La barrière hémato-encéphalique (BHE)

LE CONCEPT de barrière hémato-encéphalique (BHE) a aujourd’hui plus d’un siècle puisque la première expérience démontrant son existence fut réalisée en 1885 par Paul Ehrlich. Ce physiologiste avait injecté un colorant vital dans la circulation de souris, lequel avait diffusé dans l’ensemble des organes excepté le cerveau (Ehrlich, 1885). Cette observation avait d’abord été interprétée comme résultant d’une faible affinité du colorant pour le tissu cérébral. Mais quelques années plus tard, en 1913, son étudiant Edwin Goldmann démontra que ce n’était pas le cas puisque l’injection de colorant dans le liquide céphalo-rachidien avait non seulement teinté l’ensemble du cerveau mais en plus n’avait pas diffusé vers le système périphérique (Goldmann, 1913). Ce résultat démontrait alors l’existence d’une barrière entre le sang et le cerveau limitant la diffusion entre ces deux compartiments. Le terme de « BHE » n’apparaît qu’un peu plus tard dans la littérature francophone (Stern, 1921) et sa localisation au niveau des capillaires cérébraux a été établie lorsque les jonctions serrées ont été observées entre les cellules endothéliales de ces capillaires (Reese et Karnovsky, 1967). Cette barrière est maintenant connue comme une interface dynamique dont le rôle de filtre sélectif vise à maintenir l’homéostasie cérébrale nécessaire au bon fonctionnement des neurones et des cellules gliales. Le phénotype particulier de ces cellules endothéliales se développe notamment sous l’influence des astrocytes du tissu glial. Et bien qu’aujourd’hui l’endothélium des capillaires cérébraux demeure le site anatomique de la BHE, ses interactions avec les éléments périvasculaires s’étendent jusqu’aux neurones et affichent une complexité croissante, qui a récemment mené au concept que l’ensemble de ces cellules vasculaires et nerveuses forment une unité fonctionnelle : l’unité neuro-glio-vasculaire (UNGV).

Les capillaires cérébraux, support anatomique de la BHE

Les capillaires cérébraux sont constitués d’une monocouche de cellules endothéliales jointives reposant sur une membrane basale continue, dans laquelle se trouve enchâssés les péricytes. Ces capillaires sont entourés d’un manchon ininterrompu de pieds astrocytaires . De la lumière du capillaire vers la périphérie, on trouve :

• les cellules endothéliales, définies depuis les années 60 par Reese et Karnovsky (1967) comme le siège anatomique de la BHE. Elles présentent des caractéristiques structurales et métaboliques qui différencient l’endothélium des capillaires cérébraux de celui des autres organes. En particulier ces cellules sont polarisées, présentent des jonctions intercellulaires spécifiques et sont extrêmement riches en mitochondries (qui représentent jusqu’à 10% du volume cellulaire, contre 2 à 5% dans les cellules endothéliales périphériques) (Oldendorf et al., 1977). Cette abondance de mitochondries assure la production de la grande quantité d’énergie nécessaire au maintien des caractéristiques structurales et de l’activité métabolique intense de ces cellules (Nag, 2003). Les cellules endothéliales cérébrales se caractérisent également par une faible densité de vésicules endocytiques et pinocytiques (Begley et Brightman, 2003) et par l’absence de canaux transendothéliaux (Reese et Karnovsky, 1967). L’ensemble de leurs propriétés concourt à restreindre les échanges entre le sang et le parenchyme cérébral.

• la membrane basale, servant de support aux cellules endothéliales. Elle est produite par les cellules endothéliales elles-mêmes et par les péricytes qui y sont inclus. Elle est composée essentiellement de collagène de type IV, de laminine et de fibronectine. Elle présente également des charges anioniques portées, d’une part, par des protéoglycanes riches en héparanes sulfates et d’autre part, par des glycoprotéines riches en acides sialiques. La structure en réseau tridimensionnel du collagène et la présence de charges anioniques font de cette structure un filtre sélectif. En plus de ce rôle structural, des expériences réalisées in vitro ont montré que l’interaction des cellules avec la membrane basale est importante pour le maintien de leur phénotype (Tilling et al., 1998). La dégradation de la membrane basale sous l’effet de métalloprotéases ou de collagénases est fréquemment impliquée dans les manifestations pathologiques à l’origine de la rupture de la BHE (Gasche et al., 2006).

• les péricytes, enchâssés au sein de la membrane basale. Ils présentent de nombreux prolongements qui encerclent les cellules endothéliales ; au niveau des capillaires cérébraux, le ratio péricytes-cellule endothéliales est estimé à 1 pour 3, et la distance qui sépare ces deux types cellulaires à seulement 20 nm (Allt et Lawrenson, 2001; Bonkowski et al., 2011). Alors que ce type cellulaire a longtemps été négligé dans l’étude de la physiopathologie de la BHE, des découvertes récentes démontrent que ce type cellulaire joue un rôle majeur dans la mise en place et le maintien des propriétés de la BHE (Armulik et al., 2011).

• les pieds astrocytaires, qui occupent plus de 85% de la surface des capillaires, formant un manchon quasi-continu le long de ces vaisseaux (Fenstermacher et al., 1988). Ces prolongements astrocytaires forment entre eux des jonctions lacunaires (jonctions « gap ») et des desmosomes (Nakazawa et Ishikawa, 1998). La proximité de ces pieds astrocytaires avec les cellules endothéliales suggère l’existence d’une communication spécifique entre ces deux types cellulaires. En effet, l’influence des astrocytes sur la différenciation des cellules endothéliales ainsi que sur la modulation de la perméabilité de la BHE ont été largement démontrées et discutées (Abbott, 2002; Abbott et al., 2010).

L’ensemble de ces éléments (cellules endothéliales, membrane basale, péricytes et pieds astrocytaires) contribue à faire des capillaires cérébraux une barrière à la fois physique et métabolique qui régule les échanges entre le sang et le SNC, assurant le maintien de l’homéostasie cérébrale. Les propriétés structurales et métaboliques de la BHE font l’objet des sections suivantes.

La BHE, une barrière physique

Présence de complexes jonctionnels intercellulaires

L’espace interendothélial de la BHE se caractérise par la présence d’un complexe jonctionnel comprenant des jonctions adhérentes et des jonctions serrées, qui se succèdent dans un ordre précis à partir de la lumière du capillaire. Le rôle de ce complexe ne se résume pas à restreindre le passage paracellulaire de solutés (Bazzoni et Dejana, 2004) ; il intervient également dans la polarisation des cellules endothéliales, en limitant la diffusion des lipides et des protéines entre les membranes apicales et basolatérales. La formation de ces complexes inclut l’interaction entre des protéines transmembranaires et cytosoliques reliées entre elles ainsi qu’au réseau d’actine intracellulaire   (Hawkins et Davis, 2005; Huber et al., 2001; Wolburg et Lippoldt, 2002; Wolburg et al., 1994). Ces jonctions interviennent aussi dans le transfert de signaux intracellulaires et dans d’autres fonctions cellulaires comme la croissance, l’apoptose et la réorganisation du cytosquelette (Dejana, 2004).

Table des matières

Introduction
I Étude bibliographique
1 La barrière hémato-encéphalique (BHE)
1.1 Les capillaires cérébraux, support anatomique de la BHE
1.2 La BHE, une barrière physique
1.2.1 Présence de complexes jonctionnels intercellulaires
1.2.2 Un transport vésiculaire non spécifique réduit
1.3 La BHE, une barrière métabolique
1.3.1 Les enzymes
1.3.2 Les pompes d’efflux
1.4 Perméabilité sélective de la BHE
1.4.1 La diffusion passive
1.4.2 La diffusion facilitée
1.4.3 Le transport de l’eau et des ions
1.4.4 La transcytose
1.5 Composants cellulaires et acellulaires induisant les propriétés de la BHE
1.5.1 Les astrocytes
1.5.2 Les péricytes
1.5.3 Les neurones
1.5.4 La membrane basale des capillaires cérébraux
2 Les modèles d’étude de la BHE
2.1 Les modèles in vivo et ex vivo
2.1.1 Les méthodes d’études invasives
2.1.2 Les méthodes d’études non invasives (techniques d’imagerie)
2.2 Les modèles in vitro
2.2.1 Les microvaisseaux cérébraux isolés
2.2.2 Les modèles cellulaires
2.2.3 Les modèles non cellulaires
2.3 Les modèles in silico
3 Utilisation des modèles in vitro de BHE : de la recherche fondamentale à la recherche appliquée
3.1 Compréhension des interactions cellulaires et moléculaires mises en jeu au sein de la BHE
3.1.1 Interactions cellules endothéliales – astrocytes
3.1.2 Interactions cellules endothéliales – péricytes
3.2 Optimisation du passage de molécules à travers la BHE
3.2.1 Approches chimiques
3.2.2 Approches biologiques
3.3 Études du transport de molécules à visée thérapeutique à travers la BHE lors des étapes précoces du processus de découverte des médicaments
3.4 Évaluation de la toxicité
3.4.1 Détection de la neurotoxicité
3.4.2 Modèles in vitro de BHE et détermination de la neurotoxicité
3.5 La BHE en tant que cible thérapeutique : implication dans l’étape de validation des cibles pharmacologiques
Conclusion

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