Place du stress du réticulum endoplasmique et de la réponse aux protéines non repliées dans la carcinogénèse colique

Histoire naturelle de l’adénocarcinome colique

L’adénocarcinome colorectal est une tumeur épithéliale maligne se développant à partir du gros intestin. La plupart des adénocarcinomes colorectaux se développe à partir d’adénomes. Par définition, les adénomes sont des lésions tumorales bénignes.
Dans le côlon, les adénomes apparaissent soit de façon sporadique, soit dans le cadre d’un syndrome polyposique. Les adénocarcinomes peuvent également se développer au sein de territoires muqueux dysplasiques chez les patients atteints de maladie inflammatoire du tube digestif .
Contrairement à l’épithélium de l’intestin grêle, l’épithélium colique est dépourvu de villosités et s’organise en cryptes glandulaires appelées cryptes de Lieberkühn, formées de cellules cylindriques. Ces cellules comprennent d’une part des cellules caliciformes, les plus nombreuses, d’autre part des entérocytes, très minoritaires, qui sont revêtus d’une bordure en brosse à leur pôle apical.
Comme tous les épithéliums, l’épithélium colique repose sur une membrane basale le séparant du tissu conjonctif sous jacent.
Les foyers de cryptes aberrantes semblent être les lésions histologiques les plus précoces dans la carcinogénèse colique . Sur le plan histologique, les cryptes aberrantes sont environ trois fois plus larges que les cryptes normales, et leur lumière a une forme plus ovale . On distingue 2 principaux types de cryptes aberrantes: celles qui sont associées avec la présence d’une mutation du gène APC et celles associées avec de mutations des gènes KRAS et NRAS.
Il est vraisemblable que ces foyers de cryptes aberrantes puissent évoluer vers des lésions adénomateuses. Ces dernières peuvent apparaitre à l’endoscopie comme sessiles, pédiculés ou déprimés. Microscopiquement, ces lésions adénomateuses sont hypercellulaires, constituées de cellules augmentées de taille comportant un noyau souvent hyperchromatique. L’architecture est toujours glandulaire, mais il peut exister une stratification et une perte de la polarité normale. Ces lésions semblent se développer secondairement à l’inactivation de la voie APC/bêta-caténine.

Stress du réticulum endoplasmique et réponse aux protéines non repliées

Les protéines destinées à être sécrétées ou insérées au sein des membranes cellulaires sont synthétisées par les ribosomes situés du côté cytoplasmique de la membrane du réticulum endoplasmique (RE), avant de subir des modifications au sein de la lumière de ce dernier. Ces protéines nouvellement produites sont repliées et assemblées par des protéines chaperonnes du RE en subissant des modifications post-traductionnelles avant d’être exportées. La synthèse protéique tout comme le repliement et les modifications post-traductionnelles nécessitent de l’énergie . C’est la raison pour laquelle la fonction du RE est très sensible aux perturbations du microenvironnement cellulaire comme l’hypoxie ou le manque de nutriments car ils aboutissent à une diminution de l’énergie disponible pour la cellule. Dans de telles conditions, les protéines mal repliées ou non repliées s’accumulent au sein du RE aboutissant à un état de « stress du réticulum endoplasmique ».
Les cellules réagissent à un tel stress du RE en déclenchant une réponse homéostatique, conservée parmi les espèces, qui a été appelée « réponse aux protéines non repliées » (RPNR, unfolded protein response ou UPR) . La RPRN a pour objectif de rétablir l’équilibre entre les protéines non repliées et les protéines chaperonnes du RE . A cette fin, la traduction protéique globale est atténuée, réduisant ainsi la charge de travail pour les protéines chaperonnes et les enzymes . Parallèlement, les capacités de maturation protéique du RE sont accrues par la synthèse de nouvelles protéines chaperonnes , et les protéines mal repliées présentes dans le RE peuvent être dégradées via l’activation de la dégradation associée au RE (ER-associated degradation ou ERAD) . Si un équilibre entre la quantité de protéines chaperonnes et la quantité de protéines à replier n’est pas retrouvé, on observe une activation des voies biologiques aboutissant à la mort cellulaire .

La Réponse aux Protéines Non Repliées et le cancer

Il est maintenant reconnu que le stress du RE est impliqué dans la physiopathologie de nombreuses maladies humaines, comme le diabète, les maladies neurodégénératives, cardiovasculaires ou le cancer. Dans de nombreux cancers solides, l’activation de certaines voies de la RPNR a été observée, notamment dans les adénocarcinomes et plus particulièrement l’adénocarcinome colique . Pour ce dernier, il a été mis en évidence une surexpression de BiP, avec une augmentation progressive de l’expression de cette protéine au cours de la séquence adénome – adénocarcinome .
Il s’avère que les tumeurs dans lesquelles la RPNR est activée sont plus agressives et plus résistantes à la chimiothérapie, alors que les tumeurs pour lesquelles la RPNR dysfonctionne sont de croissance beaucoup plus lente. Ces observations suggèrent que l’activation de la RPNR pourrait permettre aux cellules malignes de survivre et de proliférer. Par exemple, une expression élevée de BiP dans le cancer du sein est associée à une survie sans rechute plus courte dans les suites d’une chimiothérapie, et dans le cancer prostatique, la surexpression de BiP est associée à un haut risque de récurrence et une survie moins bonne. Des observations similaires ont été faites chez des patients atteints de cancer gastrique. Qui plus est, l’expression de BiP parait nécessaire à la croissance de la tumeur et la formation de métastases. Ainsi, dans un modèle murin knockout, la déficience pour BiP bloquait le développement du cancer prostatique initié par la perte du gène suppresseur de tumeur PTEN alors que dans un modèle de cancer gastrique, murin également, la perte de BiP inhibait la croissance tumorale . Il a été de plus démontré dans certains modèles que la perte de XBP1 entraînait une diminution de la taille tumorale dans des conditions hypoxiques, suggérant que la voie de signalisation initiée par IRE1 joue très probablement un rôle central dans l’adaptation de la tumeur à l’hypoxie . De manière similaire, il existe des données suggérant que la voie de signalisation PERK – eIF2α – ATF4 est nécessaire pour la croissance tumorale et la survie des cellules malignes dans des conditions hypoxiques. Dans un autre modèle murin, l’injection de cellules malignes déficientes pour PERK aboutissait à la formation de tumeurs plus petites que celles possédant un PERK fonctionnel . Des observations similaires ont été faites pour ATF4.

Stress du réticulum endoplasmique, transition épithélio-mésenchymateuse et lésions pré-cancéreuses

Les cellules épithéliales normales sont polarisées, avec une partie apicale orientée vers la lumière ou la superficie, et une partie basale . Ces cellules sont fortement cohésives les unes avec les autres grâce à des molécules d’adhésion comme l’E-cadhérine. Elles expriment des cytokératines et leur mobilité est très restreinte. Ces caractéristiques permettent le maintien de l’architecture et de la fonction des épithéliums. A l’inverse, les cellules conjonctives ne sont pas polarisées et sont capables de se mouvoir avec facilité en raison de l’absence de liaisons fortes avec les structures avoisinantes. Elles expriment des marqueurs mésenchymateux comme la vimentine. Dans certaines conditions, les cellules épithéliales subissent des modifications aboutissant à la perte de leur phénotype épithélial et à l’acquisition d’un phénotype mésenchymateux. Ce processus est appelé « transition épithélio-mésenchymateuse » (TEM) .
La TEM est très impliquée au cours de l’embryogénèse. En effet, il a été initialement démontré que l’expression de l’E-cadhérine est fortement diminuée au cours de la gastrulation du poulet , et la TEM apparait être essentielle dans le développement embryonnaire des mammifères, par exemple durant la formation de l’endoderme pariétal et durant l’organogénèse cardiaque . Ce processus semble également être activé lors de la réparation et régénération tissulaires, car Slug, un facteur de transcription impliqué dans la TEM de l’embryogénèse, apparaît plus fortement exprimé dans les kératinocytes situés au contact d’une blessure cutanée .
La TEM semble être un processus clé de la biologie de nombreux carcinomes (cancers développés à partir des épithéliums) car sa présence est associée à un grade histologique plus élevé , à l’acquisition de propriétés d’invasion et de mobilité , particulièrement dans le cancer colorectal , à un risque plus élevé de récurrence , de métastases , et globalement à un pronostic plus défavorable , notamment dans l’adénocarcinome colorectal .
Dans certain modèles, comme celui de la carcinogénèse pulmonaire, il apparaît que la TEM pourrait être un phénomène précoce et serait associée aux différentes étapes précédant le stade de tumeur invasive. Un phénotype mésenchymateux partiel a été mis en évidence dans des lésions bronchiques pré-cancéreuses, et il s’avère qu’une diminution de l’expression de l’E-cadhérine est associée à des lésions pré-cancéreuses plus évoluées, de grade plus sévère. Il a de plus été observé que des cellules épithéliales bronchiques humaines mises en culture en présence de carcinogènes présents dans la fumée de tabac font l’objet d’une TEM et présentent alors un phénotype se rapprochant de celui de cellules embryonnaires. Ce phénotype se caractérise par la formation de sphéroïdes comportant des tubules ramifiant, une expression accrue des marqueurs embryonnaires CD44, CD133, ALDH1, et une diminution de l’expression de CD23 .

Table des matières

1. Introduction
1.1 Histoire naturelle de l’adénocarcinome colique 
1.2 Stress du réticulum endoplasmique et réponse aux protéines non repliées 
1.3 La réponse aux protéines non repliées et le cancer 
1.4 Stress du réticulum endoplasmique, transition épithélio-mésenchymateuse et lésions pré-cancéreuses
1.5 But et objectifs 
2. Matériels et méthodes 
2.1 Éthique 
2.2 Micromatrices tissulaires 
2.3 Anticorps et analyses immunohistochimiques 
2.3.1 Optimisation et contrôles des réactions immunohistochimiques
2.3.2 Immunomarquages
2.4 Critères d’analyse des immunomarquages 
2.4.1 Immunomarquages BiP et CHOP
2.4.2 Immunomarquages Ki67
2.4.3 Immunomarquages GADD34, E-cadhérine et HIF-1 alpha
2.5 Analyse statistique 
3. Résultats
3.1 Validation des anticorps utilisés 
3.1.1 Optimisation des anticorps
3.2 Caractéristiques de la population de référence et des patients inclus dans l’étude 
3.2.1 Caractéristiques de la population de référence
3.2.2 Caractéristiques des patients inclus dans l’étude
3.3 Nature des prélèvements inclus dans les micromatrices tissulaires
3.4 Analyse des micromatrices tissulaires pour les immunomarquages BiP, CHOP, GADD34, Ki67, E-cadhérine et HIF-1 alpha 
3.4.1 Analyse des micromatrices immunomarquées pour BiP
3.4.2 Analyse des micromatrices immunomarquées pour CHOP
3.4.3 Analyse des micromatrices immunomarquées pour GADD34
3.4.4 Analyse des micromatrices immunomarquées pour Ki67
3.4.5 Analyse des micromatrices immunomarquées pour E-cadhérine
3.4.6 Analyse des micromatrices immunomarquées pour HIF-1 alpha
3.5 Études de corrélation par paires d’anticorps entre les différents scores obtenus pour chaque fragment étudié 
3.5.1 Études de corrélation dans la catégorie histologique « épithélium colique normal »
3.5.2 Études de corrélation dans la catégorie histologique « lésion adénomateuse en dysplasie de bas grade »
3.5.3 Études de corrélation dans la catégorie histologique « lésion adénomateuse en dysplasie de haut grade »
3.5.4 Études de corrélation dans la catégorie histologique «adénocarcinome colique invasif primitif»
3.5.5 Études de corrélation dans la catégorie histologique « métastase ganglionnaire »
3.5.6 Études de corrélation toutes catégories histologiques confondues
3.5.7 Synthèse des résultats de corrélation
4. Discussion
4.1 Caractéristiques des protéines Ki67, E-cadhérine et HIF-1 alpha 
4.1.1 Ki67
4.1.2 E-cadhérine
4.1.3 HIF-1 alpha
4.2 Analyse des résultats obtenus 
4.3 Justification de la méthodologie utilisée 
4.3.1 Remarques sur la stratégie de tirage au sort en 2 temps
4.3.2 Population échantillonnée
4.3.3 Origine anatomique et nature des lésions étudiées
4.3.4 Comparaison des caractéristiques de l’échantillon et celles de la population de référence
4.3.5 Remarques sur les différentes formules utilisées pour établir un score en fonction des anticorps utilisés
4.4 Limites de l’étude
4.4.1 Risque de biais de mauvaise classification
4.4.2 Remarques concernant l’hétérogénéité de l’expression des protéines étudiées
4.4.3 Différences potentielles dans le traitement des tissus
4.5 Perspectives 
5. Conclusion
Bibliographie 

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