Représentations et pratiques mortuaires en Afrique de l’ouest

Représentations et pratiques mortuaires en
Afrique de l’ouest

Le message et l’épreuve

Ici, nous évoquons les deux versions de l’avènement de la mort chez les Sereer et les Ashantis qui ont pour titres respectifs, dans l’œuvre de Amade Faye : ‘’L’hyène héraut de Dieu’’ et ‘’Dieu et ses émissaires’’ dans le corpus de Dominique Zahan. C.

L’hyène héraut de Dieu

Dieu chargea le lièvre d’aller dire aux hommes qu’ils mourront et renaîtront, tandis que la lune mourra et ne reviendra pas à la vie. Sur son chemin, il rencontra l’hyène qui lui demanda les raisons de son voyage. Après avoir reçu l’information,   l’hyène demanda au lièvre de lui laisser la charge d’aller apporter aux hommes la décision de Dieu. Une fois chez les hommes, elle intervertit les faits. En lieu et place de la future mort de la lune et du maintien du statut des hommes qui ignoraient la mort, l’émissaire autoproclamé vint voir les hommes et leur tint ce discours : « Eeehey ! Ecoutez ! Roog a dit que les hommes sont destinés à mourir pour ne jamais revenir, alors que la lune mourra et reviendra »84 . C. 2. Dieu et ses émissaires85 Un récit ashanti raconte qu’autrefois les hommes vivaient dans un commerce familier avec Dieu qui leur donnait tout ce dont ils avaient besoin. Un jour, des femmes, gênées par la présence divine, obligèrent Dieu à s’éloigner, ce qu’il fit en laissant le monde au pouvoir des esprits. Quelque temps après, l’invisible envoya aux hommes une chèvre avec ce message : « II y a quelque chose qu’on nomme la mort (owu). Un jour cela tuera quelques-uns d’entre vous. Cependant, même si vous mourez, vous ne serez pas pour cela complètement perdus ; vous viendrez auprès de moi dans le ciel ». La chèvre s’attarda en route pour manger. Voyant cela, Dieu envoya un deuxième messager, le mouton, porteur du même message. Cet animal en modifia, cependant, le contenu dans le sens de la mortalité et, arrivant le premier chez les hommes, le leur communiqua. Quand la chèvre se présenta à son tour et transmit les paroles de Dieu, personne ne la crut. Les hommes avaient déjà accepté le message du mouton. D. La sanction Il y a deux jumeaux qui ont pour nom Ndaxmaan et Ndaramaan. Ils étaient les premières créatures, des jumeaux. Ils ne manquaient de rien. Si bien qu’à un certain moment ils finissent par se croire invincibles et défièrent Dieu. Dieu fut irrité et leur envoya le feu. Ils se transformèrent en eau et éteignirent le feu. Il leur envoya un vent violent. Ils se transformèrent en termitière et résistèrent au vent. Il leur envoya l’obscurité. Ils se couchèrent et s’endormirent en attendant que l’obscurité se dissipe.  – C’est alors qu’il leur envoya la mort et ils périrent. Et depuis ce jour l’être humain connut la mort. E. Mythe de l’Evus87 Zamba vivait avec les hommes. Il avait une femme et une fille. Dans l’espace du village, il n’y avait ni evu ni awu (la mort). Il n’y avait que le sommeil qui se déclinait en deux : nnom oyo (sommeil mâle) et ngal oyo (sommeil femelle). Ce dernier est le sommeil de la nuit. Le sommeil mâle était moins profond que le ngal oyo. Zamba a le pouvoir de vous en tirer par un mot, par une bénédiction. On n’enterrait donc jamais en cas de nnom oyo. Zamba devant partir en voyage appela sa femme et lui dit : « Je vais partir en voyage ; en mon absence ; je vous donne deux interdits : 1- si quelqu’un a le nnom oyo, ne l’enterrez pas, attendez mon retour ; 2- il y a dans la forêt une bête méchante qu’on appelle Evu : ne la prenez paa »88 . Après le départ de Zamba, la femme demanda à sa fille la direction que prenait le chef de famille quand il partait tout seul dans la forêt. La fille indiqua le chemin à sa mère tout en lui rappelant l’interdiction de Zamba. La femme partit dans la forêt. Arrivée au bord d’un marécage, elle trouva des bêtes fraichement tuées. Interloquée, elle s’écria : « Ah ! qui est-ce qui peut donc tuer toutes ces bêtes-là ? ». Une voix lui répondit : « C’est moi Evu, qui suis le chasseur de Zamba ». Calculant la distance qui sépare le village de la forêt, elle invita Evu de venir habiter au village comme un vrai chasseur, tout en lui garantissant un bon accueil. A la vue de l’animal qui était sous l’eau, elle s’inquiéta des modalités du transport. Ce dernier s’installa dans le ventre de la femme de Zamba en passant par son sexe. La  femme revient au village avec de la viande d’antilope sous la main et Evu dans le ventre. Quelques temps après l’hôte dit qu’il a faim. Mais la femme lui dit que c’est à lui d’assurer sa propre nourriture. De là, l’animal lui rappelle les garanties prises malgré sa mise en garde sur son caractère difficile. Finalement la femme obtempère. Il réclame la chèvre. Sur acceptation verbale de la femme, la bête meurt. Il en fut ainsi jusqu’à l’épuisement de tous les animaux domestiques. Evu réclama la jeune fille. Et cette dernière tomba dans le nnom oyo. Le corps de la fille finit par pourrir et la femme l’enterra. Au retour du mari, il ne reconnut plus son village et ne trouva pas sa fille. La femme lui raconta l’évènement. C’est quand il s’apprêtait à aller ressusciter sa fille qu’il fut informé que cette dernière est enterrée. Zamba fut furieux du fait que sa femme n’a pas respecté ses interdits. Il quitta le village en disant à sa femme : « Eh bien, puisque c’est ainsi, je m’en vais pour de bon ! je ne viendrai plus jamais et je vous laisse avec l’evu et l’awu »89 . F. Invention de la mort chez les Dogon90 Chez les Dogon, la mort n’existait pas encore dans le monde des hommes. La personne au terme de sa vie humaine se transformait en génie Nommo pour continuer son existence sous une autre forme d’être. Mais un vieillard qui avait subi la métamorphose, en devenant serpent, s’était senti outré par le comportement des jeunes qui ne lui avaient pas parlé des fibres qu’ils avaient pris des mains des femmes. Il leur fit le reproche en langue dogon qui est de la troisième parole et causa sa perte et celle de toute la communauté. Pour une bonne compréhension de cette phase importante pour les Dogon, nous allons reproduire le tableau récapitulatif du récit mythique tel élaboré par l’auteur de la Critique de la raison orale : Mythe de « l’invention de la mort » : la rupture d’interdit et sa sanction. L’origine de la mort selon les Lobi92 Thãgba Dieu vivait sur terre avec les hommes dans une parfaîte harmonie. Un jour, la femme brisa cette concorde. Dieu s’éloigna de la terre. Il envoya un émissaire aux hommes pour choisir entre la mort éternelle et la vie après la mort sur terre. Les hommes partagés sur le choix, car les uns ont opté pour la mort éternelle, tandis que les autres voulaient revenir sur terre après la mort. De là, ils choisirent de faire porter les deux messages à deux animaux emblématiques. La majorité qui était pour la seconde offre choisit le chien comme émissaire. Le bouc devait rapporter le message de la minorité qui voulait une mort éternelle. Ce dernier arriva en premier devant Thãgba Dieu et lâcha le message funeste : les hommes, après leur mort, ne veulent pas revenir sur cette terre. Quelques temps après, le chien arriva avec le message de la majorité. Mais Dieu n’a retenu que le message qu’il a reçu le premier. C’est ainsi que les hommes meurent pour ne plus revenir vivre sur terre. 

Analyses

Dans l’étude de ces corpus qui sont des récits mythiques, il convient de commencer par évoquer la notion de mythe qui nous aidera à replacer les événements dans leur contexte. En cela, nous pouvons dire que le mythe est un récit qui prend sa source dans le tréfonds d’une communauté pour fonder l’inconscient collectif ou l’imaginaire du groupe articulé autour de valeurs sacrées. Evoquant les corpus mythiques devant servir à son analyse, Dominique Zahan de signale que « l’arrièreplan des mythes que nous utilisons étant constitué par les récits à caractères initiatoires de la langue secrète, nous procéderons, selon leur exemple, au dévoilement progressif de la « connaissance » » »93. Le mythe est une parole profonde, c’est, une production d’idées maîtresses qui ne peuvent être mises à la portée de tout le monde à n’importe quel moment. Selon L. V. Thomas et R. Luneau, la première différence entre le mythe et la légende est que « celle-ci semble n’être qu’une construction relativement gratuite ou, pour le moins, une dégradation de celui-ci ; le mythe, au contraire, n’ayant aucune dimension ludique connait le sérieux de toute entreprise métaphysique et, bien que le fruit de l’imagination, il est aux antipodes du gratuit »94. Le mythe est un récit par le biais duquel se construit « une manière pour l’homme de se mettre en rapport avec la réalité fondamentale »95 . L’homme est un être qui s’appréhende sous le mode de l’immédiat qui se rapporte au vécu quotidien. Ainsi, sa compréhension d’un fait est d’abord liée à son environnement. Ce constat de départ sera le fondement de notre démarche analytique.Pour la question de la mort, le mythe produit un discours mettant en scène des êtres et des événements qu’il convient d’étudier en partant de ce que L. V. Thomas et R. Luneau ont dit sur les niveaux de lecture. Ils notent à ce propos : « Il existe, en fait, deux manières fondamentales d’appréhender le mythe en général selon qu’on examine son contenu, c’est-à-dire, le thème qu’il prétend illustrer ou développer, ou sa forme, c’est-à-dire la manière dont il se présente »96 . Nous ne devrions pas perdre de vue la double dimension du récit mythique qui tisse une relation complexe constituée par l’enchevêtrement du visible et de l’invisible. Le montrer-cacher du double sens qui donne au récit sa vivacité doit être dépassé par une herméneutique. Ainsi, dans l’entreprise de décodage du récit mythique qui en facilite l’interprétation idoine, nous visons à atteindre les « niveaux les plus profonds de la pensée et de la culture traditionnelle »97. C’est l’esprit humain qui se trouve à la base de toute activité heuristique. Le texte n’est silencieux qu’en apparence. C’est à travers une approche qui investit tous les plis et replis du récit qu’émerge ce qui fait sens. Sous ce rapport, nous n’oublions pas que l’approche herméneutique est loin de l’arbitraire, elle est loin des ruses par lesquelles on peut procéder à la falsification du sens. L’articulation dynamique entre le récit et les diverses interprétations qui s’y rapportent est ce que Ricœur appelle « champ herméneutique »98. Le récit mythique fait appel à plusieurs niveaux de lecture, car s’offrant comme un palimpseste dont la saisie de l’endroit et de l’envers n’est pas donnée de facto. C’est le sens de notre choix d’étudier deux catégories de fait ou paradigmes de lecture dans les récits mythiques. Au regard de cet acquis théorique, nous procéderons par une approche herméneutique pour rendre compte du processus qui a abouti, dans les différents récits, au pourquoi la mort. En effet, pour Paul Ricœur : « l’herméneutique, ce n’est pas seulement le face-à-face d’un savant et du texte, c’est aussi le face-à-face avec les interprétations collectives ; et ce sont ces « lectures » qui animent le texte ».

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : L’IDEE DE MORT
Chapitre 1 : Aux origines de la mort
1. Corpus de mythes
A. La colère de Koh
B. Le désir des présents
C. Le message et l’épreuve
C. 1. L’hyène héraut de Dieu
C. 2. Dieu et ses émissaires
D. La sanction
E. Mythe de l’Evus
F. Invention de la mort chez les Dogon
I. L’origine de la mort selon les Lobi
1. 2. Analyses
1. 2. 1. Message manqué
1. 2. 2. La faute humaine
Chapitre 2 : Les mots de la mort
2. 1. Proverbes et autres aphorismes
2. 2. Chants épiques
DEUXIÈME PARTIE : LES SIGNES ET CAUSES DE LA MORT
Chapitre 3 : Les présages
3. 1. Les signes cosmiques
3. 2. Les rêves
Chapitre 4 : Les causes de la mort
4. 1. Les éléments constitutifs de la personne
4. 2. Les agents pourvoyeurs de la mort
4. 2. 1. La sanction des Ancêtres
4. 2. 2. Les attaques sorcières
4. 2. 3. Les forces magiques
4. 3. L’initiation ou une mort théâtralisée
TROISIÈME PARTIE : MORT ET CADRE SOCIAL
Chapitre 5 : Cadavre et cimetière
5. 1. Gestion du cadavre
5. 2. L’espace du cimetière et la logique de l’enterrement
Chapitre 6 : Funérailles et culte des ancêtres
6. 1. Deuil et veuvage
6. 2. Les funérailles ou célébrations des trépassés
6. 3. Ancêtres et vie sociale
CONCLUSION
Index Nominum
Index Rerum
BIBLIOGRAPHIE

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