L éducation physique et sportive dans l établissement

Mixité et éducation physique et sportive : le rôle central de l’enseignant

Nous le savons, la mixité ne saurait à elle seule assurer une « éducation égalitaire » et le rôle joué par l’enseignant semble primordial. Pourtant, « nombreux sont les enseignants qui confondent et assimilent le principe d’égalité entre les sexes avec le moyen que représente la mixité comme procédure pour favoriser une conception plus égalitaire des rapports sociaux de sexe. » (Artus, 1999 p.287). Nous nous pourtant entendrons avec Volondat (1979) pour qui seule une action pédagogique, c’est à dire une didactisation favorisant et utilisant la mixité, peut transformer les relations entre filles et garçons. Ainsi une pédagogie différenciée s’impose à l’enseignant ; il faut que tous les élèves atteignent des objectifs communs en respectant « les trajectoires individuelles de chacun » (Delignères et Duret, 1995). Pourtant, les travaux portant sur les attitudes des enseignants face à la mixité tendent à montrer que la situation n’est pas évidente. S’il existe trois manières de gérer la mixité en EPS, l’ignorer, s’adapter aux différences ou encore mixer constamment en faisant des groupes de niveau mixtes par exemple (Davisse, 2003), la mixité apparaît ainsi être une situation problématique pour l’enseignant notamment parce qu’elle constitue une hétérogénéité supplémentaire à gérer (Cogérino, 2006).

En outre, plusieurs travaux se sont penchés sur les représentations des enseignants et Terret, Cogérino & Rogowsky (2006) montrent que ces derniers ont souvent certaines représentations stéréotypées tant des sexes que des pratiques sportives et leur connotation sexuée, stéréotypes qu’ils véhiculent dans les enseignements qu’ils mettent en place. Les enseignants d’EPS ont également des attentes différenciées à l’égard des garçons et des filles : ils s’attendent et tolèrent davantage l’indiscipline des garçons et escomptent de la docilité auprès des filles, ce qui n’est néanmoins pas propre aux enseignants d’EPS (Mosconi, 1994). Des études ont également montré que la nature de leurs interventions varie en fonction du sexe des élèves et que les interventions des enseignants sont également plus orientées en faveur des garçons sur lesquels ils ont tendance à davantage s’appuyer pour maintenir l’ambiance de classe (Couchot-Schiex, 2005). Ces différentes études montrent finalement que les garçons sont bien le référent implicite majeur des enseignants d’EPS (Joux & Cogérino, 2005, p.230).

Le challenge de trouver des curricula égalitaires ou au moins équitables De la gymnastique à l’éducation physique en passant par le sport : l’EPS a changé de dénomination. Ces changements traduisent évidemment des évolutions dans la façon d’appréhender la discipline et les contenus enseignés. Ces derniers ont-il évolué dans le sens d’une plus grande recherche d’équité entre les garçons et les filles ? En réalité, plusieurs recherches tendent à montrer que l’EPS s’appuie sur des sports à connotation masculine et serait par cela discriminatoire envers les filles (Conell, 1995 ; Gilroy, 1989 ; Naess, 2001 ; Terret, 2004). Même si les filles doivent aussi être confrontées aux tâches de défi, à l’affrontement, aux risques, etc. (Davisse 2000), la prise en compte du féminin singulier (Davisse, 1986) est également importante et reste encore trop rare dans les curricula où « la culture de l’école ne correspond pas tout à fait aux attentes des filles » (Combaz, 1992). Au travers de sa planification et du choix des activités physiques sportives et artistiques enseignées, l’enseignant serait en partie responsable des inégalités (Vigneron, 2006, Combaz & Hoibian, 2007). Cogérino (2006) montre que la programmation mise en place par les enseignants serait liée à leurs habitus sportifs.

Les contenus varient en fonction de l’âge et du niveau de formation des enseignants. La mixité constitue un enjeu essentiel pour les plus jeunes et pour les plus diplômés. C’est en effet aussi à l’enseignant de demeurer conscient que les activités physiques et sportives restent chargées de signification et qu’elles sont appréhendées de manière différente selon les sexes. Les différences entre le curriculum formel (ce qu’il faut enseigner) et le curriculum réel (les contenus d’enseignement et les situations d’apprentissage) laissent apparaître les dessous d’un curriculum caché à forte connotation masculine. « Ce curriculum caché consolide, maintient ou modifie des comportements, des statuts dans les rapports sociaux de sexe ainsi que des identités de sexe qui influenceront l’avenir professionnel et social des filles et des garçons. » (Baudoux & Noircent, 1997). Nous pouvons différencier les pratiques sportives selon le sexe (activités masculines, féminines et neutres (Vigneron, 2004)) et ainsi mettre en lumière que les activités enseignées apparaissent comme principalement masculines.

Un programme culturaliste basé sur des sports masculins apparaît ainsi comme inadapté aux filles. Cette rupture entre le curriculum réel et formel (Deriaz, Poussin & Kaiser, 2001) pousse les élèves à valoriser le masculin (Lentillon, 2009 ; Cogérino, 2005 ; Couchot-Schiex, 2005 ; Flintoff, 1994 ; Skelton, 2002 ; Vigneron, 2004). Le choix des activités physiques sportives et artistiques enseignées et leur traitement didactique n’est donc pas anodin. Pour Bergé (2003), il faudrait, en EPS, construire une culture commune partagée contenant à la fois des activités historiquement masculines et féminines. Cependant au vu des conclusions de Lacince (2000) qui constate que seulement 0,9% des programmations des établissements scolaires français concerne la danse dans les cycles d’enseignement, on peut s’interroger sur les mises en place de telles programmations. Combaz (1991) plaide quant à lui pour un fonctionnement alternant mixité et non-mixité en fonction des pratiques sportives.

Mais qu’en pensent les premiers concernés ?

Les perceptions des élèves à l’égard de la mixité en éducation physique et sportive « La priorité des élèves en EPS ne semble pas la réussite mais la détente, le défoulement, l’ambiance de classe : c’est la seule discipline scolaire où ils peuvent se dépenser physiquement et avoir des relations plus directes avec les camarades de classe : ces dernières leur permettent de mieux connaître l’autre sexe, (ses capacités, désirs, façons de penser et d’agir), voire de le séduire. » (Lentillon 2009). Dans sa recherche de 2009, Lentillon mettait en avant que 83 % des élèves de son échantillon composé de collégiens et de lycéens français, étaient favorables à la mixité en EPS. Les élèves perçoivent la mixité comme un avantage et ce phénomène est plus important lorsque les élèves grandissent et lorsqu’ils viennent de milieux favorisés. Les garçons sont plus nombreux que les filles à privilégier la mixité en EPS (Combaz, 1991 ; Dallaire & Rail, 1996 ; Gagné et al., 2006 ; Wright, 1996). Lentillon (2009) montre également que les garçons sont plus favorables à la mixité que les filles et que ces dernières privilégient tout de même la mixité pour les sports d’équipe lorsque ces derniers sont moins axés sur la compétition et plus sur la participation ainsi que lorsque le langage ou les attitudes sexistes sont absents.

Vivre ensemble les leçons d’éducation physique ne change pas ou peu les attitudes très stéréotypées des élèves et créer un lot d’inégalités qui le plus souvent ne sont pas perçues par les jeunes (Lentillon-Kaestner & Cogérino, 2005 ; Deriaz et al., 2012). Les élèves sont principalement en accord avec les valeurs de l’hégémonie masculine très présente dans la discipline (Garett, 2004 ; Mac Donald, 1990 ; Wright, 1996). Garçons et filles respectent les rôles qui leur sont attribués socialement. Il apparaît ainsi que l’EPS est un « lieu de parade » pour les garçons qui y réussissent, ils sont plus forts et surtout ils mettent l’ambiance et « amusent la galerie » (Lentillon, 2009 ; Garett, 2004 ; Lahelma, 2002 ; Warrington & Younger, 2000 ; Kehily & Nayak, 1997 ; Wright, 1996). La notion de séduction a aussi une grande importance pour les élèves : les garçons « font le show », ils se sentent supérieurs et en profitent parfois pour aider les filles, apprendre à les connaître (Dallaire & Rail, 1996 ; Gagné & al., 2006). Ils apportent aux filles moins sportives qu’eux les savoirs, les compétences et la motivation et ainsi les font progresser plus vite (Lentillon, 2009 ; Wright, 1996). La mixité réduirait-elle les filles à un rôle de « potiches » qui ne seraient présentes que pour féliciter les garçons ? Comment celles-ci la perçoivent elles, elles qui sont perçues comme baissant le niveau de jeu, comme un « handicap » dans les sports d’équipe ; elles qui doivent parfois savoir se limiter à encourager les garçons, les admirer et flirter avec eux (Lentillon, 2009 ; Wright, 1996 ; Artus 1999) ?

Conclusions

Notre travail de recherche montre que les collégiens de notre établissement secondaire 1 du centre ville de Lausanne ont des points de vue qui rejoignent ceux d’élèves interrogés dans d’autres travaux scientifiques sur la mixité en EPS mais qui en divergent également parfois. Le principal point de divergence avec les études précédentes est que dans le cadre de notre étude, nous observons que si de nombreux auteurs (particulièrement Lentillon, 2009 ; Combaz, 1991 ; Dallaire & Rail, 1996 ; Gagné & al., 2006 ; Wright, 1996) ont montré que les garçons étaient très largement favorables au fait de vivre les cours d’EPS avec les filles (alors que celles-ci étaient plus partagées) dans notre cas, les filles sont clairement plus favorables à la mixité que les garçons qui préféreraient globalement pratiquer entre eux. Si l’on se tourne premièrement du côté des garçons, notre travail a montré que ces derniers justifient qu’outre une différence de niveau et de motivation, leur choix pour une EPS démixée est motivé par une aisance relationnelle plus importante lorsqu’ils sont entre garçons.

Pour eux, le défoulement et l’esprit de compétition prend ainsi le dessus sur la découverte des filles et la drague. S’ils se plaisent parfois à « crâner » ou « parader » et à mettre l’ambiance conformément aux attentes des filles – comme l’ont montré Lentillon (2009), Garett (2004), Lahelma (2002), Warrington & Younger (2000), Kehily & Nayak (1997) et Wright (1996) – ils privilégient néanmoins les contacts rugueux et l’ambiance virile et préfèrent pour cela pratiquer sans les filles. Dans notre étude, pour les garçons les plus sportifs, la notion de séduction semble avoir moins d’importance que l’observaient Dallaire & Rail (1996) et Gagné & al. (2006). Ainsi, l’EPS est clairement perçue par les garçons de notre étude comme un lieu pour se défouler, « déconner » et surtout se donner à fond dans les confrontations. Contacts, jeux physiques et brutaux sont des éléments des représentations que se font les garçons des activités physiques et ainsi la présence des filles doit être écartée, car trop éloignée de cet idéal viril. Notons enfin que certains garçons qui présentent un niveau sportif assez faible se sont déclarés favorables à la mixité (ceci rejoint les conclusions de Gagné et al. (2006) qui observaient que certains garçons s’arrangent de la mixité et des regroupements par niveaux qu’elle sous-tend). Ce contexte d’enseignement semble les rassurer alors qu’ils dérogent d’une certaine manière aux attentes attribuées à leur sexe en matière d’aptitudes physiques et goût pour le sport.

Table des matières

Prélude
1. Introduction
2. Revue de la littérature
2.1. L instauration d une école mixte
2.1.1. De la mixité scolaire à l égalité
2.1.2. La mixité génère des inégalités
2.1.3. L école mixte remise en question ?
2.2. État des lieux des recherches portant sur la mixité en éducation physique et sportive
2.2.1. La mixité en éducation physique et sportive dans le canton de Vaud : état des lieux
2.2.2. Mixité et éducation physique et sportive : le rôle central de l enseignant
2.2.3. Le challenge de trouver des curricula égalitaires ou au moins équitable.
2.2.4 L évaluation en éducation physique et sportive : un mécanisme de discrimination ?
2.2.5. Mais qu en pensent les premiers concernés ? Les perceptions des élèves à l égard de la mixité en éducation physique et sportive
3. Méthodologie
3.1. Le terrain d enquête
3.1.1 Description de l établissement
3.1.2. L éducation physique et sportive dans l établissement
3.1.3. Les classes analysées dans le cadre de ce travail
3.2 Méthode et collecte de données
3.2.1. Le questionnaire
3.2.2. Les focus groups
3.3. Traitement des données
4. Problématique
4.1. Question de recherche
4.2. Paradigme de recherche
5. Résultats
5.1. L influence du passé scolaire en éducation physique et sportive sur la perception des élèves quant à la mixité dans cette discipline
5.1.1. Les 9èmes expriment une nette préférence pour l unique contexte d enseignement de l éducation physique qu ils connaissent : celui de la mixité
5.1.2. Le cas des 10èmes : la découverte de la non mixité ferait- elle des émules pour ce mode de regroupement ?
5.1.3. Le cas des 11èmes : l expérience des différents regroupements permetelle un choix plus averti
5.1.4. Synthèse
5.2. Le point de vue des élèves sur la mixité en éducation physique selon leur sexe
5.2.1. Les garçons et les filles face à la mixité : pour ou contre ?
5.2.2. Les arguments avancés par les garçons et les filles en faveur d un contexte mixte ou non mixte d enseignement de l éducation physique et sportive
5.2.2.1. La mixité en éducation physique et sportive influence-t-elle la motivation des élèves?
5.2.2.2. Effet du contexte d enseignement de l éducation physique et sportive sur l ambiance de classe
5.2.2.3. Effet du contexte d enseignement sur les apprentissages
5.2.2.4. Perception des élèves sur les activités pratiquées en éducation physique et sportive en fonction du contexte d enseignement
5.3. Perception à l égard de la mixité en éducation physique et sportive en fonction du niveau sportif des élèves
5.3.1. Une branche où les garçons sont perçus et se perçoivent comme réussissant mieux
5.3.1.1. Le rôle central de la performance en EPS: renforcement du sentiment de compétence des garçons
5.3.1.2. L éducation physique et sportive perçue comme non discriminante à l égard des filles
5.3.2. Niveau sportif des élèves et rapport à la mixité en éducation physique et sportive
5.3.2.1. Chez les garçons : le niveau semble conditionner la préférence pour un contexte mixte ou non-mixte d enseignement
5.3.2.1.1. Les garçons « bons » en EPS favorables à un regroupement démixée
5.3.2.1.2. Le cas des garçons de moins bon niveau sportif
5.3.2.2. Des filles dont le niveau sportif semble peut influer sur le choix de la mixité
6. Conclusions et discussion
6.1. Limites
6.1.1. Le questionnaire
6.1.2. Les focus groups
6.1.3. Le traitement des données
6.2. Conclusions
6.3. Travail de recherche et ma pratique d enseignant
Bibliographie
Annexes

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