La profession de sage-femme

La profession de sage-femme

On ne peut aborder le contexte actuel de la formation des sages-femmes sans se confronter à l’histoire de cette profession et sa transmission au cours des âges car « le défaut d’histoire empêche de donner du sens (ou une visée) à ce que l’on observe. Il amène à confondre les niveaux de contextes et les échelles de temporalités » [LOUART-2005]. Cette historicité, dans toutes les acceptions du terme, est incontournable du fait même que la sage-femme a toujours participé et participe toujours à la naissance de chaque membre de la communauté humaine, conjuguant un rôle médical et social, à l’image d’une « figure très ancienne de femme soignante » [DUBESSET-1995]. Cette rétrospective, aussi brève soit-elle, permet d’approcher les mécanismes successifs qui ont contribué à l’élaboration du présent et permettent d’entrevoir l’avenir car « le passé est aussi ce qui a été présent et contribue à nous ancrer dans le présent, grâce à un processus de « rétention » et de « réactivation ». ….Certes, l’histoire n’exclut pas la continuité, seulement celle-ci n’y est plus  assurée par l’éclosion progressive de ce qui était déjà présent, mais par la vertu d’une rupture qui est le fait d’une liberté. La liberté est ce pouvoir que nous avons de nous mettre à distance du passé, pour le faire apparaître tel qu’il fut, ce qui ultérieurement, nous permettra de prendre position à son égard, soit pour le réassumer, soit pour le récuser » [DONDEYNE -1956]. Nous aborderons donc cette historicité comme :  Caractère d’un fait, d’une personne qui appartient à l’histoire, dont la réalité est attestée par elle.  Dimension historique, temporelle de l’existence en situation (entrée philosophique, existentialisme)  Ensemble des facteurs qui constituent l’histoire d’une personne et qui conditionnent son comportement dans une situation donnée (entrée psychologique). Cependant cet aspect rigoureux ne doit pas faire oublier que l’histoire peut aussi s’écarter de la véracité des faits, les petites histoires, les légendes … permettant parfois de traduire de façon imagée, les représentations sociales, le sens que l’on donne à un évènement … abordant une anthropologie culturelle [DEBRAY-1997]. Ces éléments se rapportent plus à la notion de mémoire qui, parce qu’elle repose sur un vécu, est passionnelle, bâtie sur une sélection de faits et d’émotions, pouvant être partiellement amnésique ; ce patrimoine cérébral, bien que subjectif, est à prendre en compte puisqu’il contribue à nourrir, au niveau individuel mais surtout collectif, les représentations et argumenter des actions. Cette attention au passé nous semble pertinente puisque « chercher à retracer les fondements des savoirs professionnels constitue un enjeu essentiel, à la fois pour bien comprendre le processus d’apprentissage professionnel et plus largement pour analyser la genèse des pratiques d’enseignement. Les fondements de ces savoirs professionnels, organisés en systèmes de référence, voire en système d’influence, semblent aussi interagir entre eux à la fois de manière complémentaire et opposée » [MAUBANT, ROGER-2012]. Nous tenterons de démêler ce qui relève de l’histoire, à priori rationnelle, de ce qui relève de la mémoire, plus affective, mais au combien importante dans la profession de sage-femme. Cette attention est d’autant plus capitale que « la médecine et l’histoire sont les plus anciennes, les plus vénérables des sciences humaines. Mais elles contiennent, l’une et l’autre, tout autre chose que la science : Elles sont quête d’identité, identité qui passe par le corps pour la première, identité qui passe par la mémoire pour la seconde. Elles ont beaucoup à se dire. Leur dialogue, passionnant, ne fait que commencer » [KNIBIEHLER-1984].

Sage-femme : équilibriste à la frontière des antagonismes

Une même activité mais un foisonnement de termes pour désigner celle qui aide une femme à mettre son enfant au monde, sont la traduction d’une histoire professionnelle relativement tumultueuse. Teintée d’ésotérisme, d’expression populaire puis d’un caractère scientifique, l’évolution lexicale française amène la ventrière à devenir sage-femme. L’accompagnement de la femme qui accouche passe de la fonction sociale à la profession [CHARRIER, CLAVANDIER-2013]. Dans l’Antiquité, obstétricis désigne la sage-femme depuis PLAUTE, celle qui est debout devant alors que le terme d’obstétrique n’apparait qu’en 1803 en France. Accoucheuse en Gaule, elle assure des fonctions religieuses avec des druides et des druidesses. Dérivé du latin venter (ventre), le terme de ventrière apparait au treizième siècle. Au quatorzième siècle, les termes de medica et de matrone y sont adjoints. Matrone vient du latin mater, matris (mère) et désigne la sage-femme jusqu’à la fin du dix-septième siècle. Elle est définie par FURETIERE en 1690 dans son dictionnaire Universel154comme étant « celle qu’on appelle proprement sage-femme, qui a estudié en Anatomie, qui est examinée par les juges de police par les Officiaux, dont chacun d’eux lui donne une commission et un titre pour pouvoir accoucher les femmes enceintes, visiter les filles déflorées et ceux qu’on accuse d’impuissance, pour être juges de congrès et en faire rapport en justice, où à cet effet elles font serment. » Sage-femme, celle dont la profession est d’assister les femmes en couches, existe en français depuis 1375 ; sage, saige, saive proviennent du latin sapien issu lui-même du verbe sapere (savoir) et sage-femme désigne donc celle qui est avisée, ayant la connaissance des choses, experte, habile dans son art.

Dans les pays frontaliers les références étymologiques sont différentes

En Italie, levatrice (celle qui soulève) a remplacé le terme commare (commère) ou raccoglitrice (celle qui ramasse).  En Espagne, comadrona ou comare ou matrona ou partera (issu du mot partu : accouchement) sont diversement utilisés.  En Angleterre, midwife comprend le mot mid (avec) introduisant la notion d’accompagnement.  Hebamme dérivant de heben (tenir) et grand-mère (ana) est utilisé en Allemagne et vroedvrouw issu du mot vroed (prudent) en Hollande. Sage-femme en culotte, man–midwife, maïeuticien, parturologue : ces différents termes traduisent la difficulté, qui ne date pas de 1970, pour désigner d’un nom masculin la sage-femme… « Sage-femme version mec »155 Au-delà de l’évolution sémantique, l’actualité de la sage-femme trouve ses racines dans son histoire et son avenir ne peut en aucun cas nier les traces laissées par le passé. 

Au fil du temps L’antiquité : le sacré et la médecine laïque

Parce qu’elle participe à l’acte fondateur de la vie, la sage-femme tient une place privilégiée et respectée tant sur le plan civil que religieux. L’activité des sages-femmes constitue sans doute une des professions féminines les plus anciennes et les plus répandues dans le monde antique. En Egypte, même si la sage-femme perd le rôle divin du temps prédynastique156, elle est reconnue et autonome, membre d’une corporation tout comme les médecins et ce dès 1320 avant Jésus Christ157 . L’enseignement de l’obstétrique et de la médecine est effectué dans les « Maisons de Vie »158associant le médical et le religieux. Le rôle des sages-femmes est souvent confondu avec celui des femmes médecins159, ou ayant des connaissances médicales, femmes pouvant être esclaves ou de libre naissance [DIMOPULOU-1999]. En Grèce, le sacré et le rationnel se côtoient : Afin d’honorer Artémis, déesse des accouchements, la sage-femme doit avoir fait preuve de sa fécondité et ne plus avoir l’âge de concevoir. Même si les statuts de la femme et des sages-femmes ont connu, durant l’antiquité grecque, des variations importantes, on retrouve une place privilégiée des « donneuses 155 Comme aime à se présenter un de nos confrères 156Intermédiaire d’Isis-Hathor 157 La Bible, Op. Cit. Exode 158Annexe des temples où sont formés les scriptes 159Meryt-Ptah (2700 avant JC) 1ère femme de l’histoire mentionnée comme médecin 80 de vie » avec tout à la fois un pouvoir surnaturel (prêtresse, Olympias160) mais aussi une assise quasi médicale au travers de la « maïeutique » transmise par PHENARETE, mère de SOCRATE et les traités de technique obstétricale et de pédagogie d’ASPASIE161. Cependant la séparation eutocie, pathologie, et de fait celle entre sage-femme et médecin, est proposée par HIPPOCRATE et ses disciples, dans son traité sur la grossesse et les accouchements, et posée comme dogme par GALIEN162 où la femme est subordonnée à l’homme. Cependant GALIEN décrit minutieusement le travail de la sage-femme (maia/maieutria), notamment le toucher vaginal apportant de précieux renseignements obstétricaux ou gynécologiques [BACALEXI-2005]. Au temps d’HIPPOCRATE « la coupeuse de nombril sait éveiller les douleurs de l’enfantement ou les adoucir, délivrer les femmes qui ont de la peine à accoucher ou bien faciliter l’avortement de l’enfant quand la mère décide de s’en défaire » [ROUSSELLE-1983]163 . L’obstétricie grecque (médecine des femmes) rayonnera sur l’ensemble du bassin méditerranéen influençant Rome, les hébreux puis les arabes. Même si la femme est sous le joug masculin, la société hébraïque donne une place privilégiée aux sages-femmes, semblant intervenir plus particulièrement en cas de dystocie, la transmission de leur savoir se faisant de mère en fille ou de sage-femme à sage-femme. Cette dichotomie entre patriarcat tyrannique et reconnaissance de celles qui aident à donner la vie se retrouve à Rome ; les sages-femmes, obstétricie médicae, organisées en corporation (nobilitas obstétricum), sont respectées tant du fait de leur instruction que de leur expertise, y compris devant les tribunaux164. Là encore des écrits comme le traité sur les maladies des femmes (SORANOS d’Ephèse et MOSCHION ou MUSCIO son élève) constituent des références de qualité sur l’Art des accouchements. L’un comme l’autre insiste sur la nécessité que les sages-femmes doivent savoir lire pour acquérir les principes théoriques de leur Art devenant ainsi des professionnelles « parfaites » (teleiai) [BACALEXI-2005, DIMOPOULOU-1999]. AURELIANUS, cité par DIMOPOULOU (1999) définit la sage-femme en ces termes : « La sage-femme est une femme instruite de toutes les maladies féminines, d’un grand savoir médical, capable de soigner comme il convient toutes les affections, ni agitée, ni avare, mais raisonnable, sobre et discrète, non superstitieuse et sachant diriger avec sollicitude les femmes en couches. En outre, elle sera compatissante, solide, chaste, ingénieuse, calme et réfléchie ». La sagefemme prend en charge la santé de la mère et de l’enfant et dispense de nombreux conseils médicaux sur le plan gynécologique y compris en matière de stérilité et fertilité.

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