Les structures en AVOIR du français

Les structures en AVOIR du français

Les clivées en il y a … qui sont souvent mentionnées en tant que phénomène typique du français parlé (Lambrecht 1986, 1988a, Blanche-Benveniste 1997 : 93, Choi-Jonin et Lagae 2005, Dufter 2008), comme l’a confirmé l’étude conduite récemment par Karssenberg (2018b) sur des corpus de grande taille. On parle de « clivage » car leur forme est équivalente à une structure argumentale où le SN et le verbe de la relative correspondent au sujet et au prédicat d’une proposition assertive : l’ordre canonique monoclausal sujet-verbe (Karssenberg 2018b : 7). Dans notre thèse, nous utilisons plus généralement l’appellation de « structure présentative biclausale » pour permettre une comparaison interlangue avec les formes biclausales du chinois, lesquelles, en l’absence de pronom relatif, ne peuvent pas être qualifiées de « clivées » au sens propre107. Cela dit, au cours du présent chapitre, nous emploierons parfois le terme de « clivée » en relation au français, celle-ci étant la terminologie utilisée dans certaines des études discutées108. Dans ce qui suit, nous présentons dans ses grandes lignes les caractéristiques de la structure il y a, en isolant tout d’abord les emplois d’il y a au sens plein, en tant que verbe constructeur, des usages dans lequel il fonctionne en tant que « dispositif » (3.1). La distinction sémantique « classique » entre il y a existentiel, locatif et présentatif est illustrée (en 3.2), ainsi que les propriétés qui caractérisent ce dernier (3.3), qui nous intéresse le plus ici bien entendu. Ensuite, nous considérons en détails les structures en il y a qui comportent des constituants nominaux à interprétation partitive (3.4), puisque nombre d’auteurs ont relevé un lien entre l’emploi d’une structure existentielle/présentative et l’opération de partition. Ce lien, d’ailleurs, nous intéresse tout particulièrement car nous le retrouverons en chinois (chapitre IV). La discussion nous amènera à traiter de certaines formes considérées parfois comme des variantes de la structure en il y a biclausale (3.5). En premier lieu, nous traitons (en 3.5.1) de la forme incluant le pronom partitif (anaphorique ou nominal) en (« il y en a qui arrivent en scooter »), qui est directement connectée à la question de la partition référentielle dont nous venons de parler. Ensuite, nous discutons de la forme en Pro-avoir SN qui (« j’ai ma copine qui habite à Paris ») – en 3.5.2 – et de la construction parataxique il y a SN il(s)… (« il y a le bus il arrive ») – en 3.5.3 – qui comportent un pronom personnel comme sujet de l’expression existentielle dans le premier cas, et à la place du pronom relatif qui, dans le deuxième. La section 3.6 est consacrée aux fonctions que la structure biclausale en avoir du français peut assurer. Nous parlerons alors de « multifonctionnalité » car ses emplois ne se limitent pas à la mise en avant d’un nouveau référent (la fonction présentative). Après avoir discuté (en 3.6.1) de la distinction parfois maintenue entre la fonction présentative et la fonction événementielle (l’expression d’un événement), nous discutons de la fonction spécificationnelle (3.6.2) qui articule notamment l’énoncé en une partie assertée (il y a + SN) et une partie présupposée (la relative) et dont la fonction est celle d’exprimer une valeur pour une variable donnée. Enfin, en 3.6.3 nous discutons des autres articulations informationnelles qui ont été relevées notamment par l’étude de Karssenberg (2018b). La section 3.7 fait le point sur la question de la définitude du SN accueilli dans la structure biclausale en il y a. Les structures présentatives (et non spécificationnelles) ont tendance à comporter des SN indéfinis – à hauteur de 89% d’après l’étude de corpus de Karssenberg (2018b : 100) susmentionnée (voir la section 3.6.3, tableau III-3.), ce qui relativise la différence entre le français et le chinois concernant la restriction de la définitude, et ce malgré le fait que les exemples cités dans la littérature concernée comportent très souvent des noms propres (« il y a Jean qu’a téléphoné »). Cependant, la possibilité d’enchâsser des noms définis pour le français reste avérée, ce qui rend les structures de cette langue plus flexibles en quelque sorte par rapport à celle du chinois sur ce point précis. En 3.8, nous considérons l’emploi de la séquence biclausale en avoir en tant que stratégie globale de structuration du discours ; un lien est fait avec les autres introducteurs disponibles en français (je vois, c’est, voilà) qui ont tous en commun de permettre une reprise du référent au moyen d’un enchainement de propositions relatives. La section 3.9 discute du rapport de la structure biclausale en avoir avec sa « contrepartie » monoclausale S-V. Si dans certains cas l’équivalence s’effectue sans problèmes (notamment en présence d’un nom propre), dans d’autres cas des ajustements lexicaux sont nécessaires. Un lien avec les structures en you du chinois enchâssant des noms nus est établi. La section 3.10 conclut le présent chapitre et résume son contenu.

La séquence il y a : du verbe recteur au dispositif syntaxique

Tout comme la forme espagnole correspondante (ha-y), la séquence existentielle en il y a du français s’est développé à partir du latin ibi habet (voir le chapitre I, section 1.2.2.1 pour les détails sur l’origine de l’opérateur existentiel AVOIR). Elle est formée par le pronom explétif il ; le clitique y et le verbe avoir, qui peut être décliné en différents temps verbaux, les plus fréquents étant néanmoins le présent et l’imparfait. On remarquera qu’à l’oral, le pronom explétif peut être omis109 : « The phrase y’a NP corresponds to standard French il y a NP ‘there is NP’, in which y is preceded by the dummy subject pronoun il. The history of the expression shows that the subjectless form y’a is not a popular innovation of modern spoken French, as might be thought, but a form that has remained essentially unchanged since the beginnings of the French language, the subject pronoun il (normally /i/ before consonants and glides) appearing, disappearing and reappearing over the centuries. Spoken French y’a is thus the mirror image of Spanish hay (historically ha+y), both going back to a combination of Vulgar Latin habet ‘he/it has’ with the distal deictic adverb ibi » (Lambrecht 1988a : 137). Tout d’abord, il convient d’isoler comme le fait Blanche-Benveniste (1990, 1997) les énoncés où il y a est un verbe recteur des contextes où cette unité ne fonctionne pas comme une construction verbale et perd son autonomie phrastique. Dans les exemples suivants, il y a est un verbe au sens plein qui sélectionne ses compléments et « situe l’existence d’un élément dans l’espace ou le temps » (Blanche-Benveniste, 2010 : 133) : (III.1) a. Il y a une île entre le Japon et la Chine (Blanche-Benveniste 2010 : 133) b. Il y avait des habitants, il y en eu, il y en aura (Blanche-Benveniste 2000 : 92) Un cas de figure différent est représenté par les structures où la séquence il y a perd ses capacités de construction. Ainsi, à côté de son usage en tant que prédicat de plein statut, BlancheBenveniste (2000) identifie les cas où il y a fonctionne comme un support à d’autres verbes, et c’est dans ce cadre que l’auteure s’appuie sur le concept de « dispositif ». Les dispositifs syntaxiques sont des variations de l’arrangement des constructions verbales opérant au niveau de la macrosyntaxe, qui correspondent à différentes répartitions de l’information (Blanche-Benveniste 2000 : 158) : « La notion de dispositif […] fournit un cadre descriptif qui permet, sous divers arrangements linéaires, de dégager les invariances dans la relation entre le verbe et les éléments qu’il construit » (Cappeau 2001 : 161)Il y a existentiel, locatif et présentatif Une classification de type sémantique distingue entre trois types de structure en il y a…qui : le il y a existentiel, locatif et présentatif stricto sensu110 . Léard (1992 : 31-35) distingue d’un côté les séquences en il y a au sens locatif et existentiel, doués d’un sémantisme et d’un statut verbal pleins, en contraste avec le il y a présentatif, qui lui n’est pas pourvu d’autonomie phrastique. Ainsi, il y a locatif (III.3) peut se paraphraser par il se trouve ou on aperçoit tandis que dans son emploi existentiel (III.4) il correspond aux tournures il existe, on trouve. Il s’agit là des cas où il y a est un verbe « constructeur » dans la terminologie de Blanche-Benveniste (2000). (III.3) a. Sur l’autre trottoir, il y a quelques hommes. b. Sur l’autre trottoir, il se trouve / on aperçoit quelques hommes. (III.4) a. Mais il y a des gens qui sont allergiques. b. Il existe / on trouve des gens qui sont allergiques. (Choi-Jonin et Lagae 1997) Nombre d’auteurs se sont intéressés à l’usage présentatif de la séquence en avoir, dont l’exemple typique est présenté en (III.5)(III.5) Il y a le téléphone qui sonne 111 (= I.30) Comme le remarque Karssenberg (2018b : 37), la frontière entre les constructions locatives, existentielles et présentatives reste controversée et floue : « there is no consensus about the question whether locative sentences and existential sentences are discrete sentence types, or whether one is a subtype of the other. Moreover, “presenting” a new referent or event is also closely linked to the expression of the existence of this referent (or occurrence of an event) at a certain location […]. Consequently, the boundaries between the different categories may rightfully be expected to become blurry when applied to authentic language data » 112 (Karssenberg 2018b : 37). Il s’en suit qu’une classification reposant uniquement sur l’interprétation sémantique de « il y a » ne se révèle pas très utile pour appréhender le phénomène en question. C’est ainsi que les études antérieures ont mis en avant toute une série de propriétés (concernant le prédicat, l’élément nominal, et la proposition relative dans son ensemble) caractérisant le il y a présentatif, que nous passons en revue dans la section suivante.

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