Réduire pour durer les transformations techniques

Réduire pour durer les transformations techniques

 l’impossible flexibilité infrastructurelle

Le défi que doivent relever les opérateurs pour faire face à la bifurcation infrastructurelle n’est pas seulement organisationnel. Le changement de régime d’infrastructure, dont la baisse de consommation est le symptôme le plus visible, a des effets sur le fonctionnement même du réseau et sa matérialité. Un réseau surdimensionné voit ses capacités réduites et connaît une usure accélérée (Koziol, 2008). Le surdimensionnement occasionne ainsi des coûts et des interventions supplémentaires qu’il faut progressivement intégrer dans le quotidien de la gestion du réseau. Pour les opérateurs, l’enjeu est le suivant : résoudre la tension insoluble entre la volonté d’avoir un système technique plus flexible – une sorte de flexibilité infrastructurelle – et l’inertie propre à un système technique reposant sur des conduites dont la durée de vie et l’amortissement s’envisagent sur des pas de temps très longs. Pour certains, ce type de dilemme recouvre des enjeux sur la forme du réseau, susceptible de conduire au passage d’un système centralisé à plusieurs petits réseaux décentralisés (Koziol, 2004 et 2008 ; Monstadt et Wilts, 2014). Cette solution, si elle a ses avantages dans des zones rurales peu denses, n’est cependant pas nécessairement la seule voie existante ni le chemin le plus approprié (techniquement et économiquement) pour préserver les vertus de solidarité territoriale associées à la figure du grand réseau dans des espaces urbains plus denses. La diminution des consommations a ainsi conduit les opérateurs de réseau non seulement à réinterroger leurs pratiques, mais aussi à revisiter certains aspects de l’ingénierie des réseaux. La bifurcation infrastructurelle est, d’une certaine manière, le moment de réécrire ou de compléter une partie du manuel du parfait ingénieur en hydraulique : comment continuer à assurer sur le long terme le fonctionnement hydraulique d’un système quand l’écoulement diminue ? Comment éviter durablement la stagnation et les problèmes qu’elle peut générer sur la qualité de l’eau ou des eaux usées ? La transformation à l’œuvre peut-elle être une opportunité pour des innovations et des reconfigurations sociotechniques favorisant l’émergence de systèmes techniques sinon plus sobres du moins plus intégrés, et dont l’empreinte environnementale serait moindre ? Les innovations adoptées permettent-elles d’assurer la pérennité du réseau ? 

 Réduire et augmenter : le réseau flexible et réagencé

Face à une évolution relativement inédite de leurs réseaux techniques marquée par leur moindre usage, les opérateurs ont dû développer des stratégies permettant de transformer le système de canalisations et d’infrastructures pour assurer la pérennité d’un fonctionnement efficace et d’un service urbain de qualité. 168 La crise traversée par les grands réseaux techniques centralisés a poussé les opérateurs à des réflexions sur l’opportunité de passer à un système plus émietté, fait de multiples cellules décentralisées (A). Celles-ci ont été écartées pour favoriser un ensemble de mesures suivant trois grandes directions : – une amélioration de l’efficacité du réseau, et donc de son rendement (B) – une tendance inédite au rétrécissement, avec la fermeture de parties du réseau ou la mise en place de canalisations plus petites (C) – une tendance concomitante à l’élargissement, marquée par une recentralisation des réseaux existants (D). A/ La tentation du réseau décentralisé La multiplication des contraintes liées au surdimensionnement, qu’il s’agisse des pertes de chaleur pour le réseau de chauffage urbain, de stagnation pour les réseaux d’eau ou de blocages en raison d’un trop faible écoulement pour les réseaux d’assainissement, a conduit certains opérateurs à explorer les possibilités offertes par le passage d’un grand réseau centralisé à une organisation en petits réseaux décentralisés. Ce faisant, ils reprenaient les termes d’un débat assez ancien, qui agitait déjà le monde universitaire et certains techniciens dans les années 1970. Certains auteurs s’étaient ainsi fait les chantres des modèles de technologies décentralisées, comme Schumacher (1973) ou Lovins (1977). Plus récemment, on trouve, en particulier dans la littérature allemande, un renouveau de ce tropisme pour les solutions décentralisées, présentées fréquemment comme a priori « meilleures » que les systèmes plus centralisés (Kluge et al., 2010 ; Monstadt et Wilts, 2014), alors que certains économistes sont plus circonspects sur les avantages et inconvénients des systèmes décentralisés (Estache, 1995, ou van Vliet et al., 2005 pour une discussion détaillée sur le sujet). Ce type de réflexion n’a cependant concerné que les opérateurs allemands et pas l’entreprise espagnole, où la question ne s’est jamais posée en ces termes. Les scénarios dessinés et expérimentations effectuées ont concerné les réseaux d’eau et le couplage électricité-chauffage, pour aboutir, dans les deux cas, au même constat : un surcoût très important qui semblait impossible à financer dans des délais raisonnables et à un coût économique acceptable par les populations concernées.

Améliorer le rendement du réseau

La stratégie la plus évidente mise en place pour faire face aux problèmes de vulnérabilité infrastructurelle fut de limiter les différentes pertes des réseaux. L’idée consiste à raccourcir la distance existant entre le volume produit et le volume effectivement consommé/facturé, pour améliorer l’efficience du système et le rendement du réseau.

La diminution des fuites physiques

L’un des objectifs poursuivis est ainsi de diminuer les pertes physiques du réseau, qu’il s’agisse de fuites pour les réseaux d’eau ou de pertes de chaleur pour les réseaux de chauffage. A Magdeburg comme à Halle, les opérateurs ont ainsi ajouté un isolant sur les canalisations d’eau du réseau de chauffage pour limiter le plus possible les pertes de chaleur141 . Pour les réseaux d’eau, les mesures ont pris, dans les différents cas étudiés, la forme du dispositif dit DMA, pour District Metered Area, appelé également sectorisation. Il consiste à segmenter l’ensemble du réseau en sous-systèmes, des districts, qui sont alors gérés indépendamment du reste du réseau et sur lesquels on peut calculer des différences entre volumes entrés dans le secteur et volumes sortis pour identifier une fuite. Ce dispositif de DMA est donc au cœur du système de détection et de gestion des fuites, visant à améliorer la performance hydraulique du réseau (graphique 19). 

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *