Les glaçures noires et brunes de la dynastie sang

Les glaçures noires et brunes de la dynastie sang

Généralités sur la céramique A 

Le mot « céramique » Le mot « céramique » dérive du nom grec « ὁ κέραμος », qui a pour premier sens la terre de potier/l’argile, puis par extension tout objet fabriqué en terre cuite (vaisselle, tuile, brique) [1] ou de l’adjectif « κεραμικός » signifiant d’argile [2]. Cette étymologie est particulièrement intéressante car elle propose pour origine du mot la matière première utilisée dans l’art ou la conception des objets qualifiés comme tels, qui sont les deux significations actuelles du mot céramique (voir le paragraphe suivant). Il a été suggéré que ce mot grec dériverait lui-même du mot « τὸ κέρας » qui signifie la corne d’animal1 qui était utilisée comme récipient pour la boisson dans certaines civilisations [3,4]. Le Grand Baillit, dictionnaire de référence pour la traduction du grec antique, propose d’ailleurs « vase à boire » comme sens II-3 pour l’entrée « τὸ κέρας » [5]. Aucun lien explicite n’est cependant effectué dans cet ouvrage entre les entrées « ὁ κέραμος » et « τὸ κέρας ». Devenu un mot commun de la langue française relativement tardivement, « céramique » n’apparaît dans le dictionnaire de l’Académie Française qu’à partir de sa septième édition parue en 1878. Malgré cette entrée tardive dans le langage courant, il semble que des mots de même racine ont été utilisés antérieurement, par exemple « céramite » pour désigner la terre à potier chez Rabelais [6] (de « κεραμῖτις » signifiant également d’argile [7]). Son utilisation semble prendre de l’importance au cours du XIXe siècle, ce qui explique son entrée dans le dictionnaire de l’Académie Française à cette période. Lors de son entrée dans le dictionnaire, « céramique » est défini comme un adjectif désignant ce « qui concerne l’art du potier » et un substantif féminin pour qualifier l’art directement [8]. On retrouve ce mot dans de nombreux ouvrages du XIXe siècle [3,9,] et cet art a même droit à un dictionnaire pour collectionneur en 1893 []. Ce n’est que dans sa neuvième édition, dont la rédaction a commencé en 1986, que le sens métonymique de « céramique », c’est-àdire l’utilisation du mot pour qualifier les objets fabriqués par cet art, est entré dans le dictionnaire de l’Académie Française []. Aujourd’hui, « céramique » qualifie ainsi tant « l’art de fabriquer des objets en terre cuite, faïence, porcelaine, grès, etc., et de les décorer » que la « matière obtenue par cuisson de la terre » ou l’« objet fabriqué en terre cuite » []. En partant de ces définitions, trois sens principaux se dégagent : un sens manuel pour qualifier l’art, un sens métonymique pour qualifier les objets et un sens technique pour qualifier le matériau. Cette richesse de sens cachée derrière le terme « céramique » s’est traduite par une utilisation de ce mot dans de nombreux domaines comme les sciences humaines, les arts plastiques ou les sciences des matériaux optant pour des définitions avec une emphase particulière sur l’un de ces aspects en fonction des besoins de la discipline. 1- Cette racine est retrouvée par exemple dans le mot kératine. /265 On trouve ainsi couramment des définitions ne prenant en compte par exemple que l’aspect matériel comme « objet en terre qui a subi une cuisson de manière à le solidifier » [] ou donnant des précisions supplémentaires comme « matériaux inorganiques obtenus à partir de mélanges de poudres fines de matières premières minérales broyées, compactées et soumises à une cuisson à haute température, généralement entre 800 et 00°C » []. Ces quelques exemples permettent d’entrevoir les nombreux sens de « céramique ». Ainsi, il est important de préciser qu’il est employé dans la suite de cette étude pour qualifier de manière indifférente à la fois les objets (sens métonymique) et le matériau (sens technique). Pour proposer une définition adaptée à cette étude, il s’agit d’un objet ou du matériau façonné par un artisan à partir de matière minérale crue qui est ensuite chauffée. 

Lexique en rapport avec la céramique

Cette proposition de définition en apparence relativement simple cache une réalité bien plus complexe car les céramiques peuvent être décomposées en plusieurs divisions dont chacune répond à une terminologie plus ou moins compliquée. En effet, la céramique faisant l’objet de nombreuses études dans des domaines variés, une multiplication du vocabulaire pour qualifier des divisions comparables peut être observée, avec un ajout de subtilités parfois contradictoires entre deux domaines. Dans l’introduction d’une étude de 1898, M. Coupeau, ingénieur civil des mines, distingue de manière claire les deux divisions principales que l’on retrouve dans les céramiques : « les objets céramiques se composent essentiellement d’une pâte argileuse cuite, mais non fondue, poreuse dans les poteries et les faïences, en partie vitrifiée et compacte dans les grès et les porcelaines, qui forme le corps de l’objet ; d’une couverte complètement fondue, qui garde, le plus souvent, après refroidissement, l’état vitreux » []. La pâte (en anglais « body », en chinois « tāi » ( 胎 )) est la partie de la céramique qui est directement façonnée par l’artisan afin de donner à l’objet la forme qu’il désire avant la cuisson. Elle est généralement constituée d’un mélange d’une matière plastique facilement travaillable à la main (typiquement une argile) et d’une matière dégraissante (du sable ou des débris de poterie mis en poudre par exemple). On y ajoute parfois des matières fondantes comme des feldspaths ou des calcaires [3]. Comme indiquée par Coupeau, la pâte garde en général une certaine porosité après sa cuisson. La pâte est souvent recouverte d’une couche vitreuse (en anglais « glaze », en chinois « yòu » ( 釉 )) qui présente à la fois un intérêt pratique (rendre l’objet imperméable aux liquides) et une dimension esthétique [3]. Cette couche en particulier est désignée par de nombreux termes, comme couverte, émail, vernis, ou encore glaçure, dont la signification exacte est dépendante de la communauté, voire de la personne qui l’utilise. La couverte, terme utilisé par Coupeau, est un mot dont le sens littéral est large, puisqu’il désigne n’importe quelle couche recouvrant un objet. Ce sens très large est souvent utilisé en archéologie, alors que les autres disciplines utilisent des définitions bien plus restreintes. C’est le cas par exemple de celle qui apparaît dans la quatrième édition du dictionnaire de l’Académie Française de 62, où couverte est définie comme un « émail qui couvre une terre cuite mise en /265 œuvre. Il se dit particulièrement de la porcelaine » []. Cette définition est restée inchangée jusque dans l’édition actuelle de ce dictionnaire où il est précisé qu’il s’agit d’un émail transparent et l’association à la porcelaine est élargie aux faïences également []. L’association de couverte avec la transparence est également mentionnée par Daisy Lion-Goldschmidt, chargée de mission au Musée Guimet et spécialiste de la céramique chinoise, qui associe la couverte avec les porcelaines comme l’Académie Française mais avec les grès au lieu des faïences [18]. Alexandre Brongnart, minéralogiste, géologue et administrateur de la Manufacture de porcelaine de Sèvres entre 1800 et 1847, donne quant à lui la définition plus technique : « enduit vitrifiable, terreux, qui se fond à une haute température égale à celle de la cuisson de la pâte » [3]. Cette définition est partagée par Michel Beurdeley, expert en art d’Extrême-Orient, qui propose « enduit vitreux qui cuit en même temps que l’objet » [19]. Brongniart est cependant un plus précis quant au type d’objets sur lesquels la couverte est appliquée, en l’associant aux porcelaines et aux grès comme Lion-Goldschmidt. Cependant, contrairement à elle, il ne fait aucune association entre couverte et transparence. Le dictionnaire Larousse propose quant à lui la définition « enduit vitrifiable, transparent, incolore ou coloré, dont on recouvre les porcelaines et les grès pour leur donner un aspect brillant » [20]. Cette définition ajoute aux propositions de l’Académie Française et Lion-Goldschmidt que « couverte » peut désigner une couche colorée ou incolore, ce qui peut contrarier l’aspect transparent selon l’intensité de cette coloration. Pour Antoine d’Albis, chimiste en chef à la Manufacture de Sèvres depuis 1988, couverte est utilisé « pour désigner l’enduit vitrifié qui recouvre les porcelaines ». Il note que même si ce mot est toujours utilisé couramment, il est aujourd’hui « très désuet » [21]. D’Albis mentionne l’utilisation du mot émail pour « signifier la même chose » que couverte par les industriels, qui permet la commodité additionnelle d’utiliser le verbe « émailler ». Il note que les historiens de l’art s’en servent de manière beaucoup plus restrictive, uniquement « pour désigner le produit vitrifié, blanchi et opacifié par l’oxyde d’étain qui recouvre les céramiques poreuses » [21]. Cette définition plus restrictive est également utilisée par Brongniart qui l’associe généralement aux faïences, et indique clairement qu’il n’est pas synonyme de couverte [3]. Il s’agit d’un mot plus ancien que couverte qui apparaît dès la première édition du dictionnaire de l’Académie Française paru en 94, qui est d’ailleurs utilisé pour définir couverte (voir le paragraphe précédent). Alors orthographié « esmail », il est utilisé pour qualifier principalement les ouvrages de verres sur métaux [22]. C’est à partir de la deuxième édition du dictionnaire parue en 18 que la porcelaine est évoquée dans l’exemple « une porcelaine est d’un bel esmail » pour qualifier la beauté des couleurs de son décor et non la couche vitreuse en général [23]. Le mot perd son « s » pour prendre la forme que l’on lui connaît à partir de la troisième édition de 40 [24], mais la définition reste la même jusqu’à la sixième édition de 1835 où l’association avec la couche vitreuse sur céramique est donnée de manière explicite « l’émail de la porcelaine, l’enduit vitreux dont on la recouvre, et qui est souvent orné de diverses couleurs. On dit dans un sens analogue, l’émail de la faïence » [25]. Dans l’édition en rédaction actuellement, une définition plus technique est proposée : « Matière incolore, transparente ou opaque, obtenue par la vitrification de divers minéraux, qui peut être colorée par des oxydes métalliques et qu’on applique par fusion sur certains ouvrages de métal, de terre cuite, de verre, pour les orner » [26]. Cette définition s’oppose à celle de Brongniart en proposant que l’émail peut être transparent. Lion-Goldschmidt explique quant à elle que les émaux contiennent une quantité particulièrement importante de fondant et sont ainsi réservés aux décors de petit feu. Elle rejoint Brongniart en disant qu’ils sont « presque toujours opaques » [18], tout comme /265 Guignet et Garnier qui différencient les émaux des verres « par leur opacité et par des colorations toutes spéciales » [4]. En plus de distinguer émail de couverte, Brongniart désigne un troisième type de couche vitreuse qu’il appelle vernis et définit comme « tout enduit vitrifiable, transparent et plombifère qui se fond à une température basse et ordinairement inférieure à la cuisson de la pâte » [3]. Il associe ce type de couche aux poteries communes et aux faïences fines. Ce terme semble avoir été utilisé pour qualifier la couche vitreuse par comparaison avec la brillance des meubles en bois vernissés. La référence à la céramique dans la définition de vernis n’apparaît qu’à partir de la cinquième édition du dictionnaire de l’Académie Française parue en 98 [27]. Contrairement à ces deux définitions, Lion-Goldschmidt explique que les vernis sont véritablement « à base de résine » et utilisés pour rendre les céramiques imperméables et brillantes [18]. En archéologie, ce terme est couramment utilisé pour désigner les décors noirs des vases gréco-romains. Enfin le mot glaçure est également utilisé pour qualifier cette couche. Emprunté à l’allemand « Glasur » [28], il apparaît dans le dictionnaire de l’Académie Française uniquement depuis l’édition actuellement en rédaction, bien qu’il soit utilisé déjà couramment par Brongniart en 1844 [3,29]. Il semble que ce mot ait été utilisé comme synonyme de couverte par plusieurs auteurs de la fin du XIXe siècle chez lesquels on peut lire « glaçure ou couverte » en opposition à émail ou vernis [4,9]. Cependant il se peut qu’il soit également utilisé avec un sens plus large, comme le suggère l’utilisation de Brongniart, qui regroupe couverte, émail et vernis dans un article intitulé « glaçures en général » [3] ou comme le suggère Beurdeley en expliquant qu’il s’agit d’« un terme plus général, qui désigne les matières vitreuses enrobant les céramiques » [19]. Pour d’Albis, la glaçure s’oppose à l’émail des historiens de l’art du fait qu’elle est transparente et ne contient pas d’oxyde d’étain [21]. Enfin pour Lion-Goldschmidt, les glaçures sont transparentes et colorées avec divers oxydes métalliques. Il s’agit de décors de « demi-grand feu », ce qui les rend beaucoup plus liquide que ce qu’elle qualifie de couverte pendant la cuisson et permet de garder une séparation nette entre cette couche et la pâte [18]. La glaçure constitue ainsi pour elle une catégorie distincte et n’est pas un terme plus général que couverte, émail ou vernis. Comme le montre la diversité des définitions parfois contradictoires données ci-dessus, il est difficile d’appréhender clairement la différence entre glaçure, émail, couverte et vernis. Ces distinctions ont d’ailleurs « conduit à maintes querelles d’experts » comme l’explique d’Albis [21]. Ces termes étaient déjà régulièrement confondus ou utilisés comme synonymes à la fin du XIXe siècle comme l’illustre ces deux exemples : « On dit même, dans les fabriques de poteries, l’émail pour la couverte ou le vernis. » [4], « Pour la glaçure, nommée couverte, on emploie le feldspath quartzeux […]. Cet enduit fusible, ce verre ou émail, reçoit, le plus souvent, la décoration peinte qui y adhère. » []. Ainsi, pour éviter de plonger davantage dans ces problèmes insolubles de vocabulaire, le mot choisi dans cette étude pour qualifier la couche vitreuse recouvrant la pâte est glaçure, quel que soit son aspect. Celle-ci peut-être appliquée sur la pâte avant la cuisson ou après une première cuisson, appelée dégourdi, en fonction de sa composition et l’effet recherché par l’artisan. Cette application sur la pâte peut être effectuée par divers procédés, comme le trempage (ou immersion) de la pièce dans un bain de glaçure crue [3,18], l’insufflation de la glaçure crue à l’aide d’un bambou fermé à /265 une extrémité par une gaze [9,18] ou l’arrosement qui consiste à verser directement la glaçure crue sur l’objet à émailler [3]. La pâte et la glaçure sont les deux divisions les plus courantes des céramiques. Elles ne sont néanmoins pas les seules possibles : il est en effet possible de séparer certains types de décors des glaçures par exemple. Une autre division assez commune dans les céramiques est l’engobe. Il s’agit d’une mince couche minérale (d’argile ou d’ocre) blanche ou colorée appliquée directement sur la pâte crue qui sert à masquer les imperfections de la pâte en la faisant paraître plus fine ou plus blanche qu’elle n’est en réalité [3,18]. Il peut être utilisé comme finition de surface mais également comme fond de décor peint ou sous glaçure afin de renforcer l’éclat de cette dernière [,18,30]. Dans le cas de l’utilisation du sens littéral du mot couverte, un engobe peut être tout à fait considéré comme couverte, comme le montre la définition « couverte de nature argileuse » proposée par André D’Anna, directeur de recherche spécialisé dans le néolithique [30]. B – Classifications des céramiques 1) Classifications occidentales Comme le suggèrent plusieurs définitions présentées dans la partie précédente, il existe également différents noms pour qualifier les céramiques selon leur aspect, comme la porcelaine, le grès ou la faïence. Ces noms sont issus de classifications, dont la plus souvent utilisée comme référence en France est celle de la Manufacture de Sèvres, établie pour la première fois par Bongniart en 1844. Cette classification est avant tout une classification scientifique, établie en considérant principalement les propriétés physiques des céramiques et la composition chimique des matières premières, comme il l’indique dans la préface de son traité des Arts Céramiques : « J’ai donc tenté de classer d’une manière rationnelle les produits céramiques, […] j’ai cru devoir examiner quels étaient en général les principes de composition qui distinguaient réellement entre eux les produits céramiques, et prendre ces différences essentielles pour base de ces distinctions. » [3]. En effet d’après lui, les noms donnés aux céramiques jusqu’alors étaient souvent donnés de manière arbitraire par les artisans ou les collectionneurs : « cette variation n’était souvent qu’apparente et tenait plutôt aux noms donnés par le charlatanisme qu’à un principe de véritable différence ; que, par exemple, la prétendue porcelaine opaque, n’était porcelaine que de nom, et par l’idée plus spéculative que logique du fabricant qui avait cru relever la position de sa poterie par ce nom ambitieux. Sans donc m’inquiéter de tous ces noms […] appliqués comme au hasard à des poteries » [3]. Il propose ainsi, à partir de ses observations, de ranger les céramiques dans neufs ordres répartis entre trois classes : les poteries à pâte tendre, les poteries à pâte dure et opaque et les poteries à pâte dure et translucide. Pour établir ces classes et ordres, ce spécialiste s’est basé principalement sur deux propriétés physiques des pâtes des céramiques : leur dureté et leur opacité. Un résumé du résultat de sa classification est présenté dans le Tableau 1 ci-dessous. /265 Classe Ordre I. Poterie à pâte tendre 1 er Terre cuite 2 e Poterie lustrée 3 e Poterie vernissée 4 e Poterie émaillée II. Poterie à pâte dure opaque 5 e Faïence fine 6 e Grès cérame III. Poterie à pâte dure translucide 7 e Porcelaine dure (ou chinoise) 8 e Porcelaine tendre naturelle (ou anglaise) 9 e Porcelaine tendre artificielle (ou française) Tableau 1 : Résumé de la classification des céramiques proposée par Brongniart [3] La classe I, poterie à pâte tendre, se différencie des deux autres par sa dureté inférieure aux classes II et III. Les classes II et III, poteries à pâte dure respectivement opaque ou translucide, dont la dureté est « commune », se différencient quant à elles par leur opacité. Même si les ordres présentés ci-dessus sont basés sur les observations de ces deux propriétés, Brongniart ne néglige pas pour autant les aspects archéologiques, historiques ou pratiques des objets. En effet, chaque ordre décrit dans son traité est associé d’abord à une définition assez brève de ses propriétés, suivi d’une description plus exhaustive contenant des exemples d’objets et de méthodes de fabrication, ainsi qu’une liste de lieux et des époques où les céramiques de cet ordre étaient fabriquées. Il introduit également des sous-ordres lorsque cela lui semble nécessaire. Cette classification n’est bien sûr pas la seule qui existe pour catégoriser les différentes céramiques. Comme l’indique son auteur, sans d’ailleurs se priver de railler leur utilisation qualifiée de « au hasard », les mots faïence, grès ou porcelaine étaient déjà utilisés auparavant en France pour différencier les céramiques entre elles, souvent par rapport à leur aspect visuel général. Elle est très liée à la Manufacture de porcelaine de Sèvres et la manière dont les céramiques y étaient produites. Elle reste néanmoins relativement proches des classifications établies dans d’autres pays européens, comme la saxonne décrite par Hamer et Hamer citée par Joseph Needham, biochimiste et sinologue spécialiste de l’histoire des techniques en Chine, qui distingue également trois classes de céramiques : « earthenware », « stoneware » et « porcelain » [31]. Pour ces auteurs, la différence entre « earthenware » et « stoneware » tient principalement à la porosité plus ou moins importante de la pâte et « porcelain » est définie comme translucide et cuite à une température supérieure à 00°C. Malgré la définition de ces classes avec ces critères différents, le résultat est similaire à la classification de Brongniart et on peut généralement associer « earthenware » avec poterie à pâte tendre, « stoneware » avec poterie à pâte dure opaque et « porcelain » avec poterie à pâte dure translucide, à quelques exceptions près. Avec le temps, de nombreux domaines comme les sciences industrielles, l’archéologie ou l’histoire de l’art se sont appropriés ces différentes classes et ont éventuellement adapté la définition de certains de leur ordres de manière à mieux répondre aux besoins spécifiques de leur disciplines. La découverte de nouveaux objets archéologiques, en particulier certaines céramiques chinoises qui ne rentraient pas exactement dans les ordres existants a également contribué à ces adaptations, voire 18/265 à la création de nouvelles catégories intermédiaires, par exemple la proto-porcelaine ou le grès porcelaineux. 2) Limites des classifications occidentales Comme évoqué au-dessus, les céramiques chinoises font souvent partie des objets dont la classification est débattue, en particulier pour la distinction entre le grès et la porcelaine dure. Cette difficulté à faire correspondre correctement ces céramiques aux classes proposées par les savants occidentaux peut être interprétée comme une accumulation de facteurs principalement dus aux différences entre les visions européennes et chinoises des céramiques. L’une des origines principales de ces facteurs est sans doute le véritable engouement pour la porcelaine importée de Chine lors de son introduction en Europe par les portugais en 08, selon les sources du XIXe siècle [9,]. Comme on peut l’attendre de la découverte d’objets inédits d’une telle qualité, « les porcelaines suscitèrent une incroyable émulation parmi les industriels et les savants » [], conduisant à de nombreuses études pour percer les mystères de sa fabrication. Des descriptions ont été effectuées sur place dès le XVIe siècle, avec par exemple la description de Gaspar Da Cruz, missionnaire dominicain portugais de passage en Chine en 56 [32] ou la description détaillée de sa fabrication à jǐngdézhèn (Jiāngxī) par le père François-Xavier d’Entrecolles, missionnaire jésuite français, deux siècles plus tard [33]. De nombreuses études ont également été menées en parallèle en occident pour tenter de la décrire exhaustivement et percer ses secrets de fabrication, à partir d’analyses scientifiques ou des textes chinois comme le Jǐngdézhèn tàolù [Annales des céramiques de Jǐngdézhèn] traduit par Stanislas Julien [34]. La première difficulté évidente à laquelle les savants occidentaux qui s’intéressaient à la porcelaine ont étés confrontés est la traduction de la langue chinoise. Il semble effectivement que les mots « táo » (陶), « yáo » (窑) et « cí » (瓷) ont été parfois traduits de manière indistincte par porcelaine [34]. Ces confusions de traductions sont d’ailleurs acerbement déplorées par certains auteurs du XIXe siècle comme Grandidier qui écrit « Stanislas Julien traduit indistinctement thao [i.e. táo] et yao [i.e. yáo] par porcelaine ; les conséquences de cette interprétation vicieuse sont incalculables » [9]. Il semble néanmoins que les sources du XVIIIe et XIXe siècles s’accordent le plus souvent pour faire correspondre porcelaine au mot cí (ou à l’expression « cí qì » (瓷器) qui peut être traduite par objet ou vase en porcelaine, en céramique [35]), comme on peut le lire chez le père d’Entrecolles en : « La porcelaine s’appelle communément à la Chine steki [i.e. cí qì] » [33], Brongniart en 1844 : « La porcelaine s’appelle en chinois Tse ki [i.e. cí qì] » [36], Jacquemart et Le Blant en 1861 : « En Chine, selon Alex. Brongniart, la poterie kaolinique le nomme tse [i.e. cí] ou tse-ki [i.e. cí qì] ; cette dernière expression semble devoir s’appliquer à une espèce particulière ; yao [i.e. yáo] est, au contraire, un nom générique qui désigne en même temps l’objet fabriqué & le four à cuire. » [] ou encore Grandidier en 1894 : « En Chine, la porcelaine s’appelle tsé, tseu [i.e. cí] » [9]. Ces problèmes de traductions sont exacerbés par un emploi beaucoup plus restrictif du mot porcelaine en occident par rapport au mot cí, qui en réalité désigne plutôt les céramiques cuites à haute température, soit une catégorie bien plus large que la seule porcelaine [31]. Cette distinction était d’ailleurs déjà remarquée au XIXe siècle par Grandidier qui notait avec condescendance que cí 19/265 « en réalité, n’est-il pas l’équivalent parfait de notre terme français; il s’applique à la porcelaine de bonne qualité, mais rigoureusement il signifie « poterie fine, poterie de choix » » [9]. A ces difficultés liées à la différence entre les deux langages, il s’est ajouté que le mot porcelaine d’une part existait avant la découverte de la porcelaine de Chine, il était ainsi utilisé afin de qualifier d’autres types d’objets, d’autre part qu’il a servi à décrire davantage d’objets que les porcelaines chinoises après leur découverte. Cette utilisation élargie est notée par Jacquemart et Le Blant : « ce nom a-t-il été exclusivement consacré aux produits céramiques qui le portent aujourd’hui ? Évidemment non. » []. En effet, avant d’être utilisé pour qualifier des céramiques, il semble que porcelaine, parfois orthographié pourcelaine, était usité pour qualifier des gemmes, comme le suggèrent par exemple l’inventaire du duc d’Anjou de 60 « Une escuelle d’une pierre appelée pourcelaine » et l’inventaire de Charles V « Une petite pierre de pourcelaine entaillée à six petiz ymages garnye d’or », qui correspondent d’après Jacquemart et Le Blant à des pierres semiprécieuses transparentes comme de la calcédoine, de l’alabastrite ou du jade blanc []. Il était également utilisé pour qualifier des plantes comme le pourpier, comme le suggère l’entrée porcelayne (redirection depuis pourcelaine) du dictionnaire de la langue française du XVIe siècle [37] ou des coquillages du genre cypræa : « Ce nom porcelaine est donné à plusieurs coquilles de mer » []. Enfin, porcelaine a été également utilisé pour qualifier d’autres céramiques de moyenne facture ou des imitations afin de profiter des connotations luxueuses et exotiques associées aux porcelaines chinoises, comme le notent Jacquemart et Le Blant : « vers le milieu du XVIe siècle, lorsque la poterie orientale commençait à se répandre, un brillant artifice de langage vient troubler la nomenclature céramique en appliquant le mot porcelaine à des produits indignes de le porter. » [] ou Brongniart : « la prétendue porcelaine opaque, n’était porcelaine que de nom, et par l’idée plus spéculative que logique du fabricant qui avait cru relever la position de sa poterie par ce nom ambitieux. ».

Table des matières

Introduction : Généralités sur la céramique
A – Définitions
1) Le mot « céramique »
2) Lexique en rapport avec la céramique
B – Classifications des céramiques
1) Classifications occidentales
2) Limites des classifications occidentales
3) Classifications chinoises
Chapitre I : Les céramiques noires et brunes en Chine
A – Céramiques noires et brunes Pré-Sòng
1) Céramiques chinoises primitives et oxyde de fer
2) Développement des premières glaçures noires
3) Céramiques noires et brunes de la dynastie Táng
B – Société et esthétique Sòng
1) De la dynastie Táng à la dynastie Sòng
2) Transformations sociales sous les Sòng
3) Situation géopolitique et économique sous les Sòng
4) Conséquences de ce contexte sur la céramique
5) Esthétique et art céramique Sòng
C – Céramiques noires et brunes Sòng
1) Céramiques noires et brunes Sòng
2) Nomenclature des céramiques brunes et noires
* Glaçures monochromes
* Glaçures à décors abstraits
* Glaçures à décors figuratifs
D – Céramiques noires et brunes après la dynastie Sòng
1) Céramiques noires et brunes sous les dynasties postérieures aux Sòng
2) Céramiques noires et brunes actuelles inspirées des productions Sòng
Chapitre II : Contexte scientifique et méthodes
A – Céramiques noires et brunes Sòng dans la littérature en sciences des matériaux
1) État de l’art
2) Problématique relevant des sciences des matériaux
B – Présentation du corpus étudié
1) Échantillons issus de céramiques archéologiques
2) Échantillons issus de recréations modernes
3) Éprouvettes tests artisanales modernes
4) Matières premières
5) Objets issus de collections muséales
6) Tableau récapitulatif et commentaires
C – Stratégie d’analyse
1) Présentation générale de la stratégie
2) Contraintes liées aux échantillons étudié
3) Analyses effectuées
D – Conditions d’analyses et paramètres expérimentaux
1) Préparation et élaboration d’échantillons
* Préparation de sections transverses
* Préparation d’échantillons métallisés
* Préparation de lames minces par FIB
* Élaboration d’échantillons de matière première chauffée
2) Techniques analytiques et d’imagerie
* Imageries et microscopies optiques
* Diffraction des rayons X conventionnelle (XRD)
* Diffraction des rayons X in-operando (XRD in-operando)
* Spectroscopie Raman
* Microscopie électronique à balayage et caractérisations associées (SEM-EDS-TKD)
* Microscopie électronique en transmission et caractérisations associées (STEM-EDSACOM)
* Émission de rayons X induite par proton (PIXE)
* Spectrométrie par fluorescence des rayons X (XRF)
Chapitre III : Analyses des tessons et objets archéologiques
A – Caractérisation des pâtes
1) Observations optiques
2) Caractérisation chimique
3) Caractérisation structurale
4) Bilan
B – Caractérisation générale des glaçures
1) Observations optiques
2) Caractérisation structurale
* Caractérisation structurale systématique par XRD
* Caractérisation locale par Spectroscopie Raman
3) Microstructure
4) Caractérisation chimique
* Composition globale
* Stratigraphie et profil de composition
5) Bilan
C – Interface entre la pâte et la glaçure
1) Caractérisation chimique globale
2) Caractérisation fine des interfaces
3) Bilan
D – Objets de musée
1) Observations optiques
2) Caractérisation structurale
Bilan global et problématiques émergentes
1) Bilan
2) Problématiques
Chapitre IV : Études en température et des recréations
A – Caractérisation des matières premières
1) Observations optiques
2) Caractérisation chimique
3) Caractérisation structurale
B – Étude des éprouvettes de la série ZJ
1) Observations optiques et caractérisation structurale globale
2) Caractérisation structurale et chimique locale
3) Étude détaillée de ZJ-07
4) Mise en équation du mécanisme de croissance
5) Étude détaillée de ZJ
6) Bilan
C – Suivi en température in-operando
1) Détermination de la température du milieu réactionnel
2) Étude en température
D – Étude des recréations noires à reflets bleus
1) Observations optiques
2) Caractérisation chimique et structural
Bilan global
Chapitre V : Étude de l’influence d’une sélection de paramètres
environnementaux
A – Influence de l’atmosphère et de la durée du cycle thermique sur la surface de la
glaçure
1) Observations optiques et caractérisation globale
2) Dendrites d’oxydes de fer
3) Cristaux d’indialite
4) Spinelle, nanoparticules et mullite
5) Cristaux géométriques riches en fer
6) Bilan
B – Influence de la vitesse de refroidissement, de la composition de la matière
première et de la température maximale atteinte sur la surface de la glaçure
1) Observations optiques
2) Caractérisation par spectroscopie Raman
C – Influence de la vitesse de refroidissement, de la composition de la matière
première et d’un dégourdi de la pâte sur l’interface entre la pâte et la glaçure
1) Influence de la composition de la matière première
2) Influence de la vitesse de refroidissement
3) Influence du dégourdi de la pâte
4) Bilan

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