Quel cadre institutionnel pour la formation aux cultures de l’information ?

Développement de l’expertise documentaire des professeurs dans des situations de mutation de leur enseignement

Conception de la méthodologie

L’objet de notre étude est de comprendre comment les enseignants développent leurs connaissances professionnelles en situation, et plus précisément quelles sont les connaissances constitutives de l’expertise documentaire que les enseignants acquièrent par la pratique, en situation professionnelle. Nous avons conçu une méthodologie originale afin d’observer des processus complexes qui se développent sur un temps long et qui impliquent un grand nombre de paramètres. Au moment où nous avons commencé notre doctorat et pendant les deux premières années de la thèse, nous étions en poste comme professeur documentaliste dans un collège et chargée de mission comme référent numérique aux niveaux local et académique. Nous disposions ainsi d’un point de vue privilégié pour observer le travail documentaire des enseignants. C’est donc à partir de cette situation que nous avons construit notre terrain et notre méthodologie, en ayant toujours le souci de limiter et contrôler les biais induits par notre position. Le chapitre se décompose en cinq parties. La première partie expose les fondements méthodologiques qui sous-tendent nos choix (§ 3.1). Dans la deuxième partie, nous clarifions le positionnement du chercheur que nous avons adopté et la manière dont nous avons répondu aux enjeux éthiques de cette recherche (§ 3.2). La troisième partie explique comment nous avons construit notre terrain à partir de quatre critères liés à nos hypothèses de recherche (§ 3.3). Les deux dernières parties explicitent les modalités de collecte et de traitement des données pour chacune des phases de notre étude : l’enquête exploratoire (§ 3.4) et le suivi longitudinal (§ 3.5). 

Fondements méthodologiques

Observer l’activité des enseignants pour en déduire les connaissances qu’ils mobilisent est au centre de notre recherche. Les fondements méthodologiques que nous avons adoptés ont pour objectif de garantir le cadre scientifique à toutes les étapes de la recherche : la construction du terrain, la collecte des données puis leur analyse. Cette partie expose les concepts qui ont guidé la conception de notre méthodologie et s’articule en trois sections. Tout d’abord, il nous a paru primordial de choisir une méthode permettant de saisir les contextes du travail documentaire dans leurs singularités. Ce choix est expliqué dans la première section (§ 3.1.1). La méthode de l’étude de cas offre un cadre propice à l’analyse de l’activité (Leplat, 2002) elle nous a donc semblé à même de prendre en considération les contextes spécifiques à chaque situation du travail documentaire. Dans la deuxième section, nous détaillons comment nous nous sommes approprié les principes de l’investigation réflexive (Trouche, Gueudet, & Pepin, 2018) développés dans le cadre de l’ADD (§ 3.1.2). Enfin, la dernière section présente le dispositif d’auto-captation du travail documentaire qui constitue le cœur de notre méthodologie (§ 3.1.3). 

Comprendre les contextes

La définition et l’analyse fine du contexte sont nécessaires à une bonne compréhension des activités informationnelles (Paganelli, 2016). Au vu de nos objectifs de recherche, nous avons opté pour une approche qualitative qui mêle un questionnaire à l’échelle d’un établissement scolaire (ce choix est expliqué au § 3.3.2) et une étude longitudinale approfondie. Il est ainsi possible de prendre en compte un nombre important de paramètres des situations concernées et en saisir au mieux les contextes. La méthode de l’étude de cas est en cela bien adaptée à nos objectifs. Après avoir défini l’étude de cas et mis en évidence l’intérêt de cette méthode dans l’analyse de l’activité, nous expliquons en quoi l’ethnographie cognitive est une approche complémentaire pertinente à l’étude de cas pour mettre en contexte les processus cognitifs. 94 L’étude de cas au service de l’analyse de l’activité L’étude de cas est une méthode héritée de l’ethnographie et de la sociologie (Hamel, 1997). Après en avoir défini les grands principes, nous en identifions des limites et examinons les pistes proposées par Leplat (2002) pour les dépasser. En ethnographie, l’étude de cas est utilisée pour décrire finement un phénomène. Longtemps décriée pour son manque de référence à une loi générale, cette méthode a été progressivement réhabilitée. Passeron et Revel (2005) ont mis en évidence que la description systématique de cas singuliers et leur comparaison sont tout aussi valables pour produire de la science que la démarche déductive propre aux sciences dites « dures ». Selon Hamel (1997), l’étude de cas « consiste […] à rapporter un évènement à son contexte et à le considérer sous cet aspect pour voir comment il s’y manifeste et s’y développe. En d’autres mots, il s’agit, par son moyen, de saisir comment un contexte donne acte à l’évènement que l’on veut aborder » (p. 15). Or, notre questionnement implique justement de considérer les contextes des situations observées. Leplat (2002) distingue le contexte externe, dans lequel s’inscrit l’activité, et le contexte interne, qu’il définit comme « les caractéristiques du sujet qui déterminent et donnent sens à son activité » (p. 2). L’avantage majeur de la méthode de l’étude de cas est qu’elle permet d’étudier en profondeur une situation typique représentative du problème que le chercheur souhaite étudier. En explorant un grand nombre d’aspects, le chercheur obtient une description à plusieurs focales où la mise en lumière du contexte est favorisée. Ensuite, la méthode de l’étude de cas s’adapte bien à l’approche inductive, lorsque le chercheur ne prédit pas tous ses résultats, mais se laisse la possibilité d’éclairer et d’approfondir certains points au fil de l’étude. Il est cependant important de considérer les limites de cette méthode. Tout d’abord, elle exige un investissement temporel important si l’on souhaite collecter des données pour un grand nombre d’aspects du cas étudié. En effet, l’étude de cas associe souvent plusieurs types de collecte de données : l’observation, l’entretien ou encore l’exploitation des artefacts produits par la population étudiée. Bien déterminer la finalité de l’étude de cas, tout comme la définition de ses limites, dans l’espace et dans le temps, est indispensable pour choisir les outils méthodologiques qui seront nécessaires et le temps qu’il faudra investir. Ensuite, les résultats obtenus étant spécifiques à un cas particulier, ils sont difficilement généralisables. Comme Passeron et Revel (2005), Leplat (2002) propose de contourner cette difficulté en tirant parti de la singularité de l’étude de cas. En effet, les connaissances issues de l’analyse d’un cas singulier peuvent contribuer à « l’élaboration d’une théorie de la pratique qui prend en compte la complexité des cas avec leurs différentes dimensions » (p. 18). Pour Leplat, l’exploitation théorique de l’étude de cas se construit à partir de notions conceptualisées par le chercheur et par la démarche de l’induction analytique. Il propose un modèle de l’étude de cas pour l’analyse de l’activité, qui met en relation les différentes étapes de la méthode (Figure 3-1). Selon Leplat, la généralisation à partir des analyses issues d’une étude de cas est possible à deux conditions. D’une part que cette dernière ait bien une finalité théorique, et non pragmatique, et d’autre part que le chercheur fasse des allers-retours avec le cadre théorique mobilisé, c’est-à-dire le corpus de connaissances que le chercheur travaille dans l’étude. Dans une visée théorique, le cas doit être un exemple représentatif d’une catégorie à partir de certaines de ses propriétés. Le choix du cas est donc une opération cruciale qui doit reposer sur des critères clairement définis (voir § 3.3). Afin de bien choisir les cas que nous allons étudier, nous avons décidé de mettre en place une étude exploratoire par questionnaire (voir § 3.4). 95 Figure 3-1 : « Grandes étapes d’une étude de cas » (Leplat 2002, p. 5) Si la méthode de l’étude de cas appliquée à l’analyse de l’activité est bien une méthode d’investigation qui examine les contextes d’exercice de cette activité, la prise en considération du contexte des processus cognitifs demande à être éclaircie. Mettre en contexte les processus cognitifs Si, en théorie, l’étude de cas distingue les contextes interne et externe, le premier est beaucoup plus difficile à saisir que le second. Afin de résoudre cette difficulté, nous faisons appel à l’ethnographie cognitive. Après avoir défini cette approche, nous mettons en évidence ses liens avec le concept de schème de Vergnaud. Enfin, nous soulignons la dynamique portée par cette approche entre les démarches inductives et déductives. Dans sa thèse sur les compétences propres à l’organisation des collections d’informations personnelles numériques, Jacques (2016) s’est appuyé sur l’ethnographie cognitive : « une méthode focalisée sur la compréhension de processus cognitifs situés tels qu’ils se déroulent dans leur contexte quotidien et qui suppose l’analyse fine des interactions entre les sujets et les ressources environnementales » (p. 172). L’ethnographie cognitive s’intéresse à la manière dont les individus construisent le sens de leurs activités quotidiennes. William (2006) pointe plusieurs différences entre l’ethnographie traditionnelle et l’ethnographie cognitive : « While traditional ethnography identifies the material and conceptual resources that make up group members’ life worlds, cognitive ethnography examines how those resources are employed in cultural activity. Traditional ethnography gives us insight into the ways of thinking that define cultural groups, illuminating the vast range and diversity of human experience along with the commonalities that make us all human. Cognitive ethnography looks at process: at the moment-to-moment development of activity and its relation to sociocultural (often institutional) processes 96 unfolding on different time scales. Traditional ethnography describes knowledge; cognitive ethnography describes how knowledge is constructed and used » (William, 2006, p. 838). L’ethnographie cognitive se focalise donc sur les processus ainsi que sur le développement de l’activité et des connaissances en situation, autant de points qui entrent en résonance avec notre approche théorique basée sur le couple schème-situation (Vergnaud, 2011). Pour parvenir à saisir la construction et le développement des processus cognitifs, le croisement de plusieurs modes de collecte est nécessaire : observation participante, entretiens et analyse des artefacts. Autre avantage de cette approche, l’ethnographie cognitive met l’accent sur la combinaison de l’approche inductive et déductive (Dubbels, 2011) : « cognitive ethnography emphasizes inductive field observation, but also uses theory in a deductive process to analyse behavior » (p. 70). Nous appuyant sur ce principe, notre méthodologie s’est construite dans un va-et-vient permanent entre l’étude de la littérature et les données du terrain, jusqu’à nous permettre de proposer un modèle de l’expertise documentaire (voir § 2.5) qui a été graduellement raffiné. L’avancée progressive de l’analyse des données nous a guidé pour préciser nos hypothèses de travail et choisir les nouvelles données à collecter. En conclusion, comprendre les contextes du travail documentaire est un élément indispensable de notre étude. Afin d’atteindre cet objectif, nous avons mis en œuvre une méthodologie qui s’appuie majoritairement sur l’étude de cas. Afin de bien choisir les cas étudiés, une étude exploratoire par questionnaire a été réalisée au démarrage du projet de recherche. Pour l’économie de l’étude, seuls trois enseignants ont été suivis. Les données collectées ont dès lors pour ambition d’être suffisamment riches pour reconstruire les divers contextes dans lesquels les enseignants ont évolué. Enfin, nous avons croisé plusieurs types de recueils de données afin d’approcher les processus cognitifs des enseignants suivis et inférer, à partir de leurs actions, de leur récit et de leurs productions, les connaissances qu’ils mettent en œuvre dans les différentes situations du travail documentaire. Dans l’étude de cas, la qualité des données dépend de l’investissement des participants. Celui-ci a été favorisé par l’appropriation des principes de l’investigation réflexive. 

S’approprier les principes de l’investigation réflexive

Outre la prise en considération des contextes, la conception de notre méthodologie est basée sur l’investigation réflexive, une méthodologie élaborée puis formalisée par Gueudet et Trouche (2010a) dans leurs travaux sur l’approche documentaire du didactique. Cette méthodologie continue d’évoluer (Trouche, Gueudet, & Pepin, 2018) pour répondre aux besoins pratiques et conceptuels de cette approche théorique. L’investigation réflexive a été conçue pour collecter et analyser les produits du travail documentaire des enseignants de mathématiques : nous l’avons adaptée aux besoins de notre problématique. Cette section présente d’abord les cinq principes de l’investigation réflexive avant d’expliciter comment nous avons intégré ces principes à la conception de notre méthodologie. Enfin, nous détaillons les outils issus de l’investigation réflexive que nous avons adoptés. Les principes de l’investigation réflexive La méthodologie de l’investigation réflexive a été développée en interrelation avec les besoins conceptuels de l’ADD. Elle s’appuie sur cinq principes (Trouche, Gueudet, & Pepin, 2018) : une collecte élargie des ressources des enseignants, un suivi en tout lieu, un suivi sur le long terme, un suivi réflexif et la confrontation des points de vue de l’enseignant sur son travail documentaire. Le premier principe est l’observation dans la durée qui permet de saisir les évolutions et les éléments de stabilité, autrement dit les invariances. Puisqu’un de nos objectifs est de décrire les connaissances mobilisées dans le travail documentaire des enseignants et tenter de saisir leur développement, une étude longitudinale sur plusieurs années nous semble tout à fait appropriée. 97 Ce principe s’articule avec la logique de l’étude de cas qui suppose de décrire plusieurs aspects d’un phénomène. Le deuxième principe est un suivi en tout lieu. En effet, les espaces de travail de l’enseignant sont multiples. Si en primaire, les professeurs des écoles disposent le plus souvent d’une salle de classe, ce n’est pas le cas des enseignants du secondaire qui changent constamment de salle et qui n’ont pas, non plus, de bureau personnel. De fait, les situations du travail documentaire se déroulent dans des lieux multiples – dans la classe, en salle des professeurs, au domicile de l’enseignant ou encore dans les espaces virtuels disponibles sur les réseaux numériques. Dépasser l’hétérogénéité des lieux pour assurer un suivi continu est un des enjeux de conception de notre méthodologie. Le troisième principe de l’investigation réflexive est la collecte élargie des ressources de l’enseignant. C’est un aspect important pour réaliser la triangulation des données. En effet, en plus de collecter des données sur l’activité du travail documentaire, soit par l’observation de l’activité, soit par le récit, la collecte des ressources utilisées et produites par l’enseignant est aussi précieuse pour approfondir les analyses et croiser les points de vue. Le quatrième principe est le suivi réflexif du travail documentaire. La singularité de l’investigation réflexive est d’associer l’enseignant au processus de collecte des données. La participation active de l’enseignant est une nécessité pratique, car lui seul a accès à l’ensemble de son travail documentaire. Cela crée également une posture réflexive conduisant l’enseignant à faire un pas de côté par rapport à ses habitudes, et l’amenant à considérer son travail documentaire sous un angle nouveau. Le dernier principe est la confrontation permanente des points de vue de l’enseignant sur son travail documentaire et sur la matérialité de ce travail. Le suivi sur le temps long permet au chercheur de reprendre les données collectées et de proposer à l’enseignant d’interpréter les traces de son travail documentaire. Il en résulte une mise en abîme qui accentue encore la posture réflexive de l’enseignant qui participe au suivi. Ces cinq principes guident l’ensemble des méthodologies qui se réclament de l’investigation réflexive, ils sont au fondement de notre méthodologie dès sa conception. Influence de l’investigation réflexive sur la conception de notre méthodologie Nous avons adopté les principes de l’investigation réflexive pour concevoir le cadre général de notre méthodologie et définir la durée et les lieux de la collecte des données. Au départ de notre travail de thèse, nous avons envisagé une collecte des données sur trois ans. Quelque mois après le début du doctorat, nous avons débuté la phase exploratoire de l’enquête (voir § 3.4), nous permettant ainsi de commencer le suivi longitudinal rapidement (voir Figure 3-2). La temporalité initialement envisagée est en moyenne de 24 mois entre mai 2016 et juin 2018. Afin de recueillir une vision la plus complète possible, nous avons réalisé des entretiens avec les enseignants suivis dans leur établissement, mais aussi à leur domicile. Pour identifier des schèmes et les classes de situations auxquelles ils se rapportent, nous proposons d’observer la même situation du travail documentaire à différents moments (n et n+1). Il sera ainsi possible de comparer l’activité de l’enseignant afin de mesurer des invariances et des évolutions. Notre choix s’est porté sur une situation récurrente du travail documentaire de l’enseignant : la préparation d’une leçon. Les données liées à cette phase du travail ont pu être collectées grâce au dispositif d’auto-captation du travail documentaire (§ 3.1.3). Par la suite, nous avons observé l’enseignant en classe pendant la mise en œuvre de sa leçon, puis la révision de la leçon l’année suivante. Pour être au plus près de l’activité réelle des enseignants, nous avons décidé de ne pas imposer de tâches spécifiques à réaliser pour, au contraire, nous adapter aux besoins des enseignants dans la mise en 98 œuvre du travail documentaire : toutes les données collectées correspondent donc aux pratiques réelles des enseignants suivis. Figure 3-2 : protocole de la collecte des données Concernant le principe de collecte élargie, nous avons collecté les vidéos réalisées pendant que l’enseignant préparait une nouvelle leçon, pendant sa mise en œuvre et sa révision. Nous avons aussi collecté les ressources qu’il a produites pour mettre en œuvre cette leçon avec ses élèves ainsi que toutes les sources dont il s’est inspiré pour mener à bien son travail documentaire. Aucun des enseignants suivis n’utilisant de système de stockage et de partage des données en ligne, c’est souvent le mail qui a été utilisé pour nous transmettre les ressources produites et utilisées. Les sources mobilisées étaient récupérées sous forme de photocopie lorsque la version numérique n’était pas disponible, ou bien grâce à des liens hypertextes et des fichiers transmis par l’enseignant. Le principe de la confrontation permanente des points de vue consiste à questionner l’enseignant sur les données précédemment collectées. Ainsi, pour chaque enseignant suivi, nous pouvons demander des précisions sur ce qu’il a fait ou dit précédemment, mais sans aller jusqu’à mettre en œuvre un dispositif d’autoconfrontation (Clot, Faïta, Fernandez, & Scheller, 2000). En reprenant à notre compte les principes de l’investigation réflexive, nous mettons en place une méthodologie de collecte de données que nous qualifions d’extensive, dans le sens à nous collectons un maximum de données associées à une situation. Au-delà du cadre général, l’investigation réflexive s’est progressivement dotée d’outils de collecte et d’analyse que nous avons en partie repris et adaptés. Les outils de l’investigation réflexive Les dispositifs de collecte et d’analyse de données que nous avons utilisés intègrent pleinement une dimension réflexive. Ils sont au nombre de trois : la visite guidée des ressources, la représentation schématique du système de ressources, et l’entretien bilan. La visite guidée des ressources est un entretien semi-directif (Barbillon & Le Roy, 2012) réalisé au domicile de l’enseignant dont l’objectif est de dresser un état des lieux des ressources qu’il mobilise régulièrement et de la manière dont il les organise (Voir Annexe 4-2). Pour y parvenir, nous empruntons à Gueudet et Trouche (2010a) la méthode de l’instruction au sosie. Cette technique a été mise au point par Oddone, Re, et Briante (1981) pour analyser le travail des ouvriers dans les usines Fiat de Turin. Clot introduit cette méthode en psychologie du travail et définit l’instruction au sosie comme « un « moyen détourné», un « contact social » artificiel avec soi-même. Il autorise une « ré-entrée » 99 dans l’action, une répétition sans répétition, la mise au travail de l’action dans une autre activité avec le sosie où elle sert maintenant de ressource. La conscience est ce dédoublement du vécu, revécu pour vivre autre chose. » (Clot, 2001, p. 261). Le sosie est donc un moyen de mettre à distance le vécu de l’enseignant et l’amener à regarder autrement ce qui peut lui sembler banal dans son travail quotidien, introduisant ainsi un premier niveau de réflexivité. La représentation schématique du système de ressources est un outil proposé par la méthodologie d’investigation réflexive (Gueudet & Trouche, 2010a) afin d’exploiter le regard du professeur sur son propre système de ressources. Le chercheur propose au professeur de dessiner une représentation de l’organisation de ses ressources, en la mettant en relation avec ses activités. Rocha (2018) a proposé le terme de cartographie pour souligner le caractère dynamique du processus. Le terme de cartographie fait aussi référence à la dimension spatiale d’un territoire qui se découvre progressivement. Elle distingue les cartographies réflexives des systèmes de ressources (CRSR), que le professeur dessine lui-même, des cartographies inférées des systèmes de ressources (CISR) que le chercheur produit à partir de l’analyse du travail documentaire du professeur. Ces outils cartographiques permettent à la fois une vue synthétique du système de ressources de l’enseignant et une mise à distance qui favorise la posture réflexive. Les CISR sont par ailleurs un outil d’analyse pour le chercheur qui génère ainsi une vue synthétique, un instant t, du système de ressources de l’enseignant. L’entretien bilan met en œuvre le cinquième principe de l’investigation réflexive. Il a pour objectif de mettre en perspective les évolutions ressenties par l’enseignant depuis le début du suivi. À partir des éléments précédemment collectés et analysés, le chercheur confronte l’enseignant à son travail documentaire et teste les invariances qu’il a pu identifier. L’entretien bilan inclut aussi une partie sur la veille informationnelle, car nous avons réalisé que nous disposions de très peu d’information sur cette pratique professionnelle des enseignants qui est peu formalisée. À la suite de cet entretien, nous avons demandé à chacun des enseignants de compléter un journal de bord de leur pratique de veille (Voir les consignes en Annexe 4-3) où il devait noter les ressources consultées, leur origine et ce qu’il en avait fait. Pour conclure, l’investigation réflexive est une méthodologie qui s’appuie sur des principes robustes déjà éprouvés dans plusieurs contextes : l’enseignement des mathématiques en maternelle (Besnier, 2016), l’enseignement des sciences physiques (Alturkmani, 2015 ; Hammoud, 2012) et des mathématiques dans le secondaire (Rocha, 2016 ; Sabra, 2011 ; Tufféry-Rochdi, 2016). Elle permet d’élaborer des stratégies de collecte et d’analyse du travail documentaire qui favorisent l’accès aux processus cognitifs des enseignants qui participent à ces études. C’est également une méthodologie qui continue d’évoluer. Pour répondre aux enjeux spécifiques de notre problématique, identifier les connaissances relevant des cultures de l’information qui sont mobilisées dans le travail documentaire, nous avons développé le dispositif d’auto-captation du travail documentaire..

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1. INTERAGIR AVEC LES RESSOURCES AU XXIE SIECLE, USAGES ET ENJEUX
1.1. ÉVOLUTION DU PAYSAGE INFORMATIONNEL DES ENSEIGNANTS DEPUIS
1.1.1. Émergence d’un monde numérique
1.1.2. Du manuel scolaire à Internet, une évolution de l’offre éditoriale
1.1.3. Les enjeux d’un paysage informationnel reconfiguré
1.2. LES CULTURES DE L’INFORMATION, UNE COMPOSANTE DES COMPETENCES PROFESSIONNELLES DES ENSEIGNANTS
1.2.1. Des compétences informationnelles aux cultures de l’information
1.2.2. Quel cadre institutionnel pour la formation aux cultures de l’information ?
1.2.3. Un apprentissage empirique ?
1.3. ENSEIGNANTS – RESSOURCES, DES SITUATIONS D’INTERACTIONS COMPLEXES
1.3.1. Les situations d’interactions entre les enseignants et les ressources
1.3.2. Des situations sensibles au contexte de l’enseignant
1.3.3. Concordances et spécificités disciplinaires
1.4. CONCLUSION DU CHAPITRE 1 PROBLEMATIQUE ET PERTINENCE DE LA RECHERCHE
1.4.1. Question de recherche
1.4.2. Pertinence sociale de la recherche
1.4.3. Pertinence scientifique de la recherche
CHAPITRE 2. CROISER LES PERSPECTIVES DIDACTIQUES ET INFORMATIONNELLES
2.1. DEVELOPPEMENT PROFESSIONNEL ET CONNAISSANCES DES ENSEIGNANTS
2.1.1. La pratique, facteur favorisant du développement professionnel
2.1.2. Comment se construit l’expertise des enseignants ?
2.1.3. Forces et faiblesses des modèles des connaissances professionnelles
2.2. L’APPROCHE DOCUMENTAIRE DU DIDACTIQUE, APPREHENDER LE DEVELOPPEMENT PROFESSIONNEL DES ENSEIGNANTS AU TRAVERS DE LEURS INTERACTIONS AVEC LES RESSOURCES
2.2.1. Ressources et travail documentaire
2.2.2. La genèse documentaire, processus d’appropriation des ressources par les enseignants
2.2.3. Système documentaire et système de ressources
2.3. LE SCHEME, UNITE D’ANALYSE DE L’ACTIVITE
2.3.1. Compétence, connaissance et savoir
2.3.2. La conceptualisation dans l’action
2.3.3. Les schèmes documentaires
2.4. DIVERSITE DES PRATIQUES INFORMATIONNELLES
2.4.1. Analyses de l’activité de recherche d’information
2.4.2. Problématiques et enjeux de la gestion personnelle des informations
2.5. VERS UN MODELE DE L’EXPERTISE DOCUMENTAIRE DES ENSEIGNANTS
2.5.1. À propos des pratiques informationnelles : expertise ou expertises ?
2.5.2. L’expertise documentaire des enseignants, un modèle en développement
2.5.3. Champ d’application du modèle
2.6. CONCLUSION DU CHAPITRE
2.6.1. Synthèse du cadre théorique
2.6.2. Questions de recherche et hypothèses
CHAPITRE 3. CONCEPTION DE LA METHODOLOGIE
3.1. FONDEMENTS METHODOLOGIQUES
3.1.1. Comprendre les contextes
3.1.2. S’approprier les principes de l’investigation réflexive
3.1.3. Observer l’activité grâce au dispositif de l’auto-captation du travail documentaire
3.2. POSITIONNEMENT DU CHERCHEUR ET ETHIQUE
3.2.1. Adopter une posture de chercheur
3.2.2. Prendre en compte les questions éthiques
3.3. CONSTRUCTION DU TERRAIN
3.3.1. Étudier des situations de mutation
3.3.2. Observer des enseignants exerçant au sein d’un même établissement
3.3.3. Observer des enseignants ordinaires
3.3.4. Étudier des disciplines contrastées
3.4. PREMIERE PHASE : UNE ETUDE EXPLORATOIRE
3.4.1. Enquête par questionnaire
3.4.2. Groupe de discussion autour des résultats du questionnaire
3.5. SECONDE PHASE : UN SUIVI LONGITUDINAL
3.5.1. Profils des enseignants sélectionnés
3.5.2. Protocole de collecte des données
3.5.3. Traitement et analyse des données
3.5.4. La plateforme AnA.doc, un support pour l’analyse
3.6. CONCLUSION CHAPITRE
CHAPITRE 4. ANALYSE DU CONTEXTE INFORMATIONNEL DE L’ETABLISSEMENT CIBLE
4.1. ENVIRONNEMENT INFORMATIONNEL DE L’ETABLISSEMENT
4.1.1. Des systèmes d’information qui cohabitent
4.1.2. Matériel informatique
4.1.3. Ressources éducatives disponibles
4.2. PRATIQUES INFORMATIONNELLES DES ENSEIGNANTS
4.2.1. Place centrale des manuels scolaires
4.2.2. Une diversification des ressources
4.2.3. Stockage des ressources
4.2.4. Des pratiques informationnelles structurées par les ressources mobilisées
4.3. TRAVAIL COLLECTIF ET RELATIONS ENTRE LES ACTEURS
4.3.1. Travail collectif disciplinaire
4.3.2. Travail collectif interdisciplinaire
4.3.3. Les effets de la réforme du collège sur les pratiques enseignantes
4.4. CONCLUSION DU CHAPITRE
CHAPITRE 5. CAS D’ETUDE N° 1, MARIE
5.1. ANALYSE DU SYSTEME DE RESSOURCES DE MARIE
5.1.1. Cartographies du système de ressources de Marie.
5.1.2. Environnement informationnel de Marie
5.1.3. Circulations des ressources
5.2. LE SCHEME D’ACTION DOCUMENTAIRE ‘PREPARER UNE LEÇON’
5.2.1. Première préparation de leçon (Ma1)
5.2.1. Deuxième préparation de leçon (Ma2)
5.2.2. Invariances et évolutions dans l’organisation de l’activité dans Ma1 et Ma2
5.3. SCHEMES D’USAGE DOCUMENTAIRE DE MARIE
5.3.1. Accéder à de nouvelles ressources
5.3.2. Accéder aux ressources numériques dans son système de ressources
5.3.3. Organiser ses ressources
5.3.4. Concevoir de nouvelles ressources
5.3.5. Partager ses ressources
5.4. CONCLUSION DU CHAPITRE 5 : RESULTATS PARTIELS
5.4.1. Profil de l’expertise documentaire de Marie
5.4.2. Facteurs de l’expertise documentaire qui influencent le développement des connaissances professionnelles
CHAPITRE 6. CAS D’ETUDE N° 2, AUDREY
6.1. LE SYSTEME DE RESSOURCES D’AUDREY
6.1.1. Structure du système de ressources d’Audrey
6.1.2. Environnement informationnel d’Audrey
6.1.3. Circulations et usages des ressources
6.2. LE SCHEME ‘PREPARER UNE LEÇON
6.2.1. Première préparation de leçon (Au1)
6.2.2. Deuxième préparation de leçon (Au2)
6.2.3. Évolutions et invariances
6.3. SCHEMES D’USAGE DOCUMENTAIRE D’AUDREY
6.3.1. Accéder aux ressources
6.3.2. Organiser ses ressources
6.3.3. Concevoir des ressources
6.3.4. Partager des ressources
6.4. CONCLUSION DU CHAPITRE 6 : RESULTATS PARTIELS
6.4.1. Le profil d’expertise documentaire d’Audrey
6.4.2. Facteurs qui influencent le développement de l’expertise documentaire
CHAPITRE 7. CAS D’ETUDE N° 3, AMELIE
7.1. LE SYSTEME DE RESSOURCES D’AMELIE
7.1.1. Structure du système de ressources d’Amélie au début du suivi
7.1.2. Évolution du système de ressources depuis l’affectation au lycée
7.2. LE SCHEME D’ACTION DOCUMENTAIRE ‘PREPARER UNE LEÇON
7.2.1. Les étapes de la préparation de la leçon
7.2.2. Les composants du schème d’action documentaire ‘préparer une leçon
7.2.3. La préparation des leçons au lycée, permanences et évolutions
7.2.4. Pertinence des candidats invariants opératoires
7.3. SCHEMES D’USAGE DOCUMENTAIRE D’AMELI
7.3.1. Accéder aux ressources
7.3.2. Organiser ses ressources
7.3.3. Concevoir des ressources
7.3.4. Partager des ressources
7.4. CONCLUSION DU CHAPITRE 7 : RESULTATS PARTIELS
7.4.1. Profil de l’expertise documentaire d’Amélie
7.4.2. Facteurs qui influencent le développement de l’expertise documentaire
CHAPITRE 8. COMPARAISONS DES ETUDES DE CAS ET DISCUSSION DES RESULTATS
8.1. LES COMPOSANTES DU MODELE DE L’EXPERTISE DOCUMENTAIRE EN QUESTION
8.1.1. Les familles d’activités du travail documentaire
8.1.2. Les cinq domaines de connaissances
8.1.3. Convergences des invariants opératoires
8.1.4. L’articulation des différents niveaux de schèmes
8.2. LES FACTEURS QUI INFLUENCENT LE DEVELOPPEMENT DE L’EXPERTISE DOCUMENTAIRE
8.2.1. Place du travail collectif
8.2.2. Difficile observation de la réflexivité
8.2.3. Influence des situations de mutation sur le travail documentaire 4
8.3. COMPARAISON DES CAS SELON LA VARIABLE DISCIPLINAIRE
8.3.1. Discussion du cas de Marie
8.3.2. Discussion des cas d’Audrey et d’Amélie
8.3.3. Influence de la discipline enseignée sur le travail documentaire ?
8.4. DES ELEMENTS COMMUNS DANS L’EXPERTISE DOCUMENTAIRE
8.4.1. Organisation du système de ressources et opérations de documentarisation classificatoire
8.4.2. Moteur de recherche et la formulation des requêtes
8.4.3. Genèse documentaire et redocumentarisation
8.4.4. Des connaissances entrecroisées, nécessaires au déroulement de l’activité
8.5. CONCLUSION DU CHAPITRE
8.5.1. Retour critique sur le modèle de l’expertise documentaire
8.5.2. Le développement, une dynamique de croissance ou d’adaptation ?
CHAPITRE 9. CONCLUSION GENERALE
9.1. PRINCIPAUX RESULTATS
9.2. IMPLICATIONS THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES
9.3. LIMITES DE LA RECHERCHE
9.4. PERSPECTIVES THEORIQUES, METHODOLOGIQUES ET PRATIQUES
BIBLIOGRAPHIE
INDEX DES AUTEURS
TABLE DES FIGURES
TABLE DES EXTRAITS
TABLE DES TABLEAUX
TABLE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS.

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