L’HYPOTHESE DU MALIN GENIE

L’HYPOTHESE DU MALIN GENIE

L’INTERPRÉTATION CANONIQUE

Dernière à être avancée dans la Méditation première, l’hypothèse du malin génie est la première à être écartée, par la séquence qui se déploie, dans la Méditation seconde et le tout début de la Méditation troisième, entre la certitude de l’existence de l’ego et l’affirmation de la règle générale de l’évidence. Dès le début de cette séquence le malin génie se trouve, avec l’expérience du cogito, tenu en échec : Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement Il sera définitivement débouté de ses prétentions à nous tromper, par un véritable coup de force de la raison qui se rétablira elle-même dans ses droits à la fin de cette séquence chevauchant les Méditations seconde et troisième et s’achevant par l’énoncé de la règle générale de l’évidence posant l’équivalence de la certitude et de la vérité telle que nous pouvons la connaître : Dans cette première connaissance [le cogito], il ne se rencontre rien qu’une claire et distincte perception de ce que je connais ; laquelle de vrai ne serait pas suffisante pour m’assurer qu’elle est vraie, s’il pouvait jamais arriver qu’une chose que je concevrais ainsi clairement et distinctement se trouvât fausse. Et partant il me semble que déjà je puis établir pour règle générale, que toutes les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement.

Cela implique que le régime du doute hyperbolique, entretenu par la fiction du malin génie, ne survit pas à la Méditation seconde. Il n’est nullement besoin d’attendre les preuves de l’existence de Dieu contenues dans la Méditation troisième pour en être débarrassé, contrairement à ce qu’avance une interprétation largement admise et solidaire d’une lecture inflationniste des raisons de douter. Nous ne pouvons citer ici les très nombreux et éminents tenants de la thèse d’une subordination de la réfutation du malin génie à celle du Dieu trompeur. Nous signalerons simplement, pour référence,Nous ne voyons pas de lien logique qui fonde une telle implication. Pour l’admettre, il faudrait préalablement établir que la toute-puissance de Dieu est exclusive de l’existence de toute autre puissance absolue. On peut, certes, admettre ce principe en sous-entendant que, si le malin génie n’était pas soumis à la puissance de Dieu, Dieu ne serait pas tout puissant, et ne serait pas Dieu. Autrement dit, on peut admettre et supposer, comme le fait Monsieur Harry Frankfurt, que l’absolue puissance ne se partage pas et que son absoluité implique son unicité. Selon ce raisonnement implicite,

LE RETRAIT DU TEXTE LATIN DE 1641

Premièrement, cette interprétation n’est, de manière expresse, conforme qu’au texte français des Méditations qui seul parle, nous l’avons vu, d’un malin génie « puissant », puis « très puissant »433, et non pas tout puissant à l’égal de Dieu. Le texte français introduit, en effet, une hiérarchie entre la toute-puissance divine et la puissance du malin génie, la première prenant le pas sur la seconde et excluant toute éventuelle résistance de l’hypothèse du malin génie, une fois prouvée l’existence de Dieu. L’acceptation d’une hiérarchie entre la puissance de Dieu et celle du malin génie devient, en revanche, beaucoup plus problématique au regard du texte latin. En effet, le texte latin est, sur ce point, très en retrait. Il qualifie le malin génie de « summe ambiguïté qui lui permet de signifier identiquement, par « summe », « très », « extrêmement », mais aussi « au plus haut point », « souverainement ». Elle ne permet pas de distinguer le superlatif relatif du superlatif absolu, ce que va faire le texte français. Mais surtout le texte latin de 1641, qui exprime le mouvement premier de la pensée de Descartes, emploie ce même adverbe « summe » pour qualifier Dieu dans sa bonté. Descartes utilise donc, par deux fois, le même adverbe pour qualifier la puissance et la ruse du malin génie et pour qualifier la bonté de Dieu (« summe bonus »436). Il le fait sans aucune indication qui inviterait à prendre l’adverbe « summe » dans deux sens distincts, l’un absolu, l’autre relatif. Le texte n’atteste d’aucune différence ni de degré, ni de nature entre puissance divine et puissance du malin génie, aucune hiérarchie.

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