que les expertises toxicologiques avaient permis d’établir la cause de la mort malgré les autopsies. Ces expertises toxicologiques sont parfois également demandées longtemps après le décès.

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS
I.DEFINITIONS
I.1. Le suicide
I.2. La tentative de suicide (TS)
I.3. Le suicidant
I.4. Le suicidé
I.5 Le suicidaire
I.6. La crise suicidaire
I.7. Les idéations suicidaires
II.EPIDEMIOLOGIE DU SUICIDE
III.LES CONCEPTIONS PSYCHOLOGIQUES DU SUICIDE
III.1.Les facteurs de risques
III.2.Les facteurs de protection
III.3.Autopsie psychologique
IV. LES MOYENS UTILISES
V. LES CONCEPTIONS MEDICO-LEGALES DU SUICIDE
V.1. La pendaison
V.1.1. Examens externes
V.1.2. L’autopsie
V.2. La noyade
V.2.1. L’examen externe
V.2.1.1. Le noyé frais
V.2.1.2. Le noyé putréfié
V.2.2. L’autopsie
V.2.3. Examen histologique
V.2.4. Les examens biochimiques
V.2.5. Les méthodes biophysiques
V.2.6. La mise en évidence des diatomées
V.3. Le suicide par arme à feu
V.4. Prise de toxiques ou médicaments
V.4.1. Les prélèvements d’autopsie pour investigation toxicologue
V.4.1.1. Les liquides biologiques
V.4.1.1.1. Le sang
V.4.1.1.2. Urine
V.4.1.1.3. Le contenu gastrique
V.4.1.1.4. La bile
V.4.1.1.5. Humeur vitrée
V.4.1.2. Les phanères
V.4.1.3. Les viscères
V.4.2.Intérêts des analyses toxicologiques dans la recherche des causes de la mort
DEUXIEME PARTIE : METHODES ET RESULTATS
I. METHODES
I.1. Cadre de l’étude
I.2. Type d’étude
I.3. Période d’étude
I.4. Population étudiée
I.5. Critères d’inclusion
I.6. Critères d’exclusion
I.7. Echantillonnage
I.8. Les variables étudiées
I.9. Collecte des données
I.10. Analyse des données
I.11. Limite de l’étude
II.RESUTATS
II.1.Au sein de la Réanimation médicale et toxicologie clinique
II.1.2.Répartition mensuelle des décès
II.1.4.Répartition des décédés selon le genre
II.1.5. Répartition des décédés selon la situation matrimoniale
II.1.6. Répartition des décédés selon les moyens utilisés
II.2. Au sein de la morgue
II.2.1.Proportion des décès par suicide au sein de la morgue
II.2.2.Répartition des suicidés selon l’âge
II.2.3.Répartition des suicidés selon le sexe
II.2.4.Répartition des suicidés selon les facteurs favorisants
II.2.5.Répartition des suicidés selon le lieu de la levée du corps
II.2.6.Les moyens utilisés par les suicidés
II.2.7.Le suicide par ingestion de produits caustiques
II.2.7.1.Repartition selon le type de produits caustiques
II.2.7.2. Les lésions observées au cours de l’autopsie
II.2.8.Le suicide par arme à feu
II.2.8.1.Les orifices d’entrée des balles
II.2.8.2.Les lésions observées à l’autopsie
II.2.9.Suicide par pendaison
II.2.9.1.Répartition des suicidés selon le type de pendaison
II.2.9.2.Répartition des suicidés selon le lien utilisé
II.2.9.3.Les lésions observées au cours de l’autopsie
II.2.10.Suicide par plaies vasculaires
II.2.11.Suicide par noyade
II.2.11.1.Répartition des suicidés selon le lieu de submersion
II.2.11.2.Les lésions observées au cours l’autopsie
II.2.12.Suicide par utilisation d’explosifs
II.2.13.Suicide en se jetant sous un train en marche
TROISIEME PARTIE : DISCUSSION
I. La fréquence du suicide
II. L’âge des suicidés
III. Répartition des suicidés selon le sexe
IV. Répartition des suicidés selon la situation matrimoniale
V. Les moyens utilisés par les suicidés au sein du service de réanimation médicale et toxicologie clinique
VI. La nature des médicaments ingérés les suicidés
VII. Les facteurs favorisants
VIII. Le lieu de la levée du corps
IX. Les moyens utilisés par les suicidés au sein de la morgue
IX.1.Suicide par des produits caustiques
IX.2.Suicide par pendaison
IX.3.Suicide par arme à feu
IX.4.Le suicide par noyade
X. Les préventions
X.1. La prévention primaire
X.2. La prévention secondaire
X.3. La prévention tertiaire
CONCLUSION
ANNEXES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

projet fin d'etude

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *