LA LOI DE NATURE À L’ORDRE INTERNE (INDIVIDUEL) ET EXTERNE (COSMIQUE)

LA LOI DE NATURE À L’ORDRE INTERNE (INDIVIDUEL) ET EXTERNE (COSMIQUE)

L’idée d’un ordre naturel repose d’abord sur le présupposé qu’il existe une loi et un droit naturels. La notion de droit naturel préoccupe non seulement les philosophes anciens et médiévaux, mais aussi les jurisconsultes et les écrivains politiques à l’époque moderne, car cette notion permet de poser la question du pouvoir légitime, de ses limites et du fondement de l’obligation d’obéir. L’une des premières questions à poser est donc celle du traitement par Rousseau du concept de droit et de loi de nature. Or Rousseau, sur ce point, se démarque aussi bien des auteurs anciens que des auteurs modernes. Il faut par conséquent examiner les critiques qu’il leur adresse, mais aussi, les éléments de doctrine qu’il retient d’eux. Par ailleurs, la solution spécifiquement rousseauiste au problème du droit naturel passe par la distinction – mise en évidence par Robert Dérathé – entre droit nature pur et droit naturel raisonné. Il faut commencer par examiner ces deux points pour cerner la notion rousseauiste d’ordre naturel. Ce dernier apparaît à la fois sous la forme d’un ordre interne (l’harmonie individuelle) et d’un ordre externe (l’harmonie cosmique).

L’HISTOIRE DE LA LOI DE NATURE AVANT ROUSSEAU

L’histoire de la loi de nature avant Rousseau met en évidence deux concepts de loi naturelle : d’une part, la loi fondée sur la sensibilité, loi commune aux êtres vivants et, d’autre part, la loi fondée sur la raison, loi prescrite aux hommes. Le premier concept pose la question de la justice fondée sur l’égalité de tous les êtres animés et le deuxième concept implique une interrogation sur les rapports entre la loi naturelle (la justice au sens de la légalité naturelle) et la loi civile (la justice au sens de la légalité civile). En effet, au sujet du passage de l’état de nature à l’état civil, certains auteurs affirment que la loi positive doit garantir le respect de la loi naturelle, tandis que d’autres écrivains soutiennent que les prescriptions de la Nature doivent être subordonnées à celles de l’État. Les contradictions entre les philosophes antiques, médiévaux et modernes signifient-elles que ceux-ci ont confondu l’homme sauvage et l’homme civil, la loi naturelle et le droit naturel comme le pense Rousseau ? a. Les deux concepts de la loi de nature Rousseau évoque les deux concepts de la loi de nature chez les Anciens et les Modernes au moment où il écrit : les « Anciens philosophes […], les jurisconsultes romains assujettissent indifféremment l’homme et tous les autres animaux à la même loy naturelle [ ; ] ils semblent n’avoir pris en cette occasion que pour l’expression des rapports généraux établis par la nature entre tous les êtres animés, pour leur commune conservation. Les Modernes ne reconnaissant sous le nom de loy qu’une règle prescrite à un être moral, c’est-à-dire intelligent, libre, et considéré dans ses rapports avec d’autres êtres, bornent conséquemment au seul animal doué de raison, c’est-à-dire à l’homme la compétence de loy naturelle »20. Nous avons d’une part une loi naturelle reposant sur la commune conservation de tous les êtres animés et d’autre part une loi naturelle destinée uniquement à l’animal raisonnable (l’homme). 20 Ibid. 28 La première conception de la loi de nature est partagée par des juristes romains qui appréhendent la nature dans sa globalité. En effet, dans De la nature des dieux (livre II), Cicéron montre que les stoïciens considèrent le monde comme un tout et envisagent d’abord l’ordre dans la nature cosmique. Conformément à cette vue, Cicéron estime que le hasard est incapable de façonner ainsi la beauté de l’ordre mondial. Cicéron y lit la justice écrite en lettres naturelles. Cette justice proviendrait de la Providence divine qui a disposé le cosmos selon la loi de l’harmonie. La justice naturelle réside donc dans la préservation de cet ordre, c’est-àdire la conservation de tous les êtres qui composent l’univers : « ainsi l’on conclut de toutes les manières que tout dans ce monde est admirablement réglé par l’intelligence et la volonté des dieux pour le salut et la conservation de tous les êtres »

La loi naturelle : continuité et discontinuité entre état de nature et état civil

Destinée initialement à maintenir l’ordre, à force d’être restreinte, la loi naturelle provoque le désordre. La loi de nature est tellement problématique que les philosophes sont divisés par rapport à son application dans la société. En effet, lors du passage de l’état de nature à l’état civil, certains auteurs affirment que la loi positive doit garantir le respect de la loi naturelle, alors que d’autres écrivains soutiennent que les prescriptions de la Nature doivent être subordonnées à celles de l’État. Pufendorf, par exemple, défend la continuité entre l’état de nature et l’état civil ou le respect de la loi naturelle par la loi positive : « les Lois Civiles doivent toutes tendre au bien de l’État, et ne rien renfermer qui ne s’y rapporte pas. Or la pratique des Maximes de la Loi Naturelle est ce qu’il y a de plus utile pour la tranquillité publique, aussi bien que pour l’ordre et la beauté de la Société Civile. Il faut donc avant toutes choses, que les Souverains donnent force entière de Loi civile à tout autant qu’il se peut de ces Règles de l’Honnête, afin qu’on les observe du moins extérieurement »37. Les lois civiles sont établies en vue du bien de l’État. Et l’intérêt de celui-ci est l’ordre public, la paix sociale. Or la mise en œuvre des maximes de la loi naturelle (refus d’obéir aux ordres injustes, malhonnêtes, criminels…) contribue au bien étatique, selon Pufendorf. Ce dernier réclame donc que les chefs d’État s’inspirent des préceptes de la loi de nature (les règles de justice, d’honnêteté…) lors de l’institution des lois civiles afin que les citoyens pratiquent publiquement les maximes qui se trouvent dans leur for intérieur. Pufendorf défend la compatibilité entre la loi naturelle et la loi civile au point qu’il incite les hommes à « obéir et se conformer exactement à tous les règlements des Lois Civiles, tant qu’ils ne renferment rien de manifestement contraire aux Lois Divines, soit Naturelles, ou  Révélées »38. L’obéissance aux lois civiles dépend de la conformité de ces dernières aux lois naturelles. L’idée de l’obéissance conditionnelle aux prescriptions de la loi civile et de l’obéissance inconditionnelle aux maximes de la loi naturelle est aussi soutenue par Locke qui pense que les hommes n’ont accepté de quitter l’état de nature pour vivre dans l’état civil que pour mieux profiter de leurs droits naturels : Quoique ceux qui entrent dans une société, remettent l’égalité, la liberté, et le pouvoir qu’ils avaient dans l’état de nature, entre les mains de la société, afin que l’autorité législative en dispose de la manière qu’elle trouvera bon, et que le bien de la société requerra ; ces gens-là, néanmoins, en remettant ainsi leurs privilèges naturels, n’ayant d’autre intention que de pouvoir mieux conserver leurs personnes, leurs libertés, leurs propriétés (car, enfin, on ne saurait supposer que des créatures raisonnables changent leur condition, dans l’intention d’en avoir une plus mauvaise)39, le pouvoir de la société ou de l’autorité législative établie par eux, ne peut jamais être supposé devoir s’étendre plus loin que le bien public ne le demande.  

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