Le livre tactile

Le livre tactile

Le développement de la conscience de l’écrit

La conscience de l’écrit fait référence à un ensemble de connaissances que l’enfant possède sur la langue écrite avant même de savoir lire (Giasson & Thériault, 1983). Selon ces chercheuses, la conscience de l’écrit se résume en quatre axes principaux : (i) connaître l’existence de la lecture (i.e. savoir qu’il existe un processus qui s’appelle « lecture » et qui consiste à établir une relation entre le langage oral et des signes graphiques), (ii) connaître les fonctions de l’écrit, (iii) connaître les conventions de l’écrit (e.g. lecture se fait de gauche à droite et de haut en bas), (iv) connaître les concepts de lettre, de mot et de phrase. Ces connaissances se développent de façon informelle, lors d’activités liées à la lecture, à la maison, à la garderie ou à la crèche (Yaden et al., 1999). Toutefois, les enfants non-voyants n’ont pas accès à des livres illustrés comme les voyants. Le travail des transcripteurs et éditeurs pour créer des livres tactiles est particulièrement chronophage et coûteux (Lewi-Dumont, 2016). De ce fait il y en a très peu sur le marché et certains enfants peuvent entrer à l’école sans jamais avoir eu accès à un livre (Claudet, 2014). Les enfants non-voyants n’arrivent donc pas avec le même bagage de connaissances que les enfants voyants (Chelin, 1999; Comtois, 1997; Koenig & Holbrook, 2000; Lewi-Dumont, 1997; Swenson, 1988). Le peu d’expériences qu’ils ont en communication écrite limite l’acquisition de compétences émergentes (Wormsley, 2003) et certains enfants n’ont pas encore compris la relation entre le langage parlé et le langage écrit en arrivant à l’école (Swenson, 1988). Le développement de la conscience de l’écrit nécessite chez les enfants non-voyants une intervention spécifique (Chelin, 1999; Comtois, 1997; Drezek, 1999; Koenig & Farrenkopf, 1997; Koenig & Holbrook, 2000; Lewi-Dumont, 1997; McGregor & Farrenkopf, 2002; D. Miller, 1985; Russotti, Shaw, & Spungin, 2004; Stratton & Wright, 1991; A. Swenson, 2003). Les performances en lecture des enfants sont en partie Le livre tactile 101 influencées par les conceptions qu’ils ont de l’acte de lire avant tout apprentissage structuré (Lewi-Dumont, 1997). Il est donc important que les enfants non-voyants puissent avoir facilement accès à du matériel et à des outils de lecture (Chelin, 1999; Drezek, 1999; Koenig & Holbrook, 2000; Lewi-Dumont, 1997; D. Miller, 1985; A. Swenson, 2003). La lecture à haute voix est une activité importante dans le développement de la conscience de l’écrit chez les enfants non-voyants (Chelin, 1999; Comtois, 1997; Koenig & Farrenkopf, 1997; Koenig & Holbrook, 2000; Lewi-Dumont, 1997; McGregor & Farrenkopf, 2002; D. Miller, 1985; Stratton & Wright, 1991). Dès le plus jeune âge, les enfants peuvent porter attention et apprécier les différents tons de la voix de la personne qui leur lit une histoire. Grâce à la lecture à haute voix les enfants de découvrent les sons, la structure d’une phrase, les mots, le débit, les rimes et le rythme, ce qui favorise le développement des habiletés langagières nécessaires au développement de la conscience de l’écrit. Cette activité permet de prendre conscience que les symboles ont un sens, que l’histoire provient de l’écrit et de favoriser le développement d’un attrait pour la lecture (Clay, 1991; L. Gibson, 1989; Neuman & Roskos, 1997; Teale, Sulzby, & Others, 1989) La lecture à voix haute permet également une implication progressive dans la lecture. Cela commence par le simple fait de tourner les pages (Miller, 1985). Pour les enfants non-voyants certains chercheurs recommandent que les mains de l’enfant soient placées sur celles du lecteur au cours de la lecture (Koenig & Holbrook, 2000; A. Swenson, 2003). En bougeant les mains de gauche à droite tout au long de la page, l’enfant découvre que les « points » forment des lettres. Lorsque l’enfant connait déjà l’histoire il peut terminer les phrases à la place du lecteur ou suivre seul une partie du texte avec le doigt et reconnaitre la configuration braille de certains mots familiers (Koenig & Holbrook, 2000). Toutes ces premières expériences permettent à l’enfant de développer une conscience de l’écrit en intégrant le concept de livre, de lecture, de lettre, de mot et de phrase.

La compréhension orale et écrite

La compréhension peut être définie comme l’acte de construire un sens à partir d’un texte écrit ou oral (Duke & Carlisle, 2011). Pour comprendre, l’auditeur ou lecteur doit tout d’abord accéder au sens des mots, puis traiter la syntaxe de la phrase et former une cohérence locale en faisant le lien avec les phrases précédentes (Duke & Carlisle, 2011). Pour former une cohérence locale il est nécessaire de comprendre les informations présentées explicitement dans le texte mais également de comprendre les informations qui peuvent en être déduites c’est-àdire faire des inférences (e.g. déduire à qui fait référence un pronom dans le texte) (Kintsch & Kintsch, 2005). Les informations qui viennent d’être mises en lien doivent ensuite être stockées en mémoire sous forme d’une représentation mentale de la situation, ou modèle mental (Johnson-Laird, 1983). Pendant la lecture, des représentations mentales sont construites de façon cyclique car l’information est continuellement traitée (Kintsch, 1998; Zwaan & Madden, 2004). Au fur et à mesure que le lecteur progresse dans le texte, le modèle mental est mis à jour. Cette mise à jour est obtenue en intégrant et en éliminant des éléments du modèle mental afin qu’il corresponde à la situation (Glenberg & Langston, 1992). Les processus de compréhension n’ont pas été étudiés en détail chez les enfants nonvoyants en partie parce que l’on suppose qu’ils sont identiques à ceux des voyants (Edmonds & Pring, 2006). La compréhension est axée sur deux processus principaux : l’accès au sens des mots et à la syntaxe des phrases et les capacités à faire des inférences. Les premiers mots appris sont souvent utilisés dans un contexte sémantique inadapté (e.g. utiliser le mot « chien » pour désigner tous les animaux à 4 pattes) (De Temple & Snow, 2003). Les enfants apprennent de nouveaux mots en manipulant des objets de façon conjointe avec une personne qui leur mentionne le nom de l’objet (Tomasello & Farrar, 1986). Au fur et à mesure des interactions les enfants apprennent un vocabulaire plus large. L’accès au sens des mots est plus compliqué pour les enfants non-voyants. En effet, ces derniers peuvent se construire des représentations 103 erronées sur des sujets très présents chez leur pairs voyants mais difficiles d’accès sans la vision (e.g. assimilation de la larve à l’insecte pour le mot papillon) (Lewi-Dumont, 2000). Chez les enfants voyants ou non-voyants avec de faibles performances en compréhension, on observe que la capacité à répondre à des questions nécessitant de faire des inférences est plus faible que pour les enfants ayant de bonnes compétences en lecture. Cependant, les capacités à répondre à des questions sur des informations explicites du texte sont similaires (Edmonds & Pring, 2006). Les auteures ont observé ce même résultat pour des textes lus ou écoutés et n’ont pas observé de différence de performance entre les enfants voyants et non-voyants pour des questions nécessitant de faire des inférences. Les auteures n’ont pas observé de différence entre les d’enfants voyants et non-voyants pour les questions sur des informations explicites, lors de la compréhension écrite. Cependant, pour la compréhension orale, il semble que les enfants non-voyants aient de meilleures performances que les enfants voyants. Selon les auteures, les enfants non-voyants ne pouvant pas acquérir de l’information par la vision auraient plus l’habitude de traiter des informations transmises verbalement. De ce fait, les informations transmises verbalement pourraient être plus saillantes pour les enfants non-voyants que pour les enfants voyants. Dans cette étude, les groupes d’enfants non-voyants et voyants sont appariés selon leur capacité de décodage en lecture (décodage). Cependant, au niveau de l’âge chronologique, les enfants non-voyants sont plus âgés que les enfants voyants (environ 2 ans). Ce décalage est en lien avec le retard observé d’environ 2 ans dans le développement des capacités de lectures chez les enfants non-voyants (Nolan & Kederis, 1969). 6.3. Importance des images dans la compréhension de l’histoire De nombreuses recherches avec des enfants voyants montrent que les illustrations permettent une meilleure compréhension du texte (Gambrell & Jawitz, 1993; Glenberg & Langston, 1992; Orrantia, Múñez, & Tarin, 2014; Pike, Barnes, & Barron, 2010). Peu de recherches ont été menées sur l’effet des illustrations pour la compréhension de texte chez les 104 enfants non-voyants. Bara et al. (2018) ont observé un meilleur rappel de l’histoire lors de séance de lecture à haute voix de livre avec un livre illustré par rapport aux lectures d’histoires sans illustrations. Cependant, cet effet est faible. L’auteure fait l’hypothèse que le fait de traiter des informations à la fois verbales et tactiles a pu augmenter la charge cognitive et diminuer l’effet bénéfique des images. Différentes hypothèses sont avancées pour expliquer l’effet bénéfique des images observé dans les études chez les voyants. Tout d’abord, les enfants apprécient plus les livres illustrés et sont donc plus impliqués dans les activités de lecture (O’keefe & Solman, 1987). Cet effet est également observé avec les livres tactiles chez des enfants avec une déficience visuelle (Bara et al., 2018; Norman, 2003). L’utilisation d’images pour illustrer les informations importantes permet aux enfants de traiter deux fois l’information : sous forme d’image et de texte. Cette répétition de l’information peut améliorer le rappel (Gyselinck & Tardieu, 1999; Levie & Lentz, 1982). De plus, l’illustration fournit une information imagée non verbale. Selon la théorie de double codage de Paivio (Paivio, 1971), les informations verbales et imagées sont traitées par deux canaux indépendants. Ce double traitement en parallèle peut également favoriser le rappel des informations. L’utilisation d’images pour illustrer un texte s’inscrit également dans la théorie de l’apprentissage multimédia de Mayer (2014). La présentation de mots et d’images permet de construire des modèles mentaux verbaux et imagés et de créer des liens entre eux. Lorsque le texte seul est présenté, les lecteurs doivent construire un modèle mental imagé à partir d’informations verbales uniquement ce qui demande plus d’effort. Les images peuvent donc faciliter le processus de construction du modèle mental (Glenberg & Langston, 1992) qui est crucial dans la compréhension des textes (Fang, 1996; 105 Glenberg, Meyer, & Lindem, 1987; Trabasso & Suh, 1993). Les lecteurs s’appuient sur des indices contextuels pour déterminer quelles informations doivent être ajoutées ou supprimées du modèle au fur et à mesure de la lecture (Ackerman, 1988; Gernsbacher, Varner, & Faust, 1990). Les illustrations font partie de ces indices, en particulier pour les jeunes lecteurs (Glenberg & Langston, 1992; Gyselinck & Tardieu, 1999) qui dépendent davantage du contexte pour traiter des informations du texte (Ackerman, 1988; Cain, Oakhill, Barnes, & Bryant, 2001). Les jeunes lecteurs sont capables de connecter les informations nécessaires pour maintenir la cohérence locale du texte, notamment les informations qui relient les causes à leurs effets immédiats (Casteel, 1993). Cependant, ils n’associent pas systématiquement des informations distantes dans le texte comme le font des lecteurs plus expérimentés (e.g. faire le lien entre le pronom « il » et le personnage auquel il fait référence) (Cain et al., 2001; van der Schoot, Reijntjes, & van Lieshout, 2012). La capacité à établir ce type de connexion atteint celle de bons lecteurs à la fin de l’école élémentaire (den Broek, Lynch, Naslund, Ievers-Landis, & Verduin, 2003; Trabasso & Nickels, 1992). L’utilisation des illustrations dans la production de représentations mentales est donc importante pour les jeunes lecteurs (Orrantia et al., 2014; Pike et al., 2010). En effet, la nécessité de faire le lien entre des informations distantes dans le texte peut impliquer une demande en mémoire de travail trop importante pour les jeunes enfants. Les illustrations peuvent les aider à intégrer et à réactiver les informations pertinentes (Orrantia et al., 2014). De plus, les illustrations rendent la relation entre les informations du texte plus évidente (e.g. l’image peut illustrer la relation entre deux personnages faisant une action, on rappelle alors les deux personnages impliqués dans la scène et l’action qu’ils sont en train de mener) (Gyselinck & Tardieu, 1999). La mise en évidence des relations entre les informations du texte peut réduire les exigences en mémoire de travail lors de la lecture de texte (Marcus, Cooper, & Sweller, 1996).

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