APPLICATION DU PRINCIPE DE CONTRE-IRRITATION A L’ETUDE DES MECANISMES NEUROPHYSIOLOGIQUES DE LA DYSPNEE

APPLICATION DU PRINCIPE DE CONTRE IRRITATION A L’ETUDE DES MECANISMES NEUROPHYSIOLOGIQUES DE LA DYSPNEE

Dyspnée : définition et pertinence clinique 

La respiration est un acte inconscient qui ne donne normalement pas lieu à des perceptions sensorielles (Mahler et al., 1996). La perception d’informations sensorielles liées à la respiration, survient dans des conditions pathologiques mais parfois physiologiques (lors de l’exercice par exemple). Cette perception est anormale, elle fait parler de dyspnée lorsqu’elle est associée à un vécu émotionnel négatif. La dyspnée ou « essoufflement » en langage courant est une sensation complexe. Elle se défini au mieux comme une sensation subjective d’inconfort respiratoire qui se compose de multiples sensations distinctes en termes qualitatifs et quantitatifs, sous tendues par des mécanismes différents mais généralement intriqués, dont l’intensité de l’affect négatif varie indépendamment de la sensation elle-même et qui s’accompagne d’un impact émotionnel et comportemental également variables (Parshall et al., 2012). La dyspnée est donc une sensation subjective avec une dimension sensorielle (intensité, qualité, évolution au cours du temps) et une dimension affective (caractère désagréable, conséquences émotionnelles). L’utilisation de descripteurs verbaux (Simon et al., 1990) a permis d’identifier plusieurs sensations respiratoires, parmi elles, « la soif d’air », « l’effort/travail respiratoire excessif » et « la constriction thoracique » qui s’identifient dans des situations cliniques différentes. La dyspnée apparaît donc comme une sensation non univoque, il n’existe pas « une sensation de dyspnée » mais « des sensations de dyspnée » (O’Donnell et al., 2007) (Lansing et al., 2009). La dyspnée est par ailleurs, l’un des symptômes les plus fréquemment rencontré au cours de pathologies respiratoires, cardiaques ou neuromusculaires. Elle affecte environ un quart des patients en consultation ambulatoire (Hammond, 1964), un tiers des patients de plus de 70 ans, et touche les trois quarts des patients en fin de vie (Teno et al., 2004). La dyspnée est un facteur Introduction 7 prédictif à elle seule d’hospitalisation (Ong et al., 2005) et de mortalité chez les patients souffrant de maladies pulmonaires chroniques (Celli et al., 2004). C’est une source de handicap majeur, limitant l’activité et la qualité de vie des patients qui en souffrent (O’Donnell et al., 2007). Devant la prévalence et l’impact clinique de ce symptôme il est évidemment pertinent, au même titre que pour la sensation douloureuse, d’en connaître les mécanismes afin de mieux évaluer ses composantes et d’envisager des perspectives thérapeutiques. A ce jour, bien que des progrès considérables aient été accomplis dans la compréhension des mécanismes physiologiques des différentes sensations de dyspnée, les récepteurs et les voies de transmission impliqués sont encore à explorer et l’arsenal thérapeutique pour la soulager reste limité. 

Mécanismes neurophysiologiques de la dyspnée 

Les différentes sensations de dyspnée sont sous tendues par des mécanismes neurophysiologiques différents (O’Donnell et al., 2007) (Lansing et al., 2009). La dyspnée résulte de la stimulation de nombreuses afférences et l’élimination d’un des récepteurs impliqués dans la genèse de la dyspnée est incapable à elle seule de l’inhiber totalement. Ceci suggère l’existence de plusieurs voies afférentes parallèles et probablement redondantes (Widdicombe, 2009) (Davenport and Vovk, 2009). Les afférences mises en cause véhiculent des signaux provenant de récepteurs intra pulmonaires et bronchiques médiés par le nerf vague, de mécanorécepteurs des voies aériennes supérieures et de la paroi thoracique ainsi que de chémorécepteurs centraux et périphériques. Le traitement cognitif des informations transmises par ces afférences vers les différentes aires d’intégration cérébrale aboutit à la sensation dyspnéique. 

Afférences respiratoires 

Afférences mécaniques 

 Mécanorécepteurs de la paroi thoracique 

Il existe au sein de la paroi thoracique des mécanorécepteurs localisés au niveau des muscles respiratoires comme le diaphragme (Straus et al., 1997) et les muscles intercostaux (Gandevia and Macefield, 1989). Ces récepteurs contribuent largement à la genèse de la dyspnée. En effet, une théorie les plus reconnues sur la genèse de la dyspnée est la théorie « tension-longueur » de Killian et Campbell (Killian and Campbell) attribue à l’augmentation de l’effort respiratoire un rôle primordial dans la genèse de la dyspnée. Les organes de Golgi et les fuseaux neuromusculaires de ces muscles transmettent au cortex des informations sur leur longueur, leur tension et leur déplacement. La projection corticale de ces informations s’effectue plus Introduction 9 particulièrement au niveau du cortex limbique, zone clé dans les traitements affectivo-cognitif des afférences respiratoires (Gandevia and Macefield, 1989) (Straus et al., 1997). Ainsi des vibrations appliquées au niveau du thorax sur le muscle para sternal soulagent la dyspnée induite par une hypercapnie ou une charge résistive chez le sujet sain (Manning et al., 1991) mais aussi chez les patients atteints de maladie respiratoire chronique comme la BPCO (Sibuya et al., 1994) (Cristiano and Schwartzstein, 1997).

 Récepteurs vagaux 

Il existe au niveau de l’arbre trachéobronchique et du parenchyme pulmonaire plusieurs types de récepteurs dont la voie afférente commune est le nerf vague. Trois types d’afférences respiratoires véhiculées par le nerf vague ont plus spécifiquement été identifiées dans les sensations en rapport avec la respiration. Néanmoins, ces différentes afférences vagales ne sont pas responsables à elles seules des sensations respiratoires (Noble, 2015). En effet, l’anesthésie du nerf vague ne modifie pas la détection de charges respiratoires (Guz et al., 1966). Par ailleurs, chez les transplantés pulmonaires, qui ont donc subi une vagotomie chirurgicale, on ne constate pas de diminution de la sensation de de soif d’air induite habituellement par l’apnée (Ninane and Estenne, 1995). Récepteurs à l’étirement à adaptation lente (Slowly adaptating strech receptors – SARs) Ces récepteurs sont situés à proximité des fibres musculaires lisses des grosses bronches ainsi que dans le parenchyme pulmonaire. Ils sont sensibles aux variations de pressions et donc aux variations de volume pulmonaire. Ils sont médiés par des fibres myélinisées de type Aβ. Il est admis que la stimulation des SARs soulage probablement la dyspnée : chez des patients tétraplégiques sous ventilation artificielle, leur stimulation par l’augmentation du volume Introduction 10 courant insufflé, est capable de supprimer la sensation de soif d’air en dehors de toute modification de capnie (Manning et al., 1992). Leur activité peut être modulée par l’inhalation de CO2 ou de furosémide. Chez l’animal, l’inhalation de CO2 inhibe l’activité des SARs (Matsumoto et al., 1999) alors que le furosémide la sensibilise (Sudo et al., 2000). Ainsi, chez le volontaire sain soumis à une dyspnée expérimentale, le soulagement de celle-ci lors de l’inhalation de furosémide est probablement associé à la stimulation des SARs par celui-ci (Nishino et al., 2000) (Moosavi et al., 2007). Récepteurs à l’étirement à adaptation rapide (Rapidly adaptating strech recpetors – RARs) Ces récepteurs sont plus proches de la lumière bronchique. Ils sont médiés par des fibres myélinisées de petit calibre Aδ et s’adaptent rapidement pour maintenir l’inflation ou la déflation pulmonaire. Activés par de nombreux stimulus irritants chimiques et mécaniques (poussière, fumée, froid…) et également par l’inflammation, ils sont fortement impliqués dans la bronchoconstriction et dans la toux mais joueraient également un rôle dans la sensation de dyspnée (Nishino et al., 2008). Ainsi l’induction d’une toux par l’inhalation d’acide citrique (stimulant des RARs) chez le volontaire sain, ne génère pas en elle-même de dyspnée mais peut aggraver celle-ci (Nishino et al., 2008). Par ailleurs, l’inhalation de furosémide sensibilise les SARs mais inhibe également les RARs chez le rat (Sudo et al., 2000). Ainsi le soulagement de la dyspnée observé lors de l’inhalation de furosémide peut également s’expliquer par l’inhibition des RARs (Nishino et al., 2000) (Moosavi et al., 2007). Fibres C pulmonaires (Undem and Nassenstein, 2009) (Muroi and Undem, 2011) On distingue deux types de fibres C : les fibres C bronchiques, les fibres C pulmonaires. Les récepteurs J sont les terminaisons libres juxta-alvéolaires des fibres C (Paintal, 1995). Ces fibres Introduction 11 ont des profils d’activités différentes et leurs effets sur la respiration et leurs capacités à jouer sur la sensation de dyspnée vont être différents. Ces fibres n’ont pas la même origine embryologique : les fibres bronchiques proviennent de la crête neurale et se projettent sur le ganglion jugulaire, les fibres pulmonaires sont d’origine placodale et se projettent sur le ganglion inférieur du vague (Lee and Yu, 2014). Les fibres C bronchiques ont un rôle prépondérant dans la toux. Les fibres C pulmonaires ont quant à elles un rôle majeur dans les sensations dyspnéiques. Ceci est mis en évidence par la stimulation de ces fibres par l’injection d’un agent pharmacologique, l’adénosine, qui a la capacité de les stimuler et d’induire une sensation de dyspnée chez le volontaire sain et également chez des patients asthmatiques ou BPCO (Morélot-Panzini et al., 2013) (Basoglu et al., 2015). Enfin, les récepteurs J situés au niveau de l’interstitium, vont être sensibles à l’augmentation de volume de ce dernier (Paintal, 1995). Ce sont les récepteurs impliqués dans les sensations respiratoires associées à l’insuffisance cardiaque gauche ou droite (congestion pulmonaire). 

Afférences métaboliques (Buchanan and Richerson, 2009)

Les chémorécepteurs centraux et périphériques représentent les principales sources d’afférence métaboliques. 

Chémorécepteurs périphériques

 Les chémorécepteurs périphériques sont situés dans les parois artérielles des bifurcations carotidiennes et des divisions de la crosse de l’aorte. Les récepteurs carotidiens sont essentiellement sensibles à l’hypoxémie, mais l’hypercapnie peut également les activer et l’hypocapnie profonde les inhiber. Ces récepteurs sont médiés par le nerf glossopharyngien. Introduction 12 Les récepteurs situés au niveau de la crosse de l’aorte sont principalement sensibles à l’hypoxémie et plus particulièrement à la diminution de la pression partielle en oxygène (PaO2) plus qu’aux situations au cours desquelles le contenu en oxygène est diminué sans diminution franche de la PaO2 (anémie peu sévère, intoxication au CO). 

Chémorécepteurs centraux 

Les chémorécepteurs centraux sont majoritairement responsables de la sensibilité au CO2. Lorsque la PaCO2 s’élève, le CO2 passe dans le liquide céphalorachidien où il va former H2CO3 puis se dissocier en H+ et HCO3-. C’est l’ion H+ qui va stimuler les chémorécepteurs centraux. Cette stimulation par une hypercapnie induit une dyspnée d’autant plus intense que le système respiratoire est dans l’incapacité de répondre à l’augmentation de la commande ventilatoire induite par cette hypercapnie. Ainsi, l’induction d’une hypercapnie chez des patients ventilés tétraplégiques (Banzett et al., 1989) ou chez des volontaires sains curarisés (paralysie de tous les muscles respiratoires) (Banzett et al., 1990) induit une dyspnée. Au contraire chez des patients atteints de syndrome d’hypoventilation congénitale qui n’ont pas de sensibilité à l’hypercapnie, l’hypercapnie n’entraine pas de sensation d’inconfort respiratoire (Perez and Keens, 2013). 

Aires d’intégration centrales (Davenport and Vovk, 2009)

 Les informations médiées par les multiples afférences respiratoires impliquées dans la sensation de dyspnée vont être traitées au niveau cortical et sous cortical. La dyspnée en tant que sensation multimodale va résulter d’un traitement de l’information à la fois discriminatif (intégration de la composante sensorielle) et affectif (intégration de la composante émotionnelle). Les techniques de cartographie cérébrales (Tomographie par Emission de Positron et Imagerie par Résonnance Magnétique fonctionnelle) ont permis d’identifier les régions du cerveau Introduction 13 impliquées dans l’intégration de ces informations. Le traitement discriminatif de la dyspnée va impliquer le cortex sensori-moteur et le traitement affectif l’insula antérieure droite, le vermis cérébelleux, le cortex cingulaire et l’amygdale. Selon les modalités de la sensation dyspnéique les processus d’activation cérébraux vont être différents. Lors de l’application d’une charge inspiratoire résistive à un volontaire sain, ce sont les aires motrices primaires, mais aussi l’aire motrice supplémentaire, les aires sensori motrice et le cortex cingulaire qui sont principalement activées (Banzett et al., 2000) (Peiffer et al., 2001) (Evans et al., 2002) (von Leupoldt et al., 2008). Lors de l’induction d’une soif d’air expérimentale chez le volontaire sain, on retrouve une forte activation du tronc cérébral, du cortex limbique et para limbique notamment au niveau du gyrus cingulaire antérieur droit (Banzett et al., 2000) (Peiffer et al., 2001) (Evans et al., 2002) et de l’amygdale (Evans et al., 2002). L’implication du cortex limbique dans la perception émotionnelle de la dyspnée semble fondamentale, plus particulièrement celle de l’insula antérieure droite et de l’amygdale (Banzett et al., 2000) (Peiffer et al., 2008) (von Leupoldt et al., 2008) (von Leupoldt et al., 2009). Par exemple, les patients ayant un antécédent d’accident ischémique de l’insula antérieure droite ont une perception amoindrie de la dyspnée (Schön et al., 2008). 

Table des matières

RESUME EN FRANCAIS
RESUME EN ANGLAIS
LISTE DES ABREVIATIONS
LISTE DES FIGURES ET DES TABLEAUX
INTRODUCTION
1. Dyspnée : définition et pertinence clinique
2. Mécanismes neurophysiologiques de la dyspnée
3. Analogie dyspnée – douleur
4. Contre irritation dyspnée – douleur
HYPOTHESE DE TRAVAIL
METHODES EXPERIMENTALES
1. Généralités
2. Recueil et analyse des signaux respiratoires
3. Recueil et analyse des signaux électrophysiologiques (Etude 1 et 2)
4. Recueil et analyse des seuils douloureux de pression (Etude 3)
5. Stimulations
6. Mesures psychométriques
7. Substances pharmacologiques (Etude 2)
8. Conditions expérimentales
RESULTATS
ETUDE 1
ETUDE 2
ETUDE 3
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

projet fin d'etude

Télécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *