La face visible de la diversité européenne l’opposition entre Common Law et droit continental

La face visible de la diversité européenne l’opposition entre Common Law et droit continental

Une opposition réelle

Dans la préface qu’il signe d’un ouvrage en langue française consacré aux contrats en droit anglais le professeur René David écrit : « Le juriste français, s’il cherche à retrouver l’équivalent de son droit dans cet ouvrage, sera […] déçu. Peut-être sera-t-il tenté de dire qu’il ne s’agit pas ici d’un véritable ouvrage sur le droit anglais des contrats, mais d’un simple recueil de documents relatifs à ce droit. Du point de vue français, ce jugement n’est pas erroné ; mais s’il en est ainsi, c’est qu’il n’existe pas, comparable à ce qui existe en droit français, un droit anglais des contrats : car le droit même est conçu différemment en France et en Angleterre » 244. Dans l’Union européenne, l’histoire a effectivement constitué deux grands ordres cognitifs ou deux formes de la connaissance du droit : la tradition romano-germanique, marquée par la prépondérance de la loi écrite et la tradition de Common Law dont le droit anglais est le modèle et qui est caractérisée par l’autorité de la jurisprudence 245. Cette dualité déroute tant les juristes européens, que le professeur Norbert Rouland pourtant familier de la diversité juridique a pu affirmer « le droit anglais doit être abordé avec précaution par le juriste français, tant il est éloigné de ses catégories mentales » Si le droit romain s’est répandu sur le territoire européen à un point tel que l’on a déjà pu affirmer que le droit est l’œuvre de Rome, la Grande-Bretagne 247 a été épargnée et a développé un système juridique propre et détaché de l’abstraction romaine. En schématisant à l’excès, on oppose le rationalisme romain à l’empirisme anglo-saxon, le caractère jurisprudentiel du droit anglais à la codification continentale. Le droit anglais est un Case law, formulé par les cours supérieures du Royaume à l’occasion de chaque litige. Et, alors qu’en droit français, selon d’éminents auteurs, la jurisprudence ne constitue qu’une source secondaire de droit, la loi en droit anglais se borne à apporter « une série d’errata et d’addenda au corps principal du droit anglais, constitué par le droit jurisprudentiel » 248. En pratique, le juriste britannique ne cherchera pas la solution à l’aide de concepts théoriques, de catégories juridiques prédéfinies, mais partira plutôt des éléments concrets et particulièrement des faits du litige qui lui est soumis. Au contraire, comme l’explique le professeur Atias, le juriste français espère, à partir de l’analyse des textes, de leur comparaison et de leur rapprochement, trouver « la solution la moins insatisfaisante, la moins injuste » 249. Si cette différence de conception n’est pas irrémédiable, elle constitue tout de même un obstacle réel à l’élaboration d’un droit commun des contrats au plan européen.

Une opposition à nuancer 

A en croire certains cette opposition serait irréductible 256. L’Anglais serait « le prêtre du savoir-faire empirique », le « maître des faits » alors que le juriste continental serait l’apôtre de « la loi du système, de l’universel, de la catégorisation » 257. S’il est admis que les deux systèmes sont caractérisés par deux manières de penser le droit différentes, le portrait brossé par ces auteurs est pour le moins caricatural. 258. Comme l’affirme le professeur René David, « tout n’est pas faux dans l’opposition que l’on a ainsi faite entre les deux systèmes, mais il ne faut pas la présenter de manière caricaturale » 259. Cette vision radicale doit être combattue 260 car elle ne tient pas compte de l’évolution qu’ont connue les deux systèmes. Tout d’abord les sources du droit se sont déplacées en sens inverse dans les deux systèmes. « Il y a deux siècles, le droit anglais était exclusivement jurisprudentiel aujourd’hui il n’est plus que principalement jurisprudentiel et accessoirement légal. Le droit français était exclusivement légal, aujourd’hui, il n’est que principalement légal et accessoirement jurisprudentiel » 261. La transformation du droit anglais d’un droit coutumier à un droit jurisprudentiel constitue une première évolution tangible dans les sources du droit en Angleterre. Par ailleurs une certaine forme de codification a vu le jour en Angleterre dans certains domaines, ainsi la réorganisation du système judiciaire et de la procédure fut l’œuvre des Statutes au XIXème siècle. Et plus largement, la législation par Statutes a contribué au développement du droit anglais lors des cent dernières années. Le volume des lois adoptées chaque année en Angleterre est réellement conséquent et rares sont aujourd’hui les branches du droit britannique qui échappent totalement à la législation. C’est ce qui fait dire au professeur Jestaz que « le droit légiféré prolifère partout y compris en Grande-Bretagne » et ce « pour mille raisons plus évidentes les unes que les autres » 262. Certes, l’effort de systématisation et de rationalisation n’est pas de la même nature que la codification continentale. La codification de la Common Law ressemble plus à une compilation, à une consolidation législative bien éloignée d’un système traditionnel de codification continentale. Très sectorisées, les lois anglaises ne sont que des rassemblements de dispositions liées par un thème empirique et interprétées selon un raisonnement également descriptif 263. Par ailleurs, si comme chez nous le législateur peut modifier le précédent, les Anglais n’en déduisent ni l’omnipotence de la loi, ni l’inexistence du droit jurisprudentiel 264, ce qui explique peut-être que l’on a pu affirmer que la loi n’est pas « regardée comme un mode d’expression normal du droit » 265. En sens inverse, il est indéniable que le droit français s’est largement jurisprudentialisé ce qui a permis d’affirmer que « la montée en puissance de la jurisprudence aura été l’événement français le plus marquant depuis la création du Code civil » 266. Ce dernier avait été rendu indispensable, eu égard à la défiance que manifestait le peuple français de l’ancien régime à l’égard des juges. Mais dans le même temps, l’insuffisance de la loi, stigmatisée par Portalis, fondait le rôle de la jurisprudence dans le droit français. Il suffit pour s’en convaincre de relire le discours préliminaire au premier projet de Code civil : « L’office de la loi est de fixer par de grandes vues des maximes générales du droit, d’établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. C’est aux magistrats et aux juristes pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger l’application […] la science du magistrat est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre par une ramification sage et raisonnée aux hypothèses prévues » 267. L’article 4 du Code civil fonde légalement le rôle du juge dans la création du droit en disposant « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice » et les limites posées par les articles 5 et 1351 posant respectivement les principes de l’interdiction faite aux juges de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire et de l’autorité relative de la chose jugée, laisse tout de même un large espace de liberté à la jurisprudence. De fait, celle-ci a acquis une importance considérable dans notre droit positif en général et dans notre droit civil en particulier. On ne dénombre plus les exemples dans lesquels la Cour de cassation a complété ou infirmé une solution légale. On peut donc conclure comme le professeur Jestaz : « Ainsi, bien qu’il ne s’agisse pas de la même loi ni de la même jurisprudence dans les deux pays, force est de convenir que chacun d’eux a deux sources du droit et deux sources qui fonctionnent en combinaison. Mais chacun réagit avec son idéologie propre : le Royaume-Uni admet cette dualité et cette combinaison, il adopte donc une démarche pluraliste ; la France ne l’admet guère, elle s’efforce de ramener la jurisprudence à la loi dans une conception moniste du droit ».

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