La coéducation à travers le prisme de la relation élève-enseignant-parents

La coéducation à travers le prisme de la relation élève-enseignant-parents

La coéducation en questions

Les interactions qui s’opèrent entre les parents, les enseignants et les élèves entretenant une relation d’hyponymie avec la coéducation, il semble important de commencer notre mémoire en questionnant les bases de cette relation. Comment définir la coéducation ? Quelles sont les origines de sa mise au devant de la scène ? En quoi celles-ci expliquent à la fois son importance cruciale au sein de l’école contemporaine mais aussi toute la complexité de sa mise en oeuvre ?

La coéducation : comment la définir ?

D’un point de vue purement étymologique, le mot coéducation, construit à l’aide du préfixe « co- » signifiant « avec » et du suffixe nominal « -ation » indiquant une action, peut se définir comme le fait « d’éduquer avec ». Il serait alors question de l’intervention de plusieurs acteurs dans le processus éducatif et donc d’une éducation partagée ou encore collective. Cette analyse très généraliste tirée de l’étymologie du mot laisse planer un certain nombre de questions quant à la possibilité d’en donner une définition précise.  Un constat partagé par Gilles Brougère qui avance que si « la notion de coéducation permet d’aborder bien des questions passionnantes (…) » pour autant « il ne s’agit pas d’un concept. Certains y voient la question des partenariats institutionnels, des relations entre parents et professionnels, d’autres évoquent tout simplement l’éducation » . Cet ultime argument soulève une seconde idée. Outre la vision d’une éducation collective, la coéducation est une forme de rappel de la dimension sociale de l’éducation. En effet, selon cet auteur, « toute éducation est une coéducation » de par « sa dimension sociale et collaborative ». On s’aperçoit, au fil de nos recherches et en confrontant les différentes opinions, qu’il y a deux manières d’appréhender cette notion. D’une part, il est tout à fait possible de voir la coéducation comme un synonyme de l’éducation, on s’intéresse alors à l’acte éducatif pour lui-même et à sa dimension fondamentalement sociale. L’éducation implique forcément un dialogue, une médiation. Mais il est également possible de l’envisager du point de vue des différents acteurs, comme une éducation partagée, et de la penser à travers le rôle de ces acteurs ainsi que des relations qu’ils entretiennent. La coéducation est un des 7 facteurs pouvant influencer le climat scolaire qui sont définis au sein du guide réalisé par le ministère de l’Éducation nationale : Agir sur le climat scolaire. Sur le portail numérique du réseau Canopé dédié au climat scolaire, on retrouve ces deux interprétations. La coéducation est définie comme « un processus interactif et collectif qui favorise la socialisation de l’enfant (extrait du lexique du site universcience.fr) » tout en mettant l’accent sur : « le rôle de chacun de ceux qui entourent un enfant dans le processus éducatif ». Entourer l’enfant, l’accompagner et coopérer sont des conceptions éducatives contemporaines qui résultent d’un long processus.

La coéducation : quelles origines ?

Avant de commencer cette partie, je tiens à mettre en avant deux citations. La première est attribuée à Confucius, philosophe chinois né au Vie siècle avant J-C. Il évoque la question de l’éducation avec cette phrase : « Nous sommes frères par la nature, mais étrangers par l’éducation ». La seconde est une citation de Nelson Mandela : « L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde ». 3 Brougère, G. (2010). La coéducation en conclusion. Dans S. Rayna, M-N. Rubio & H. Scheu (dir.), Parents-professionnels : la coéducation en questions (p. 127-138).  Ces deux citations, séparées par plusieurs millénaires, nous prouvent l’importance universelle de la question éducative mais également toute sa complexité. En effet, si nous sommes tous des êtres humains, nous nous différencions avant tout par notre éducation, une éducation qui par sa nature sociale ne peut être homogène tant elle est influencée par le temps, l’espace, les individus et les multiples interactions qui s’établissent entre eux. L’éducation, comme l’expose Nelson Mandela, c’est également le poids d’une responsabilité, celle de l’avenir d’une société. Il existe donc une corrélation forte entre les aspirations sociétales et les politiques éducatives. Partant de ces divers constats, et en nous recentrant sur notre sujet, à quel moment la coéducation est devenue un axe central de notre école ? Aux prémices de l’école républicaine, il existe avant tout une volonté d’instruction et d’alphabétisation. Cette volonté se conjugue cependant à une ambition éducative, en effet l’école doit permettre de donner un accès au savoir à l’ensemble de la population, mais également de transmettre en son sein les valeurs républicaines. C’est tout l’enjeu des lois Jules Ferry à la fin du XIXe siècle. L’école devient ainsi gratuite, laïque et obligatoire. L’idée d’une éducation partagée est loin d’être envisagée, on peut d’ailleurs l’affirmer avec cette phrase prononcée par Jules Ferry dans un discours au ministère de l’Instruction publique le 5 mai 1879 : « Celui qui est maître du livre est maître de l’éducation. ». Il n’est nullement question du rôle parental, et encore moins d’une éducation interactive faisant une place à l’élève dans le processus d’apprentissage. L’école du XIXe siècle est celle d’une pédagogie aujourd’hui appelée « traditionnelle » et descendante. Cette conception de l’éducation va naitre un peu plus tard, au XXe siècle. Elle est issue de la rencontre entre deux dynamiques : – Le renouvellement scientifique qui s’opère grâce au lien entre les travaux théoriques des psychologues du développement de l’enfant (Jean Piaget, Lev Vygotski, Henri Wallon, Jerome Bruner etc.) et les pratiques pédagogiques de terrain engendrées par le mouvement de « l’éducation nouvelle » (fin XIXe / début XXe) et toutes ses grandes figures (Célestin Freinet, Maria Montessori, John Dewey, Ovide Decroly, Roger Cousinet, Adolphe Ferrière etc.). L’élève n’est plus considéré comme un récipient vide qu’il faut remplir, mais est un véritable acteur de ses apprentissages. Plus encore, on s’intéresse désormais aux relations qui s’établissent entre l’adulte et l’enfant durant l’apprentissage (« l’étayage » de Jerome Bruner et la « zone proximale de développement » de Lev Vygotski), puis par la suite à l’importance des échanges entre pairs afin de dépasser les représentations initiales (« conflit sociocognitif » de Willem Doise et Gabriel Mugny). L’éducation, comme les apprentissages, ne sont plus envisagés comme des actes isolés à sens unique mais comme le résultat d’une interaction réciproque. Si  l’ensemble de ces travaux et de ces expériences ne font pas l’unanimité à l’époque, et même aujourd’hui, elles vont permettre de renouveler les pratiques et d’apporter une réponse à l’évolution sociale qui s’opère à partir de la seconde moitié du XXe siècle. – La seconde moitié du XXe siècle est marquée par « la massification » de l’enseignement. En 1959, la loi Berthoin porte l’obligation scolaire à l’âge de 16 ans. En 1975, la loi Haby met en place le collège unique et officialise un accès égal pour tous au second degré. Cette massification entraine avec elle un certain nombre de conséquences. Première conséquence, une hausse de l’hétérogénéité au sein des classes mais aussi entre les territoires. C’est la naissance du concept de différenciation (Louis Legrand 1971) et de la politique d’éducation prioritaire (1981 Alain Savary). Seconde conséquence, la massification n’est pas synonyme de démocratisation scolaire et l’école est marquée par de profondes inégalités. Pour atteindre l’égalité des chances, idéal républicain, une seconde transformation s’opère par le biais de plusieurs grandes lois d’orientation (Jospin 1989, Fillon 2005, Peillon 2013 de « refondation de l’École », et enfin, plus récemment, Blanquer 2019 pour « une École de la confiance » ). De la rencontre entre ces deux dynamiques est issue l’école contemporaine. Une école qui, pour lutter contre les inégalités et l’échec scolaire, s’est investie du principe d’éducabilité universelle et a dû se renouveler progressivement. Dans ce cadre, elle s’est notamment tournée vers l’extérieur en collaborant utilement avec les différents acteurs de l’éducation de l’enfant. C’est la naissance de la coéducation comme concept fondamental au sein de l’école. I.1.3. La coéducation : une notion au coeur de l’école contemporaine La coéducation est donc une notion qui est au coeur de l’école d’aujourd’hui. Une notion qui ne cesse de prendre de l’importance. La hausse de l’hétérogénéité avait fait du dialogue avec les familles une nécessité, les disparités spatiales se cumulant avec les inégalités sociales ont rendu évidente l’ouverture de l’école sur l’extérieur et notamment sur son territoire, enfin les récentes avancées en terme de scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers, et notamment la thématique de l’inclusion scolaire, ont renforcé les relations existantes entre l’équipe pédagogique et les professionnels éducatifs et de santé. Ainsi, comme le souligne Annie Feyfant, au fil des années « on est passé d’une école sanctuaire du savoir à une école ouverte sur la société »4 . Cette ouverture sur l’extérieur, cette vision d’une éducation aux rôles partagés, a soulevé de nouvelles problématiques. Pour faire le lien avec notre 4 Feyfant, A. (2015). Coéducation : quelle place pour les parents ? Dossier de veille de l’IFÉ, numéro 98, 1-19. Repéré à http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA-Veille/98-janvier-2015.pdf  sujet et notamment nos hypothèses de départ, j’ai fait le choix de mettre en avant une de ces problématiques qui est celle du « conflit de loyauté ». Considérer les parents comme des partenaires éducatifs, c’est leur donner une place à l’école. Or, une de nos hypothèses met en avant que pour s’épanouir pleinement dans ses apprentissages, l’élève doit pouvoir s’appuyer sur un cadre cohérent et stable. Jean-Yves Rochex a apporté un éclairage sur cette question. Selon lui, pour qu’un élève puisse apprendre, il a besoin de s’attribuer « une triple autorisation ». C’est-à-dire, pour reprendre exactement ses propos : « – S’autoriser à être différent de ses parents. – Être autorisé par ses parents à être différent d’eux. – Autoriser ses parents à être ce qu’ils sont. ».5 On voit bien toute la relation qui se joue entre les parents et l’école pour la réussite de la scolarité de l’enfant. En effet, pour s’émanciper de la tutelle parentale, l’enfant a besoin de se développer contre ses parents. Jean-Yves Rochex précise d’ailleurs que le mot contre est à double sens. Dans « le sens de l’opposition » mais aussi dans le sens d’une « prise d’appui sur ses parents. ». Un appui qui ne peut se faire que si le cadre est suffisamment solide, d’où l’importance de l’implication des parents dans la scolarité, autorisant implicitement l’élève « à être différent » ; mais aussi si ce cadre est stable et cohérent. Et pour cette dernière condition, la relation qui s’établit entre l’école et la famille est fondamentale. En effet, pour « autoriser ses parents à être ce qu’ils sont », il faut éviter toute forme de disqualification ou de délégitimisation de la part de l’école vis-à-vis des parents. On comprend dès lors que cette construction, qui se réalise dans une opposition à la fois stabilisante et émancipatrice, ne peut se faire qu’en l’absence d’un « conflit de loyauté » qui placerait l’enfant face à un dilemme insoluble dans l’optique de sa réussite éducative. La coéducation est donc au coeur de l’école d’aujourd’hui, et la relation entre l’école et les familles en est un des axes majeurs.

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