L’heuristic Cognitive Work Analysis (hCWA)

L’heuristic Cognitive Work Analysis (hCWA)

Présentation générale et fondements

La hCWA, proposée récemment par Morineau & Flach (2019), est une méthode alternative développée pour augmenter la compatibilité de la CWA avec l’analyse des systèmes faiblement couplés, faiblement traçables et caractérisés par une forte auto-organisation au sein desquels les capacités adaptatives des opérateurs sont indispensables pour faire face aux exigences situationnelles et aux nombreux degrés de liberté. La question étant de comprendre comment, au sein d’un système faiblement couplé, les opérateurs utilisent ces nombreux degrés de libertés pour produire des comportements adaptés aux exigences situationnelles compte tenu des objectifs et des ressources disponibles. Il est important de noter que la méthode hCWA ne s’oppose pas à CWA mais se positionne comme une méthode complémentaire. L’objectif est toujours d’obtenir des connaissances sur l’écologie du travail comme source d’innovations en matière de design (amélioration des technologies de l’information, des procédures ou de la formation) mais ces deux méthodes offrent des perspectives différentes. La CWA propose une méthode d’analyse des contraintes basée sur une procédure dite « Top – Down » ou descendante. Les méthodes descendantes sont basées sur les connaissances et les représentations. Elles débutent par l’identification des composants d’un système, de ce qui est connu et maîtrisé pour ensuite identifier des contextes d’études plus fins. Dans le cadre de l’analyse cognitive du travail, le processus débute par une représentation abstraite d’un domaine (niveau macro) pour progressivement identifier des contextes d’activités plus concrets (niveau micro). L’objectif étant d’imaginer comment le travail peut être effectué compte tenu des contraintes et des buts fonctionnels et ainsi guider la conception de systèmes de travail performants et sécurisés (Rasmussen 1986). Cependant, Morineau & Flach (2019) montrent que cette approche descendante fonctionne bien lorsqu’il est possible de décrire un domaine de travail sous forme d’un ensemble finis et stable de buts fonctionnels et de contraintes, autrement dit lorsque les analystes possèdent des connaissances de bases très précises sur le fonctionnement d’un système ou d’un domaine. C’est le cas par exemple pour l’aviation ou l’énergie nucléaire pour lesquels les objectifs et les contraintes (physique, thermodynamique…) ont tendance à être stables et pour lesquels le travail est prédictible et structuré. Dans d’autres domaines tels que la médecine d’urgence, les buts ne sont pas clairement explicites et sont situés. Ils dépendent des interactions qui émergent entre les individus et les ressources en temps réel. Ainsi, les objectifs, les buts, la question de l’équilibre entre l’atteinte des buts et la gestion des ressources dépendent des exigences Analyse de l’activité de soignants médicaux et paramédicaux sur simulateur haute-fidélité lors de simulations d’urgence, en vue de la conception d’un environnement de soins ergonomique  situationnelles. Comprendre et analyser de tels domaines, nécessite de comprendre la dynamique du système, les processus d’auto-organisation et d’adaptation mis en place, d’identifier de nouvelles affordances ou possibilités d’actions qui permettraient aux opérateurs de s’adapter et faire face à la dynamique du système et ainsi, limiter les situations à risques. Une approche basée sur les interactions, dite « Bottom – Up » ou ascendante, semble alors plus appropriée. En partant de l’observation des activités des opérateurs en situation d’interaction, l’objectif est d’inférer comment les contraintes écologiques, sociales et organisationnelles façonnent les comportements adaptatifs des opérateurs en situation réelle. Autrement dit, à partir de l’observation d’un contexte d’activité donné, l’objectif est de comprendre comment les contraintes vont délimiter un espace de travail au sein duquel les opérateurs vont naviguer via la mise en place de comportements, de stratégies spécifiques, la gestion de conflit ou encore l’instauration d’une organisation particulière entre les opérateurs. En tant que version étendue de la CWA, la hCWA trouve également ses fondements dans la notion de système, la psychologie écologique, et le contrôle adaptatif. Les bases conceptuelles précédemment présentées pour CWA restent donc pertinentes pour hCWA. Néanmoins, certains éléments sont revisités et de nouvelles connaissances y sont associées, élargissant ainsi les bases théoriques de la hCWA. Nous présenterons ici les nouvelles notions théoriques.

Des notions nouvelles relevant de la psychologie écologique

Nous retenons de ce concept que les contraintes écologiques du domaine délimitent un espace des possibles et façonnent les actions et la cognition des opérateurs. Dans le cadre de la hCWA, les contraintes sont également considérées comme dynamique et à l’origine d’un champ de force. À l’image des champs magnétiques en physique qui possèdent des charges positives ou négatives capables de modifier la trajectoire d’une particule, un champ de force en psychologie est capable d’influencer les comportements des individus et donc leurs trajectoires. Un champ psychologique est tout aussi imperceptible qu’un champ de force physique, il doit être inféré par la distribution et les actions des objets présents en son sein (Flach et al. 2008 ; Gorman et al. 2010 ; Guastello 2017 ; Vicente 1999b). L’espace de déplacement sûr, plus connu sous sa dénomination anglaise « The Field of Safe Travel », est une théorie proposée par Gibson & Crooks (1938) illustrant cette notion de champ de force dans le cadre de la conduite automobile. Fondamentalement, le problème d’un conducteur est de se rendre à destination sans heurter les obstacles pouvant se trouver sur son chemin. En se mettant en mouvement, le véhicule déplace avec lui un espace de déplacement sûr, autrement dit une zone spatiale non fixe à l’espace physique qui dessine un espace au sein duquel le véhicule peut bouger sans prendre le risque d’heurter un obstacle. Le challenge pour le conducteur est de juger la taille de cette espace, son déplacement, ses limites, et adapter sa conduite en conséquence. Une fois dans cette zone, les objets sont dotés de forces répulsives ou attractives qui vont influencer les décisions et les comportements du conducteur. Par exemple, les lumières rouges du feu tricolore vont forcer l’arrêt tandis que les lumières  vertes vont inciter à poursuivre le déplacement ou encore la présence d’obstacles ou la réduction de la taille du champ d’action vont provoquer des arrêts ou des ralentissements. Ainsi, comprendre les comportements observés n’est possible que si l’on est en mesure d’identifier les affordances présentent dans cet espace de déplacement sûr et leurs capacités attractives ou répulsives qui vont influencer les comportements. Maintenant, si l’objectif de conduite change et que le conducteur doit se rendre du point A au point B le plus vite possible, alors la taille de la zone de sécurité change (i.e. elle se réduit dû fait de l’augmentation de la prise de risque) et les valeurs attractives ou répulsives des objets se modifient. Sur la base de l’exemple précédent, un feu tricolore rouge ne forcera plus l’arrêt du conducteur si celuici prend des risques pour atteindre son objectif. Ainsi, Gibson montre que la taille de la zone de déplacement sûr ainsi que les valeurs attractives ou répulsives des objets constituants cet espace dépendent des objectifs à atteindre. Pour le conducteur, les objectifs vont aussi déterminer la façon dont il percevra la valeur attractive ou répulsive des objets constituants cet espace. En sécurité des systèmes, un modèle capable de rendre compte de cette dynamique et de considérer l’espace de travail comme une enveloppe de sécurité au sein de laquelle les opérateurs peuvent agir librement est le modèle dynamique de sûreté proposé par Jens Rasmussen (1997).

Une approche basée sur le système avec le modèle dynamique de sûreté (DSM)

Le modèle dynamique de sûreté ou DSM (« Dynamic Safety Model ») est un modèle proposé par Rasmussen (1997) qui vise à rendre compte des mécanismes conduisant aux situations à risque au sein des systèmes sociotechniques complexes. Ce modèle trouve ses fondements dans les travaux de Gibson, notamment dans le concept d’affordance (Gibson 1979) et l’espace de déplacement sûr évoqué précédemment (Gibson & Crooks 1938). Également appelé « modèle de migration », DSM ne cherche pas à identifier puis supprimer la cause de l’erreur, mais bien à représenter les mécanismes dynamiques qui génèrent les comportements qui conduisent aux erreurs. Pour y parvenir, DSM se focalise essentiellement sur l’identification des contraintes que les opérateurs doivent satisfaire pour maintenir les exigences de performance et de sécurité. Dans une première version publiée en 1990, Rasmussen souligne que les comportements humains peuvent être régis par 3 types de contraintes : l’état de la situation actuelle acceptable, le profil des ressources individuelles, les moyens de travail disponibles. D’autres versions plus tardives identifient des contraintes différentes relevant de l’échec économique, de la charge de travail inacceptable et de la performance fonctionnelle acceptable (Rasmussen 1997 ; Cook & Rasmussen 2005). À chaque fois, une contrainte est donnée par les exigences de contrôle imposées par le système, une seconde est donnée par les moyens disponibles offerts par l’environnement, et une troisième correspond aux ressources humaines qui dépendent des caractéristiques individuelles telles que la compétence, la capacité mentale… (Rasmussen 1990). Autrement dit, chacune des contraintes proposées relève respectivement du domaine de travail, de l’environnement organisationnel, et des opérateurs.

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