Outils de l’optique quantique avec des variables continues

Outils de l’optique quantique avec des  variables continues

Quadratures du champ électromagnétique quantique

Composantes de quadrature d’un champ monomode classique Pour décrire l’aspect ondulatoire de la lumière, la théorie de l’optique quantique repose partiellement sur le formalisme classique de description d’une radiation lumineuse. Quelques brefs rappels et notations sont énoncés ci-dessous dans le cadre de l’optique ondulatoire classique, notamment en vue d’introduire de façon heuristique la quantification du champ et d’établir des correspondances entre description quantique et formalisme classique. A grande distance de la source de rayonnement, le champ électrique transverse solution des équations de Maxwell dans le vide peut se décomposer sur la base des ondes planes monochromatiques, où chaque mode −→E cl,m peut être conçu comme la modélisation dans l’espace −→r et le temps t d’un faisceau lumineux issu d’une source monomode continue de fréquence ωm, de vecteur polarisation −→εm et de direction de propagation −→km [15]. −→E ⊥,cl( −→r ,t) = X m −→E cl,m( −→r ,t) (2.1) = X m ı Em −→εm ³ αme ı( −→km −→r −ωmt) − α ∗ me −ı( −→km −→r −ωmt) ´ où αm est un nombre sans unité quantifiant l’amplitude du champ monomode −→E cl,m et Em est homogène à un champ électrique. On introduit ici Em de telle sorte qu’un champ défini par αm = 1 et localisé dans un volume V ait une énergie ~ωm, soit Em = p ~ωm/(2ǫ0V ) en volts par mètre. En précisant que l’amplitude complexe généralisée αm se décompose en αm = |αm| e ıϕm, chaque composante d’onde plane se met alors sous la forme générale d’un champ sinusoïdal décrit par |αm| et ϕm [15] : −→E cl,m( −→r , t) = −2 Em −→εm |αm| sin(−→km −→r − ωmt + ϕm) (2.2) 

Quadratures du champ électromagnétique quantique 

Ce champ oscillant peut se représenter dans un plan complexe par un vecteur de Fresnel d’amplitude normalisée |αm| et d’angle polaire ou phase relative ϕm (voir figure 2.1). Dans une telle représentation, la dépendance temporelle est alors passée sous silence, ce qui revient à définir le vecteur de Fresnel comme figé au sein d’un référentiel tournant à la fréquence optique ωm. Au lieu de ses coordonnées polaires (|αm|,ϕm), le champ monomode classique peut aussi être exprimé en fonction de ses coordonnées cartésiennes (Xm, P m). Les projections du vecteur de Fresnel sur les axes définissent ainsi les composantes de quadrature classiques du champ électrique : Xm = 2p N0 |αm| cos ϕm (2.3a) P m = 2p N0 |αm|sin ϕm (2.3b) où N0 est une constante de dimensionnement, fonction du choix des unités. En développant le terme en sinus dans l’équation (2.2), on peut directement exprimer le champ classique en fonction de ses composantes de quadrature : −→E cl,m( −→r ,t) = − Em √ N0 −→εm ³ Xm sin(−→km −→r − ωmt) + P m cos(−→km −→r − ωmt) ´ (2.4) Un tel mode du champ électromagnétique est donc parfaitement déterminé par la donnée d’un nombre fini de paramètres : son amplitude, sa phase relative, sa fréquence optique, sa direction de propagation et sa polarisation. Dans le cas plus réel d’un mode gaussien, il faudrait encore préciser la dépendance spatiale par le diamètre et la position du waist. Cependant, une telle source de lumière parfaitement constante ne peut pas exister. D’une part, elle serait en contradiction avec les propriétés statistiques d’un faisceau lumineux réel et d’autre part, elle irait à l’encontre de la mécanique quantique. Ce détour par l’optique ondulatoire classique sera néanmoins fructueux, ne serait-ce que pour introduire par analogie les composantes de quadratures quantiques du champ lumineux, qui sont les variables continues étudiées lors de cette thèse. X Oscillateur harmonique unique Ensemble d’oscillateurs ⇒ densité de probabilité Oscillateur unique ⇒ densité de quasi-probabilité ∝ ∆P P P P X X ϕ Pcla Xcla 〈Xcla〉 〈X〉 〈Pcla〉 〈P〉 Classique Quantique |α| Figure 2.1: L’état d’un oscillateur classique peut être décrit à tout moment par la donnée d’un point dans l’espace des phases (X, P). Toujours dans le cadre de la physique classique, on peut représenter l’état d’un ensemble de nombreux oscillateurs par une densité de probabilité. En mécanique quantique, aucun état ne peut être totalement spécifié, il faut recourir à une description par une densité de quasi-probabilité associée même à un état quantique unique. 32 Outils de l’optique quantique avec des variables continues

Quantification du champ et opérateurs quadratures 

Partant des équations de Maxwell dans le vide, la formule (2.1) exprime le champ transverse classique comme une superposition linéaire de différents modes oscillateurs harmoniques αm e −ıωmt indépendants les uns des autres. Ce résultat est plus qu’un outil mathématique commode, il nous permet de définir la notion de mode du champ électromagnétique et guidera la quantification du champ. Par analogie formelle avec la quantification d’un oscillateur harmonique matériel, les modes oscillants du champ électromagnétique sont quantifiés en remplaçant les nombres quantiques αm,α∗ m par des opérateurs annihilation aˆm et création de photon aˆ † m [12, 9, 15, 14] : αm → aˆm (2.5) α ∗ m → aˆ † m Cette quantification est complétée en postulant les relations de commutation : [ˆam, aˆ † n ] = δm,n (2.6) [ˆam, aˆn] = [ˆa † m, aˆ † n ] = 0 et en associant à la quantité αmα ∗ m l’opérateur symétrisé (ˆa † maˆm + ˆamaˆ † m)/2. Opérateurs composantes de quadrature De façon similaire à (2.1), l’opérateur champ électrique monomode s’écrit alors : Eˆm( −→r ,t) = ı Em −→εm ³ aˆme ı( −→km −→r −ωmt) − aˆ † me −ı( −→km −→r −ωmt) ´ (2.7) Cette expression se réécrit suivant la forme (2.4) pour faire apparaître les opérateurs composantes de quadrature introduits par analogie avec les composantes de quadrature d’un champ classique : Eˆm( −→r , t) = − Em √ N0 −→εm ³ Xˆm sin(−→km −→r − ωmt) + Pˆm cos(−→km −→r − ωmt) ´ (2.8) En prenant comme définitions pour les opérateurs composantes de quadrature 1 : Xˆ = p N0 ( ˆa + ˆa † ) Pˆ = p N0 ( ˆa − aˆ † ) ı (2.9) où N0 est une constante réelle positive dépendant des variables considérées et du système d’unités choisi. Les observables associées à ces opérateurs peuvent prendre une infinité de valeurs possibles réparties dans un continuum, on parle alors de variables continues. Il est également pratique de donner une expression des opérateurs aˆ et aˆ † à partir des composantes de quadrature dans ce système de notations. aˆ = Xˆ + ıPˆ 2 √ N0 aˆ † = Xˆ − ıPˆ 2 √ N0 (2.10) 1Afin d’alléger les notations en l’absence d’ambiguïté, la notation ˆ pour désigner les opérateurs ne sera plus mentionnée dans les autres chapitres de ce manuscrit. 

Compte tenu de la relation de commutation imposée

[ˆa, aˆ † ] = 1, les opérateurs composantes de quadrature ne commutent pas et vérifient la relation : [X, ˆ Pˆ] = 2ıN0 (2.11) Du fait de cette non-commutation, il n’est pas possible selon le principe d’Heisenberg de connaître simultanément et avec une précision absolue les observables conjuguées X et P associées à un même état quantique. Toutes les caractéristiques d’un état quantique ne peuvent être spécifiées simultanément. La relation d’incertitude d’Heisenberg formalise cette affirmation en l’inégalité : ∆X ∆P ≥ N0 (2.12) où ∆· désigne l’écart-type de la mesure associée à l’observable. En particulier pour un état cohérent, les variances associées à X et P sont égales et valent N0. Pour cette raison, on désigne souvent N0 par le niveau de bruit quantique standard (appelé également selon le contexte bruit de photon, bruit de grenaille, shot noise. . . ). Le choix de la valeur de N0 est fonction de la convenance des différents auteurs et varie couramment d’une référence à l’autre. Pour les expérimentateurs, le bruit quantique N0 sert de référence pour les mesures, d’où la convention N0 = 1 fréquemment posée. Néanmoins ce choix qui impose alors ~ = 2 ne recueille généralement pas les suffrages des théoriciens qui lui préfèrent ~ = 1, soit N0 = 1/2. . . Ne voulant pas prendre parti dans ce débat, et conformément à la notation introduite dans la thèse de Frédéric Grosshans [71], nous conserverons la notation explicite N0 pour éviter toute confusion. Remarques : • Du fait de l’analogie entre un oscillateur mécanique et un mode du champ électromagnétique, les quadratures X et P sont souvent désignées comme la position et l’impulsion d’un oscillateur électromagnétique. Bien sûr, il ne s’agit que d’une analogie : les composantes de quadrature n’ont rien à voir avec la “position” ou “l’impulsion” d’un photon. • L’hamiltonien de l’oscillateur harmonique Hˆ s’écrit alors sous la forme suivante et fait apparaître l’opérateur nombre de photons Nˆ = ˆa †aˆ [9]. Hˆ = ~ω 4N0 ³ Xˆ 2 + Pˆ2 ´ = ~ω(ˆa † aˆ + 1 2 ) (2.13) • En applicant un déphasage aˆ → aeˆ −ıθ, on peut définir des opérateurs composantes de quadratures généralisées : Xˆ θ = Xˆ cos θ + Pˆ sin θ (2.14) Pˆ θ = −Xˆ sin θ + Pˆ cos θ Les nouveaux opérateurs (Xˆ θ, Pˆ θ) vérifient la même relation de commutation que (X, ˆ Pˆ) et possèdent donc les mêmes propriétés quantiques. • De la même manière que l’on définissait les composantes de quadratures classiques indépendamment du temps dans un repère tournant à la fréquence optique, les opérateurs quadratures quantiques se définissent dans un espace des phases dont les axes tournent à cette même fréquence. On omettra donc de préciser la dépendance temporelle en ωmt pour employer un choix d’observables “fixes” définies à partir d’une référence externe de phase (oscillateur local) ou par un choix adéquat de l’origine des temps. Autres variables continues De nombreuses autres caractéristiques d’un mode du champ électromagnétique varient de façon continue et pourraient servir de variables continues pour les procédures de communication quantique : phase relative, polarisation, temps d’arrivée d’une impulsion. . . Généralement, il s’agit plutôt de “fausses” variables continues : les quantités citées codent dans un espace de dimension finie, ce qui en fait dès lors des variables discrètes. Pour l’essentiel, elles sont utilisées dans des protocoles mettant en œuvre des photons uniques ou des impulsions très atténuées, se limitant à un nombre restreint de réalisations possibles (fréquemment au nombre de 4 dans des protocoles de cryptographie quantique de type BB84). Il faut cependant citer l’exception de la polarisation d’un faisceau brillant, où les composantes du vecteur de Stokes peuvent définir un “vrai” ensemble de variables continues. Dans le cas d’une composante intense fortement polarisée, les opérateurs de Stokes suivent une relation de commutation équivalente à (2.11). Des dispositifs exploitant ces variables continues en polarisation sont actuellement en cours de développement parallèlement à l’utilisation des quadratures du champ lumineux, et promettent des applications fructueuses. On peut citer pour référence les travaux des groupes de Gerd Leuchs [148, 199], Elisabeth Giacobino [200, 201], Ping Koy Lam [198] et Eugene Polzik [197].

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