LA PROBLÉMATIQUE DE LA Fl 1 N DE L’HISTOIRE CHEZ HEGEL

LA PROBLÉMATIQUE DE LA Fl 1N DE L’HISTOIRE CHEZ HEGEL

La théologie augustinienne de l’histoire

« Très tôt 11011.1· dit llenri-/ré11ée Marou lu IX!n.wJe c/m}tie1111e uvu1t chi ( … ) élaborer, à partir du donné révélé. les éléments d ‘1111e doctri11e proprement chrétienne de /’histoire : le travails ‘annonce très nelfement dès la plus ancienne des Apologies, la ‘prédication de Pierre, Kerygma fetrou, uu début du second siècle el ne cessera plus d’être ac/ivement poussé. Au Ve siècle, Suint A uguslin bénéficiait de /oui ce patient et fécond labeur el son génie propre put parfaire l’œuvre si bien commencée et amener la doctrine à son point de maturation. lu théologie chrétienne de/ ‘histoire est, quant à ses principes. élaborée avec la Cilé de Dieu et le moyen âge n’eut qu ‘à assimiler, et à intégrer dans la perspective de ses va.’ite.’i synlhèses, /’essentiel de /’enseignement du grand docteur africain »31. Ces propos de H. 1. Marou, ajoutés à ceux tenus un peu plutôt dans son Encyclique du 20 avril 193032 par le pape Pie XI selon lesquels l’auteur de la Cité de Dieu a été le premier à avoir oser affronter hardiment, à la lumière de la foi chrétienne, l’ensemble des problèmes posés par la considération de l’histoire universelle, nous autorisent à considérer l’œuvre de Saint Augustin comme la théologie chrétienne par excellence de l’histoire. Nous pouvons la considérer comme une histoire providentielle entièrement conforme aux desseins divins et aussi comme envisageant conjointement l’aventure temporelle humaine et l’éternité. 31 H.l. Marou, L’ambivalence du temps de l’histoire chez Saint Augustin, Paris, Vrin, 1950, p. 17. n Encyclique Ad salurem humani generis (vers le sa lur du genre humain), 20 avril 1930. 20 Elle s’articule toutefois autour d’une distinction, voire quelquefois d’une opposition, entre deux principes vitaux : celui qui nous fai t vivre selon l’homme pour posséder et dominer, et celui qui nous fait vivre selon Dieu pour accéder à la béatitude éternclle . Expliquant sa démarche, Augustin nous signale qu’il appelle ces deux principes« mystiquemenJ deux cilés » • Donc, même si dans la réalité ces deux cités se mêlent et se compénètrent (perplexae et permixlale), leurs principes ne doivent pas être confondus parce qu’ils sont à considérer comme des types idéaux comme l’a bien montré Marou35. Nous présentons d’abord de façon idéelle ces deux principes (d’ailleurs pour Marou, Augustin baignait dans une atmosphère platonicienne), nous exposons ensuite le commencement, le progrès et la fin des deux cités (terrestre et céleste) qui se fondent sur eux, et nous traitons enfin des différents âges du monde qui se terminent par le Sabbat éternel. 33 Nous revenons sur cette conception des deux principes de vie chez Saint Augustin dans les pages suivantes. 3 ‘ Saint Augustin, op. cit. vol 2, livre XI. H L’ambivalence du temps de l’histoire chez Saint Augustin, op. cit. 21 Section 1. Les deux principes fondateurs des deux cités « Deux amours nous dil Sain/ A uguslin on/ donc bâti deux cités, l’a111011r de soi jusqu ‘au mépris de Dieu, la cité de la terre ; l’amour de Dieu j usqu ‘au mépris de soi, la cité de Dieu. l’une se glorifie en .soi. et l’autre dans le Seigneur. l’une demande sa gloire aux hommes. l ‘autre met sa gloire la plus chère en Dieu témoin ,/ . 36 ue sa conscience » Augustin est parti d’ une considération morale qui lui a permis ·de constater qu’il existe deux modes de vie antagonistes déterminés par deux principes ou amours : l’un, mauvais, consiste à vivre selon l’ homme et l’autre, bon, consiste à vivre selon Dieu. L’idée de prédestination montre que tous les hommes sont destinés à vivre selon l’un de ces deux principes. Ceux qui règleront leur conduite sur le premier principe seront destinés à la damnation éternelle en compagnie du démon alors que ceux qui vivront d’après le second seront destinés à la béatitude éternelle avec le Seigneur. Il faut signaler toutefois que cette opposition remonte aux conséquences de la faute originelle du premier homme. C’est seulement depuis le péché d’Adam que l’ espèce humaine vit selon l’ un ou l’autre de ces deux principes37. Mais, après le Jugement dernier cette opposition cessera. Le second principe, éternel, triomphera sur le premier·qui disparaîtra définitivement. 1 ·Vivre selon l’homme Le principe augustinien de la vie selon l’homme est une reprise de l’expression de Saint Paul: «vivre selon la chair» à laquelle il préfère toutefois celle qu’il appelle : « vivre selon soi-même». Cette dernière a l’avantage de prêter moins à confusion selon l’évêque d’Hippone. En réalité, contrairement à l’impression première que peut donner l’expression paulinienne, la chair recouvre l’homme entier et non uniquement son aspect corporel ou matériel. C’est d’ailleurs Je sens exact qui transparaît à travers la phrase suivante : «Nulle choir ne sera jus1ifiée par les œuvres de Io loi ». Ce qui fait dire à Saint Augustin parlant de Saint Paul : « (. .. ) quand le docleur des nalions appelle, selon la loi el la vérilé, Ioules ces œuvres de chair, c ‘es/ que, suivanl la figure où / ‘on exprime le Joui par la parlie, il désigne par l ‘expression« chair» l ‘homme 1ou1 entier »38 Ces considérations vont amener Saint Augustin à soutenir que c’est bien plus souvent l’âme que le corps qui est responsable des égarements de l’homme. C’est ainsi qu’il écrit dans ce sens : « (. . .) celle corruplion du corps qui appesanlil /’âme n’es/ poinl la cause, mais la peine du péché; el ce n ‘esl poinl la chair corruplible qui a rendu /’âme pécheresse, mais /’âme pécheresse qui a rendu la chair corruplible »39. Vivre selon la chair consiste donc à se fier à son l’orgueil, à être plus attiré par l’envie que par la débauche. Il ne faut donc pas attribuer les lourdeurs des passions de l’âme au corps.  Nous en avons pour preuve le démon qui sans être dans la chair connaît néanmoins toutes les perversités de l’orgueil. Tout péché a d’abord été un mensonge comme le note Saint Augustin en èes tennes: « Car ce n’est point en tant qu’il est dans la chair, où le diable n ‘est point, mais en tant qu ‘il vil selon lui-même que /’homme devient semblable au diable; le diable aussi a voulu vivre selon lui-même, quand il n’est point demeuré dam la vérité ; et sa parole ne vient pas de Dieu, mais de lui-même, lui menteur et père du mensonge. Car, le premier il a menti ; premier auteur du péché, il est le premier auteur du ./0 mensonge. » . Pourtant, vivre selon l’homme revient à s’appuyer sur un principe qui dans son essence est dépourvu d’être véritable. Contrairement à celui qui consiste à vivre « selon /’esprit » pour parler comme Saint Paul ou «selon Dieu » pour parler comme Saint Augustin, ce principe qui relève de la vie selon l’homme est non substantiel parce qu’il n’émane pas de Dieu qui est un être parfait. Er:i tant que mal, il est une déficience du bien qui relève de Dieu ; ce qui le prive de substantialité. Il a pour origine la volonté perverse de créatures créées bonnes. Pour cette raison, quiconque règle sa conduite sur ce principe, sans conversion jusqu’à la fin de ses jours, ne fera pas partie de la société des élus et sera condamné à la damnation éternelle de même que la civilas lerrena qui ! ‘abritait et. qui avait pour fondement ce principe sera condamnée à disparaître. •o Ibid., pp. 149-150. 24

 Vivre selon  Dieu

Contrairement au premier principe qui voit son souverain bien dans la domination, dans l’éphémère bien terrestre, ce second principe a pour fin Dieu en qui se trouve l’éternelle béatitude. Seul ce principe est durable et solide parce que fondé en Dieu. Pourtant, si la volonté humaine joue un rôle essentiel dans l’adoption de l’un ou l’autre de ces deux principes, il faut reconnaître que sans la grâce du Seigneur, aucun homme ne peut vivre selon Dieu. Ceux qui vivent selon ce second principe sont des gens que Dieu n’a pas abandonnés à leur unique destin. Pour Saint Augustin, Dieu distingue les élus de la massa damna/a (masse damnée) par sa grâce et non d’après leur mérite, puisque la masse tout entière était condamnée dans sa racine corrompue. Il invite par conséquent tout individu qui vi_t selon Dieu à reconnaître que c’est par la grâce du Seigneur qu’il a été arraché du mal. Pour Saint Augustin, « Chacun reconnail, en elfe/, que c ‘es/ par une bonté /oU/e gra/uile, non par ses mériles, qu’il es/ arraché au mal, quand il se voil dégagé de la socié!é de ces hommes don! il aurait pu partager le jusle châtimenl »41 La vie selon Dieu est essentiellement une vie intérieure. Saint Paul disait dans son Êpitre aux Corinthiens : « tandis qu’en nous /’homme extérieur se corrompt, de jour en jour /’homme inférieur se renouvelle »42. Le commentaire que Saint Augustin fait de ce verset de l’apôtre Paul est: c’est la révélation de la grâce du Christ qui nous explique ce redressement paradoxal et le caractère, ambigu et merveilleux, que revêt le temps non plus du pécheur, mais de l’ homme chrétien. Adam vieillit en l’homme et le Christ y rajeunit. Vivre selon Dieu consiste à se détourner de tout ce qui. venu d’Adam, est de la sorte marqué du signe du vieillissement pour se retourner, se précipiter vers cette nouveauté, cette jeunesse incorruptible que nous assure le Christ. Si par le péché, nos jours ont été placés dans le vieillissement, par la foi et l’espérance, nous possédons déjà l’assurance de jours nouveaux, qui, eux, ne vieilliront jamais. Pourtant, ce principe de vie selon Dieu ne se fraye pas facilement un chemin dans la vie terrestre. Il y est constamment en concurrence avec le principe de vie selon l’homme. Mais conformément au plan divin du Salut, il est destiné à la fin des temps à prendre le dessus sur son concurrent de la même façon que la cité céleste qu’il fonde est destinée à prendre le dessus sur sa concurrente terrestre fondée sur le principe de vie selon l’homme. Ce verdict, fixé d’avance, est celui que le croyant voit advenir progressivement à travers le commencement, le progrès et la fin des deux cités.

Table des matières

Introduction Générale
Première partie: L’idée d’une fin de l’Histoire dans la pensée eschatologique pré-hégélienne
I. La théologie augustinienne de l’histoire
Section I : Les deux principes fondateurs des deux cités
Section Il : Commencement, progrès et fin des deux cités
Section ID : Les âges du monde et le Sabbat éternel
II. L’histoire et sa fin chez Kant
Section I : Début et cours de ! ‘histoire humaine
Section II : Finalité de ! ‘histoire
Conclusion de la première partie
Q Deuxième partie : La problématique hégélienne de la fin de l’Histoire
Introduction
I : Reformulation du thème de la fin de ! ‘Histoire par Hegel
II. Moments principaux de la prise de conscience par l’histoire de sa finalité
Conclusion de la deuxième partie
Troisième partie : Enjeux et portée actuels
I. Réception et réfutation du contenu hégélien de la fin de
l’Histoire chez certains anti-hégélien
II. La défense de la vérité du contenu de la fin hégélienne de l ‘Histoire chez certains hégéliens
III. L’idée d’ une fin de !’Histoire pour notre temps
Conclusion de la troisième partie
Conclusion Générale

projet fin d'etudeTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *