RACE ET RÉVOLUTION DANS L’ŒUVRE ROMANESQUE DE MANUEL COFIÑO LÓPEZ

RACE ET RÉVOLUTION DANS L’ŒUVRE
ROMANESQUE DE MANUEL COFIÑO LÓPEZ

La pauvreté matérielle Vivió en un mundo de dioses

Rodeado de miseria, sangre y sueños. […]. Ahora es otro. Pero vivió rodeado de dioses y miserias51 (21). Ces quelques phrases tirées de l’incipit du roman Cuando la sangre se parece al fuego et qui ont trait à la vie du protagoniste noir Cristino Mora informent laconiquement mais réellement sur le mal vivre des populations noires de Cuba sous le régime de Fulgencio Batista. Ce passé apparaît dans l’utilisation du passé simple et s’oppose au présent (ahora). Il est caractérisé par plusieurs sortes de misères dont celle matérielle que nous essayerons d’appréhender en analysant les espaces de vie des Noirs dans La última mujer y el próximo combate, dans Cuando la sangre se parece al fuego et dans Amor a sombra y sol. Constitués de solares et de huttes, ils sont, avec la prostitution et la mendicité, des conséquences directes du chômage dans lequel se trouve l’homme noir. 

L’espace

Les romans de Manuel Cofiño López mettent en scène des personnages qui évoluent dans un espace et un temps. Cet espace du roman n’est qu’une représentation de celui auquel se réfère le narrateur. Ainsi constitue-t-il l’ensemble des notations, descriptions ou évocations qui produisent autour de l’action et des personnages l’image d’un monde physique52. Nonobstant son caractère fictif,l’espace sera pris ici au sens concret d’étendue, de lieu physique. Chez Manuel Cofiño, il est structuré en macro-espaces formés de villages et de villes qui englobent en leur sein des micro-espaces constitués de concessions et de maisons. C’est sur ces derniers que nous mettrons l’accent dans notre analyse. L’action de La última mujer y el próximo combate se déroule à Pinar del Río où Bruno est envoyé pour redresser la situation dans un domaine forestier de l’Etat. Ce roman nous plonge en pleine campagne cubaine. Bien que les événements se passent dans la période révolutionnaire, certains éléments renvoient au passé prérévolutionnaire reconnaissable à travers les multiples souvenirs des personnages et les histoires racontées. Dans cette contrée, le passé survit par la misère perceptible aussi bien dans l’espace géographique que dans l’espace social. L’espace géographique apparaît avec les mots utilisés par l’auteur pour parler du relief : cerros desnudos, lomas calvas, llanos polvorientos (113), montañas pizarrosas53 (18). Les adjectifs desnudos, calvas, qui manifestent un état de manque montrent que le relief est dépourvu de végétation et aride. Cet espace marqué par l’aridité devient la proie du soleil dont la réverbération brûle et fait craqueler le sol avec, du côté climatique, des vents violents qui soufflent sans aucun arbre pour les briser : El viento viene denso y húmedo, lleno de olor a tierra, las ráfagas de aire rizan el pajón54 (118). Tout cela, combiné à la poussière (polvoriento), réchauffe la terre et la rend stérile : Tierras erosionadas donde asoma la roca madre. Cuarsitas, areniscas y esquistos. Camino sin orillas. Tierra recalentada. Llovizna de polvo. Ni una masa verde que pare el sol. Lejanos árboles aislados. Rodales quemados. Sabor a tierra en los labios. Llano estéril. Barrancos pedregosos.

Le Noir face au travail

Dans son analyse de la situation du Noir cubain face au travail dans la période allant de 1898 à 1933, Marc Séfil77 parle d’une infériorisation des hommes de couleur dans le secteur de l’emploi. Pour lui, en se basant sur des statistiques officielles, le Noir cubain est désavantagé par rapport au Blanc, surtout dans le secteur industriel. Cette infériorisation s’est transformée en une exclusion après la crise qui a frappé Cuba à partir de 1929, suite à la chute drastique du cours mondial du sucre. En 1940, une nouvelle constitution a été adoptée. Malgré son caractère progressiste et égalitaire78 combiné à une récupération économique favorisée par la Deuxième Guerre mondiale, elle n’a pas pu faire évoluer positivement la situation du Noir dans le domaine du travail. L’analyse des antécédents socio-économiques de la Révolution de 1959 le montre bien. En effet, selon le rapport du Consejo Nacional de Economía (CNE), présenté lors d’un symposium au mois de février 1958, 665.000 cubains sont sans travail79. Et, pour Carlos del Toro González, si à ces chiffres effarants de chômeurs on ajoute le nombre de Cubains sous-employés, on se retrouve avec 738.000 Cubains en situation de chômage ou de sous-emploi80. Ces chiffres sont assez évocateurs de la situation critique sur le marché du travail81 d’avant la Révolution. Mais, ce qu’ils ne livrent pas, c’est la répartition par race des chômeurs. Malgré cette insuffisance de l’information, on peut avancer que tous les Cubains chômeurs ou sous-employés sont, pour la plupart des Noirs d’autant plus qu’ils ont toujours été, dans la période coloniale et néocoloniale, les couches les plus pauvres et les moins protégées, et donc les plus défavorisées82. Cette situation se trouve reproduite dans les trois romans de Manuel Cofiño qui font allusion à la période qui précède juste la Révolution de 1959. Pour étudier ce phénomène dans sa globalité, nous le considérerons sous ses deux aspects que sont le chômage et la précarité de l’emploi. L’analyse ne respectera pas ici l’ordre chronologique du corpus mais se référera à l’importance que ces aspects occupent dans les trois œuvres. Le roman dans lequel le chômage et la précarité de l’emploi sont le plus mis en relief par Manuel Cofiño López est Cuando la sangre se parece al fuego. Son histoire est celle d’une famille pauvre confrontée à la dure réalité du chômage. Ce qui a poussé le père de famille à affirmer que En este país no se puede vivir83 (49). Ces mots de Cristino Mora-père, prononcés au bout de plusieurs jours de recherche vaine de travail en disent long sur la situation des Noirs à Cuba. Faute d’un travail digne, le père, pour trouver de l’argent et nourrir tant bien que mal sa famille, vend dans les rues des objets récupérés des poubelles : Vendía por las calles lo que recogía entre los desperdicios del Mercado84 (49). Il est aidé dans son combat pour la survie de la famille par une femme qui lave jour et nuit les habits d’autrui : Mamá inclinada sobre los lavaderos hasta el anochecer exprimiendo ropa ajena con sus manos huesudas85 (50). Le chômage est si dur que certains vont recourir aux dieux pour s’en sortir. C’est ce qu’a découvert Cristino Mora-fils quand il est allé rendre visite à sa grand-mère. À son arrivée, il trouve un jeune homme en train d’être lavé par la vieille femme: El joven aguantaba el bastón, mientras ella metía las manos en el agua y después las pasaba por la cara y las manos del hombre86 (171). La raison de ce bain rituel est donnée par la grand-mère en ces termes : «Yo le doy de comer a los pájaros de ella y ella te dará a ti. Tendrás trabajo, porque Yemayá es muy grande y hace lo que quiere desde el fondo del mar », le decía al joven y tocaba su vientre87 (172). On le voit donc, cet homme est bien un chômeur qui vient demander à la déesse Yemayá, par l’intercession de la grand-mère, de lui trouver du travail. Le cas de cette famille et celui de cet homme résument à eux seuls l’intensité du chômage qui frappe les Noirs cubains sous l’ère de Batista. Elle est confirmée par cette explication que Cristino Morafils donne sur les conditions de travail des porteurs du marché. Elles prouvent à quel point il manque du travail à Cuba pour les Noirs.

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE : LE NOIR DANS LA SOCIÉTÉ PRÉRÉVOLUTIONNAIRE
1. Le Mal vivre des Noirs
2. Le déni de reconnaissance sociale du Noir
3. Le Noir dans le processus révolutionnaire
DEUXIÈME PARTIE : LE NOIR DANS LA SOCIÉTÉ RÉVOLUTIONNAIRE
1. L’évolution sociale du Noir
2. La représentation des religions afro-cubaines
3. Le Noir, élément constitutif de la cubanité
TROISIÈME PARTIE : LA QUESTION RACIALE PAR LES TECHNIQUES NARRATIVES
1. Une révolution de l’écriture
2. Métissage littéraire
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE ET WEBOGRAPHIE

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