L’ESTHÉTIQUE DE LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR

L’ESTHÉTIQUE DE LÉOPOLD SÉDAR
SENGHOR

« Raison intuitive » et « raison discursive » 

Étudier « l’esthétique de Senghor », c’est faire avant tout, comme on le veut en philosophie, l’historique de sa pensée. C’est-à-dire voir dans quel contexte s’inscrit cette pensée. Il se trouve que si nous fouillons bien la pensée senghorienne, nous tombons sur la marque de certains penseurs occidentaux, parmi lesquels Paul Guillaume et Thomas Munro, Clive Bell, Leo Frobenius, Jean-Paul Sartre, Henri Bergson, Lucien Lévy-Bruhl. En effet, nous trouvons que les penseurs susmentionnés ont beaucoup influencé Senghor, dans la mesure où celui-ci a inclus certaines de leurs considérations dans sa pensée, trouvant qu’elles étaient en adéquation avec sa conception sur l’esthétique négro-africaine. Nous essaierons seulement de montrer ce que Senghor a pris sur chacun des penseurs précités. Nous commencerons d’abord par la relation entre Senghor et Paul Guillaume et Thomas Munro. La sculpture nègre primitive, un ouvrage de Guillaume et Munro, constitue un chefd’œuvre pour Senghor. Il considère que sur la manière de comprendre et de déchiffrer l’art nègre, sa sculpture particulièrement, il n’y a pas meilleur ouvrage que celui de Guillaume et Munro. C’est la référence pour Senghor. « On découvre en effet à quel point Senghor l’a lu avec attention et surtout à quel point sa philosophie de l’art ne cessera plus jamais d’être, à la suite de cette lecture, une réflexion continue sur (et de) ce livre. » 143 Cela signifie que cet ouvrage constitue une base, une bonne source pour s’informer sur la nature, la forme, l’objectif même de l’œuvre d’art du Négro-Africain. Une bonne compréhension de l’œuvre africaine, de la sculpture négroafricaine, nécessite, aux yeux de Senghor, une bonne maîtrise de la forme de l’œuvre. C’est une condition sine qua non qu’il faut remplir en ce sens que dans l’esthétique négro-africaine, la forme de l’œuvre est primordiale. Munro et Guillaume demandent que l’on sache lire l’art africain en oubliant ce qui n’est pas lui, directement, ce qui n’est pas ses qualités artistiques elles-mêmes. Ils adoptent ainsi une démarche de concentration consistant à en rester à l’objet d’art tel qu’il se donne, à le décrire en mettant entre parenthèses ceux qui l’ont créé et sans idées préconçues144 . Ces deux auteurs, selon Senghor, nous aident à déchiffrer le langage véhiculé par les objets d’art de l’Afrique traditionnelle. Précisément, c’est comme si l’ouvrage La sculpture nègre primitive était un guide qui nous conduisait à la surréalité de l’objet d’art en commençant d’abord à parcourir sa forme. Ce qui fait que ce livre pèse lourdement dans la théorie senghorienne de 143 DIAGNE S. B., Léopold S. Senghor : l’art africain comme philosophie, Paris, Riveneuve, 2007, p. 45. 144 Ibid. p. 49. 92 l’esthétique, car il participe à la lumière des thèses développées par Senghor sur les mystères des masques africains, sur la forme de leurs œuvres artistiques, entre autres. Sur ce dernier aspect, c’est-à-dire sur la forme des œuvres d’art du Négro-Africain, nous retrouvons l’influence du formalisme de Clive Bell sur Senghor. S’il y a une caractéristique essentielle des œuvres artistiques négro-africaines, c’est évidemment la structure de leur forme. À les voir de près, il semblerait que ce sont des objets démesurés, de la fantaisie, des hypertrophies, tellement il y a une absence totale d’équilibre et de proportion au sens mathématique du terme. Autrement dit, une forme évocatrice : voilà ce qu’est, par exemple, un masque africain. Cette forme, qui apparaît comme de la fantaisie, évoque, selon Senghor, énormément de choses. De ce fait, le formalisme de Clive Bell nous enseigne qu’il est comme un impératif de s’en tenir d’abord à la forme. Les Occidentaux n’ont pas su que la compréhension de l’œuvre d’art du Négro-Africain passait avant tout par la maîtrise de sa forme. Ce qui fait qu’en guise d’information, Senghor, avec l’influence de Clive Bell, essaie de nous faire comprendre l’importance et la primauté de s’en tenir d’abord à la forme de l’objet d’art avant une étude beaucoup plus poussée vers le fond. Cette étude du fond permettra de savoir en quoi l’esthétique africaine est un moyen pour Senghor de montrer que l’art africain véhicule « une conscience africaine ». Bergson, en ce qui le concerne, opère une rupture d’avec une longue tradition dans la mesure où il met maintenant, non plus le déterminisme scientifique au-dessus de l’homme, mais l’homme au-dessus de toutes ses activités. C’est l’humanité même de l’homme qui est réhabilitée par Bergson. Ce qui fait que d’aucuns, comme Souleymane Bachir Diagne, considèrent que la philosophie de Bergson est une philosophie « Autre ». Ce concept étant à entendre ici comme « Autre que Européen ». C’est pourquoi, si nous suivons la pensée de Senghor, nous nous acheminons vers ce qu’il appelle la « raison-œil » ou bien la « raison-étreinte ». Car, de la même manière que chez Bergson, chez Senghor aussi, cette raison ne met pas l’œuvre en face de soi. Elle se place plutôt en lui. Il est important ici et nécessaire d’expliquer cette nuance. Autrement dit, il s’agit pour cette raison de se comporter comme, par exemple, un morceau de sucre dans un verre d’eau. Car, de la même manière que ce morceau de sucre va se fondre dans l’eau, de la même façon la raison va 93 s’assimiler à l’objet. Ce qui fait que raison et objet vont se confondre totalement. Souleymane Bachir Diagne le résume ainsi : La raison-œil ne pose donc pas l’objet en face de soi, elle se pose en lui, épouse son flux. On pourrait dire qu’elle le danse plutôt qu’elle ne le pense, en suivant ainsi Léopold Sédar Senghor dans un jeu de mots où il a résumé sa notion d’un connaître Autre dont on voit ce que la formulation doit à Bergson.145 En d’autres termes, si nous suivons Senghor, nous retrouverons évidemment l’influence de Bergson. Pour parler simplement, nous pouvons dire que parmi les philosophies qui ont marqué Senghor, celle qui lui a permis de mettre sur pied une philosophie de rupture, c’est-à-dire une philosophie « autre », c’est celle de Bergson. Il s’agit pour Senghor, grâce à Bergson, d’apporter une rupture qui lui permet de contester les prétendues dominations du déterminisme scientifique. C’est le fait « de protéger l’homme contre la tyrannie des robots, de le rendre à sa liberté » 146. Et ceci n’est possible qu’en développant en l’homme le « vitalisme » et « l’intuition ». En effet, ces deux concepts sont aussi un héritage purement bergsonien. Du coup, ce qui justifie que l’influence de Bergson soit considérable à la fin du XIXe siècle, c’est qu’avec les deux concepts précités, il a pu contester toute une tradition de philosophie qui prétextait trouver des solutions seulement sur la base de la science et de la mécanique. Lesquelles solutions pouvant permettre d’accéder à la réalité ou bien à la vérité des choses. Or, pour Bergson, si l’on veut atteindre le réel, l’Absolu, il devient nécessaire de changer de méthode. Il ne s’agit plus maintenant de se fier à la science uniquement, mais, par un contact direct et immédiat, sans intermédiaire, de pénétrer les choses. L’émotion dont il est question chez Senghor renvoie à l’idée de l’émotion mystique évoquée par Bergson dans Les deux sources de la morale et de la religion. L’émotion y est définie par Bergson comme une expérience de la conscience. Une telle expérience est à la base de la religion dynamique et de la morale ouverte. Il faut aussi comprendre que chez Bergson l’acte morale ne signifie pas ce qui est bon ou ce qui est juste. Il s’intéresse plutôt à l’essence de la morale. C’est-à-dire le comportement de l’homme n’est pas déterminé à l’avance parce que l’homme est soumis à l’évolution et à la durée comme il le dit. C’est pourquoi il estime que nous ne pouvons comprendre l’homme qu’à partir du concept « d’élan vital ». Ceci est une énergie créatrice qui se trouve partout : plantes, animaux, hommes, etc. Cette idée est largement partagée par Senghor qui considère que le Négro-africain voit en toute chose la présence d’une âme. Senghor soutient la même chose quand il évoque que la relation entre l’homme et la nature est mystique. D’ailleurs c’est la raison pour laquelle il évoque l’idée d’une réhabilitation de l’intuition qui permet à l’être humain de fusionner avec la nature et de ne pas la considérer comme simple objet. De plus, nous pouvons dire que Senghor a hérité de Bergson les idées suivantes : l’identité entre l’être et la vie comme force vitale, l’émotion comme état de sensibilité interne à l’être, l’intuition comme moyen de connaitre la force vitale. Ainsi, à la place de l’élan vital, Senghor utilise la force vitale, et par intuition, il parle de raison synthétique et sympathique. Et ce qui nous permet d’entrer immédiatement en contact avec l’objet, c’est la méthode intuitive. Ainsi, par ce procédé, nous pouvons, par une sympathie, épouser les contours de l’objet, le saisir profondément afin d’avoir une « con-naissance » de l’objet, comme dit Senghor, c’est-àdire une connaissance supérieure. Cette méthode intuitive est, selon lui, celle qui est adoptée dans les arts négro-africains. Donc, parlant de l’esthétique africaine, c’est en partie cette méthode intuitive qui est en œuvre lorsque notre « moi » s’interdit toute séparation entre nos états de conscience. C’est la « durée pure », comme le souligne Bergson. C’est-à-dire une sorte de fluidité, un mouvement ininterrompu et qualitatif. Cela revient à dire que l’intuition, de la même manière qu’elle est source de mouvement et de fluidité chez Bergson, est aussi dynamisme spirituel chez Senghor. Ce qu’il est possible d’affirmer chez Senghor, c’est qu’il a proposé une véritable théorie de la connaissance. L’épistémologie fondée par Senghor est, à la limite, un système dans le sens où toute sa théorie esthétique est un ensemble d’éléments interdépendants. Pour en avoir une compréhension nette, il est nécessaire de ne pas le lire par des fragments ou des coupures de textes. Mais il faut suivre pas à pas ses développements pour se rendre compte de la dimension approfondie de sa pensée. C’est ce qui explique peut-être certaines attaques contre sa pensée. 95 Boubé Namaȉwa pense même que les critiques contre la pensée de Senghor sont dues à une lecture superficielle de ses textes. Pour lui, « le moins que l’on puisse dire, c’est que les différentes attaques étaient le résultat d’une lecture en diagonale des textes de l’un des pères de la Négritude. Et comme on le sait, la diagonale d’un texte est une marge. L’effort intellectuel, pour peu qu’il ait été fourni pour le comprendre, n’a pas été à la hauteur de ses propos ». Cela veut dire que l’épistémologie de Senghor telle qu’il l’expose n’a pas été bien étudiée. Il est probable que ce soient des raisons politiques qui en sont à l’origine. Dans tous les cas, cette pensée reste l’une des théories les plus abouties de la pensée africaine. Pour comprendre la profondeur de la théorie de la connaissance senghorienne, il est important de la placer dans son contexte de formulation, et aussi d’avoir une idée des penseurs, de l’univers social, notamment, qui l’ont influencée. Nous avons déjà parlé de la négritude, qui est le fondement de sa pensée, nous avons aussi mis l’accent sur certains auteurs qui ont inspiré sa pensée esthétique. Il n’est donc pas superflu d’ajouter l’importance de la méthode phénoménologique sur sa pensée. Cette méthode a façonné la théorie de la connaissance de Senghor. Elle coïncide avec son idée sur la manière qu’ont les Négro-Africains de saisir le réel. En effet, « la phénoménologie, elle, accorde une priorité aux phénomènes de conscience. Elle estime que les jugements de valeur doivent passer à des jugements de réalité. Ainsi, les phénoménologues pensent que l’on aura plus à dégager des faits qui doivent être indépendants les uns des autres comme le stipule le positivisme »148. Cette méthode qui réhabilite l’intuition trouve un écho favorable chez Senghor. Car l’épistémologie de Senghor donne une importance capitale à la sensibilité et aussi à l’intuition. 

Guillaume Apollinaire : le sens du surréalisme et du sous-réalisme

Dans la logique d’expliquer le surréalisme dans l’art africain, il est important pour nous de souligner l’effectivité de sa présence dans les œuvres d’art africain. Pour cela, nous avons jugé nécessaire de prendre en exemple Guillaume Apollinaire pour montrer que la pensée de Senghor sur l’esthétique africaine est fortement influencée par le surréalisme européen. Puisqu’en comparant le surréalisme européen et celui africain, il en décèle plusieurs similitudes. Mais avant cela, il est nécessaire de préciser le contexte qui a vu naître la rencontre entre l’art nègre et Apollinaire. En effet, il est possible de parler de hasard dans cette rencontre, de force du destin, car tout est parti du morcellement de l’Afrique par les colons. Ce découpage abusif conduit à un pillage d’une grande partie du patrimoine culturel de l’Afrique contenu dans les œuvres d’art. En réalité : La conquête coloniale de l’Afrique au cours de cette période aboutit au dépeçage du continent par les puissances européennes. Les colonies militaires détruisent les derniers vestiges des empires africains : Abomey est occupée par les Français en 1893 ; Bénin tombe aux mains des Anglais en 1897. Chaque « victoire » s’accompagne du pillage des trésors accumulés dans des capitales qui sont en même temps des sanctuaires religieux182 . Les matériaux, ces objets, vus par les Européens comme des fétiches ou comme le témoin d’une vie marquée par l’idolâtrie, le primitivisme, se retrouvent entassés dans les musées occidentaux. Durant cette période, précisons-le, ils n’ont eu aucune réflexion esthétique. Ils étaient considérés comme des objets absurdes produits par un individu d’une conscience inférieure. C’est là le contexte qui a vu naître la rencontre entre Apollinaire et l’art nègre. Et c’est la raison pour laquelle nous résumons cette rencontre en trois étapes : tardive, méfiante et progressive. Pourtant, c’est sous cet angle que Jean-Claude Blachère l’analyse dans son texte Le Modèle nègre : La rencontre d’Apollinaire avec les valeurs culturelles des civilisations négro-africaines, et en particulier avec l’art nègre, s’est opérée avec certaines modalités dont l’analyse fera ressortir les caractéristiques principales : elle fut tardive, progressive, et marquée dès le début par le  souci de montrer en quoi les œuvres des artistes africains pouvaient jouer un rôle dans les recherches esthétiques des artistes occidentaux183 . En d’autres termes, il s’agit de voir d’abord que ce qui a favorisé et facilité la rencontre entre Apollinaire et l’art nègre, c’est une motivation doublée d’une curiosité de ce dernier envers ces objets venus d’ailleurs (les œuvres d’art africain) et qui renferment un contenu de connaissances qui dépasse, transcende de loin ce que l’art occidental nous a offert jusqu’ici. En réalité, Apollinaire, de ses premiers contacts avec l’art nègre exposé dans les musées occidentaux, a eu devant lui des objets qui n’ont pas encore aux yeux des Européens une dimension esthétique. Par conséquent, nous pouvons préciser que « dans ses années de formation intellectuelle, Apollinaire pas plus que ses contemporains, ne pouvaient découvrir un “art nègre” qui n’existait pas encore en tant que notion esthétique dans la conscience européenne » 184 . C’est la raison pour laquelle sa rencontre véritable avec l’art nègre a été tardive et marquée par une méfiance jusqu’à ce que lui-même avoue avoir lu certains auteurs qu’on peut légitimement appeler des africanistes, qui ont du coup changé sa perception des arts nègres. À ce moment, c’étaient les premières publications de Delafosse en 1903, Frobenius en 1912, etc. Donc nous pouvons sans aucun doute comprendre l’évolution de sa pensée sur les arts nègres. Ceci est d’autant plus vrai si l’on regarde les premiers articles qu’il consacre aux œuvres d’art nègre en 1907 et 1912 sur son texte Matisse. Il semble même que Jean-Claude Blachère a eu la même compréhension que nous à ce propos. Il écrit à cet effet : Dans une vie anecdotique du 1er juin 1914, consacrée à F. Carco, né en NouvelleCalédonie, Apollinaire évoque « les merveilleux dieux maquillés de la Nouvelle-Calédonie, sculptures expressives et d’un art si passionné… » ; en 1915, un poème : les Soupirs du servant de Dakar, où l’on relève mention des fétiches. […] Et l’on assiste à une véritable accélération du rythme auquel Apollinaire consacre ses commentaires à l’art africain et, plus généralement, au monde noir.  Et voilà que s’ouvre une nouvelle ère entre Apollinaire et l’Afrique noire. Les paradigmes de sa pensée changent radicalement au profit de l’art nègre. Il abandonne petit à petit cet intérêt mineur, cette réticence à l’égard des œuvres d’art qu’il a contemplées dans les musées. Il ne les regarde plus comme des fétiches, comme des objets mystérieux dépourvus de canons esthétiques, mais il les conçoit maintenant comme des œuvres d’art d’une grande dimension esthétique, d’un message poétique très profond. À partir de là, après plus d’une décennie de recherche, Apollinaire dévoile enfin ce pour quoi Senghor loue beaucoup d’admiration pour lui. En effet, sa nouvelle conception sur les productions artistiques négro-africaines entre en phase avec celle de Senghor : « Il aura donc fallu dix années pour que “l’invention” triomphe de la “tradition” et que “l’ordre” cède le pas à “l’aventure”. Et ce que nous enseigne l’analyse des idées d’Apollinaire sur l’art nègre s’intègre parfaitement dans l’ensemble de l’évolution esthétique et poétique qui conduisit l’écrivain du lyrisme traditionnel au modernisme agressif. » 186 Cela s’explique par l’idée que tout au début le problème qui s’est posé était relatif au contexte un peu défavorable qui a causé énormément de malentendus. Apollinaire, comme beaucoup de ses contemporains d’ailleurs, n’ont pas échappé à ces malentendus sur l’esthétique africaine. La perception qu’ils avaient de l’art nègre était d’abord pervertie par la vision des Européens qui n’ont connu l’art nègre qu’au début de la colonisation. Mais au fur et mesure, la vision qu’ils ont eue de cet art a changé lorsqu’ils ont commencé à l’étudier de plus près scientifiquement. Ainsi, Apollinaire, de même que certains de ses contemporains, a commencé à mieux comprendre l’art nègre pour pouvoir l’interpréter. Apollinaire décèle que les productions artistiques négro-africaines transcendent la réalité et illustrent la « sous-réalité » des choses, pour parler comme Senghor. C’est pourquoi il n’est pas étonnant de voir à quel point Senghor cite Apollinaire et même André Breton. En effet, en parlant de l’image négro-africaine comme image surréaliste, Senghor écrit : « Paraphrasant André Breton – celui du signe ascendant – je dirais qu’elle présuppose, à travers la trame du monde visible, un univers invisible qui tend à se manifester. » 187 186 Ibid., p. 34. 187 SENGHOR L. S., Liberté I, p. 280. 120 Par conséquent, nous pouvons dire qu’au départ c’est ce qu’Alassane Ndaw appelle « l’épistémologie traditionnelle africaine » qui n’a pas été comprise parce qu’elle se trouve au sein des productions artistiques. Ces dernières constituent une unité, un ensemble bien organisé. C’est également ce qui justifie la profondeur et la richesse de l’art africain. Ceci est d’autant plus vrai que les travaux de plusieurs ethnologues convergent sur ce point, c’est-à-dire de l’unité. Alassane Ndaw n’a pas oublié de le souligner dans La Pensée africaine. Pour lui : « Les investigations de M. Griaule et de ses continuateurs (celle de R. Bastide, de J. Cazeneuve, J.P. et A. Lebeuf, de L. V. Thomas et D. Zahan) ont montré que la pensée des populations négroafricaines accuse un caractère fortement catégoriel et classificatoire. » Il poursuit : « La plupart des enquêtes effectuées ont amené les auteurs précités à la conclusion que l’ordre religieux, l’ordre de l’univers, et l’ordre social se correspondent parfaitement dans l’unité d’un même système cosmogonique et théogonique. Ainsi, l’épistémologie traditionnelle africaine relève donc plus de l’unité que de l’analyse. »188 Et ces éléments que souligne Alassane Ndaw ne sont pas découverts d’un simple « coup de foudre », non plus d’une simple admiration pour l’art nègre. En réalité, la compréhension de cette unité contenue dans les arts africains qui explique en même temps l’aspect surréaliste des œuvres d’art africaines obéit à un long processus d’apprentissage. « Ainsi, la découverte de l’art nègre par Apollinaire fut bien le résultat d’un long apprentissage ; il ne s’agit pas d’un coup de foudre, d’une adhésion enthousiaste et définitive à la nouvelle esthétique représentée par l’art africain. ».

Table des matières

Introduction Générale
Première partie : Les expressions « raison discursive » et « raison intuitive »
Deuxième partie : La théorie de la connaissance chez Senghor
Troisième partie : L’esthétique négro-africaine
Quatrième partie : L’esthétique de Senghor aux XXème et XXIème siècles
Conclusion générale
Bibliographie

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