L’infection individuelle à l’expression globale de la peste à l’échelle du microfoyer

L’infection individuelle à l’expression globale de la peste à l’échelle du microfoyer

Le glissement du questionnement de : pourquoi ici, pourquoi pas là ? à comment ici, comment là ?

Comme nous l’avons vu dans notre premier chapitre (3.2.5), si l’on s’en tient à l’échelle des différents foyers pesteux mondiaux, le mécanisme de diffusion de la peste en territoire jusqu’alors épargné, des ports vers l’intérieur des terres, a été bien décrit et résumé par le schéma de Simond-Beaucournu (Simond, 1898 ; Beaucournu, 1999), quantifié par Adjemian et al. (2007) et Christakos et al. (2007) : l’homme joue un rôle essentiel dans la propagation métastasique de la maladie (Pollitzer, 1954), tandis que l’interpénétration des cycles des rongeurs urbains, commensaux et sauvages participe à sa propagation de proche en proche. Mais, une fois la peste installée, la description des contours des foyers endémiques de la maladie est nettement plus floue et la question de son expression, c’est-à-dire de « son évolution et son équilibre interne », pour reprendre une expression de Max Sorre (1933, p. 10), est toujours d’actualité. Aussi, l’une des conclusions formulées à l’issue des trois rencontres internationales récemment consacrées à la peste était la suivante : « on connaît remarquablement peu de choses sur la dynamique de la peste dans les populations de réservoirs naturels et, par voie de conséquence, sur l’évolution du risque pour l’homme » (Stenseth et al., 2008, p. 9, trad. pers.). Deux questions fondamentales se posent alors, qui amènent à considérer le risque épidémiologique au niveau de la population : celle des mécanismes permettant le maintien de l’infection chez les rongeurs pendant de très nombreuses années d’une part, et celle des mécanismes de déclenchement et d’évolution épizootiques d’autre part, épizooties au cours desquelles le risque d’occurrence de la maladie chez l’homme s’accroît. L’étude des facteurs qui conditionnent ces processus globaux, distincte de la recherche de facteurs de risque d’un risque individuel, traduisant la probabilité d’acquisition de l’infection, revêt une importance cruciale dans l’investigation épidémiologique (Gage et Kosoy, 2005). Elle s’inscrit dans une évolution d’un questionnement qui, parti d’une recherche des facteurs causaux déterminant la distribution potentielle de la peste (pourquoi ici, pourquoi pas là), se Chapitre 3 : Les mécanismes endémo-épidémiques de la peste en question 90 précise progressivement vers une connaissance des mécanismes de son expression, par lesquels se distribue effectivement la maladie (comment ici, comment là). Sur ces questions, nos prédécesseurs ont exprimé différentes positions appuyées de leurs observations dans différents foyers, amenés souvent à les reconsidérer au gré de nouvelles données de terrain. L’investigation des modalités de circulation de la peste au sein d’un foyer endémique suppose en effet un suivi continu, dans l’espace et dans le temps, des populations de rongeurs et une description fine de leur état épidémiologique.

Une endémicité à caractère local ou régional ?

Les différents auteurs s’accordent sur un point : la peste, au sein d’un foyer endémique, enzootique devrions-nous dire puisque la peste se maintient dans les populations de rongeurs, revêt un caractère épars par l’existence de poches locales d’infection, liées à la structuration des rongeurs en colonies ou communautés (Baltazard et al., 1952 ; Davis, 1948, référencé par Pollitzer, 1954 ; Pollitzer et Meyer, 1961). Ces peuplements de rongeurs sont séparés les uns des autres par des barrières physiques, telles un fleuve, une chaîne de montagne, ou biologiques, zones stériles où les rongeurs sont absents ou présents en petit nombre (Rall, 1944, référencé par Pollitzer, 1954). A partir de là, les positions divergent à propos du caractère local ou régional de l’endémicité. Sur la base de ses observations au Kurdistan iranien, foyer de peste sauvage du mérion, M. Baltazard défend la vision d’une endémicité réalisée au niveau de ces poches locales d’infection. Pour lui, ces microfoyers, « très peu étendus et nettement circonscrits, autonomes et indépendants les uns des autres » (Baltazard et al., 1952, p. 460), présentent un caractère de permanence spatiale et temporelle. Ils constituent autant de points potentiels de renaissance de la peste au début de chaque saison pesteuse, au cours de laquelle se développent les épizooties, qui « lentement font tache d’huile autour de chacun de ces points » pour s’éteindre ensuite (Baltazard, 1963, p. 1139).  A cette vision s’oppose celle d’une endémicité à caractère régional, qui diffère de la précédente sur le caractère instable des poches locales d’infection. L’irrégularité des manifestations pesteuses dans les populations humaines ne plaide pas, en effet, en faveur d’une endémicité locale de la peste chez les rongeurs : « l’infection n’est pas immobile mais se déplace constamment d’un endroit à un autre sur un territoire relativement vaste, ne provoquant que des cas isolés chez l’homme, sans lien les uns avec les autres ni dans le temps ni dans l’espace (Pollitzer, 1954, p. 527). Selon cette vision qu’a un temps évoquée M. Baltazard à partir de ses observations en Inde et à Java pour la récuser ensuite, la peste circulerait de manière permanente entre colonies de rongeurs plus ou moins isolées les unes des autres, sous la forme de « minces traînées épizootiques serpentant à travers la campagne » (Baltazard, 1960, p. 424), pour revenir périodiquement dans la même zone. En ce qui concerne la peste des rongeurs commensaux, R. Pollitzer (1954), s’appuyant sur plusieurs auteurs et ses propres observations en Chine, considère davantage le rôle du transport humain de puces et de rats dans la propagation de village en village. Au cours de la saison pesteuse, l’introduction de la peste dans une colonie provoquerait, selon les conditions, des épizooties complètes, décimant l’intégralité de la population, ou incomplètes. Dans ce cas seulement, la maladie aurait une chance de réapparaître la saison qui suit, par report de l’infection. R. Pollitzer nuance tout de même sa position d’une endémicité régionale, « caractérisée par des changements notables dans la localisation et l’étendue des épisodes isolés de saison en saison » (Pollitzer, 1954, p. 526), en admettant l’existence possible de centres endémiques exportateurs, liés au caractère plus lent et incomplet de l’épizootie. La position défendue par R. Pollitzer serait valable sur le foyer malgache où, selon lui, des observateurs tels que J. Robic, G. Sorel ou G. Girard « semblent avoir mentionné l’existence d’une endémicité régionale de cette nature » (Pollitzer, 1954, p. 526). 

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