Les dispositifs de pouvoir vecteurs d’un contrôle rationnel et normatif

Les dispositifs de pouvoir vecteurs d’un contrôle rationnel et normatif

La Discipline et le succès de la métaphore du Panoptique

Le pouvoir disciplinaire se caractérise par un ensemble de techniques d’individuation (Bert, 2011) qui visent à produire des individus productifs. Selon Foucault (1975, p.259), la discipline s’exerce dans tout type d’organisations, bien que la prison constitue la « figure concentrée et austère de toutes les disciplines ». L’individu est la cible du pouvoir disciplinaire : les techniques d’individuation opèrent par coercition individuelle des temps, des espaces, des mouvements, des corps, etc. Chaque individu est contrôlé et suivi individuellement afin qu’il adopte des comportements conformes. Le pouvoir disciplinaire est donc avant tout un pouvoir répressif : il est ce qui « domine, surgit, menace, écrase » (Foucault, 19994, p.402). L’individu est également le produit du pouvoir disciplinaire. Le pouvoir disciplinaire définit les individus comme des objets gérables qui ne sont pas réductibles à un noyau interne immuable. De ce fait, la subjectivité peut être écrasée par la Discipline. La métaphore du Panoptique, empruntée à Bentham, représente le mécanisme disciplinaire par excellence.

Le Panoptique repose sur deux principes : une surveillance diffuse (à la fois constante et discontinue) et une atomisation des individus. La crainte d’être considérés comme anormaux encourage les individus à faire des efforts pour revenir à la norme disciplinaire. Foucault (1975, pp.202-203) résume ainsi les effets du Panoptique : « Induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action ; que la perfection du pouvoir tende à rendre inutile l’actualité de son exercice ; que cet appareil architectural soit une machine à créer et à soutenir un rapport de pouvoir indépendant de celui qui l’exerce ; bref que les détenus soient pris dans une situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs ». 

Une remise en question théorique de l’approche disciplinaire 

La mobilisation de la métaphore du Panoptique soulève des critiques importantes, notamment quant à son caractère totalitaire et sa négligence de la subjectivité des acteurs. Le Panoptique suppose une obéissance inévitable des individus qui ne sauraient le résister. Les travaux de Bain & Taylor (2000) ont plus particulièrement remis en cause des conclusions de Fernie & Metcalf (1998) selon lesquelles l’organisation du travail dans les centres d’appel téléphoniques s’apparenterait au mécanisme du Panoptique. Selon ces travaux, le caractère totalitaire du Panoptique ne se retrouve dans la réalité, et ce pour trois raisons.

Tout d’abord, du fait du coût de la surveillance : une surveillance réussie nécessite de considérables ressources en temps et en énergie, ce que les organisations mobilisent difficilement. En second lieu, les diversions individuelles sont toujours possibles : dans le cas des centres d’appel téléphoniques, il est montré que les travailleurs expérimentés sont en capacité d’anticiper le contrôle dont ils font l’objet. Enfin, Bain & Taylor (2000) révèlent la persistance de solidarités collective, pouvant mener à des résistances collectives, malgré la surveillance et l’atomisation des travailleurs du centre d’appel. Dans le cadre de notre recherche, la comparaison du management algorithmique avec les mécanismes du Panoptique (Duggan et al., 2019) nécessite d’être discutée : de premières enquêtes empiriques attestent de la persistance de stratégies de contournement (Lee et al., 2015) ou de résistance (Cant, 2019). Le point commun de ces enquêtes empiriques est d’investiguer l’expérience vécue des travailleurs, là où le Panoptique – comme les outils de gestion dans la perspective rationnelle – ne laisse pas de place à la subjectivité des acteurs. Plus généralement, les critiques portent sur la réception biaisée qui a été faite de l’œuvre de Foucault et qui s’est concentrée sur ses travaux généalogiques (Starkey in Hatchuel, 2005 ; Weiskopf & Munro, 2012 ; Raffnsoe et al., 2016).

Or, l’approche disciplinaire paraît, aux yeux de certains auteurs, moins pertinente à l’ère des organisations du XXIe siècle (Courpasson, 2017) davantage numériques et horizontales. La métaphore du Panoptique, qui sous-entend une idée d’enfermement, n’apporterait plus de clés de compréhension suffisantes dans un contexte d’effacement spatio-temporel de l’organisation (Leclercq-Vandelannoitte et Isaac, 2013).

Le décloisonnement de l’organisation, corrélé au développement des nouvelles technologies, supposerait un desserrement de la surveillance hiérarchique. Ces auteurs ne remettent pas en question le fait que les technologies participent à accroître le potentiel de surveillance dans les organisations. Seulement, cette surveillance serait moins le fait d’un pouvoir managérial centralisé que d’une surveillance latérale de chacun sur tous (Brivot & Gendron, 2011 ; Hansen & Flyverbom, 2015). La surveillance serait davantage 89 « rhizomatique » (Brivot & Gendron, 2011 ; Leclercq-Vandelannoitte et Isaac, 2013) que hiérarchique. Avec les technologies issues du web 2.0, les individus participent activement – de manière volontaire ou non – à leur propre visibilité et créent eux-mêmes des potentialités de surveillance par leurs pairs. Les positions de surveillant et de surveillé seraient permutables dans un environnement où chacun est surveillé continuellement. La « sous-veillance » (Quessada, 2010) remplacerait la surveillance caractéristique du pouvoir disciplinaire. De plus, la traçabilité numérique remet en cause le principe disciplinaire de sanction car il s’agirait avant tout d’anticiper les comportements déviants

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