Les mécanismes de migration du xénon dans le dioxyde d’uranium et analogues

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Causes d’altération du combustible nucléaire

Le combustible nucléaire est un matériau destiné à exploiter la fission de U, procédé lar-gement employé à travers le monde pour la production d’électricité. En France, en 2019, 80% de l’énergie électrique est produite par ce procédé (EDF, 2021). La centrale nucléaire est une centrale thermique dans laquelle la chaleur nécessaire à la production électrique provient de la désintégration de U. L’U est contenu dans son oxyde le plus simple, UO2. La poudre d’UO2 est frittée sous la forme d’un cylindre plein ou percé de dimension centimétrique. Pour cette application, U est préalablement enrichi en isotope fissile, 235U. Dans les centrales nucléaires, ces cylindres, appelés pastilles de combustibles, sont empilés dans des gaines de zircaloy (Zy) 1 pour former des ensembles de crayons de combustible de quelques mètres de hauteur. La réaction nucléaire génère suffisament de Xe pour que celui-ci altère la structure de la pastille de combus-tible, c’est un produit de fission (PF) majoritaire. Certains des isotopes de cet élément sont des poisons neutroniques notoires (ils capturent facilement les neutrons et freinent ainsi les réactions de fission). Par ailleurs, la production de gaz quel qu’il soit à l’intérieur d’un solide entraîne la dégradation de ses propriétés mécaniques (voir Figure 1.2) et thermiques. De surcroît, dans les sites d’accumulation des produits gazeux des pastilles règne une pression de l’ordre du GPa et une température de l’ordre du millier de ℃ (Guillet et al., 2008 ; p.26). Cette section définit les concepts nécessaires à la compréhension des conséquences de la production du Xe comme PF majoritaire de U.
Figure 1.2 – Figure extraite de la monographie de Guillet et al. (2008 ; p.18). Vue en coupe d’une pas-tille de combustible nucléaire après un cycle d’irradiation. Des fissures et des trous sont apparus. L’écart à la gaine (anneau externe clair) n’est plus homogène.
La recherche dans ce domaine vise à atteindre une sécurité et une rentabilité maximale. L’obs-tacle majeur dans l’atteinte de ces optima provient de l’altération mécanique du combustible. Les risques sont dus aux surchauffes et aux déformations que subissent les matériaux. Ces problèmes surviennent pour une réactivité ou un vieillissement trop important des pastilles d’UO2. Le gaz majoritairement libéré au cours de la réaction nucléaire est le Xe. Les dommages engendrés par cette libération entraînent la diminution de la conductivité thermique des pastilles de combus-tibles. Or, le transfert de chaleur de la source de chaleur au milieu caloporteur, ici l’eau, est la base du bon fonctionnement du réacteur. De plus, la mauvaise évacuation de la chaleur dans la pastille entraîne des surchauffes (plus de 1 200 ℃ au centre, pour ≃400 ℃ à la périphérie) posant des problèmes de sécurité.

Le xénon au cœur du réacteur nucléaire, altérateur de structure

Lors de la fission d’un atome d’U, deux atomes produits de fission sont émis ainsi que 2,3 neutrons en moyenne (équation 1.3.1). 235U +01 n → 2PF + 2, 3n (1.3.1)
Les PFs ont une probabilité de production réparties autour de deux pics correspondant à environ un et deux tiers de la masse de l’atome fissile, 235U. Le Xe, représenté par nombre de ses isotopes, présente un rendement de 13 n% parmi les PFs (voir Figure 1.3). PF majoritaire relâché
à l’état gazeux et insoluble dans la céramique combustible, le Xe est responsable de l’altération rapide de la pastille de combustible. Le Kr, autre gaz noble PF de 235U, n’a un rendement que de 1,6 n%. Son impact sur l’intégrité des céramiques combustibles est similaire mais moindre que celui du Xe.
Les PFs gazeux, insolubles dans la structure de UO2, s’accumulent à l’intérieur de la pastille solide. Nous assistons à l’apparition de nano-bulles remplies majoritairement de Xe et de fissures dans le matériau au cours du vieillissement de la pastille (voir Figure 1.2). L’altération leur étant due est observée dans les combustibles usés.
Le Xe migre dans la structure, faisant grossir la taille de nano-bulles et apparaître des fissures lorsque les contraintes sur le matériau sont trop importantes. Les altérations de la structure dimi-nuent la conductivité thermique (λ) de l’objet. De surcroît, UO2 est déjà un mauvais conducteur thermique avec λ compris entre 2 et 5 W.m-1.K-1. A titre de comparaison, pour l’acier, λ ≃ 26 W.m-1.K-1.
Les pastilles de combustibles sont extraites du réacteur alors que le rendement énergétique avoisine les 5%. Les réactions sont arrêtées à ce point car dépasser ces taux de combustion poserait des problèmes de sécurité. Dans cette étude, nous essayons d’augmenter la capacité critique en Xe des combustibles nucléaires, sans que sa présence n’endommage la microstructure, en tentant de solubiliser cet élément. Pour atteindre cet objectif, nous testons l’ajout d’une phase connue pour sa haute capacité de rétention comme SiO2 (Sanloup et al., 2002 ; 2005), voire une autre phase silicatée de composition optimisée à cet effet.

Les mécanismes de migration du xénon dans le dioxyde d’uranium et analogues

La migration des gaz de fission a été étudiée notamment par Felix et Miekeley (1972). Ces travaux constituent une référence expérimentale sur laquelle se basent des travaux théoriques (Govers et al., 2010 ; Thompson et Wolverton, 2013 ; Miao et al., 2014). Ces derniers visent à déterminer les mécanismes ayant cours dans les pastilles d’UO2 et son analogue non radioactif CeO2 par méthode de statique moléculaire et théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT). Les quatre études convergent vers une énergie moyenne de migration du Xe dans ces matériaux d’environ 4 eV dans UO2 stœchiométrique comme dans CeO2. Miao et al. (2014) concluent que CeO2 est un bon substitut non-radioactif d’UO2 pour l’étude des mécanismes de migration du Xe dans ce composé. Le Tableau 3.2 p.53 établit une comparaison des paramètres cristallographiques des deux composés.
De nombreux mécanismes ont été imaginés pour expliquer la migration des espèces à l’échelle atomique. Cependant, l’échange direct, le mécanisme de l’anneau ( en., ring mechanism) et le mécanisme par déplacement simultané ont été écartés à cause de leur coût énergétique trop élevé (Mehrer, 2007). Finalement, trois mécanismes sont retenus pour expliquer la mobilité du Xe dans UO2 et CeO2 : la diffusion libre d’un site intersticiel à l’autre, la migration assistée par déplacement de cation et la migration doublement assistée par déplacement de cation et lacune.
La diffusion libre a une énergie d’activation de l’ordre de la dizaine d’eV, la migration par déplacement de cation a une énergie d’activation comprise entre 1,77 et 2,61 eV et la migration doublement assistée par déplacement de cation et lacune a une énergie d’activation comprise entre 1,15 et 2,93 eV selon la position relative des défauts de structure (Miao et al., 2014).
Retenons de ces études que l’existence et la mobilité des lacunes dans un matériau favorise la diffusion du Xe dans sa structure. En effet, les mécanismes assistés diminuent d’un ordre de grandeur l’énergie nécessaire à la migration des atomes de Xe. En outre, les pastilles de combustible sont exposées à de forts flux d’énergie, générant les défauts nécessaires à la diffusion de Xe.

Composés mixtes cérine-silice

La pastille de combustible nucléaire est portée à haute température et soumise à un flux de particules à haute énergie cinétique, ce qui favorise la création de lacunes, et par là même, de la migration du Xe. De surcroît, ces conditions favorisent également la migration directe du Xe. L’immobilisation chimique du Xe dans une phase silicatée est la piste que nous explorons pour atténuer l’endommagement des pastilles de combustible nucléaire en UO2.
Les études sur les analogues non radioactifs d’UO2 sont plus faciles à réaliser car une régle-mentation est imposée pour la manipulation d’uranium. C’est la voie que nous choisissons pour étudier la capacité de rétention de matériaux mixtes UO2/SiO 2 , dans notre cas CeO2/SiO2. Plusieurs composés mixtes de ce type ont déjà été synthétisés. Le Tableau 1.4 en donne les formules.
Néanmoins, la réactivité entre SiO2 et UO2 est différente. En effet, il a été montré que les composé mixtes sont métastables à Ta et se décomposent à plus haute température. C’est par exemple le cas de la coffinite USiO4 qui se décompose en U3O8 et SiO 2 à partir de 450 ℃ (Guo et al., 2015). Par ailleurs, Nakamichi et al. (2009) tentèrent de créer des composés mixtes à partir de SiO2 et de mélange d’oxyde de Pu et de U (MOX). Aux joints de grains, des composés consti-tués de Pu et silicium (Si) ont été observés mais aucun composé comprenant simultanément U et Si n’a été trouvé. Enfin, Yang et al. (2020) observent l’instabilité de du composé U3Si2 en présence de vapeur d’eau, celui-ci se dissociant en UO2 d’une part et SiO2 amorphe d’autre part.

Le xénon renonce à la noblesse

En dépit de son classement dans la colonne dont rêvent tous les éléments des colonnes 1 à 17, le Xe ne se complaît pas pleinement dans le remplissage complet de ses orbitales atomiques. Prenant divers degrés d’oxydation, cet élément entre dans la composition de composés exotiques aux pression et température ambiante comme en conditions extrêmes. Par sa taille, cet atome est également sujet à une diffusion ralentie, parfois entravée jusqu’à l’immobilisation par des structures solides. En géosciences, le Xe est également singulier par ses signatures élémentaire et isotopique : c’est le paradoxe du Xe. Le prochain chapitre présente le paradoxe du Xe et dresse l’inventaire des hypothèses proposées comme solution.

Un traceur géochimique déroutant

Notions de fractionnement isotopique

Définition
La géochimie s’intéresse à la répartition des éléments et de leurs isotopes, stables ou non, dans les différents réservoirs planétaires et stellaires. Les variations observées sont des indices quant aux liens qui existent entre les réservoirs. De ces liens peuvent être déduits des contraintes physiques, chimiques et chronologiques. Ce chapitre a pour objet la géochimie du Xe. Nous nous intéressons à l’abondance élémentaire et au fractionnement isotopique de cet élément sur Terre. Sont dit isotopes des atomes ayant le même nombre de protons et un nombre de neutrons différents. Certains éléments du tableau périodique sont représentés dans la nature par plusieurs isotopes. Ces isotopes peuvent être stables ou instables. L’instabilité de certains isotopes mène à leur désintégration par différents mécanismes nucléaires, α, β ou γ. Dans la géochimie des gaz nobles et en particuliers celle du Xe, nous ne considérons pas les isotopes instables mais uni-quement 124,126,128,129,130,131,132,134,136Xe. Les isotopes 124Xe et 136Xe sont considérés comme stables car leur demi-vie est supérieure à 4,7.10 21 et 2,2.1021 années, respectivement (Audi et al., 2017). Pour comparaison, l’univers est âgé de « seulement » 1,38.1010 années (Aghanim et al., 2020).
Le fractionnement isotopique des éléments est la répartition hétérogène des isotopes d’un élément entre plusieurs réservoirs entre lesquels un phénomène physique ou chimique opère (Bi-geleisen et Mayer, 1947). Les isotopes les plus lourds ont des fréquences de vibration moins élevées que leurs homologues plus légers. De même, leur vitesse de diffusion est proportionnelle à leur masse d’après la théorie de la cinétique des gaz de Boltzmann (Richet, 2000). Cette différence de propriétés cinétique et non chimique entre les isotopes d’un même élément est appelé l’effet isotopique (Hoefs, 2018).
Dans un système physico-chimique, l’échange isotopique œuvre constamment, c’est l’équilibre isotopique interne (Richet, 2000). Cet échange est spontané, il consiste au passage sans réaction chimique d’une phase à l’autre ou d’une molécule à l’autre. Selon la température, la pression et le pouvoir oxydant du milieu, un fractionnement isotopique peut être observé à l’équilibre thermodynamique. En d’autres termes, les isotopes les plus lourds peuvent être davantage retenus dans une phase plutôt qu’une autre après réaction. On note alors le rapport de fractionnement R selon l’équation 2.1.1.

Table des matières

Introduction générale
Liste des abréviations
1 Du xénon sur la paillasse 
1.1 La famille du xénon
1.2 Réactivité chimique d’un gaz monoatomique
1.2.1 Prédispositions atomistiques
1.2.2 Composés de xénon
1.3 Causes d’altération du combustible nucléaire
1.3.1 Le xénon au coeur du réacteur nucléaire, altérateur de structure
1.3.2 Les mécanismes de migration du xénon dans le dioxyde d’uranium et analogues
1.3.3 Composés mixtes cérine-silice
1.4 Le xénon renonce à la noblesse
2 Un traceur géochimique déroutant 
2.1 Notions de fractionnement isotopique
2.2 Utilisation des gaz nobles comme traceurs géologiques
2.2.1 L’inertie chimique propice aux bilans de matière
2.2.2 Le xénon comme géochronométre
2.3 Le paradoxe du xénon
2.3.1 Déficit élémentaire
2.3.2 Fractionnement isotopique déviant
2.3.3 Chronologie du fractionnement isotopique
2.4 Formation planétaire
2.4.1 Nébuleuse proto-solaire
2.4.2 Disque proto-planétaire
2.4.3 Accrétion de la poussière jusqu’aux planètes
2.5 Explications proposées pour résoudre le paradoxe du xénon
2.5.1 Hypothèses réfutées
2.5.2 Echappement atmosphérique
2.5.3 Incorporation dans les silicates
2.6 Conclusion
3 Doper les matériaux en xénon et les caractériser 
3.1 Compositions minérales utilisées
3.1.1 Sanidines
3.1.2 Péridotite San Carlos
3.1.3 Poudres synthétiques
3.2 Synthétiser sous haute pression et température
3.2.1 Imposer l’environnement chimique
3.2.2 Imposer les conditions physiques
3.3 Observation et caractérisation des échantillons
3.3.1 Microscope électronique à balayage
3.3.2 Microsonde de Castaing
3.3.3 Analyses en spectrométrie de masse au LP2i
3.3.4 Analyse Raman
4 Fractionnement expérimental du xénon 
4.1 Micro-analyse et microscopie électronique
4.1.1 Intégrité minérale conservée
4.1.2 Texture des échantillons
4.2 Mesure du fractionnement isotopique du xénon
4.2.1 Xénon incorporé fractionné isotopiquement
4.2.2 Rampe de température et relargage du xénon
4.3 Concentration élémentaire en xénon
4.4 Conclusion
5 La solution chimique au paradoxe du xénon 
Article publié
6 Matériaux dopés en xénon 
6.1 Introduction
6.2 Occurrence de zones riches en xénon à partir de minéraux naturels
6.3 Tentatives de reproduction des zones riches en xénon
6.3.1 Sanidine dopée en phosphore
6.3.2 Sanidine synthétique
6.4 Transfert aux matériaux d’intérêt nucléaire
6.5 Discussion
6.5.1 Les alcalins xénonphobes
6.5.2 Décalages Raman
6.6 Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie 
Annexes I
A Minéraux, matériaux synthétiques et artificiels III
A.1 Détail des analyses à la microsonde de Castaing
A.2 Images macroscopiques des minéraux
A.3 Préparation des mélanges
A.4 Analyses réalisées dans le contexte géologique
A.5 Tracés des fractionnements isotopiques
A.6 Caractérisation des échantillons
B Récapitulatif des synthèses XLI
C Equipements XLV
C.1 Préparation des échantillons pour la microscopie électronique
C.2 Détecteurs MEB
C.3 Conditions et standards pour la microsonde de Castaing
C.4 Données et protocoles pour la spectrométrie de masse
D Géologie, données chimiques, physiques et cosmologiques LIII
E Code de théorie cinétique des gaz LXV

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