LE SLAM UNE PRATIQUE MONDE DE LA PERFORMANCE POÉTIQUE

LE SLAM UNE PRATIQUE MONDE DE LA PERFORMANCE POÉTIQUE

Petite histoire du slam dans le monde: vers l’espace francophone

Une discipline poétique de l’oral On trouve peu de documentation imprimée consacrée au slam et à son histoire. En revanche, internet regorge d’informations diverses sur le slam et ses dérivés. La plupart des sites français reprennent le dossier principal sur l’histoire du slam, réalisé par Anneline Pétrequin et que l’on peut trouver en ligne sur le site des « Polysémiques338 ». Pour l’histoire des pratiques littéraires urbaines, on s’est également appuyé sur des essais consacrés au rap et à son analyse littéraire339. Le slam est né aux États-Unis sous la forme de « slamming poetry ». Son « inventeur », Marc Kelly Smith, fut le premier à organiser une soirée slam telle qu’on peut la concevoir aujourd’hui. En 1984, ce peintre en bâtiment et poète à ses heures décide d’organiser des joutes poétiques dans un café d’un quartier populaire de Chicago : Le Green Mill. Lassé des traditionnelles soirées de poésie où les poètes prennent souvent beaucoup de temps pour lire leurs textes et ont par conséquent tendance à alourdir les soirées et à ennuyer le public, Marc Smith décide un jour de proposer au public de mettre des notes afin de choisir quels seront les poètes qu’il désire entendre à nouveau. Il impose dans le même temps une limite de trois minutes par performance afin de dynamiser le spectacle. Ces contraintes énoncées rapidement lors d’une soirée de poésie deviennent alors les conventions du slam de poésie et, encore à ce jour, sont les seules qui régissent le déroulement des tournois. Le concept se développe et fait progressivement de nouveaux adeptes. La dimension participative des tournois qui engage l’implication directe du public dans le spectacle de poésie séduit poètes et public et progressivement, le tournoi de poésie s’inscrit dans les habitudes. La pratique continue de se développer de manière un peu « underground » jusqu’à ce qu’elle obtienne sa chronique dans le Chicago Magazine de novembre 1987. Dès lors, le slam rencontre l’engouement populaire et connaît un développement considérable. Le slam sort de la ville de Chicago en 1990, à la suite du festival national de poésie à San Francisco organisé par Hermann Berlandt et Jack Mueller. Entretemps, la pratique s’enracine et s’officialise à Chicago. Fort de son expérience californienne, le slam entre au Département des affaires culturelles de Chicago. Puis il se met à conquérir la côte Est et s’implante à Boston, et dans de nombreuses autres villes américaines. En 1992, les championnats nationaux de slam se déroulent à Boston. L’année 1993 marque le début des désaccords au sein de la discipline 340 . Le « concept » qui se déplace est adopté de façon différente dans les diverses villes ce qui pousse les organisateurs à discuter des conditions de réalisation des soirées slam. Ces discussions et ces désaccords font prendre conscience à la communauté slam de l’urgence de structurer les rassemblements. C’est en 1993 qu’est créée L’international Organisation of Performing Poets, L’IOPP. Cette association va permettre de fixer les règles communes à toutes les « familles de slam » des différentes villes. On assiste alors à la mise en place de grandes compétitions nationales et même internationales, les rencontres des « International Olympics » imposent des règles officielles pour ces évènements. Dotée de règles précises, la discipline va se déplacer en dehors de l’Amérique. La France, le Danemark, la Suisse, la Suède, Israël, et même Singapour vont développer les rencontres slam et accueillir des tournois internationaux. Une soirée slam est facile à réaliser : ce qui explique l’extrême mobilité de la pratique et son développement à travers le monde. Ce qui glisse et se déplace ce sont ces fameuses règles qui sont à la fois très contraignantes, peu nombreuses et explicites. C’est cette simplicité qui leur permet, comme celles du football, de devenir universelles. En France, vers la fin des années 1990, certains bars qui proposent des soirées de poésie sous diverses formes vont s’emparer du concept et commencent à organiser des tournois de poésie similaires à ceux qui ont cours en Amérique. À la suite d’un voyage aux États-Unis, Patrick Binard, alias Pilote le hot, ramène le concept en Europe et commence à organiser des slams de poésie de façon plus officielle. Il crée pour cela la Fédération Française De Slam Poésie (FFDSP341) afin de déposer la marque « Slam Poduction » et donner un cadre juridique à cette nouvelle pratique qui essaime à Paris, puis en banlieue avant de gagner la Province. Le premier « Grand slam national » est organisé à Nantes en 2004 dans la salle du Lieu Unique sous la tutelle de Marc Smith et rencontre un franc succès. Les médias participent alors à l’essor de la pratique et le slam commence à prendre ses marques dans le paysage culturel français.

 Fixer l’événement ?

Si on constate aujourd’hui un retour de l’oralité dans l’espace culturel, c’est en grande partie grâce à l’essor des nouvelles technologies et des nouveaux formats de la culture. Le cinéma, la chanson, mais plus encore les approches « multimodales343 » proposent, grâce à internet, une nouvelle forme d’oralité qui cherche à s’inscrire à l’intérieur d’une culture de l’écrit. En effet, l’inscription des œuvres du XXIe siècle passe en grande partie par un média oral (et très souvent visuel) susceptible d’être « mécanisé » et rappelé à tout moment. Mais peut-on imaginer fixer le slam et l’extraire de son contexte agonistique et vécu ? Autrement dit : que penser de l’exploitation du slam par les médias ou de sa diffusion sur d’autres supports ? En France, le phénomène médiatique de « Grand corps malade », le slameur qui a sorti un album classé comme relevant du slam et qui a emporté une Victoire de la musique en février 2007, nous montre le problème de la diffusion des œuvres issues de la scène slam. En toute rigueur, un album ne peut être du slam. Il peut s’inspirer des textes déjà dits lors de soirées slam, ou se donner un genre slam…Mais on ne peut confondre les disciplines. La soirée slam peut être enregistrée, mais tout texte sorti du contexte de sa production/réception vivante ne peut être considéré comme du slam. La question se pose également en ce qui concerne l’édition. En 2002 et 2003 chez Seghers ont paru deux anthologies de textes slam344. À la suite des différentes éditions du Grand Slam National ont paru chez Le temps des Cerises, plusieurs anthologies des textes performés lors de tournois345. Le débat peut se faire autour de l’objet édité et de l’idée même d’éditer des textes. Les premiers slameurs américains refusaient catégoriquement de publier leurs textes. À la lecture de cette anthologie, on peut avoir un aperçu de quelques poètes, mais on est frappé par le manque de force de certains poèmes. Il apparaît que certains de ces textes ne sont résolument pas faits pour être lus, mais bien performés, on ressent une insuffisance de la dimension littéraire de l’écriture346. Contrairement au théâtre, il n’y a pas moyen avec le slam de retranscrire des indications qui relèvent de la mise en scène. Mais il est tout de même intéressant de constater ce glissement de l’oral à l’écrit. Pilote le hot, grand slameur et instigateur du slam en France a lui aussi publié de la poésie « slam » dans un ouvrage paru en 2000347. Il reste cependant que ces entreprises marginales et isolées ne sauraient consacrer le slam au sein de l’espace écrit et de l’univers de la publication : coupé de l’environnement vivant de performance/réception, le slam perd l’essentiel de sa force et de son intérêt. On peut sans doute en garder des traces mais la vie est évanouie si on rompt avec l’immédiateté du direct que seule la captation permet de maintenir imparfaitement, mais au moins en partie. À cette renaissance de l’oralité (et de sa fixation comme de son stockage sur un support sonore et visuel) s’ajoute une tendance contemporaine qui consiste à démystifier l’univers de la création, à démonter sous les yeux du public le processus de la mise en œuvre. Le retour à une certaine simplicité des formes s’accompagne d’un retour de l’immédiateté de l’art au sein de la cité. Des franges croissantes du public veulent participer, être confrontées à l’exercice de la création, ne plus être en position de pure passivité. C’est dans ce contexte de démocratisation de la poésie et de développement des formes orales que naît le slam et que s’affirme son objectif explicite de réduire l’écart entre production et réception, tout en accordant le primat à la réception plus qu’à la production de la poésie. C’est que le slam cherche à ramener la poésie au centre du monde et dans la vie quotidienne. Selon cette idée que la poésie doit être envisagée comme étant une arme pratique contre la banalité du monde quotidien, le slam s’attaque à l’empire de la raison et cherche à faire émerger la poésie, à donner aux mots une force supplémentaire et un impact concret. Il cherche à proposer la poésie comme « voie de connaissance » pour reprendre des termes d’Aimé Césaire. Il entend imposer le poétique dans le réel en créant une incidence directe sur le spectateur. Le slam fait donc la démonstration que la poésie peut être proche, qu’elle est en chacun de nous et que nous pouvons tous vivre la poésie ou faire de la poésie si nous en ressentons le besoin.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *