Les enjeux des stratégies de soft power et de diplomatie publique chinoises et japonaises

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Les stratégies d’influence de la Chine : les « Trois guerres »

Du côté Chine, on fait généralement remonter les stratégies d’influence chinoises à la publication de La Guerre hors limites, en 1999. Cet ouvrage de deux généraux hauts fonctionnaires chinois, Qiao Lang et Wang Xianghui, décrit que la Chine doit considérer que le combat se fera hors du champ de bataille dans un espace sans limites, comprenant des espaces sociaux, naturels, et technologiques s’interpénétrant. Si ce livre a constitué un tournant dans la façon dont les Chinois ont conceptualisé leurs stratégies d’influence et de soft Power, c’est désormais plus La science de la stratégie militaire, manuel de l’Académie des sciences militaires, qui fait office de référence. De nombreuses stratégies chinoises ont été inspirées par la pensée de Foucault, avec la notion de pouvoir discursif qui est venue remplacer celle du soft Power en chine. En effet, leurs stratégies de soft Power ont globalement fait face à des échecs, attribués à la domination de l’Occident et non pas au parti, et que l’on peut lier à leur attractivité culturelle minée par la nature coercitive et autoritaire du régime. Face à ces échecs, Zhang Zhizhou a théorisé une vision du pouvoir discursif pour la Chine basée selon la pensée de Foucault, en particulier autour de sa leçon sur « l’ordre du discours », qui définit les procédures de contrôle des discours dont un État peut disposer. Des stratégies russes ont aussi été une grande source d’inspiration pour les Chinois, comme avec la mise en place de campagne de désinformation, si bien que l’IRSEM Institut de Recherche stratégique de l’École Militaire parle désormais russianisassions des opérations chinoises 40 . Globalement, on assiste à une plus grande importance et une diversification des stratégies d’influence des États comme outil pour exercer leurs relations internationales. Le terme de guerre hybride revient souvent dans le débat pour qualifier cette tendance des conflits à pencher vers des moyens de guerre non conventionnelle et d’influence, en plus des moyens de conflits « classiques ». Le terme de guerre hybride a été intégré dans le débat stratégique au début des années 2000, dans des organes occidentaux tels que l’UE (Union Européenne) ou l’OTAN (Organisation du Traité Nord Atlantique), et cherche à définir selon James Mattis et Frank Hoffman41 l’émergence de conflits combinant à la fois des menaces, acteurs et caractéristiques de guerre conventionnels et non conventionnels, comme le terrorisme ou les stratégies d’influence. Les attaques d’opérations de guerre hybride se caractérisent par l’ambiguïté de l’origine et la nature des attaques, d’asymétrie du conflit et le brouillage entre la dichotomie classique de la paix et de la guerre. de manière globale, ce terme reste controversé, car plutôt heuristique, certains que les guerres ont toujours été hybrides à un certain degré, mais ce terme a le mérite d’être mentionné dans cette étude, car s’il est utilisé en Occident pour tenter de définir les stratégies russes et chinoises, il ne l’est pas en Chine, où l’APL (Armée populaire de libération) ne le mobilise par pour définir ses opérations d’influence et de lutte informationnelle, terme auquel elle préfère les « trois guerres » pour qualifier les luttes qu’ils mènent dans le domaine cognitif. Ces opérations des trois guerres s’insèrent comme le moyen action du « front uni » chinois. Initialement, le front uni définissait l’union entre les nationalistes et les communistes pour lutter contre l’envahisseur japonais durant la Seconde Guerre mondiale. Avec le temps, le terme a évolué pour devenir l’outil permettant de « mobiliser les amis du parti pour frapper ses ennemis » (J. Mattis, 2005), une des trois « armes magiques » théorisées par Mao en 1938, avec la lutte armée et la construction du parti42. En somme, la Chine a mis en place un éventail de stratégies d’influence via le discours, la diplomatie publique et autres outils intelligents.

Les trois chaînes d’îles dans le Pacifique-Est

Dans le cadre de l’étude des politiques d’influence chinoise et japonaise, l’étude des cas de Taiwan et Okinawa sont particulièrement intéressante, dans le sens où ils relèvent particulièrement d’enjeux rivaux pour Tokyo et Pékin, relevant à la fois de défis et d’opportunités stratégiques. Premièrement, territoriaux : Taiwan et Okinawa, au cœur de l’indopacifique, sont intégrées de la « première chaîne d’ile ». Cette désignation géographique désigne un concept de sécurité géopolitique issue de la Island Chain Strategy, stratégie américaine faisant partie du plan d’endiguement, conçu par John Foster Dulles en 1951, pendant la guerre de Corée43. Trois chaines d’iles ont été identifiées, et initialement, la première chaine d’ile avait été identifiée afin de sécuriser les approches maritimes de l’Union soviétique et de la République populaire de Chine. La première chaine d’iles s’étend des iles Kouriles à l’Indonésie, en comprenant le Japon, les iles Ryūkyū, Taiwan et les Philippines. La seconde part du Japon et comprends les iles Mariannes et la Micronésie, et la dernière intègre Hawaii. Néanmoins, cette projection géopolitique est occidentale, et la Chine a proposé sa propre vision nuancée de la délimitation des trois chaines d’iles (岛链, daolian). Alors que le concept américain avait été forgé afin d’appliquer une stratégie d’endiguement du communisme en URSS (Union des républiques socialistes soviétiques) et RPC (République populaire de Chine), la vision chinoise des chaines d’iles entend plutôt qu’il s’agit de barrières que la Chine doit dépasser pour obtenir sa liberté de manœuvre maritime, qu’elle doit utiliser comme tremplins de projection de puissance pour l’autorité dirigeante de chaque ile, et enfin qu’elle perçoit comme des repères et relais de l’avancement de la projection maritime et aérienne de la Chine dans l’Indopacifique44. Un point commun de ces deux visions reste la place centrale de Taiwan par son importance géographique et stratégique, au cœur de la première chaine d’ile45. Au nord. Taiwan s’ouvre sur le détroit de Miyako avec la chaine d’iles de Ryūkyū, la connectant ainsi à la préfecture japonaise d’Okinawa ; au sud, Taiwan est relié aux Philippines via le détroit du Luzon. Ainsi, Taiwan et les multiples iles de la préfecture d’Okinawa représentent une « barrière » à l’accès au Pacifique de la Chine.

La notion de frontière : une définition ambiguë

Taiwan et Okinawa représentent des défis pour la stabilité géographique de Tokyo et Pékin, les deux se trouvant aux extrémités des frontières réelles ou projetée des deux États. Le concept de frontière est un concept complexe essentiel à définir dans le cadre de cette étude géopolitique. Le terme de frontière comprend à la fois une délimitation physique, géographique, mais aussi culturelle. Si en français il n’existe que le terme « frontière » pour signaler le tracé entre deux États, en anglais la distinction peut être faite entre « frontier » et « border », et dans le cas de Taiwan et Okinawa, c’est ce premier terme qu’il est le plus juste d’utiliser. Alors que « border » comprend l’idée d’une ligne délimitant deux territoires, États ou régions, « frontier » définit plutôt une zone et dispose d’une connotation idéologique plus importante, marquant en plus d’une délimitation géopolitique, une division culturelle, une zone vaguement définie différenciant deux cultures et civilisations orientées vers l’extérieur46. Enfin, la frontière peut être une zone de contentieux, de confrontation entre des idées et conceptions de chaque civilisation, pouvant mener à des litiges47 (toutes ces catégorisations ont été bien développées par Michel Foucher dans Fronts et frontières ; une référence pertinente à consulter et citer). Par conséquent, si l’imaginaire géographique les perçoit comme des lignes théoriques le long d’une carte, la frontière est en réalité plus une zone en expansion, de transition entre les civilisations et leurs cultures distinctes48. Se situant aux frontières des territoires chinois et japonais, Taiwan et Okinawa sont ainsi au cœur de ces zones de transition culturelles, complexifiant leur rapport avec la partie principale du territoire des deux pays. Si dans les faits, la République de Chine se considère et agit de facto comme une entité politique distincte et indépendante de la République Populaire de Chine, elle fait partie de jure du territoire de la RPC et devrait tomber sous son autorité, la majorité de la communauté internationale reconnaissant la RPC comme Chine officielle49, et selon le principe de la One China Policy promue par Pékin comme définit dans l’article du Taiwan Affairs Office (TAO) issu du White Paper du 21 février 2000 50. Clark propose ainsi une conception des frontières basée sur trois modèles différents : la frontière continentale en expansion, la frontière continentale statique, et la frontière maritime. La Chine dispose ainsi d’une frontière continentale statique, au nord, au niveau des steppes, là où s’élève désormais la grande muraille de Chine. Au sud, on peut identifier une frontière continentale en expansion vers le Vietnam communiste sur laquelle la Chine exerce une influence significative. Enfin, à l’est se déploie la frontière maritime chinoise, sur la mer de Chine méridionale et la mer de Chine orientale. Elle s’étend de sa frontière avec la Corée du Nord jusqu’au golfe de Tonkin, sur plus de 14,000 kilomètres. Contrairement aux deux autres types de frontières terrestres, la frontière maritime représentait dans l’imaginaire chinois une délimitation au-delà de laquelle n’était possible aucune migration. Cet océan joua éventuellement le rôle de point de contact comme le commerce, mais aussi pour les échanges culturels. Alors que ses frontières terrestres représentaient une zone de transition progressive des cultures, la frontière maritime fonctionnait comme une interface, où se rencontraient et cohabitaient chinois et commerçants étrangers, et où départaient les navires chinois. On retrouve des traces de cette expansion chinoise au-delà des océans dès le IIIe siècle, et au XIIe siècle des références à Taiwan et Okinawa, en se référant au « Grand Liuqiu » pour l’ile d’Okinawa et « Liuqiu inférieur » pour l’ile de Taiwan51.

Le cas de Taïwan

Finalement, cette vision chinoise de la frontière maritime comme zone de délimitation plutôt que zone d’expansion se retrouve bien dans son histoire avec l’ile de Taiwan. En effet, ce ne sont que de vagues relations qui s’installeront entre la Chine continentale et l’ile limitrophe de Formose, si bien que lorsque les Hollandais s’installent le long des côtes chinoises au début du XVIIe siècle, les Ming les font s’établir à Taiwan, territoire qu’ils considèrent hors de la civilisation chinoise, afin de protéger les côtes du Fujian de présence étrangère52. Lors du passage à la dynastie des Qing, Taiwan est encore plus aux frontières de l’Empire chinois, l’empereur Kangxi déclarant alors que : « Taïwan se trouve au-delà de l’océan. Elle est sans rapport avec nous. Nous ne l’avons envahie qu’à cause de ces gens non civilisés qui n’avaient de cesse de harceler la côte chinoise »53. C’est l’amiral Shi Lang qui (convainquit) le pouvoir d’occuper Taiwan afin de renforcer ses cotes en cas d’attaques et la sécuriser ses intérêts maritimes, des arguments en résonance avec ceux d’aujourd’hui54. Simultanément, la faiblesse de la souveraineté de la dynastie Qing sur Taiwan, et la place de l’ile au sein de la rivalité entre la Chine et le Japon apparurent évidentes. Alors que la Chine faisait face à sa puissance en déclin et le Japon gagnait en puissance, l’incident de Mudan vint en effet catalyser les tensions entre les deux acteurs. Cet incident correspond au massacre de 54 marins des iles Ryūkyū se font tuer par les populations aborigènes de Taiwan, alors sous contrôle de la dynastie Qing. Ryūkyū disposait d’un statut spécial, à la fois dans la sphère d’influence chinoise et japonaise, le Japon, sous l’impulsion de Soejima Tanoeomi, fit usage de cet épisode et du flou autour de la souveraineté chinoise sur Taiwan et Ryūkyū afin de justifier une intervention militaire à Taiwan en 1874 d’une part, et servit d’argument à l’annexion totale des iles Ryūkyū en 1879 d’autre part55. La guerre sino-japonaise de 1894-95, et surtout le traité de Shimonoseki sur laquelle elle se conclue ne viendront ainsi que confirmer la place centrale de Taiwan dans le cadre de la rivalité entre le Japon et la Chine, mais surtout la disparition du Taiwan de l’imaginaire géographique de la Chine, confiné aux recoins de ses frontières, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale où l’expansionnisme japonais faisait craindre pour l’intégrité du territoire continental chinois56. Cette ile qui ne fut jusqu’alors perçue que comme un territoire lointain des terres et de la civilisation chinoises, et vient alors prendre un rôle important pour la Chine, intégrant ses délimitations frontalières en tant que zone tampon garant de la sécurité du continent ; ce rôle et cette importance seront finalement confirmés alors que le KMT (Kuomintang) fuira se réfugier sur l’ile à la suite de la victoire des communistes en 1949. Le 14 juin de la même année, Mao Zedong déclarait d’ailleurs que « Si Taïwan n’est pas libéré et que les bases aériennes et navales du Kouo-Min-Tang ne sont pas détruites, Shanghai et les zones côtières continueront à être menacées. »57. Depuis 1949, Taiwan et Pékin se sont divisés au long des lignes de deux systèmes politiques différents, la République de Chine d’une part et la République Populaire de Chine de l’autre, les deux clamant être la légitime autorité sur le territoire chinois dans son intégralité. En 1958, de premières offensives sur Taiwan avaient été lancées par Pékin, mais les difficultés internes ont poussé la Chine à se reconcentrer sur ses Affaires intérieures durant les 20 prochaines années, alors qu’un régime martial se mettait en place de l’autre côté du détroit de Taiwan. En 1979, Deng Xiaoping formule le concept de « Chine unique » en lançant une politique de réunification pacifique du territoire, selon le concept de « un État, deux systèmes ». Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, la réunification du territoire est devenue un enjeu central, ce dernier annonçant affirmant retrouver le territoire chinois unifié et dans son intégralité à l’occasion de la célébration du 110e anniversaire du parti communiste. Les tensions se sont encore intensifiées depuis 2016 avec l’arrivée au pouvoir de Tsai Ing-Wen, leader montrant ouvertement ses réticences envers Pékin, et le glissement de l’opinion publique taiwanaise plus favorable au maintien du statu quo qu’à la réunification, se traduisant par plus de pressions coercitives de Pékin sur les plans militaires, économiques, diplomatiques, ainsi que d’influence et de diplomatie publique, comme nous l’approfondirons dans le cadre de ce mémoire.

Le cas des îles Ryūkyū et d’Okinawa

Pour revenir à la question de l’appréhension des frontières, mais du côté du Japon cette fois, la période d’expansion impériale japonaise est particulièrement intéressante. Le Japon se lance dans l’aventure coloniale durant l’ère Meiji, qui s’ouvre à la suite de l’ère Edo durant laquelle le Japon avait verrouillé ses frontières par la politique du Sakoku (鎖国) et s’était complètement refermé sur lui-même. Si la situation insulaire du Japon peut porter à croire que le pays dispose de frontières statiques et géographiquement déterminées, les frontières japonaises ont en réalité considérablement évolué au cours du temps en fonction de facteurs politiques principalement, si bien que les frontières actuelles du Japon ne sont pas plus vieilles que deux siècles58. Avant la période de Nara, les populations Yamato se concentraient sur les iles de Kyushu, Shikoku et Honshu, jusqu’à la limite de l’actuel Tohoku, où les populations Emishi ne se soumettaient pas au pouvoir impérial nippon. Durant l’ère Nara, l’administration d’un État centralisé se confirmait et améliora la distinction entre les « territoires intérieurs » (kenai 家内) et les « territoires extérieurs » (kegai 家外). Simultanément, on assistait à la mise en place d’une dynamique d’expansion territoriale pour intégrer ces territoires extérieurs, jusqu’à l’affaiblissement du pouvoir central durant le ‘Moyen-âge japonais’ à partir de l’ère Heian. Durant l’ère Nara, Tohoku est intégré au territoire japonais avec la création de la province de Mutsu en 712 qui s’étendant progressivement à tout le nord de Honshu. Des Japonais s’établissent à Hokkaido à partir du XVIIe siècle uniquement, et ce n’est qu’à partir de la restauration du Meiji en 1688 que l’ile est intégrée à l’empire japonais59; cette intégration suite un schéma similaire à celui de l’intégration de Taiwan aux frontières chinoises, en tant que « frontier » et plus seulement « border » : en effet, les Japonais craignent pour leur sécurité face aux dynamiques d’expansion russe en Extrême-Orient60. Similairement, les iles Ryūkyū sont intégrées au territoire japonais pour motifs géopolitiques et par la fièvre impérialiste de l’ère Meiji : le Royaume de Ryūkyū, fondé en 1429, était un royaume autonome vassal des empires chinois Ming puis Qing, jouant un rôle très important dans le réseau commerce régional entre les côtes chinoises, la Malaisie, le Japon et la Corée. Mené par les seigneurs de la province de Satsuma en 1609, le Japon envahit les iles Ryūkyū, en fait un État vassal de cette province, et durant l’ère Edo, les iles de Ryūkyū étaient considérées comme un État partenaire diplomatique (tsûshin no kuni, 通信之国) durant l’ère Edo. Durant cette période, le royaume de Ryūkyū est à la fois tributaire du système chinois tout en étant vassal du Japon. Ce n’est qu’en 1879 que l’annexion totale a lieu, suite à l’épisode de l’incident de Mudan, et motivé par les ambitions expansionnistes et coloniales des dirigeants du Japon de Meiji, créant ainsi la préfecture d’Okinawa61 . Ainsi, la conquête progressive des territoires consistants le Japon moderne met en lumière l’évolution de la conception japonaise de ses frontières62. On voit ainsi les étapes effectuées, de territoire vaguement défini sans idée d’État nation, à une vision centralisée du territoire et des frontières statiques orientée vers l’intérieur durant la période médiévale et l’ère Edo, pour finalement atteindre une vision d’expansion pour protéger son territoire à partir de l’ère Meiji, ayant mené à la conquête coloniale de l’Asie Pacifique durant la Seconde Guerre mondiale, et dont des traces peuvent être retrouvées dans les politiques nationalistes du Japon contemporain63. La vision actuelle des limites territoriales s’inscrit dans le cadre de la résurgence nationaliste : tout en souhaitant conserver son autorité sur les territoires reconnus comme siens par la convention de Traité de San Francisco de 1952, les gouvernants cherchent à pousser les limites de l’archipel autour des territoires disputés. Il s’agit des territoires du Nord (côté japonais) / iles Kouriles (côté russe), contentieux entre le Japon et la Russie sur 4 iles au nord d’Hokkaido, et des iles Takeshima (côté Japon) / Dokdo (côté coréen) / rochers Liancourt, disputés entre Séoul et Tokyo. Concernant le contentieux autour des iles Senkaku-Diaoyu, revendiquées par Taipei et Pékin également, le Japon considère tout bonnement qu’il ne s’agit pas d’un contentieux territorial et qu’il est évident que ces iles reviennent au Japon, et qu’il n’existe aucun problème de souveraineté territoriale les concernant. Enfin, Tokyo précise que le « Le Japon agira fermement et calmement pour maintenir son intégrité territoriale. »64. Ces positions sur les frontières s’inscrivent dans l’idéologie du LPD, mais surtout du Nippon Kaigi (日本会議), lobby d’extrême droite dont étaient membres Koizumi Jun’ichirō et Abe Shinzo, et revendiquant près de 40,000 membres dans l’archipel65. Pour en revenir au cas d’Okinawa, la préfecture dispose de relations singulières avec Tokyo. Selon l’article 8 de la déclaration du Potsdam66 , définissant les conditions de la reddition japonaise, la souveraineté territoriale japonaise se limite aux iles de Honshu, Hokkaido, Kyushu Shikoku et « des îles mineures que nous déterminons ». Selon ces termes, le Japon perd non seulement le contrôle sur tous les territoires acquit dans le cadre de son expansion impériale, dont Taiwan, mais également sur les iles de Ryūkyū, passant sous commandement américain jusqu’en 1972. Alors que le Japon et Ryūkyū disposaient d’ores et déjà d’un historique relationnel complexe, comme nous aurons l’occasion de l’expliciter plus en détail, ces 27 années de séparation politique, d’administration américaine et d’installation militaires étrangères sur le territoire auront des effets clivant sur la préfecture d’Okinawa et sa relation avec la gouvernance centrale à Tokyo. Alors que la « clef de voute du Pacifique », comme surnommé durant la Seconde Guerre mondiale 67 , relève déjà significativement d’une importance géostratégique grâce à sa position sur la première chaine d’ile au nord de Taiwan, mais aussi, car elle supporte plus de 50 000 militaires américains stationnés au Japon et environ 70 % de toutes les installations des forces américaines au Japon68 sur 0,6% du territoire japonais. Ainsi, en 2012, le Premier ministre japonais Yoshihiko Nodal rappelait à l’occasion du 40e anniversaire de la réversion d’Okinawa au gouvernement japonais, que « C’est Okinawa qui sera la force motrice du Japon dans son ensemble, en se créant un rôle à l’avant-garde de l’ère Asie-Pacifique. C’est nous qui sommes responsables de la création de cet avenir. Il ne fait aucun doute que les aspirations des habitants d’Okinawa à la paix et leur esprit ouvert sur le monde en tant que « pont entre les nations » seront un atout considérable pour le développement et la croissance d’Okinawa au 21e siècle. »69.

Problématique

Ainsi, Taiwan et Okinawa représentent des territoires stratégiques pour la Chine et le Japon, à la fois dans le cadre de leurs politiques internes, dans le cadre de leurs politiques extérieures pour l’indopacifique, et enfin dans le cadre de leur rivalité grandissante. Dans ce contexte où la diplomatie publique et les stratégies d’influence prennent une place majeure dans les politiques étrangères des États, où la Chine et le Japon s’inscrivent dans un contexte de rivalité grandissante, que Pékin revendique de façon plus assertive ses ambitions sur Taiwan et Tokyo ses objectifs de puissance, il apparait pertinent d’étudier les stratégies d’influence japonaise et chinoise sur Taiwan dans le cadre de leur rivalité.
Dès lors, il conviendra de se demander dans quelle mesure les stratégies croisées de diplomatie publique et d’influence engagées par Tokyo et Pékin sur les territoires de Taiwan et d’Okinawa permettent-elles au Japon de renforcer son leadership en Asie ?
Dans un premier temps, nous étudierons en quoi ces territoires sont effectivement stratégiques pour la Chine et le Japon dans leurs projections Indopacifique et internationale. Dans un second temps, nous détaillerons les stratégies de diplomatie publique, de soft power et d’ingérence internes mobilisées par Tokyo et Pékin pour tenter d’influencer ces deux territoires-cibles. Enfin, nous tirerons des conclusions en termes de leadership pour la Chine et le Japon dans l’Indopacifique.

Table des matières

Introduction
CHAPITRE 1 : Les enjeux des stratégies de soft power et de diplomatie publique chinoises et japonaises
Section 1 : Enjeux nationaux pour la Chine et le Japon : la problématique de l’unité territoriale
1. Contextualisation des relations actuelles de tensions entre la Chine et le Japon
2. Lien historique de Taiwan à la Chine et au Japon, « l’île dissidente » de l’Empire chinois, ou la première étape stratégique de l’Empire japonais.
3. S’assurer de l’intégration d’Okinawa, territoire à l’histoire écrite entre la Chine et le Japon, et réintégré au Japon depuis seulement 50 ans.
Section 2 : Les enjeux géopolitiques dans l’Indopacifique : Taiwan et Okinawa, deux territoires au sein des projections géostratégiques de la Chine et du Japon
1. La première chaîne d’îles, un rempart pour Tokyo, une limite pour Pékin
2. Taïwan et Okinawa, deux territoires au coeur des défis d’unité territoriale de la Chine et du Japon
3. Taiwan et Okinawa, des territoires portant des enjeux majeurs dans le cadre de la rivalité contemporaine entre la Chine et le Japon
CHAPITRE 2 : Les méthodes mobilisées par Tokyo et Pékin pour influence Taiwan et Okinawa en leur faveur.
Section 1 : La diplomatie publique, un éventail d’actions au coeur des stratégies japonaise et chinoise
Section 2 : La mobilisation historique et mémorielle au service de l’influence des deux rivaux
1. Les enjeux de la mémoire coloniale et la manipulation de l’histoire des conflits internes par la
Chine.
2. La mobilisation stratégique d’une image positive du passé colonial japonais à Taiwan
3. La complexité d’identification des Ryūkyūiens à la nation japonaise liée à leur singularité historique
Section 3 : Le soft power, un outil fondamental pour le déploiement de l’influence chinoise et japonaise
1. L’utilisation du soft power par Pékin et Tokyo
2. La mobilisation de la culture japonaise comme outil d’attractivité à Taiwan
3. La langue comme vecteur d’influence
Section 4 : L’ingérence politique, méthode au coeur des problématiques contemporaines à Taiwan et Okinawa
1) Taiwan et Okinawa, des territoires à fortes identités politiques
2) Un éventail d’outils chinois pour l’ingérence politique : la mobilisation de la presse, des réseaux
sociaux, de sa diaspora et des cercles internationaux et intellectuels
3) L’appui chinois aux tensions séparatistes et mobilisations antimilitaristes à Okinawa, face aux
efforts japonais pour maintenir la cohésion sur ce territoire noeud de son alliance avec Washington
4) Du coté japonais, la nécessité de se présenter comme un partenaire commercial et politique à Taiwan, à défaut d’un allié militaire
Section 5 : Un volet particulièrement stratégique pour la Chine et le Japon : l’utilisation stratégique de l’économie et des échanges commerciaux
CHAPITRE 3 : Les conséquences du déploiement des stratégies d’influence et de soft power
Section 1 : À Taiwan et Okinawa, des succès relatifs des stratégies d’influence chinoise et japonais
Section 2 : Dans le cadre du leadership dans l’indopacifique, une compétition toujours évidente
Conclusion
Bibliographie

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