L’abandon par les auteurs de violences conjugales de la formation « Praxis »

Dans une relation amoureuse, il y a des hauts et il y a des bas. Il arrive de se fâcher et de se disputer, mais en arriver aux violences conjugales, c’est un pas plus loin, car elles impliquent de graves conséquences. Elles s’inscrivent généralement dans un désir de domination de l’autre et les violences peuvent devenir davantage fréquentes et davantage violentes afin d’atteindre cet objectif. Il peut s’agir de violences psychologiques, verbales, envers des objets, physiques et/ou sexuelles. L’auteur de ces violences aura souvent la tendance à minimiser les faits et à justifier ses actes par un élément extérieur comme l’alcool, la drogue, le stress voire la provocation de la victime. Néanmoins, la violence conjugale est un délit puni par la loi et constitue une circonstance aggravante personnelle dans les délits contre les personnes en vertu de l’article 410 du Code pénal belge qui tient à la qualité de la relation entre la victime et l’auteur (Amnesty International, s.d). Diverses options s’offriront au juge correctionnel qui devra statuer sur ce type de dossiers. Dans ce travail de fin d’études, nous allons nous intéresser aux alternatives à la privation de liberté et plus spécifiquement à la probation.

La probation inclut la peine de probation autonome , mais aussi le sursis probatoire et la suspension probatoire . Une fois que le justiciable aura consenti à cette alternative, il devra respecter diverses conditions fixées par le juge correctionnel ou la commission de probation, durant un délai d’épreuve. Un assistant de justice de la maison de justice la plus proche sera chargé du suivi du justiciable. En cas de non respect, la commission de probation pourra faire une proposition de révocation au parquet pour qu’une peine soit prononcée dans le cas d’une suspension ou pour voir appliquer la peine subsidiaire en ce qui concerne le sursis probatoire et la peine de probation autonome (Seron, 2020). Parmi les conditions qui peuvent être fixées dans le cadre d’une probation, c’est la formation qui va attirer notre regard.

La formation est une mesure socio-éducative dans la communauté qui consiste en un processus d’apprentissage, individuel ou en groupe, au contenu relativement précisé en amont et selon un programme structuré. Elle comporte une dimension sociale et permet à l’auteur de l’infraction d’éviter les effets nocifs de la peine de prison et d’avoir un rôle actif dans le processus judiciaire en travaillant sur soi. De fait, un avantage non-négligeable des mesures probatoires est qu’elles permettent de conserver une certaine insertion dans la société, car le justiciable reste libre et sa vie familiale, sociale et professionnelle ne sont pas mises à mal (Puglia & al. 2019). Cependant, la formation ne permet pas d’apprendre un métier et reste réellement une sanction. En effet, elle revêt d’une certaine forme de pénibilité par son nombre d’heures et sa fréquence. L’objectif est d’apporter une évolution dans les connaissances, les comportements et l’attitude des usagers. La notion de responsabilité est également centrale (Seron, 2020).

La formation Praxis comme condition probatoire 

L’ensemble des acteurs professionnels intervenant dans le suivi et l’exécution de la formation Praxis comme condition de probation sont unanimes sur le fait que cette formation est très régulièrement reprise comme condition dans un dispositif probatoire en cette matière. En effet, il s’agirait de « la condition tarte à la crème » pour les magistrats dans les dossiers de violences intrafamiliales. Les justiciables sont d’ailleurs toujours très ravis lorsque le juge leur propose un dispositif probatoire avec cette condition et n’hésitent guère longtemps à l’accepter. Néanmoins, un formateur a tout de même relevé que certains justiciables avec plus de moyens préfèrent parfois se tourner vers des thérapeutes privés.

Ensuite, les personnes interrogées pointent divers avantages à cette formation qui traitent de ce type de violences en profondeur. Tout d’abord, la dynamique de groupe est ce qui a été cité au cours de la majorité des entretiens. En effet, le fait de pouvoir entendre d’autres faits, d’exposer les siens devant le groupe, permet d’ouvrir le débat et d’amener une véritable réflexion. Les participants vont pouvoir expérimenter, communiquer et être secoués. Le fait qu’ils soient avec des personnes qui sont dans la même situation peut également les rassurer. Certains estiment également que la plus-value se trouve parmi les formateurs. Ces derniers connaissent parfaitement le sujet et sont très bien formés pour appréhender les auteurs de violences conjugales. Une formatrice explique également que Praxis reste très disponible par téléphone et par mail en dehors des séances et même après leur formation afin d’aider la personne en cas de besoin notamment lorsqu’elle ressent un risque de récidive. Les assistants de justice apprécient également le cadre strict de Praxis. Ajoutez à cela la contrainte judiciaire et un véritable engagement peut avoir lieu. Cela pousse même certains justiciables à continuer ce travail sur base volontaire une fois leur probation terminée. Une formatrice avance que 30% des participants qui vont à la formation Praxis en dehors de toute contrainte judiciaire sont des anciens judiciarisés. Pour les autres, il s’agira tout de même d’un « petit bout de chemin personnel » dans ce long processus de changement. Il est néanmoins intéressant de constater qu’aucun membre de commission de probation ne pense qu’un travail volontaire est possible chez Praxis. Selon eux, cela n’existe pas, « C’est comme les poissons volants ».

Concernant le dispositif probatoire et sa contrainte judiciaire, la majorité des professionnels sont d’accord pour dire que cette contrainte a un effet bénéfique dans la réalisation du parcours de responsabilisation. En effet, selon eux, elle permet de les maintenir dans le groupe, bien plus que les participants volontaires, car ils savent que s’ils ne s’y rendent plus, des conséquences s’ensuivront telles qu’une peine d’emprisonnement et un casier judiciaire. Ils expliquent que de prime abord, les justiciables ne sont pas très preneurs lorsqu’on leur explique en quoi la formation consiste. Ils éprouvent des réticences par rapport au fait de devoir déballer leur vie personnelle à des inconnus. La contrainte va avoir un effet sur le fait de ne pas vouloir y aller, cela va leur permettre de se lancer, « c’est parce qu’ils sont tenus qu’ils iront ». De plus, la majorité des auteurs de violences conjugales ne feraient rien s’ils n’y étaient pas obligés. En effet, selon un membre de la Commission de probation de Liège, « le fait qu’il y ait une contrainte donnera toujours de meilleurs résultats que s’il n’y en avait pas ». Cette contrainte permettrait également, en principe, de développer une demande et une motivation au changement. Dans le cas contraire, il faut trouver d’autres leviers, d’autres bénéfices pour faire persévérer le participant. Finalement seule une personne, un assistante de justice, considère que les usagers volontaires ont une meilleure adhésion à la formation que les justiciables, car ils éprouvent une réelle envie de présence et de changement.

Ensuite, certains intervenants avaient également quelques critiques au sujet de la formation Praxis comme condition de probation. Tout d’abord, une moitié des acteurs ont soulevé que les juges demandaient trop facilement une formation Praxis dans le cadre des violences conjugales sans réellement connaitre les conditions d’entrée de cette formation. En effet, certains profils ne sont pas du tout adaptés pour cette mesure, ce qui oblige souvent la commission de probation à devoir adapter cette condition en un suivi individuel. Il en va de même pour les justiciables qui acceptent la mesure sans aucune hésitation alors qu’ils ne savent pas en quoi cela consiste. Par conséquent, cela donne des participants qui ne tiennent pas ou qui sont là, qui vont parfois jusqu’au bout, mais sans réellement se remettre en question et qui se prêtent tout simplement au jeu en attendant que ce soit fini. Malheureusement, « on ne peut par leur demander plus » dans ce cas, mais la question de la récidive et de l’utilité de ce travail se pose. Ensuite, une formatrice considère que la formation Praxis n’utilise pas suffisamment les données probantes de la littérature, ce qui rend cette mesure insuffisante. La prise en charge reste relativement générique et non basée sur les besoins criminogènes ; il y a peu d’individualisation. Il y aurait également un manque de temps et un manque de moyens face au nombre de dossiers. Les formateurs relèvent également tous les deux que le terme « formation» n’est qu’un terme administratif et qu’en réalité il s’agirait plutôt d’un accompagnement thérapeutique, d’une prise en charge à visée de changement. En effet, « il n’y a pas de contenu de formation […], et à la fin, ils ne reçoivent pas une sorte de diplôme ». Enfin, un assistant de justice reproche le cadre trop strict chez Praxis, notamment le fait de ne pas accepter des profils trop impulsifs ; il trouve cela très paradoxal dans ce type de dossiers. Puis il leur reproche également de ne pas appliquer ce cadre strict à tout le monde. Certains auraient droit à une plus grande marge de manœuvre que d’autres, il explique qu’« il y a un peu des chouchous ». Il ressent également une mauvaise collaboration avec l’ASBL, une certaine animosité entre les deux institutions avec très peu de communication et des réunions datant d’il y a des années. Affirmation qui est contredite par un de ses collègues qui met en valeur un très beau travail d’équipe avec des échanges fluides et constructifs, un cadre effectivement strict, mais il estime qu’« ils ont raison, sans ça ce serait la foire». Les autres intervenants accordent également beaucoup de mérite à ce cadre très strict perçu comme nécessaire. Il en va de même concernant les conditions de participation, car des résultats sont attendus et pour cela il faut des auteurs qui correspondent et des groupes qui puissent fonctionner.

Finalement, il leur a été demandé quel regard les justiciables pouvaient porter sur la formation Praxis. La majorité des acteurs relève des retours plutôt positifs de la part des participants sous contrainte probatoire. Il s’agirait pour eux d’un endroit où ils peuvent enfin parler de manière honnête et ouverte sans avoir cette crainte d’être jugé. Ils reconnaissent également l’effet positif que la formation a sur leur comportement et sur leurs réflexions et qu’il s’agit d’une expérience humaine très intéressante. Cependant, il y a aussi bon nombre de retours négatifs considérant que la formation est infantilisante, injuste, trop contraignante, trop stricte, trop autoritaire, diabolisante, inutile ou encore ressentie comme une deuxième sanction. Il y aurait donc effectivement deux pôles : ceux qui adorent et ceux qui détestent, puis avec un entre-deux avec des personnes qui ont apprécié, mais ne veulent cependant pas l’admettre.

Table des matières

INTRODUCTION
QUESTION DE RECHERCHE
MÉTHODOLOGIE
Participants
Outil de récolte
Procédure
Aspects éthiques
Stratégie d’analyse
RÉSULTATS
La formation Praxis comme condition probatoire
La complexité du phénomène d’abandon
Les facteurs prédicteurs de l’abandon
Des stratégies de prévention contre la problématique de l’abandon
DISCUSSION
La formation Praxis comme condition probatoire
La complexité du phénomène d’abandon
Les facteurs prédicteurs de l’abandon
Des stratégies de prévention contre la problématique de l’abandon
Hypothèses
Forces et limites de la recherche
Perspectives futures
Conclusion

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