Les stations françaises de biologie marine et leurs périodiques entre 1872 et 1914

Les stations françaises de biologie marine et leurs périodiques entre 1872 et 1914

La mer source de vie et la naissance de la pisciculture 

La mer à l’origine de la vie

Au Siècle des lumières, certains écrits restaient dans l’ombre. Interdits mais diffusés, ces ouvrages constituent une « littérature philosophique clandestine » 27. Un des représentants de cette littérature, le consul Benoˆıt de Maillet (1656-1738) développa une des premières théories modernes d’une apparition de la vie dans la mer 28. Son Telliamed, écrit autour de 1715-1720 et publié après sa mort en 1748 29, décrit son interprétation des couches sédimentaires et les conséquences qu’il en tire. Cette théorie montre une formation de la Terre passant par un océan 27. Voir Ben´ıtez (1996) et la revue La Lettre Clandestine, éditée depuis 1992. 28. de Maillet était un disciple de Fontenelle mais les théories de ce dernier restent plus métaphysiques que scientifiques. sur de Maillet voir Ben´ıtez (1980, 1983, 1984, 1990, 1992, 1996); Carrive (1968); Cohen (1985, 1989a,b,c, 1991, 1997); Gohau (1987, 1990, 2003); Mori (1994). 29. Mayr (1989, vol. 1, p. 428-430) et Gohau (2003, p. 36-37). 37 primitif recouvrant le globe, et duquel les continents émergent progressivement, découvrant des montagnes « primaires » rocheuses et des montagnes « secondaires » formées par les dépˆots alluvionnaires 30. Cette théorie « neptunienne » reprend les deux classes de montagnes du prodromus de Nicolas Sténon [Niels Steensen] (1638-1686) 31. Sténon, reconnaˆıt dans la dentition d’un Squale qu’il dissèque les glossopètres, jusqu’alors désignés populairement comme des langues ou des yeux de serpent pétrifiés. Son interprétation des fossiles est alors vivement contestée mais influence fortement ses successeurs 32. Gohau place de Maillet entre Sténon et Moro. Anton Lazzaro Moro (1687-1764) oppose au neptunisme un « vulcanisme », o`u l’océan couvre des continents sans reliefs, les montagnes naissant des forces volcaniques 33 . L’océan, salé par les laves, peut alors assister à la naissance des ˆetres vivants 34. Gabriel Gohau a montré combien les théories de Moro inspireront celle de Linné sur l’origine insulaire de la vie 35 . Le neptunisme de de Maillet, établissant que les montagnes ont progressivement été découvertes avec la baisse du niveau de l’océan originel, implique une origine marine de la vie, et des processus modificateurs chez les orga30. Le travail de de Maillet est essentiellement géologique, les réflexions concernant le vivant sont secondaires et leur niveau scientifique est largement inférieur, voir à ce sujet Gohau (1987, 1990, 2003). 31. Sténon (1669). 32. Gohau (1987, p. 62-63). 33. Moro (1740). 34. Gohau (2003, p. 36). 35. Gohau (1990). 38 nismes, d’abord marins puis aériens 36. Dans ce texte, c’est l’abaissement des eaux qui permet la naissance des ˆetres vivants près des terres, immergées d’abord puis émergées. La lecture en est délicate, du fait des précautions rhétoriques qu’a prises de Maillet pour ne pas s’attribuer directement ces réflexions et des parts narratives qui englobent ses théories. Elle nous permet cependant de constater qu’il invoque l’observation en justification de ses écrits géologiques : « Une observation que mon Ayeul avoit faite, & qu’il communiqua à mon père, fut la cause d’une étude qui dura toute leur vie, et qui a fait la principale occupation de la mienne. La maison des ancˆetres, que je possède encore actuellement, est bˆatie au bord de la mer, à la pointe d’une presqu’ˆıle très-étroite, & fort longue. Elle est couverte par une petite Isle formée par un rocher dur, & d’une figure parfaitement horizontale à la mer. Mon Ayeul avoit remarqué dans sa jeunesse, ainsi qu’il assura à mon père, que dans le plus grand calme la mer restoit toujours supérieure au rocher, & le couvroit de ses eaux. Cependant 22 ans avant sa mort la superficie de ce rocher parut à sec, ou pour me servir de vos termes, commen¸ca à veiller. Cet évenement surprit mon ayeul, & lui fit naˆıtre quelques doutes sur l’opinion généralement établie, que la mer ne diminue point. Il 36. S’il implique une transformation d’un animal, ce processus ne remet pas en cause la continuité des espèces. 39 jugea mˆeme que s’il y avoit quelque réalité dans cette diminution apparente, elle ne pouvoit ˆetre que la continuation d’une diminution précédente, dont les terrains plus élevés que la mer porteroient sans doute, renfermeroient en eux des marques sensibles. Cette idée l’engagea à examinér ces terrains avec plus d’attention qu’il n’avoit encore fait; & il reconnut, qu’en effet on n’en trouvoit aucune différence entre les lieux éloignés de la mer & ce qui en étoient voisins, o`u qu’elle baignoit mˆeme encore, s’ils étoient d’un mˆeme aspect, & qu’on y rencontroit, comme dans ces derniers, des coquillages de mer colés & insérés à leur superficie. Vingt sortes de pétrifications qu’il n’avaient entr’elles aucune ressemblance, s’offroient à ses yeux 37 . » De mˆeme, il suggère l’utilisation d’une « lanterne aquatique » pour montrer combien son étude du milieu marin était pratique et correspondait à des observations de terrain. Si nous pouvons douter de l’usage réel qu’il fˆıt de ce bˆatiment nautique, la description qu’il en donne permet cependant de reconstituer un engin plus ou moins fonctionnel, ancˆetre plus ou moins crédible du bathyscaphe 38 . Le Telliamed nous intéresse comme théorie d’une origine aquatique de la vie, mais il s’agit avant cela d’une théorie géologique de l’histoire de la Terre : « Le principe d’une si grande variété dans les terrains, jointe aux 37. de Maillet (1748, vol. 1, p. 5-6). 38. Pour ces reconstitutions, on verra Monod (1968). 40 lits divers en épaisseur & en substance, ainsi qu’en couleur, dont la plupart des carrières étoient composés, embarrassoient étrangement sa raison. D’un cˆoté si ce globe eˆut été créé en un instant dans l’état o`u nous le voyons, par la puissance d’une volonté aussi efficace qu’absolue, il lui paraissoit que la substance solide eˆut été composée d’une seule matière, surtout qu’elle ne se trouveroit pas arrangée par lits posés les uns sur les autres avec justesse, mˆeme dans leur inégalité de substance & de couleur; ce qui dénotoit une composition successive, justifiée d’ailleurs par tant de corps étrangers, mˆeme ayant eu vie, insérés dans la profondeur de ces lits. Mais s’il falloit recourir à une autre origine de nos terrains, quoiqu’au dehors & au dedans de ses sortes de pétrifications il remarquˆat des traces presque infaillibles du travail de la mer, comment comprendre quel eˆut pˆu les former, elle qui leur était alors si inférieure ? comment se persuader qu’elle eˆut tiré de son sein des matériaux si divers, qu’il voyoit employés à leur construction 39 ? » Pour de Maillet, l’étude des couches sédimentaires montre que la mer forme la Terre : elle enlève par érosion et crée par dépˆots. Et c’est dans la mer que la vie apparaˆıt. Un des grands intérˆets de ces écrits est leur caractère annonciateur des théories transformistes. Prédécesseur mais non fondateur, il ne s’agit en effet ici que de l’adaptation d’un animal à un changement d’environnement. 39. de Maillet (1748, vol. 1, p. 7-8). 41 La construction du texte et le vocabulaire employés sont toutefois frappants de ressemblance. de Maillet y développe en effet une réflexion sur le passage historique d’un organisme, du milieu aquatique au milieu aérien 40. Ce phénomène étant encore possible, il devient perceptible quand les conditions l’exigent : « Pour venir à présent à ce qui regarde l’origine des animeaux terrestres, plus je remarque qu’il n’y en a aucun marchant volant, ou rampant, dont la mer ne renferme des espèces semblables, ou approchantes, & dont le passage d’un de ces élémens à un autre ne soit possible, probable, mˆeme soutenu d’un grand nombre d’exemples. Je ne parle pas seulement des animeaux amphibies, des serpents, des crocodiles, des loutres, des divers genres de Phocas, & d’un grand nombre d’autres qui vivent également dans la mer ou dans l’air, ou en partie dans les eaux & sur la terre. Je parle encore de ceux, qui ne peuvent vivre que dans l’air. Vous avez lu sans doute les Auteurs de votre pays, qui ont écrit des diverses espèces de poissons de mer & d’eau douce connus jusqu’à ce jour, & qui nous en ont donné des représentations dans leurs livres […] Pour se convaincre que les uns & les autres ont passé de l’état marin au terrestre, il suffit d’examiner leur figure, leurs dispositions 40. Il ne s’agit toujours que d’un seul organisme, et mˆeme si la rhétorique de Maillet invite à la comparaison des espèces, l’analogie avec le transformisme ou les théories de l’évolution s’y arrˆete. 42 & leurs inclinations réciproques, & de les confronter ensemble […] Observez encore, que le passage de séjour des eaux à celui de l’air est beaucoup plus naturel, qu’on ne se le persuade communément. L’air dont la terre est environnée, au moins jusqu’à une certaine hauteur, est mˆelé de beaucoup de parties d’eau. L’eau est un air chargé de parties beaucoup plus grossières, plus humides et plus présentes, que ce fluide supérieur auquel nous avons attaché le nom d’air, quoi que l’un & l’autre ne fassent réellement qu’une mˆeme chose 41 . » La théorie de de Maillet ne s’arrˆete pas à son temps, mais établit un futur o`u la Terre, totalement asséchée, finira dans le feu. Gohau montre qu’en cela de Maillet construit un cycle entre l’eau et le feu, avec une fin à la Thomas Burnet (1635-1715) 42. Bien que clandestin, le texte est diffusé, mais ne rencontre généralement pas l’aval des savants, et a plutˆot suscité la critique, comme y étaient sujets les ouvrages déductifs sur l’histoire de la Terre, Epoques de la nature ´ de Buffon compris. L’influence du Telliamed, de par sa diffusion, est cependant réelle. Buffon, par exemple, s’en est largement inspiré, au point qu’on a pu parfois l’accuser de plagiat 43. Le discrédit sera, plus tard, porté sur Lamarck par ses adversaires qui voyaient parfois une filiation directe entre leurs théories. Il faut bien remarquer que l’hypothèse 41. de Maillet (1748, vol. 2, p. 133, 136-137). 42. Gohau (2003); Burnet (1681). 43. Gohau (2003, p. 40) et Buffon (1962). 43 d’un océan primitif connut un renouveau autour de 1800. En effet, entre 1794 et 1801, un débat scientifique a lieu entre géologues sur l’hypothèse de révolutions périodiques ayant eu lieu à la surface de la Terre, tout au long de son histoire. Un groupe de naturalistes s’intéresse alors fortement à ce concept dans le cadre de réflexions transformistes 44. Au sein de ceux-ci, Jean-Claude Delamétherie (1743-1817) et Philippe Bertrand (c.1730-1811) ont développé des théories traitant d’un océan primordial avec une origine maritime de la vie. Dans sa Théorie de la Terre 45, Delamétherie plaide pour une mer couvrant l’ensemble du globe, dans laquelle se sont effectuées une lente cristallisation, la naissance de la vie, puis la constitution des chaˆınes de montagnes à partir des restes fossiles des animaux et végétaux. Pour lui, la vie est apparue et apparaˆıt par cristallisation; il décrit ainsi cette génération spontanée : « On sait que je regarde la reproduction des ˆetres organisés comme une véritable cristallisation. Cette première cristallisation a dˆu s’opérer dans un fluide. Je suppose donc que, dans ces premiers tems, des eaux croupirent dans des mares; qu’elles s’y mélangèrent avec différentes espèces d’airs, des terres… et qu’il s’y produisit des ˆetres organisés, comme nous voyons encore s’en produire tous les jours dans 44. Pour ce qui est de ce groupe et de ses rapports avec Lamarck voir Corsi (2001, p. 100-109). 45. Delamétherie (1795-an III). 44 les eaux les plus pures… Quelque objection qu’on puisse faire contre ce sentiment, on est obligé de l’admettre dans tout systˆeme philosophique sur la production des ˆetres organisés 46 . » L’océan primordial se retire progressivement, laisse apparaˆıtre les montagnes et rend possible le développement de la vie continentale : « Les montagnes primitives les plus élevées, les granitiques, sont formées par cristallisation, & ont par conséquent été couvertes d’eau. Ces eaux se sont retirées. Les pics les plus élevés se sont découverts, & ont paru comme des ˆıles dans ce vaste Océan… Ce n’est que lorsqu’il y a eu une certaine étendue de terres découvertes, que nous pouvons concevoir l’origine des végétaux & des animaux des continens. […] Peut-on fixer l’époque o`u ont été produits les animaux & les végétaux des continens ? Nous n’avons aucune données à cet égard. Tout ce que les faits nous apprennent, c’est que ces ˆetres ont été produits lorsque les eaux étoient encore à une grande hauteur sur le globe. Ainsi, on a trouvé des coquilles dans les Andes à 2338 toises de hauteur… […] 46. Delamétherie (1795-an III, vol. 3, p. 161-162). 45 Un grand nombre de ces animaux auront été produits dans des lacs, comme nous venons de le dire. Ainsi il y aura pu avoir des espèces qui n’existoient que dans tels ou tels lacs. Ce seront sur-tout les poissons & les amphibies 47 . » Philippe Bertrand commenta la Théorie de la Terre dans ses Nouveaux Principes de géologie 48. Il s’inspire lui ouvertement de Maillet, et s’il s’accorde avec Delamétherie sur une origine aquatique de la vie, pour lui elle est apparue dans l’océan primitif, et a dˆu s’adapter à sa disparition progressive : « Un fait cependant, qui n’est pas douteux quoique notre auteur n’en parle pas, c’est que la mer a été peuplée bien avant les continens, c’est-à-dire avant qu’elle ait découvert et abandonné ceux-ci. Mais ce qui le prouve le mieux, ce ne sont pas les coquilles qu’elle a laissées sur les Andes, et jusqu’à la hauteur de 2338 toises : ce sont, au contraire, celles qu’elle a enfouies dans le plus bas de la masse vierge, qui fait la base continue de ces montagnes et qui, certainement, est bien plus ancienne que leur sommet. […] Ainsi, dans les tems sur-tout, o`u les conceptions et les naissances se faisoient avec la plus grande fécondité, l’organisation a pu se modifier et changer à bien des égards, en changeant d’élément, en passant de 47. Delamétherie (1795-an III, vol. 3, p. 161-163). 48. Bertrand (1797). 46 l’eau dans l’air. Une immense quantité de corps marins a échoué par la retraite de la mer : mais on pourroit assurer qu’ils n’ont pas tous péri ; que dans plusieurs, le nouvel élément a ouvert, nécessité et développé de nouveaux organes, de nouvelles facultés, pour la respiration et pour les autres fonctions des animaux terrestres : ce sont probablement les nageoires, elles-mˆemes, qui se sont converties en ailes, en épaules, en cuisses &c. […] On peut dire aussi que jusqu’alors, la Mer avoit tenu la nature vivante dans l’état d’une véritable incubation; que tous les animaux, au moins ceux qu’elle destinoit à vivre au grand jour, n’étans encore que des fœtus primitifs, ne pouvoient éclore parfaitement qu’avec le globe terreux lui-mˆeme; que leur organisation, comme toutes les formes premières, étoit encore indécise et seulement ébauchée; qu’elle a donc pu s’achever avec toutes les différences accidentelles qui ont rendu les uns trytons ou amphibies, les autres terrestres ou aériens 49 . » L’image de la mer comme incubateur de la vie apparaˆıt également fortement chez les Naturphilosophen, et plus précisément comme source d’une « boue organique primitive ». Lorenz Oken est le principal défenseur de cette thèse 50. Dans sa « cosmo49. Bertrand (1797, 319-328). 50. Sur Oken, voir Schmidt (2000, « Le système d’Oken : cosmogonie et interprétation des formes naturelles », p. 45-60). 47 gonie », la vie naˆıt d’une gelée primitive (Urschleim), mucus marin (Meerschleim) issu de l’action de la lumière sur la matière contenue dans l’eau de mer. Cette gelée possède trois fonctions essentielles : assimilation, digestion et respiration. En s’organisant, elle adopte une forme sphérique, l’Infusoire, qui s’associant avec son pareil compose l’ensemble des ˆetres vivants 51 . Ces théories vont, malgré le discrédit dans lequel tombent les Naturphilosophen, alimenter de nombreuses réflexions au cours du xixe siècle. On peut par exemple voir de nombreuses similitudes entre les vues d’Oken et l’article « Matière » de Bory de Saint-Vincent 52. Ou encore citer la monade de Hæckel et sa concrétisation dans le Bathybius hæckelii de Huxley. Une autre vision de la mer lui donne un rˆole utérin, celle de la grande fécondité des organismes marins. Cependant, cette image de profusion apparaˆıt avec son contraire, celle de l’épuisement des ressources aquatiques.

La pisciculture au service de l’Empire

Face à une crise des pˆecheries, le Ministère de l’agriculture et du commerce charge, au début des années 1840, Henri-Milne Edwards de préparer un rapport sur la méthode de fécondation artificielle développée par Rémy et Géhin, deux pˆecheurs des Vosges. Dans la foulée, Jean Jacques Marie Cyprien 51. Oken (1809-1811), cité par Schmidt (2000). 52. Bory de Saint-Vincent (1826). 48 Victor Coste (1807-1873) se penche sur le problème et présente en 1853 un rapport à l’Académie des sciences, sur « l’élève et la multiplication du poisson » 53. Il publie la mˆeme année ses Instructions sur la pisciculture 54, et effectue un voyage en Italie et en France pour approfondir ses connaissances dans le domaine 55. Ayant obtenu en 1853 des fonds du ministère, il commence la construction d’une installation piscicole à Huningue. De sa chaire d’embryologie au Collège de France, il expérimente parallèlement le repeuplement d’un lac du bois de Boulogne, dans lequel il introduit en 1856 cinquante mille alevins de saumons et de truites obtenus par fécondation artificielle 56. Soutenu politiquement, il peut agrandir ses laboratoires, passer à l’eau de mer 57 . Il étend ses travaux sur les mollusques marins, en appliquant une méthode de captage du naissant trouvée en Italie pour repeupler les élevages ostréicoles, sans grand succès toutefois. De là, il s’intéresse aux poissons marins et fonde un vivier-laboratoire à Concarneau en 1859 58 . Les travaux achevés en 1860, il fait du chalet de Huningue une « piscifacture ». Son rˆole est de distribuer gratuitement des œufs fécondés à tous les départements fran¸cais, mais elle-mˆeme ne peut produire de poissons. Les efforts de la pisciculture sont en effet centrés sur l’ensemencement des cours 53. Morière (1854); Coste (c.1850). 54. Coste (1853). 55. Coste (1855). 56. Constantin (1862). 57. Bouchon-Brandely (1876). 58. Voir le paragraphe 3.1.2 sur la construction de la station de Concarneau, page 119. 49 d’eau, elle se définit comme « art de peupler les eaux, de multiplier, de perfectionner, d’acclimater les poissons qui servent de nourriture à l’homme 59 ». Les travaux sur les poissons marins à Concarneau sont encore exceptionnels. Passé en Allemagne après la guerre franco-prussienne, l’établissement d’Huningue ne sera plus soumis à cette politique restrictive et deviendra également un élevage lucratif 60 . La figure d’Eugène No¨el (1816-1899) est importante dans l’analyse de cet esprit particulier que développent les partisans de la pisciculture 61. Pour lui, la pisciculture est l’agriculture du futur, c’est elle qui élèvera la pˆeche loin du « ravage universel » qui la caractérise, de la « barbarie de l’industrie piscicole » qui récolte sans jamais semer 62. Nullement découragé par l’échec du chˆalet aux poissons d’Huningue, il attribue celui-ci aux savants et au gouvernement. C’est pourquoi : « la pisciculture, au point de vue pratique, est bien et dˆument morte entre les mains officielles ; mais […] elle vit et vivra de plus en plus comme industrie privée 63 . » et plus loin « la pisciculture est une opération rurale, mal placée aux mains 59. Constantin (1862, p. 38). 60. de la Blanchère (1875). 61. Ami d’enfance d’Alfred Dumesnil, il accompagne Pouchet dans le Haut-Rhin, en Forˆet-Noire et en Suisse pour étudier la pisciculture, voir Kaplan (1975, p. 250). 62. No¨el (1856). 63. No¨el (1856, p. 54.). 50 des savants, et qu’il importe de rendre à la classe des bonnes gens qui l’ont inventée, c’est-à-dire aux paysans 64 . » Il ne faudrait pourtant pas en conclure que No¨el exclut définitivement la science et la politique de la pisciculture. Il adhère en effet à une conception pour laquelle le plan prévu pour développer la pisciculture doit ˆetre soutenu par le savant qui développe de nouveaux outils, de nouveaux procédés : « le physiologiste peut mettre dans un vase des oeufs non fécondés et dans un autre des zoospermes ; en versant les derniers sur les premiers, il crée des animaux à volonté, comme le chimiste forme des sels 65 . » Mais surtout, pour lui, le projet doit ˆetre soutenu politiquement, aussi en appelle-t-il à son encadrement par la loi : « le rˆole de l’Etat n’est pas de l’exercer, mais de la protéger; pour cela, toute la législation sur la pˆeche et sur les cours d’eau doit ˆetre changée 66 . » Ce projet est commun à cette autre figure inspiratrice de Michelet qu’est le Baron Jean-Jacques Baude (1792-1862), bien que celui-ci le développe pour la pˆeche en général. Les textes de Baude sur les cˆotes de France vont ˆetre 64. No¨el (1856, p. 75), il fait ici allusion à Rémy et Géhin qu’il encense page 32 du mˆeme ouvrage. 65. No¨el (1856, p. 13), c’est l’auteur qui souligne. 66. No¨el (1856, p. 54.). 51 une source explicite de La mer. On y trouve déjà un lyrisme proche de celui de Michelet, avec de grandes envolées : « La première fois qu’il m’a été donné de contempler ce panorama, un soleil demi-voilé d’automne dorait les eaux silencieuses de la baie ; un essaim de jeunes filles se tenant par la main formait de ses rondes joyeuses une couronne animée à l’écueil du Chˆatelier; une molle brise apportait distinctement au rivage les éclats de leurs voix fraˆıches et sonores. Ne se donne pas qui veut, en l’absence des fiancés aventurés sur des mers lointaines, une pareille fˆete dans un pareil lieu. Au débarquement, c’était plaisir de voir sauter à terre, l’œil brillant et la poitrine dilatée, trente robustes tendrons qui sans doute attendaient avec une discrète inquiétude le retour prochain des terreneuviers 67 . » Mais l’esprit des textes de Baude reflète également une volonté d’organiser les cˆotes, comme on peut le voir dans un texte paru juste après La mer : « La pˆeche, qu’on a appelée l’agriculture de la mer, a de tout temps été l’objet des préoccupations des naturalistes et des hommes d’Etats. Les uns ont trouvé dans les végétaux, les zoophytes, les coquillages et les poissons qu’amènent au jour les filets des pˆecheurs, un champ d’études aussi vaste et bien plus difficile à fouiller que celui qu’offrent les continents ; les autres ont vu dans les ressources alimentaires et industrielles que recèlent les mers une base de la richesse des 67. Baude (1851). 52 nations ; ils ont surtout prisé dans les rudes travaux de la pˆeche la meilleure de toutes les écoles navales, la pépinière des gens de mer la plus féconde et l’un des plus énergétiques éléments de la puissance militaire. Une industrie qui répond à des intérˆets d’un ordre aussi élevé ne peut manquer nulle part, et en France moins qu’ailleurs, de la protection des gouvernements 68 . » et plus loin, toujours son projet régulateur : « c’est le concours des sciences naturelles et de la législation qui doit servir de base aux développements d’une richesse alimentaire dont nous ne saurions encore entrevoir les limites 69 . » Aux figures de No¨el et de Baude, il faut associer un grand intellectuel du siècle, Jules Michele

Table des matières

Introduction
I L’essor de la biologie marine et la naissance des stations
1 La découverte des richesses maritimes
1.1 Images et imaginaires
1.1.1 D’une image à l’autre
1.1.2 Les bains de mer
1.1.3 Le roman maritime
1.2 La mer source de vie
1.2.1 La mer à l’origine de la vie
1.2.2 La pisciculture au service de l’Empire
1.3 Michelet le vulgarisateur
2 Les scientifiques et la mer
2.1 Le dix-huitième siècle
2.1.1 Le comte de Marsigli
2.1.2 Le débat sur les zoophytes
2.1.3 La fin du dix-huitième siècle
2.2 Les zoologistes de la première moitié du dix-neuvième siècle
2.2.1 Des naturalistes sur l’estran
2.2.2 Audouin et Edwards
2.2.3 de Quatrefages
2.3 Le rivage conquis par les naturalistes
2.3.1 Développement de la phycologie
2.3.2 Zone azo¨ıque et expéditions océanographiques
2.3.3 L’estran en pélerinage
3 La naissance des stations marines
3.1 Une vague de stations
3.1.1 Essor des stations
3.1.2 Concarneau
3.1.3 Des stations hétérogènes
3.2 Les stations possédant un périodique
3.2.1 Arcachon
3.2.2 Endoume
3.2.3 Roscoff et Banyuls
3.2.4 Wimereux
II Les périodiques des stations, création et évolution
4 Le périodique scientifique
4.1 Définition et importance du périodique
4.2 Analyses de périodiques
4.2.1 Méthodologies
4.2.2 Etudes de périodiques
4.2.3 La place de l’article en sociologie des sciences
4.3 Revues ancestrales
4.3.1 Apparition des « journaux scientifiques »
4.3.2 Développement de la presse scientifique
4.3.3 Apparition et développement de la presse spécialisée
5 Les stations et leurs publications
5.1 Création et rˆole des publications
5.1.1 Publier dans une revue extérieure
5.1.2 Les séries de monographies
5.1.3 Naples et ses périodique
5.2 Stratégie locale
5.2.1 Arcachon
5.2.2 Marseille-Endoume
5.3 Stratégie globale
5.3.1 Roscoff, Banyuls et les Archives de zoologie expérimentale et générale
5.3.2 Le Bulletin Scientifique
6 Evolution des périodiques
6.1 Les Archives de zoologie
6.2 Le Bulletin scientifique
6.3 Les Annales d’Endoume
6.4 Le Bulletin d’Arcachon
III La zoologie et les zoologistes au travers de leurs périodiques
7 Les auteurs
7.1 Périodiques de stratégie locale
7.1.1 Les auteurs des Annales du Musée d’histoire naturelle
de Marseille
7.1.2 Les auteurs des Travaux de la station d’Arcachon
7.2 Périodiques de stratégie générale
7.2.1 Les auteurs du Bulletin Scientifique
7.2.2 Les auteurs des Archives de zoologie expérimentale et générale
7.3 Les auteurs et leurs publications
7.3.1 Henri de Lacaze-Duthiers demandeur
7.3.2 Henri de Lacaze-Duthiers sollicité
8 Sociabilités
8.1 Henri de Lacaze-Duthiers et ses éditeurs
8.2 Les auteurs et Henri de Lacaze-Duthiers
8.2.1 Patronnage 3
8.2.2 Le réseau d’information
8.3 L’art de la polémique
9 Faire école
9.1 La renaissance du transformisme
9.1.1 Le contexte
9.1.2 Maˆıtre fixiste, élèves transformistes
9.2 Néo-épigenèse et néo-préformation
9.2.1 Contre Weismann
9.2.2 Les lois de Mendel
9.3 Expérience et expérimentation
9.3.1 Contre Bernard
9.3.2 L’expérience comme construction d’une communauté
scientifique
En guise de conclusion
Sources et bibliographie
Index
Annexes
A Tables des périodiques étudiés
A.1 Les Annales de Marseille
A.2 Arcachon Travaux des laboratoires
A.3 Les Arch. de zool. exp. et gén
A.4 Le Bulletin scientifique de Wimereux
B Correspondance

projet fin d'etudeTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *