L’autonomie professionnelle

L’autonomie professionnelle

Déviance déloyale, initiative heureuse ou nouvelle norme [PERRENOUD-2000+, l’autonomie professionnelle est à la fois perçue comme exigence et revendication. A ce titre, elle pourrait être le fruit d’un consensus entre décideurs et professionnels salariés, mais force est de constater que l’autonomie attendue par les hiérarchies correspond rarement à celle espérée par les subordonnés : L’injonction d’autonomie est concomitante d’un accroissement de normalisation ; l’individualisme grandissant est simultané d’une obligation de communication exacerbée au sein des collectifs professionnels. Ces variations d’appréciation, voire ce malentendu, naissent de l’aspect polysémique de la notion d’autonomie, autonomie qui peut être individuelle (intellectuelle et/ou physique), professionnelle mais aussi collective, différents sens pouvant apparaitre en fonction des contextes, des domaines d’activités (santé, politique, économie, société …) auxquels ils s’appliquent, des valeurs de référence. 

Le concept d’autonomie

Du grec auto (soi-même) et nomos (règle, norme), l’autonomie peut être définie, sur le plan juridique et étymologique, comme la capacité à se forger ses propres lois, ses propres règles et références. Valeur éminemment éthique, l’autonomie, au sens philosophique, apparait comme un trait distinctif de la personne humaine, droit fondamental. Au sens psychologique, l’autonomie d’un individu est variable et procède d’un développement personnel. La capacité d’autonomie résulte alors de « l’intériorisation de règles et de valeurs, consécutive à un processus de négociation personnelle avec les divers systèmes normatifs d’interdépendance et de contraintes sociales »351.Au sens du droit, dépendante d’un contexte, elle est ou n’est pas. Pour AUZOULT (2008), l’autonomie peut être abordée comme un état psychologique, une variable de la personnalité, une attitude, une valeur, une norme. RENAULT (2013), précise que «l’autonomie est une norme politique et éthique fondamentale ». En remontant l’histoire, le premier sens donné à l’autonomie est d’ordre politique. Elle concerne une province, un pays ayant une capacité à s’administrer lui-même ou de gouverner selon ses propres lois352 . Par analogie, au siècle des Lumières, elle est attribuée à une personne ayant la faculté de se déterminer par elle-même, de choisir, d’agir librement. Elle a donc un rôle émancipatoire et décisionnel. Pour KANT,« la liberté de la volonté consiste à ne pas dépendre des causes étrangères, elle réside dans une autonomie, c’est à dire la propriété d’être à elle-même sa propre loi » et« la loi morale n’exprime donc pas autre chose que l’autonomie de la raison pure pratique, c’est-à-dire de la liberté, et cette autonomie est elle-même la condition formelle de toutes les maximes, la seule par laquelle elles puissent s’accorder avec la loi pratique suprême ».353 Ainsi l’individu est autonome s’il choisit volontairement et librement son action ou attitude la jugeant universellement la meilleure. A noter que cette approche kantienne n’est pas celle des pays anglosaxons, l’autonomie y étant vue plus comme une indépendance négociée, plus proche de l’individualisme. Pour sa part, JANKELEVITCH fait un rapprochement entre autonomie et spontanéité par rapport à la loi354 . L’autonomie est donc sur le plan philosophique souvent associée à la liberté, l’indépendance morale et intellectuelle. MORIN (1981) définit l’autonomie comme une liberté relative et l’associe de fait à la dépendance : « La notion d’autonomie ne peut être conçue qu’en relation avec l’idée de dépendance et ce paradoxe fondamental est invisible à toutes les visions dissociatrices pour qui il y a antinomie absolue entre dépendance et indépendance » .En sociologie, l’autonomie est une dimension incontournable de la vie sociale. Souvent confondue, avec la liberté, l’indépendance, l’autonomie renvoie nécessairement à la responsabilisation de chacun. EHRENBERG au travers de plusieurs ouvrages, en observant les modifications de la société de ces dernières décennies, relie la notion d’autonomie actuelle à la subjectivité individuelle et collective. Force est de constater qu’aujourd’hui, les individus oscillent entre un individualisme et un « conformisme généralisé » , faisant cohabiter à la fois l’autonomie et l’anomie358 en lien avec une perte d’influence des dogmes religieux, politiques… La « révolution des mœurs » des années soixante, la pluralité des modèles familiaux, en brisant des carcans, semblent être associer à une autonomie sociale et individuelle. Dans le même ordre d’idée, la désertion des églises, le believing without belonging, « croire sans appartenir »359 ainsi que les revendications démocratiques, tant au niveau national que professionnel, traduisent un refus de l’hétéronomie ou plus exactement à un refus de règles souvent ancestrales que l’individu contemporain ne reconnait plus. L’hétéronomie autoritaire (étatique, patriarcale…) fait place à d’autres formes de pouvoir véhiculées par le monde de l’information : Société de consommation, mondialisation, réseaux sociaux… qui imposent d’autres normes en structurant les représentations sociales. 

L’autonomie au travail

Alors que la capacité d’initiative et plus généralement l’autonomie est prônée ou exigée, le travail se formalise de plus en plus en vue de performance à moindre coût, une réactivité à un environnement instable, une satisfaction des usagers ou clients. La mise en place de nouvelles formes de régulation et contrôle du travail des salariés « ont pu être interprétées dans le sens d’une perte de contrôle des professionnels sur leurs activités, voire d’une remise en cause radicale de leur autonomie » [BARRIER-2011]. DORTIER (2010), pour sa part, identifie trois âges de l’autonomie au travail : celui de l’autonomie cachée, où des ouvriers disposaient d’une certaine latitude décisionnelle, étant seuls à connaitre le fonctionnement de leur machine, à l’instar de ceux qui les dirigeaient. Le deuxième temps est celui de la conquête, l’autonomie étant devenue une revendication entre 1960 et 1980, concomitante d’une critique de la hiérarchie, finalement acceptée par les managers en raison de la qualité produite. A partir des années quatre-vingt-dix, l’autonomie acquise et requise devient un piège du fait de la mondialisation, de la crise économique qui génèrent une course à la rentabilité. Pour BIGOT (2014), l’autonomie devenue un leitmotiv, n’est plus envisagée comme un processus mais un état, « nouvel idéal moderne ». Elle s’accompagne alors de l’angoisse de la performance, de l’autoévaluation permanente, responsabilisation et autonomisation, qui transforment « en normes – parfois contraignantes – les aspirations de chacun à la liberté, à la création, à la réalisation ». Ce déplacement, selon l’auteur, amène à une classification à deux termes : autonome ou pas autonome, l’initiative étant devenue une obligation voire une contrainte. Pourtant, si on reprend la définition de CROZIER et FRIEDBERG (1977+, l’autonomie professionnelle se traduit par « la capacité de l’acteur à élaborer, choisir et mettre en place des stratégies en prenant en compte les contraintes et les opportunités », sous entendant plus une notion de liberté que de dictat. DE TERSSAC (2012) présente la notion d’autonomie au travail selon trois conceptions : 181  « L’autonomie est une réaction contre des dispositifs et des décisions hétéronomes», le travailleur n’étant pas un sujet passif, cherchant à contourner les contraintes du travail.  « L’autonomie, c’est la capacité stratégique d’affirmation de ses choix », une capacité d’adaptation à son environnement.  « L’autonomie est une façon de contrôler le processus d’action et d’interaction », un moyen de régulation sociale, permettant au salarié d’échapper aux règles hiérarchiques tout en créant ses propres normes. Quel que soit le degré de formalisation du savoir-faire, il demeure une part d’incertitude dans la réalisation du travail et la course à l’innovation démultiplie les démarches de conception qui par définition ne sont pas encore codifiées. Dès lors, la confrontation à des évènements aléatoires, réclame réactivité et initiative pour éviter le dysfonctionnement. Celui qui travaille doit non seulement exécuter des taches mais aussi réfléchir à la meilleure façon de procéder individuellement et en collaboration avec d’autres. Dans le monde du travail, l’autonomie d’un salarié, et surtout d’un cadre, est souhaitée par sa hiérarchie voire valorisée dès lors que cette capacité permet d’atteindre les objectifs fixés. Elle demeure, par contre, sous contrôle car toute initiative, aussi bonne soit-elle, ne doit pas menacer les décisions des instances dirigeantes. C’est le paradoxe de l’autonomie élargie mais maîtrisée par les contraintes institutionnelles. Il s’agit alors de gérer la flexibilité disponible *DE TERSSAC-2012] dans une organisation normalisée, de trouver un compromis entre une vision macro au niveau institutionnel et une vision micro au niveau de chaque entité professionnelle. Du point de vue individuel, cette autonomie peut soit être perçue comme un espace de liberté, de respiration voire être une « valeur régulatrice face aux contraintes du travail » [DONIOL-SHAW-1999] soit lorsqu’elle est prescrite, être subie et synonyme de responsabilité trop lourde à assumer. Le sujet établit donc une relation complexe avec cette notion, une ambivalence entre désir et crainte, entre risque et sécurité, entre réflexe et réflexion comme le souligne LINARD (2003) , qualifiant l’autonomie de « capacité de haut niveau, cognitive mais aussi psychologique et sociale, qui implique des qualités d’attention, d’autocontrôle, d’intelligence, de confiance en soi et de relation que peu d’individus possèdent ensemble à l’état naturel ». L’auteur distingue alors deux niveaux d’autonomie : l’un élémentaire, commun à tous fait de réflexes et d’auto régulation fonctionnelle, l’autre plus complexe, dit niveau supérieur, relevant de la conduite intentionnelle, alliant pensée réfléchie, définition des possibles et stratégies. 

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