Le processus de conception créatif : origines, influences, modèles.

Lors de la première visite pédagogique organisée par la faculté d’architecture, les réalisations de Mies van der Rohe à Krefeld, une affiche à la gloire de l’architecte arborait fièrement un slogan, « less is more». La légendaire expression Miesiene, semblait avoir une portée magique, presque spirituelle. Cette phrase prêche une esthétique et une éthique qui s’auto-impose une économie expressive, où la simplicité est synonyme d’harmonie et de proportion. La recherche du vrai, la volonté de ne rien cacher, ce que revendique la pratique minimaliste est certainement la pensée qui m’a le plus influencé lors de mes études. Selon Aureli (2013), « less is more», ce n’est pas uniquement un principe esthétique, c’est aussi la base d’un impératif économique. Le monde capitaliste qui nous influence est plus qu’un processus d’accumulation, c’est la volonté perpétuelle d’optimiser le processus de production. Améliorer la production implique l’intention de réduire les coûts. La notion même d’industrie  est basée sur cette idée, être industriel signifie être capable d’obtenir les meilleurs résultats avec le moins de moyens (Raunig dans Aureli, 2013). La volonté d’une étude du processus de production architectural, rejoint l’idéologie capitaliste, dans le sens d’une recherche d’efficience et d’efficacité pour atteindre un résultat de meilleur qualité. Augmenter la probabilité d’un succès, fixer les attentes, réduire l’incertitude sont encore d’autres objectifs pratiques attendus par cette étude. Au-delà de l’influence capitaliste, tenter de comprendre le processus de conception d’un projet, apparaît comme une nécessité, tant ce domaine n’est pas enseigné, ni même abordé aux cours des études d’architecture. La motivation pour entreprendre cette recherche provient de ma pratique d’étudiant aux ateliers de projet d’architecture, qui me laisse l’impression d’une activité dévorante, où le rendement entre l’énergie déployée et le résultat obtenu me semblait extrêmement imparfait. Ce sentiment était certainement dû à un manque d’organisation et d’expérience, mais je pense aussi à un manque de connaissances des activités de conception. Des heures entières à examiner des images, sans vraiment savoir quoi chercher, en quête de l’inspiration. Le résultat de cette démarche me semble avoir provoqué une architecture superficielle, axée sur la forme, sans vraiment de sens. En plus de vouloir comprendre la conception, l’attrait pour ce domaine provient de la notion d’ordre que l’on tente d’y incorporer. L’architecture éprouve une intime attirance pour l’ordre et la mesure. La trame ordonnatrice, la symétrie en plan et coupe, l’attention aux détails sont des sujets récurrents de la pratique architecturale. Cette affection pour l’ordonnance et la mesure permet de systématiser les modes de construction, réduire les coûts et à l’évidence magnifier l’espace construit. Aussi, l’ordre suscite une émotion esthétique forte, comme la vue de l’ordre contrôlé d’un tableau d’Agnès Martin ou celle d’ordre géométrique d’un bâtiment de Mies van der Rohe. Ces sensations de plaisir que nous éprouvons reflètent la recherche chez l’homme d’un schéma, une tentative éternelle pour saisir une réalité, perpétuellement changeante, en lui imposant un ordre. Le troisième moteur de cette étude se trouve dans la recherche d’une compréhension de l’architecture. L’architecture souffre d’un problème de définition, elle soulève plus de questions que dans d’autres disciplines. Qu’est-ce que l’architecture? Est-ce un bâtiment? Est-ce un art? Est-ce une science? Cette recherche va tenter de comprendre l’architecture en se focalisant sur l’acte, la création, le faire. Il existe une quantité de définitions qui s’intéresse à l’architecture. Pour Claeys (2013), faire de l’architecture, c’est fabriquer un lieu, en tentant d’équilibrer les interactions entre la culture, l’homme et son environ – nement. Il semblerait qu’atteindre un équilibre entre tout ces composants, soit une tâche difficile, influencée par de nombreux facteurs. Certains chercheurs pensent que les activités de conceptions peuvent être établies scientifique – ment, qu’elles peuvent être envisagées comme un système complexe, qui peut être intelligible par un travail complet de modélisation (Boudon et al., 1989). D’autres pensent que c’est un acte impossible à pénétrer, ils sont partisans de « l’indéfinition» de l’architecture. Pour eux, le résultat du projet provient d’« interactions si nombreuses et si complexes qu’il est impossible de les appréhender » (Corajoud & Madec cité dans Claeys, 2013, p.VI). Bien que d’aucuns ne décrit la conception architecturale comme une activité simple et facile, la considérer à l’opposé comme un sujet impossible à étudier reviendrait à faire un aveu d’échec. On ne peut pas attendre beaucoup plus que les objectifs cités plus haut, toute étude sur la conception ne peut prétendre transformer l’architecture en une discipline simple et totalement intelli – gible, concevoir un édifice restera un problème compliqué. Pour envisager cette étude, il est important d’expliquer le cheminement qui à précédé la définition du sujet. J’ai débuté mes recherches avec la volonté d’étudier le processus créatif, cela m’a permis de découvrir la richesse des études concernant la créativité. Mais l’examen de la littérature sur le sujet à révélé que sa définition était trop réductrice et manquait de rigueur face à la complexité de l’activité architecturale. Les modèles de processus créatifs sont souvent réducteurs et trop généraliste. C’est pourquoi j’ai continué mes recherches dans le domaine de la conception, un domaine qui comprend une plus grande diversité d’activités. J’ai très vite développé une fascination pour la science du design, qui élève la conception au niveau d’une science, et les Design Methods issues des recherches de méthodologistes dans les années 60. Mais ce champ d’étude paraissait nier l’existence de l’intuition et de l’imprévu, que l’on discerne lors de la conception d’un projet. Ma recherche s’est donc précisée en dernier lieu sur l’étude du processus de conception qualifié de créatif, à mi-chemin entre la subjectivité individuelle de la créativité et la rigueur scientifique de la conception. Au vu de la multiplicité des aspects se rapportant à la créativité, il faut se restreindre à étudier un nombre limité d’entre eux. Lubart (2018) propose une division de la créativité sous sept aspects différents. Les sept aspects sont: le créateur, la création, la collaboration, le contexte, le produit de la création, la consommation et le curricula – le programme d’études -. Le terme créateur fait référence aux études sur les caractéristiques des individus créatifs, leurs personnalités et les facteurs innés. La création concerne le processus de travail accompli par les créateurs. La collaboration implique les interactions entre les collègues, les proches et l’individu créateur. Elle fait aussi référence aux interactions avec des objets utilisés dans le processus. Le contexte désigne l’environnement physique et social, le lieu où le processus se déroule, impliquant une pression qui va favoriser ou entraver le processus. Les créations sont les travaux tangibles et évaluables qui résultent du processus créatif. La consommation est l’absorption des créations par le public, et le terme de curricula désigne la formation, le développement et les techniques pour aider à structurer le processus de création. Tous ces sujets sont, interdépendants, se chevauchent et leurs contours sont flous et ambigus. La volonté de rendre plus efficace une pratique, oblige à se concentrer sur les facteurs où le concepteur pourrait avoir un pouvoir ou une influence. La recherche qui nous occupe va se concentrer principalement sur le créateur, l’acte de création, et les éléments qui peuvent influencer la créativité. Le créateur étant l’élément fondamental de l’acte de création, il sera abordé à travers les origines et les influences de la créativité. La partie de l’étude concernant les éléments qui influencent la création se réfère par extension à la notion de curricula de Lubart. L’aspect processus de travail de la création sera abordé à l’aide de modèles de conception.

VOLITIF, COGNITIF ET CONATIF 

Pour comprendre les processus de conception créatif, l’aspect mental et psychologique de l’individu créateur est un élément important à clarifier. Jean-Louis Swiners et Jean-Michel Briet (2004) déclarent que le processus créatif est un processus psychologique ou psychoso – ciologique, volitif, cognitif et conatif. Cette définition s’applique aussi au processus de conception créatif. Dans l’encyclopédie Universalis (2019), on trouve une définition pour le mot volitif et cognitif, en psychologie, le mot volitif est relatif à la volonté, à la faculté de se déterminer soi-même vis-à-vis de certains actes, la faculté d’agir avec énergie, avec constance. Pour créer, il faut d’abord le vouloir, avoir envie de modifier quelque chose. Selon Andler (2019) le mot cognitif provient du latin «cognoscere» qui signifie «connaître». La génération de la nouveauté dépend de processus cognitifs spéciaux tels que les mécanismes par lesquels les systèmes naturels ou artificiels acquièrent des informations sur leur monde, en construisent des représentations, les transforment en connaissances par des opérations spécifiques, puis les mettent en œuvre dans des actions, des comportements ou des fonctionnements. En d’autres mots, la cognition permet, entre autres, le raisonnement, le langage, l’intelligence et la prise de décisions. D’autres processus incluent les ramifications, la génération d’alternatives, la reconnaissance des similitudes, la création de liens distants, l’intuition et l’utilisation de méthodes heuristiques (Cropley, 2011). C’est la cognition qui permet également la «fluidité», le nombre d’idées, et la «flexibilité», le nombre de catégories distinctes impliquées dans les solutions découvertes (Cottraux, 2010).

Le dictionnaire de la psychiatrie des éditions du CILF propose une définition de la conation: le mot provient du latin «conatio» qui signifie tentative, effort, c’est un ensemble de processus psychiques permettant d’aboutir à l’action, par opposition à cognition, qui est l’ensemble de processus psychiques qui permet d’aboutir à la connaissance. La conation est synonyme de motivation, de désir ou de volonté, c’est ce qui oriente le choix de l’action (Goelzer et Legrand, 1999). Pour créer, il faut le vouloir puis savoir le «comment faire».

Table des matières

INTRODUCTION
PROLOGUE
L’émergence d’une problématique
DÉFINITIONS
L’importance des mots
Le processus
De conception
Créatif
Notion d’échelle
Volitif, cognitif et conatif
CONCEPTS
Design Methods et créativité
Désir de scientificité
Modèles
ORIGINES
Retour aux fondements
Que contient la tête ?
Le cerveau latéralisé
Une question d’intelligence ?
Une intuition cultivée
Faut-il encore le vouloir
Personnes et personnalité
INFLUENCES
Intrinsèque et extrinsèque
L’esprit de l’époque
Travail acharné ou connaissances ?
Le paradoxe des contraintes
Mode de pensée
Techniques et stratégies
L’art de s’en remettre à la réalité
MODÈLES
Représentation formalisée
The Art of Thought
The Universal Traveller
A Short, Grandiose Theory of Design
Notes on The Synthesis of Forme
Seeking Problem
Designerly Ways of Knowing
The Spiral Metaphor
CONCLUSION

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