La situation forestière et l’aménagement écosystémique au Québec

En forêt boréale, les feux représentent une perturbation naturelle importante qui fait partie intégrante du fonctionnement des écosystèmes boréaux (Bergeron et al., 2001). Au Canada, les coupes forestières ont également un impact important sur les forêts. En 2009, 88% de la superficie affectée par la coupe forestière (i.e. près de 600 000 ha) a été récoltée à l’aide de coupes totales ou de coupes avec protection de la régénération et des sols (CPRS), alors que le reste a été prélevé à l’aide de coupes partielles telles que les coupes progressives, les coupes de jardinages et les éclaircies commerciales (Base de données nationale sur les forêts, 2011). Suite aux perturbations naturelles et anthropiques, plusieurs changements abiotiques et biotiques se produisent au niveau de 1 ‘écosystème et la faune et la flore sont confrontées à de nouvelles conditions environnementales propices ou adverses, selon 1 ‘espèce concernée (Imbeau et al., 2001; Stapanian et al., 2004; Boucher et al., 2009).

Depuis la moitié du 19′ siècle, le cycle des feux s’est allongé en forêt boréale comparativement aux cycles historiques (depuis 7000 ans) plus courts (Bergeron et al., 2001). La diminution de la fréquence des feux a engendrée un vieillissement des forêts (i.e. de 100 ans et plus), lesquelles développent une structure inéquienne (Bergeron et al., 2001). Dans le cadre de l’aménagement écosystémique (Bergeron et Harvey, 1997), les coupes totales ont été recommandées afm de recréer les cycles de feux historiques plus rapides à l’aide de rotation de coupes totales (Bergeron et al., 1999; Bergeron et al., 2001; Bergeron et al., 2007). Toutefois, la coupe totale a été sur-employée pendant la deuxième moitié du 20′ siècle pour des raisons sylvicoles et économiques, ce qui a considèrablement uniformisé le territoire alloué aux coupes par des peuplements équiennes. En conséquence d’une rotation de coupe trop rapide et du mouvement des opérations forestières vers le nord dans des forêts de plus en plus éloignées des usines, la récolte forestière est devenue de plus en plus onèreuse. Une <> (i.e. perte de près de 20 000 emplois au Québec dans le secteur forestier entre 2005 et 20 10, fermeture de près de 230 usines) s’est ensuite produite au début des années 2000 et, en mars 2005, une réduction de 20% des contrats d’approvisionnement forestier s’est produite lors de l’adoption de la loi 71 : loi modifiant la Loi sur les forêts et d’autres dispositions législatives en matière forestière (Assemblée nationale du Québec, 2005). Une révision des méthodes utilisées par l’industrie s’impose en réponse à cette crise.

Un rapport déposé en 2004 par un groupe d’experts (Coulombe et al., 2004) mettait de l’avant l’importance d’adopter une nouvelle stratégie forestière afin de relancer l’industrie, tout en réduisant les impacts négatifs sur la société et l’environnement. L’aménagement écosystémique, qui est un concept d’aménagement forestier s’inspirant du fonctionnement des écosystèmes dans le but de les conserver tout en satisfaisant les intérêts sociaux et économiques (Bergeron et al., 2002; Gauthier et al., 2008), s’avère la meilleure alternative disponible qui répond à ces critères. Le maintien des vieilles forêts étant un enjeu majeur, les coupes partielles ont été mises de l’avant au sein des lignes directrices de l’aménagement écosystémique.

La mosaïque naturelle de la forêt boréale au mveau de la ceinture argileuse du Canada contient plus de 50% de vieilles forêts de 100 ans et plus (Bergeron et al., 2001; Bergeron et al., 2007). Afin d’atteindre cette proportion, les coupes partielles ont été suggérées car celles-ci créent une structure inéquienne souvent associée aux vieilles forêts (Bergeron et al., 2002; Bouchard, 2008). Les coupes partielles sont employées afin de s’approcher des effets des perturbations de faibles amplitudes, telles que les épidèrnies d’insectes et les chablis en ne récoltant que de petits secteurs contigus ou isolés plutôt que de grandes surfaces uniformes (Bouchard, 2008). Bien que les coupes partielles aient pour but de maintenir une plus grande biodiversité associée aux vieilles forêts, certaines contradictions persistent au mveau de leurs effets sur certaines espèces fauniques, tels les micromammifères.

Les micromammifères et l’aménagement forestier 

Les micromammifères: indicateurs d’aménagementforestier durable 

Afin de déterminer les effets des coupes forestières sur la biodiversité, certains groupes d’espèces sont utilisés en raison de leurs besoins écologiques et leurs diffèrentes réactions face aux perturbations. Les micromammifères sont un groupe d’espèces idéal pour étudier 1 ‘effet des coupes partielles sur la faune car ils sont souvent utilisés comme indicateurs d’aménagement forestier durable (Pearce et Venier, 2005). De plus, les micromarnrnifères ont plusieurs rôles essentiels dans les écosystèmes forestiers : ( 1) ils sont d’importants agents de dispersion pour les mycorrhizes (Maser et al., 1978; Terwilliger et Pastor, 1999), (2) ils font partie de la diète d’une panoplie de prédateurs (Hanski et al., 1991) et (3) ils sont d’importants régulateurs de populations d’insectes (Hanski et Parviainen, 1985). Il est donc essentiel de comprendre les impacts des coupes forestières sur ce groupe d’espèces car plusieurs niveaux trophiques (i.e. effet de cascade) sont dépendants de la dynamique de leurs populations .

Étant souvent utilisés comme indicateurs d’aménagement forestier durable (Pearce et Venier, 2005), les micromammifères ont le potentiel d’indiquer si les coupes partielles offrent des conditions d’habitat similaires aux vieilles forêts. En effet, certaines espèces sont principalement associées aux forêts matures (e.g. campagnol à dos roux de Gapper; Myodes gapperi) et d’autres, aux forêts jeunes et perturbées (e.g. souris sylvestre; Peromyscus maniculatus, campagnol des champs; Microtus pennsylvanicus) (Fisher et Wilkinson, 2005; Vanderwel et al., 2009; Zwolak, 2009). Dans l’optique d’un aménagement forestier durable et du maintien de la faune associée aux vieilles forêts, le campagnol à dos roux de Gapper est l’espèce d’intèrêt car ce sont leurs populations qui doivent être maintenues.

Les espèces clés
En Arnèrique du Nord, les campagnols du genre Myodes sont souvent associés aux vieilles forêts. Dans l’ouest du continent, les campagnols à dos roux de Californie (Myodes californicus) sont principalement retrouvés à l’intérieur des peuplements forestiers matures et ils évitent les bordures (Mills, 1995). En Alaska, les campagnols boréaux (Myodes rutilus) évitent les peuplements où plus de la moitié des épinettes ont été affectées par les épidémies d’insectes (McDonough et Rexstad, 2005). Au Québec, les campagnols à dos roux de Gapper réagissent également de façon négative aux perturbations naturelles comme les feux (Crête et al., 1995). Plusieurs études dèrnontrent que les campagnols à dos roux de Gapper sont plus abondants dans les sites non perturbés que dans les coupes forestières (Moses et Boutin, 2001; Cheveau, 2003; Fuller et al., 2004; St-Laurent et al., 2008; Sullivan et al., 2008). Donc, de façon théorique, les coupes partielles avec une forte rétention d’arbres favoriseraient les micromammifères associés aux vieilles forêts peu perturbées ( e.g. campagnol à dos roux de Gapper) tandis qu’une faible rétention favoriserait plutôt celles associées aux jeunes forêts perturbées (e.g. campagnol des champs). C’est d’ailleurs ce qu’ont observé Cheveau (2003), Fuller et al. (2004) et Klenner et Sullivan (2009).

Pourtant, plusieurs autres études suggèrent le contraire. Les campagnols à dos roux de Gapper ont répondu de façon variable aux aménagements forestiers dans l’ouest des ÉtatsUnis (Carey et Johnson, 1995; Gitzen et al., 2007) et au Québec (Etcheverry et al., 2005). Steventon et al. (1998) a observé une augmentation de l’abondance des campagnols à dos roux de Gapper dans des forêts légèrement coupées, mais une diminution marquée lorsque l’intensité augmentait. De plus, Kirkland (1990) affirme que 15 études sur 21 (menées entre 1956 et 1987) démontrent que les coupes totales engendrent une augmentation des populations de campagnols à dos roux de Gapper. Au Québec, Etcheverry et al. (2005) suggèrent que cela serait dû à une sélection très prononcée des microhabitats (e.g. bois mort) maintenus après coupes. Or, avec le temps, ces microhabitats disparaîtraient ou ne répondraient plus aux besoins des campagnols à dos roux de Gapper dans les coupes totales. Certaines populations se sont extirpées des coupes totales après 4 à 5 années suivant la récolte (Sullivan et Sullivan, 2001; Sullivan et al., 2008). D’autre part, les espèces associées aux perturbations, telles que la souris sylvestre (Steventon et al., 1998; Sullivan et Sullivan, 2001; Pearce et Venier, 2005; Le Blanc et al., 2010) et les campagnols des champs (Sullivan et Sullivan, 2001; Etcheverry et al., 2005; Klenner et Sullivan, 2009) sont généralement plus abondantes dans les coupes mais certaines études démontrent que ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, Etcheverry et al. (2005), Moses et Boutin (200 1) et Hom yack et al. (2005) n’ont observé aucun changement au niveau de l’abondance des souris sylvestres suite aux coupes forestiéres.

Autres espèces de l’aire d’étude
En ce qui concerne les autres espèces retrouvées dans notre aire d’étude, elles ne sont pas considérées comme indicatrices d’aménagement forestier durable car les effets des perturbations naturelles et anthropiques sont nuls sur ces espèces (espèces généralistes) ou ils sont encore relativement méconnus. La musaraigne cendrée (Sorex cinereus) est probablement la plus commune des musaraignes au Canada et la plupart des études démontrent que leurs populations restent stables suite aux coupes forestiéres (Steventon et al., 1998; Ford et Rodrigue, 2001; Cheveau, 2003; Pearce et Venier, 2005). En ce qui concerne la grande musaraigne, (Blarina brevicauda) elle se trouve en plus grande abondance dans les forêts matures et peu perturbées (Kirkland, 1977; Fuller et al., 2004) alors que d’autres chercheurs ont capturé davantage de cette espèce dans les éclaircies précommerciales et les coupes totales (Etcheverry et al., 2005; Kaminski et al., 2007). Malgré le manque de support statistique fiable, les phénacomys (P henacomys intermedius; Sullivan et Sullivan, 2001) ainsi que les souris sauteuses des bois (Napaeozapus insignis; Kaminski et al., 2007) ont été capturées en plus grande abondance dans les forêts coupées comparativement aux forêts témoins. Pour ce qui est des souris sauteuses des champs (Zapus hudsonicus), aucune information sur l’effet des coupes n’est disponible, probablement en raison de la grande difficulté à piéger cette espèce (Bury et Corn, 1987). Les deux seules musaraignes pygmées (Sorex hoyi) piégées lors de l’étude de Simon et al. (2002) se trouvaient dans les coupes totales, mais il ne s’agit évidemment pas d’une tendance statistiquement valide. L’effet des coupes forestières sur la musaraigne palustre (Sorex palustris) est inconnu, probablement en raison de son écologie étroitement liée aux cours d’eau (Beneski et Stinson, 1987). Des campagnols des rochers (Microtus chrotorrhinus), une espèce relativement rare, ont été observés dans des peuplements matures mésiques (Orrock et Pagels, 2003). Par contre, Kirkland ( 1977), a observé des campagnols des rochers, en plus des campagnols-lemmings de Cooper (Synaptomys cooperi), dans des coupes totales.

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
La situation forestière et l’aménagement écosystémique au Québec
Les micromammifères et 1 ‘aménagement forestier
L’importance du bois mort pour les micromammifères
Utilisation des DLG par les micromammifères en forêt aménagée
Implication d’effets de densité sur les relations faune-habitat
Clés d’identification pour un échantillonnage plus fiable
Objectifs de l’étude
CHAPITRE I  SMALL MAMMAL RESPONSES TO COARSE WOODY DEBRIS DISTRIBUTION AT DIFFERENT SPATIAL SCALES IN MANAGED AND UNMANAGED BOREAL FORESTS
1.1 Introduction
1.2 Material and methods
1.2.1 Study area
1.2.2 Small marnrnal trapping design
1.2.3 Microhabitat sampling
1.2.4 Statistical analyses
1.3 Results
1.3.1 Microhabitat sampling
1.3.2 Small marnrnals trapping survey
1.3.3 Fine-scale microhabitat associations
1.3.4 Stand-scale microhabitat associations
1.4 Discussion
1.4.1 Boreal small marnrnal associations with CWD
1.4.2 CWD as a mitigating factor for tree removal
1.4.3 The effects of scale on microhabitat associations
1.5 Management implications
1.6 Acknowledgrnents
1. 7 References
APPENDICE A CLÉS D’IDENTIFICATION DES MICROMAMMIFÈRES BORÉAUX DU QUÉBEC : APPLICATION À DES SPÉCIMENS VIVANTS AINSI QU’À DES RESTES OSSEUX
A.l Introduction
A.l.l Identification des micromarnrnifères vivants
A.l.2 Identification des micromammifères selon les restes osseux
A.2 Application des clés
A.2.1 Clé d’identification des micromarnrnifères vivants (Cl)
A.2.2 Clé d’identification des micromarnrnifères selon les restes osseux (C2)
A.3 Conclusion
A.4 Cl :Clé d’identification des micromammifères vivants
A.5 C2: Clé d’identification des restes osseux
A.6 Bibliographie
CONCLUSION GÉNÉRALE

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