L’intermédiation dans les systèmes traditionnels de parenté

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L’intermédiation dans les systèmes traditionnels de parenté

Lorsqu’on veut analyser les mécanismes de l’intermédiation au Sénégal, il est important de tenir compte de la façon dont diverses formes de relations sociales sont médiatisées.
L’intermédiation entre deux individus ou groupes d’individus est liée à l’histoire des populations africaines, marquée par l’esclavage et par l’existence de groupes sociaux et les différences de statut qui en découlent.
Les coutumes ancestrales relevant de la période pré-coloniale renferment des valeurs qui suggèrent une infériorité de certains groupes sociaux par rapport à d’autres. L’identité sociale de l’individu se reconnaît par l’appartenance de celui-ci à une lignée ou un clan qui détermine des rôles et des attentes chez l’individu.
Celle-ci commande donc des rôles sociaux différenciés qui sont reconnus par la société.
Le processus de médiateur va se constituer dans la foulée déprédatrice et conquérante de ces sociétés hiérarchisées et d’architecture aristocratique qui font porter la servitude sur les populations qui ne ressortent pas originellement de leur filiation (esclaves, captures…). L’extranéité que la société confère à certains groupes sociaux est à la base du rapport social qui en découle. On voit ainsi comment le phénomène d’intermédiation ne correspondait pas uniquement à des finalités d’enrichissement économique individuel, mais qu’elle a aussi des fonctions sociales qu’on ne peut ignorer.
Les échanges religieux, sociaux ou cérémoniels intervenant dans le cadre du mariage, du baptême, des funérailles ou lorsqu’un roi veut s’adresser à son peuple peuvent mettre à nu la particularité du rôle attribué à l’intermédiaire. Ces événements font instaurer un espace de communication qui constitue une sorte de champ autonome pour le « répond-bouche », pour reprendre l’expression d’Amadou Hampaté Bâ, placé au centre de la communication entre des échelons sociaux qui enferment chacun dans un champ singulier.
Durant ces manifestations, les échanges langagiers, de biens et de services sont le plus souvent médiatisés par les ‘’griots’’. Leur intervention est surtout liée à leur compétence en matière de rhétorique. L’exemple du griot de Wangrin dans le roman documentaire d’Amadou Hampaté Bâ nous paraît édifiant dans la mesure où il se prête à une lecture sur l’art rhétorique des descendants de ce groupe social.
C’est pourquoi dans l’échange social, « la coutume veut que le noble parle très peu et que son griot parle à sa place. Sauf dans des cas qui engagent une décision grave et irrévocable »30.
De fait, l’intermédiation s’était révélée au-delà des relations de parenté et a pu être pérennisée pour les besoins du pouvoir colonial.

L’intermédiation dans le processus de l’Etat colonial

L’histoire de la fonction d’intermédiaire ne peut être parcourue en dehors de l’établissement de l’Etat colonial.
La conquête et la colonisation du Sénégal par la France, durant la seconde moitié du XIXème siècle, ont contribué à perpétuer cette fonction d’intermédiaire et abouti à la mise en place d’une nouvelle forme d’interprète qui dépasse la dimension sociale qui lui était assignée auparavant.
Dès lors, l’application des politiques coloniales n’avait pas trouvé de difficultés du fait de la disponibilité et de la coopération de nombreux lettrés dans les villes31.
En effet, la suppression des emplois subalternes qui étaient confiés aux européens et la politique d’assimilation ont permis à certains indigènes d’assumer certains postes administratifs (secrétaires, dactylographes, commis de comptabilité…) qui vont leur permettre de cultiver la langue française et de servir ainsi d’interprètes à l’administration coloniale.
C’est dans ce sens que certains « notables sénégalais vont servir comme interprètes auprès des tribunaux de justices indigènes puis des affaires politiques »32.
La contribution des interprètes à ce niveau fut remarquable. Ce rôle est d’autant plus capital que l’administration coloniale allait s’enliser si elle ne trouvait pas des autochtones maîtrisant à la fois le français et une ou plusieurs des langues indigènes. C’est l’exemple de ces interprètes comme Racoutié et Wangrin que Amadou Hampaté Bâ essaie de décrire dans son roman documentaire, l’Etrange destin de Wangrin. La position stratégique de l’interprète dans la mise en scène de la nature particulière de transmission se construit dans la dépendance partagée entre le commandant d’une part et les chefs coutumiers de l’autre. Ces derniers « étaient souvent réduits à croire ce que disait l’interprète, même si sa traduction n’était pas fidèle »33. Cette dépendance est la source de la réputation de celui-ci qui déborde le cadre du village pour s’étendre sur toute une contrée.
C’est dans ce contexte favorisé également par le manque de personnel en brousse que les interprètes ont pu bâtir autour de leur personne un pouvoir social, économique et même politique. Le cas du personnage Wangrin analysé par Bâ est éclairant à ce sujet.

LE COMITE VILLAGEOIS DE DEVELOPPEMENT : COMPOSITION ET FONCTIONNEMENT

L’approche participative du POGV contre la pauvreté en milieu rural a abouti au choix de 500 villages répartis entre 34 communautés rurales des régions de Fatick, Kaolack et Thiès sur une période de 7 ans.
Ce projet a pour objectif global de créer au sein des villages une dynamique durable de développement par le renforcement des capacités des populations à la mise en valeur durable des ressources de leur localité. La force de cette approche réside dans le fait qu’elle responsabilise l’ensemble des acteurs qui interviennent au niveau local autour d’un CVD qui renforce leurs synergies et facilite la coordination et l’harmonisation, sur le terrain, des procédures et modes d’intervention. C’est dans ce cadre que les CVD ont été élaborés comme cellule de coordination, de concertation mais aussi et surtout pour servir d’interface entre les populations et les intervenants extérieurs.
Cependant, malgré toute la dynamique dont ils sont porteurs, les CVD de la première phase du POGV ont connu des démembrements qui peuvent contribuer à remettre en question l’approche participative de la constitution des CVD.

Composition des CVD

Comme définie dans le référentiel didactique, la stratégie du POGV est fondée sur le principe de la participation des populations pour assurer la pérennité et l’efficacité des actions contenues dans le PDV (Plan de Développement Villageois).
Ainsi, la création des CVD a permis de coordonner la multiplicité des interventions, de susciter une synergie entre les différentes associations et de rapprocher davantage les organisations autonomes de base et le conseil rural.
Selon toujours ce référentiel didactique et à la suite des entretiens réalisés avec les animateurs de la zone de Fatick, le CVD est élu démocratiquement par une assemblée générale villageoise.
Sur convocation du chef de village, une réunion regroupant toutes les catégories de la population se tient pour instituer le CVD dont le bureau exécutif comprend un président, un vice-président et un secrétaire.
Ce bureau est assisté par un certain nombre de commissions (santé, éducation, environnement, élevage, agriculture…) dont leur existence dépend des réalités socio-économiques et écologiques des villages considérés.
Les villageois sont élus selon leur représentativité, leur compétence, leur expérience et leur dynamisme.
Les institutions comme le chef de village, les conseillers ruraux et les autorités religieuses comme l’imam ou le clergé résidant dans le village sont cooptées en qualité de personnes privilégiées et sont donc admis comme membres d’office dans le CVD.
L’approche genre est également prise en compte dans la constitution des CVD.
En effet, depuis le début des années 90, l’attention accordée à la lutte contre la pauvreté dans les programmes nationaux de développement s’est particulièrement intensifiée. Ce regain d’intérêt a cependant été confronté à de véritables problèmes. Parmi ceux-ci, on note des dispositions discriminatoires défavorables à la participation des femmes et jeunes au processus décisionnel des politiques de développement.
Ces dispositions remontent des coutumes ancestrales relevant de la période pré-coloniale. Celles-ci renferment des valeurs qui suggèrent une infériorité de la femme par rapport à l’homme.
Les anciennes organisations communautaires qui précèdent la période coloniale ont contribué à perpétuer cet ordre social concentrant le pouvoir décisionnel entre les mains des hommes et à figer des normes favorisant la marginalisation des femmes et des jeunes dans les programmes de développement communautaire34.
Le Sénégal, dans la mise en œuvre de sa politique générale de développement économique et social, aborde le combat contre la pauvreté sur des bases solides qui intègrent largement l’approche genre dans sa démarche.
C’est à ce titre que le POGV a fait de l’approche genre son cheval de bataille dans la poursuite du développement humain durable. Dans la démarche du projet, les femmes et les jeunes constituent les cibles privilégiées.
A cet effet, le CVD a consisté à créer au sein de la structure un cadre approprié où les femmes et les jeunes sont des acteurs à part entière.
Généralement, ils sont représentés dans le secrétariat exécutif où ils occupent les fonctions de vice-président, de secrétaire, d’animateur, de relais alphabétiseur…
Cependant, même si l’on s’accorde de plus en plus à reconnaître le rôle très important que jouent les femmes dans le développement, il reste que la participation de celles-ci est encore limitée par les pesanteurs sociales, économiques, politiques ; par l’importance de la charge de leur travail et par l’insuffisance des moyens mis en place pour permettre aux femmes de se libérer de ces entraves et de trouver le temps nécessaire à une entière implication.

Organisation fonctionnelle des CVD

Le CVD est une structure qui regroupe l’ensemble des habitants ou ressortissants d’un village sans distinction de race, de sexe, d’appartenance religieuse, politique…
Est donc admis comme membre toute personne qui s’engage volontairement dans la mise en œuvre des activités de développement de son terroir35.
L’administration du CVD est assurée par un secrétariat exécutif élu par l’assemblée villageoise. Celle-ci désigne par consensus le bureau du CVD lors d’une réunion organisée sur la grande place du village.
A côté du secrétariat exécutif, on note également les relais villageois (le relais alphabétiseur, l’animatrice villageoise…) qui appuient le secrétaire exécutif dans la programmation des réunions, l’exécution des dispositions des statuts du CVD, l’application des décisions du secrétariat exécutif et de l’assemblée villageoise, les relations du CVD avec les intervenants extérieurs…
Les membres du secrétariat exécutif ne bénéficient d’aucune rémunération.
Les actions identifiées par le CVD comme étant éligibles dans le cadre d’un appui par le projet ne peuvent être exécutoires qu’après avoir été approuvées par le conseil rural.

Les dynamiques à l’œuvre dans le choix des représentants intermédiaires

L’analyse, à partir de nos enquêtes de terrain, du contexte dans lequel les CVD sont créés nous permet de nuancer la dimension participative, sans pour autant la rejeter, de l’élaboration des CVD telle que décrite dans le référentiel didactique du POGV.
Les résultats de cette étude engagent à garder à l’esprit l’empreinte de certaines personnes privilégiées (chef de village, imam, clergé…) et des considérations d’ordre social et politique dans la désignation des membres du CVD.
Les décisions sont prises dans un contexte collectif. Seulement, le choix est avant tout une affaire individuelle où chacun cherche à résoudre un problème, selon ses préférences. Pour analyser les décisions prises, il faut repérer d’une part les participants, d’autre part les étapes du processus. Le déroulement des opérations de montage d’un bureau d’un CVD se présente comme suit :
– en premier lieu, il y a la proposition ;
– en deuxième lieu, on note la mise à l’épreuve de la proposition et l’approbation ;
Le pouvoir étant concentré par ceux qui décident et qui proposent les premiers, le choix résultera alors d’un ou des acteurs uniques.
En pratique, si on observe le mode d’institution du CVD, certes toutes les sensibilités de la population participent à l’élection du bureau, mais il convient de s’accorder qu’elles ne sont impliquées dans les assemblées générales que pour servir de décor surtout quand les personnes devant représenter le bureau sont lancées par le chef de village, le marabout, l’imam ou le clergé du village.
Durant cette assemblée générale, les chefs de village et les autorités religieuses ont leur mainmise sur le choix des représentants du CVD. Ces derniers ne sont pas élus par vote mais sont plutôt nommés par des personnes, le plus souvent influentes, qui proposent leur choix selon leur propre cadre de référence.
Ce qui fait que lorsque le chef de village (l’autorité villageoise qui assure la collecte de l’impôt), le marabout, l’imam, le catéchiste qui « assurent une part de sécurité physique et morale à leurs fidèles »36 ou même des paysans aisés qui sont tous considérés comme étant des personnes dont on écoute leurs paroles, proposent des individus tout le monde est obligé d’adhérer à leur choix même si on est contre.
Alors qu’ils sont utilisés pour donner une ‘’assise sociale’’ à la formation des CVD, il reste que la présence de ces autorités risque de servir plus de ‘’stratégie de séduction’’ des populations que d’’’assise sociale’’.
A titre d’exemple, nous avons utilisé le CVD du village de Nghuess afin de voir plus concrètement la manière dont les CVD, en général, sont mis en place.
D’après les propos recueillis auprès de l’actuel chef de village qui a succédé à son frère défunt, l’ancien président du CVD de Nghuess a été investi par l’ancien chef de village qui avait proposé à l’animateur de l’époque de nommer ce dernier comme président.
Après son investiture, l’ancien président qui ne résidait pas dans le même hameau que le chef de village collaborait tout seul avec le projet sans rendre compte à la population des engagements du projet qui avait installait deux puits situés dans son quartier. Cette situation a créé des frustrations au sein de la population de Nghuess qui exige, depuis la mort de l’ex chef de village, à ce qu’un nouveau bureau soit institué. C’est dans ce contexte de frustrations et de revendications qu’une assemblée générale s’est réunie pour élire un nouveau bureau.
Par ailleurs, la désignation du bureau n’a pas été neutre et repose sur des dynamiques sociales et politiques que peuvent nous révéler très efficacement les biographies réalisées dans ce sens.
Dans la mesure où la volonté générale est le fruit de la « composition de forces divergentes dont la résultante nette donne la direction du mouvement que va prendre le corps social »37 la question qui se pose d’emblée est de savoir si l’on peut dès lors aboutir en toutes circonstances, à partir d’une telle base, à une décision collective ?

La fréquence des changements entre la première et la deuxième phase

L’étude sur la régularité des changements entre la première et la deuxième phase soulève une difficulté importante.
En effet, mener des enquêtes sur les 119 villages de la région de Fatick encadrés par le POGV peut se révéler très coûteux en termes de ressources humaines et financières. La solution méthodologique était de réaliser, en plus des entretiens avec les animateurs qui interviennent dans ces villages, une recherche documentaire qui s’appuie sur les données de la situation initiale de référence des villages (SIRV) provenant d’une enquête menée juste avant le démarrage de la seconde phase du projet. Mais l’information dont disposait le POGV sur le fonctionnement des CVD était largement déficiente car les données de la SIRV n’ont pu couvrir que 88 villages alors que le nombre de villages encadrés font en tout 119 villages.
Il y a aussi le fait que les résultats de la SIRV étaient publiés longtemps après la collecte, réduisant ainsi les villages nouvellement encadrés par le POGV dans la deuxième phase.
Dès lors, si l’on s’en tient aux données disponibles ainsi qu’aux entretiens auprès des animateurs, on constate que la majorité des villages (67%) avait changé leur CVD alors que peu d’entre eux (33%) ont gardé les CVD de la première phase.

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : CADRE GENERAL ET METHODOLOGIQUE
1.1- PROBLEMATIQUE
1.2- OBJECTIFS
1.3- HYPOTHESES
1.4- REVUE DE LA LITTERATURE
1.5-MODELE THEORIQUE ET DEFINITION DES CONCEPTS
1.6- ECHANTILLONNAGE
1.7-METHODES ET TECHNIQUES
1.8- PRESENTATION DU CADRE D’ETUDE
1.8.1- Le village de Nghuess
1.8.2- Le village de Ndiémou
1.9- DIFFICULTES RENCONTREES
DEUXIEME PARTIE : PORTEE HISTORIQUE DE LA FONCTION D’INTERMEDIAIRE ET MODE DE FONCTIONNEMENT DES COMITES VILLAGEOIS DE DEVELOPPEMENT (CVD)
2.1. APPROCHE HISTORIQUE
2.1.1-L’intermédiation dans les systèmes traditionnels de parenté
2.1.2- L’intermédiation dans le processus de l’Etat colonial
2.2- LE COMITE VILLAGEOIS DE DEVELOPPEMENT : COMPOSITION ET FONCTIONNEMENT
2.2.1- Composition des CVD
2.2.2- Organisation fonctionnelle des CVD
2.2.3- Les dynamiques à l’oeuvre dans le choix des représentants intermédiaires
2.2.3.1- La fréquence des changements entre la première et la deuxième phase
2.2.3.2- Les raisons liées aux changements des CVD
2.4- EMERGENCE DES COURTIERS ET CONTEXTE POLITIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE
TROISIEME PARTIE : IMPACT DU COURTAGE EN DEVELOPPEMENT SUR LE PROCESSSUS DE DECENTRALISATION
3.1- L’ETAT DES RAPPORTS ENTRE LES CVD-COURTIERS ET LES AUTORITES LOCALES
3.2- LE ROLE DES CVD-COURTIERS DANS LE PROJET DE DECENTRALISATION
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES

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