Le duc Ranuccio I Farnese, entre gloire et austérité 

Le duc Ranuccio I Farnese, entre gloire et austérité 

C’est en 1545 que le pape Paul III, Alexandre Farnese, cède le duché de Parme et de Plaisance à son fils Pier Luigi  . Jusqu’en 1731, les Farnèse vont gouverner ces deux duchés sous la même couronne en développant la magnificence des arts et en devenant d’importants mécènes et de grands protecteurs d’artistes  . La protection des arts et des lettres était effectivement le seul moyen d’augmenter la gloire d’un petit État comme celui des Farnèse  qui de plus était soumis à la puissance de la couronne espagnole  . La vertu, et son encouragement, était également une idée importante et qui contrebalançait l’influence politique de Machiavel dans l’Italie de la fin du XVIe siècle  . Le règne de Ranuccio I er, de 1592 à 1622, combinera une rigueur austère soumise aux lois de la « Raison d’État » et une politique culturelle destinée à exalter la gloire de la dynastie . Ainsi que le souligne Umberto Benassi, les subterfuges, la simulation et la dissimulation caractérisent l’état d’esprit et la politique du duc Ranuccio, mais reflètent également la manière de penser et d’agir de la société et de la diplomatie du XVIIe siècle . Avec Ranuccio, le duché perd une grande partie de son importance européenne pour renforcer sa place parmi les puissances italiennes . En effet, le duc de Parme est tiraillé entre l’obsession de sa grandeur et le désir de se consacrer pleinement et dans tous les détails à l’exercice du pouvoir dans son État. Les années de son gouvernement sont en effet très difficiles puisque explosent toutes les contradictions économiques, sociales et culturelles accumulées pendant le siècle précédent . Il réussit néanmoins, vers la fin de sa vie, à faire formellement reconnaître son duché comme un État indépendant et légitime du Nord de l’Italie et à donner une reconnaissance internationale à la famille Farnèse . Les années où D’India commence à fréquenter la cour des Farnèse coïncident avec celles où le duc Ranuccio cherche désespérément à avoir un héritier. Le prince Alessandro Farnese naîtra en 1610 – D’India a participé aux célébrations de sa naissance à Plaisance – dans un contexte marqué par le soupçon sur la stérilité du duc ainsi que par une croyance superstitieuse à une malédiction.. En effet, le prince Alessandro est né sourd et muet . Les spéculations autour de la maladie du prince ne feront que se renforcer dans les années suivantes. Ainsi, durant l’année 1616, le duc recourt, sans succès, à l’exorcisme et à d’autres remèdes destinés à guérir son fils . Parme est en effet une ville connue pour la présence d’alchimistes, de sorciers et de guérisseurs . Le prince Alessandro mourra à l’âge de vingt ans à Parme. C’est donc son frère, Odoardo Farnese, né en 1612 et dont le précepteur fut le marquis Pietro Francesco Malaspina degli Edifizi  – personnage dont on a longuement parlé à propos du Deuxième livre des madrigaux de D’India – qui deviendra le duc de Parme à la mort de son père en 1622. 

La vie musicale, artistique, politique et spirituelle du Stato Farnese 

Comme le souligne Francesca Dallasta , nous ne disposons d’aucune étude complète sur le mécénat de Ranuccio Farnese, mais de travaux partiels tels ceux de Giovanni Drei (1954)20, de Marzio dall’Acqua (1978 et 1992)21 ou de Romano Canosa, qui est l’un des ouvrages les plus récents sur la question (2001)22. À ces précieux travaux nous pouvons ajouter le livre d’Alberto Spigaroli (2007)23 sur l’histoire du palais ducal de Parme, celui de Clare Robertson (2008)24 sur les rapports des Farnèse avec les Carrache, un ouvrage collectif (2010)25 sur les rapports entre l’art et la politique chez les plus importants cardinaux de l’Italie entre le XVe et le XVIIe siècles dont le cardinal Farnèse, ainsi que l’article de Giuseppe Martini (2010)26 sur la musique sacrée à Parme à l’époque de Ranuccio. La vie musicale du duché des Farnèse donne l’impression d’être, au tout début du XVIIe siècle, fortement homogène  . C’est en effet au XVIIe siècle que va se développer le caractère « institutionnel » du mécénat musical de cette famille . Dans le but d’avoir les meilleurs artistes dans leur cour, les Farnèse n’hésitent pas à dépenser des sommes importantes ni à les recruter dans les plus prestigieux centres artistiques d’Italie comme Venise, Florence ou Rome, signe de la très bonne réputation acquise par les ducs de Parme en tant que mécènes artistiques à cette époque . Cela a permis également une grande mobilité d’artistes et d’hommes de lettres à l’intérieur d’un territoire pourtant fragmenté . Ranuccio cherche à exploiter sur le plan politique la tradition de mécénat musical de son grand-père le duc Ottavio Farnese (1525-1586). En effet, dans le duché des Farnèse comme ailleurs, la tradition des giostre, des tournois et des entrées triomphales s’était consolidée au cours du XVIe siècle  , la fonction des musiciens ne se limitait pas à rythmer la vie de la cour ; leur art était également un instrument de propagande destiné à embellir les cérémonies des églises les plus importantes, à montrer ostensiblement la volonté du souverain d’orienter les pratiques cultuelles et d’augmenter le nombre des lieux de culte dans une ville qui manquait d’une direction spirituelle efficace . Ranuccio Farnese utilise donc l’élément musical sacré comme le meilleur moyen de diffusion de messages propagandistiques destinés à conquérir de nouveaux espaces politiques  . Ainsi, les compositions pompeusement baroques de Gasparo Villani (organiste, tout comme son frère Gabriello, à l’église de Santa Maria di Campagna à Plaisance) représentent le type de musique « officielle » des Farnèse pour les cérémonies et les célébrations ; et au sein même de cet aspect « officiel » cohabitent art, foi et culte . La musique sacrée constitue alors un laboratoire politique . En effet, les rapports de solidarité avec la papauté de la Contre-Réforme furent déterminants pour le duché de Parme du fait de la concomitance de la naissance de cet État et du début de la restauration religieuse de l’Église.

 

Musiciens, chanteurs et dédicataires de la maison Farnèse entre Renaissance et Baroque

 La Chapelle ducale de Parme devient donc, au début du XVIIe siècle, l’ensemble musical le plus actif de la ville avec la Chapelle de la Cathédrale37 et celle de l’église de Santa Maria della Steccata38. Elles ont attiré des musiciens célèbres dans le but de développer un type de mécénat qui égale la magnificence et le luxe de celui des Gonzague, des Savoie, de la famille d’Este et des Medicis39. Dans le domaine de la musique profane, le duché de Parme continuera à étendre son rayonnement et son prestige. Ainsi, Domenico Mazzocchi a dédié sa Catena d’Adone aux Farnèse en 1626 comme Da Gagliano sa Flora deux ans plus tard40. De même, Monteverdi séjourna au moins deux fois à Parme entre octobre et décembre 1627 et en février 162841 dans le contexte des festivités des noces ducales entre les Farnèse et les Médicis et de celui de l’inauguration du théâtre Farnèse de Parme42. De nombreuses lettres de musiciens comme Domenico Mazzocchi, Antonio Goretti – qui fait part des traits narcissiques de D’India43 –, Alessandro Ghivizzani – qui exprime son ressentiment à ne pas avoir été choisi pour composer les musiques, dit du mal de D’India et menace d’interdire la participation de sa femme, Settimia Caccini, aux festivités44 – ou D’India, ont été envoyées à ce sujet. D’India adresse sa candidature pour les noces de Parme à Enzo Bentivoglio – prince de l’Académie degli Intrepidi, diplomate et organisateur de ces fêtes45 – une première fois le 26 août 1627  et une seconde fois le 2 septembre de la même année où D’India tente de discréditer la musique de Mazzocchi . N’ayant pas été retenu, il a tenté de négocier personnellement avec le duc de Parme et la princesse Marguerite de Médicis en septembreoctobre 1627 . L’Académie des Intrépides de Ferrare avait en effet une longue tradition de mécénat, elle deviendra au début du XVIIe siècle un instrument efficace de médiation politique des Farnèse . D’autres musiciens comme Andrea Falconieri ou la célèbre chanteuse Settimia Caccini, femme de Ghivizzani, fréquentent la cour de Parme entre 1622 et 162950. Le premier livre de madrigaux dédié à la maison Farnèse est le Deuxième livre de Giaches de Wert de 1564 , adressé au duc Ottavio Farnese52. Pietro Vinci , maître de chapelle à Bergame, lui dédie également son Premier livre à six voix en 157154. Quant au duc Ranuccio Farnese, le premier recueil de musique qui lui sera dédié est le Premier livre55 de Flaminio Tresti da Lodi de 1585.

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