Simulation multi-échelle et homogénéisation des matériaux cimentaires

La loi du 30 décembre 1991 sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue a confié à l’Andra, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, la tâche d’évaluer la possibilité d’un stockage réversible des déchets en formation géologique profonde, notamment par la construction d’un laboratoire souterrain. Cette même loi confie deux autres axes de recherche au Commissariat à l’Énergie Atomique ; devenu depuis le Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives (CEA) : d’une part la séparation des éléments à vie longue, associée à la réduction de la durée de vie des plus toxiques d’entre eux (transmutation), et d’autre part le conditionnement et l’entreposage de longue durée en surface ou en faible profondeur. Sont également associés à cette mission l’Autorité de sûreté nucléaire et son appui technique, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), afin d’examiner les résultats de recherche sous l’angle de la sûreté.

En 2005, un rapport global d’évaluation des recherches a été publié à l’intention du Parlement, afin de nourrir le débat parlementaire de 2006 [24]. Ce dernier, par la loi-programme du 28 juin 2006 sur la gestion durable des matières et déchets radioactifs, a élargi le rôle de l’Andra. Sa mission est désormais de trouver, mettre en œuvre et garantir des solutions de gestion sûres, sur le long terme, pour tous les déchets radioactifs français. Dans ce cadre, elle a mis en place, en collaboration avec le CEA et l’IRSN, d’importants programmes de Recherche et Développement concentrés sur deux points. Il s’agit d’une part de concevoir les technologies nécessaires à l’entreposage temporaire et au stockage réversible des déchets et d’autre part d’effectuer des études scientifiques précises pour garantir la pérennité, à très long terme, des solutions de stockage et de la protection que celles-ci apportent à l’homme et à l’environnement. C’est sur ce second point que le Laboratoire de Simulation des Écoulements et Transports (LSET) a été saisi, notamment dans le cadre de la réalisation de la plate-forme de simulation Alliances [23, 44].

Le LSET développe également des solutions de simulations (méthodes numériques, applications) dédiées aux matériaux cimentaires comme le béton. Les bétons et ciments interviennent en effet à tous les niveaux du processus de stockage, à commencer par la réalisation des structures du futur centre de stockage en milieu géologique. Se pose alors la question de la durabilité de ces ouvrages, un problème récurrent dans le domaine du génie civil. La question est d’autant plus importante que les durées relatives à la gestion des déchets sont longues.

Le béton, de part ses propriétés de confinement, joue également un rôle important dans le traitement des déchets de moyenne activité à vie longue, dit déchets B. Il s’agit principalement de déchets technologiques issus du processus de traitement des combustibles usés ou d’activité de recherche. En 2005, les déchets B représentaient 4.6% du volume des déchets nucléaires français, pour environ 8% de la radioactivité totale. Ils représentent donc une composante charnière des déchets radioactifs, à mi-chemin entre les déchets A de faible activité (95% du volume pour 0.068% de la radioactivité totale), et les déchets C de haute activité (0.2% du volume pour 91.7% de la radioactivité totale). Cette position de transition explique pourquoi les colis de déchets B prennent une grande variété de forme : poudre métallique, bloc de bitume ou, dans la majorité des cas, de béton. Les solutions de stockage des déchets B prévoient en outre d’enchasser plusieurs colis de déchets dans un surconteneur, lui aussi en béton [25].

On suppose généralement que ces surconteneurs sont perméables à l’eau, et qu’ils subissent de cette façon un important processus de corrosion. De plus, en présence d’eau, la radioactivité contenue dans les colis est relachée, même si le flux de radionucléides est limité, au sein du béton, par des phénomènes de précipitation et de sorption. La question est donc de prédire au mieux, à partir d’expériences pratiques de corrosion et de simulations numériques, d’une part le devenir du béton au cours du temps ; ainsi que l’évolution associée des propriétés mécaniques et de confinement ; d’autre part le transport des radionucléides dans le béton en fonction de son niveau de dégradation.

En partie mené par le LSET, le projet IOLS, Infrastructure et Outils Logiciel pour le Simulation [45], a ainsi permis de développer la chaîne de calcul ChaCalBe pour la prédiction de l’évolution des propriétés effectives des bétons (performances, durabilité), plus précisément pour la description de la dégradation physique et chimique à long terme en milieu saturé des matériaux cimentaires. La finalité de cet outil est de décrire et prédire numériquement l’évolution des matériaux, c’est-àdire d’explorer le lien entre la corrosion et l’évolution des propriétés mécaniques et diffusives des bétons. Il est à noter que la chaîne de calcul ChaCalBe fait intervenir le code de calcul MPCube [61], un outil également utilisé au cours de cette thèse.

Une partie des travaux de cette thèse s’inscrit dans le cadre du projet EHPOC (Environnement Haute Performance pour l’Optimisation et la Conception [93]) qui a fait suite au projet IOLS. Il s’agit d’une mise en œuvre de la chaîne de calcul ChaCalBe sur des volumes représentatifs de matériaux cimentaires, en réalisant des calculs relatifs à la dégradation chimique de ceux-ci. Ils ont d’ailleurs fait l’objet d’un rapport interne CEA par Chomat et al. [70].

Le béton est un matériau de construction constitué de granulats, généralement du sable et des gravillons, agglomérés en un tout unique par un liant, le ciment. La poudre de ciment est un mélange complexe de silice, d’alumine, de carbonate de chaux que l’on a traité chimiquement et mécaniquement. C’est le mélange de l’eau, de la poudre de ciment et des granulats qui forme, une fois séché, le béton. On parle de mortier quand les granulats utilisés sont très fins, se réduisant généralement à du sable. Dans le présent ouvrage, les matériaux cimentaires regroupent les pâtes de ciment, c’est-à-dire un ciment hydraté puis séché, mais aussi tous les bétons et mortiers que l’on a pu façonner avec le ciment.

Le ciment est un matériau très ancien et de nombreuses preuves de son utilisation au cours de l’Histoire Antique sont avérées. Les Egyptiens utilisaient déjà un mélange de chaux, d’argile, de sable et d’eau près de 2600 ans avant notre ère, pour la construction de leurs pyramides [59]. Les Romains employaient l’opus caementicium de manière quasi-systématique dans leurs constructions, ce qui explique la longevité de nombre de leurs œuvres [22]. On considère généralement que l’usage du béton s’est perdu pendant la période du Moyen-Âge, avant d’être redécouvert au XVe siècle. La reconstruction, par Fra Giovanni Giocondo, du quai d’escale du Pont de Notre Dame à Paris est la première utilisation reconnue du béton à l’époque moderne [100].

Il faudra cependant attendre la seconde moitié du XVIIIe pour que des recherches scientifiques précises sur le ciment [66, 117] permettent l’essor industriel des ciments, et par là-même, une généralisation de l’utilisation du béton dans la construction. En France, la découverte du ciment est attribuée à l’ingénieur des Ponts et Chaussées Louis Vicat, qui fut le premier à fabriquer de manière artificielle et contrôlée, des chaux hydrauliques dont il détermina les composants et leurs proportions [172]. C’est cependant l’industriel Joseph Aspdin qui déposa en 1824 le premier brevet qui crée la marque ciment de Portland. Les premières usines françaises de ciment Portland artificiel datent de 1850, celles de ciment de grappier de 1870. La fabrication de ciment de laitier date de 1890. On peut également citer, en 1908, la découverte du Ciment Fondu c par Jules Bied, directeur du laboratoire de recherche de la société Pavin de Lafarge, un ciment à base de calcaire et de bauxite, qui résiste aux agressions et aux hautes températures.

De part leurs constructions, les matériaux cimentaires, ciments et mortiers, sont le siège de très grandes hétérogénéités. Leurs propriétés physiques, comme la diffusivité, varient fortement sur le domaine d’étude, non seulement d’un point à l’autre, mais aussi en fonction de l’échelle à laquelle on observe le milieu. Par exemple, à l’échelle du béton, où un volume élémentaire représentatif (VER) est de l’ordre du centimètre, la pâte cimentaire est considérée comme homogène et enchasse des agrégats (graviers, sable, poussières). Si on se place à l’échelle microstructurale de la matrice cimentaire (VER inférieur à 100µm), on est obligé de prendre en compte des microstructures minérales dont la taille varie entre 1 et 30µm environ. C’est pourquoi on parle de problèmes multi-échelles.

Table des matières

1 Introduction
1.1 Contexte de l’étude
1.2 Les matériaux cimentaires
1.3 La théorie de l’homogénéisation
1.4 Déterminer la diffusivité équivalente
1.5 Les méthodes de simulation multi-échelles
1.6 Plan du manuscrit
I Aspects théoriques
2 État de l’art
2.1 Présentation des méthodes multi-échelles
2.2 Méthodes de Galerkin directes
2.2.1 Présentation de la méthode
2.2.2 Améliorations
2.2.3 Extensions et applications
2.3 Méthodes de Galerkin approchées
2.3.1 Présentation de la méthode
2.3.2 Extensions et applications
2.4 Méthodes des Volumes Finis multi-échelles
2.4.1 Présentation de la méthode
2.4.2 Extensions et applications
3 Méthodes multi-échelles pour les matériaux cimentaires
3.1 Découpage du domaine Ω
3.2 Résolution des problèmes de cellules
3.2.1 Problèmes de cellules et Volumes Finis
3.2.2 La méthode de Volumes Finis à neuf points VF9
3.2.3 La méthode de Volumes Finis VFDiam
3.3 Résolution du problème grossier
3.3.1 Méthode des Éléments Finis Q1
3.3.2 Méthode discontinue de Galerkin
3.4 Reconstruction de la solution et du flux au niveau fin
3.5 Estimation du coût de calcul
3.6 Modélisation des matériaux cimentaires
3.6.1 Description générale
3.6.2 Dégradation des matériaux cimentaires
II Mise en œuvre en dimension 2
4 Implémentation de la méthode Q1
/VF9 en dimension deux
4.1 Implémentation
4.1.1 Qualification du module FCTVF9
4.1.2 Qualification du module CREMK
4.1.3 Qualification du module CREASSEMBLAGE
4.2 Validation de la méthode Q1
/VF9 sur un exemple théorique
4.2.1 Convergence théorique
4.2.2 Validation
4.3 Application aux matériaux cimentaire
4.3.1 Génération d’un matériau cimentaire via le module COMBS
4.3.2 Discrétisation du milieu
4.3.3 Un exemple de pâte cimentaire
4.4 Conclusions
Conclusion

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *