Le Travail Coopératif Assisté par Ordinateur, un cadre adapté

Le Travail Coopératif Assisté par Ordinateur, un cadre adapté

Le Travail Coopératif Assisté par Ordinateur (TCAO – traduction du terme anglais CSCW) se propose d’étudier les mécanismes de coopération à l’aide des théories existantes en Sciences Humaines et Sociales, de proposer des outils supports à ces mécanismes et d’étudier leurs impacts. Le TCAO voit le jour en 1984 par l’invention du terme Computer Supported Cooperative Work par I. Greif et P. Cashman (1988, p. 5). Il est défini comme : « a computer-assisted coordinated activity such as problem solving and communication carried out by a group of collaborating individuals.3 » Cette définition est reprise par (Schmidt et Bannon, 1992, p. 3) : « CSCW should be conceived as an endeavor to understand the nature and characteristics of cooperative work with the objective of designing adequate computer-based technologies for cooperative work arrangements.4 » Le collecticiel, traduction de groupware est un outil d’aide au travail collectif. Ce terme désigne les logiciels informatiques plus que les processus mis en oeuvre par le travail coopératif. (Ellis et al., 1991, p. 40) définissent le collecticiel ainsi : « Computer-based systems that support groups of people engaged in a common task (or goal) and that provide an interface to a shared environment.5 » Les technologies coopératives en TCAO sont le plus souvent classées selon une matrice espace-temps définie par (Johansen, 1988). Dans un cadre de médiatisation de la coopération Homme-Homme par la machine, nous nous plaçons résolument dans une optique où les collecticiels sont des outils qui « facilitent, améliorent, augmentent la communication Homme-Homme sans perturber l’activité des utilisateurs » (Chibout et al.,2003, p. 2). Nous considérons à la suite de ((Dejours, 1995) cité dans (Chibout et al., 2003, p. 13)) que la « coopération est l’une des activités qui échappe à la procéduralisation complète et qui relève en propre de la contribution des acteurs à l’organisation du travail »

Les objets-frontières La notion d’objet frontière est cruciale pour notre propos.

Elle a été développée dans le cadre de la théorie des acteurs-réseaux (TAR, en anglais ANT – Actor Network Theory-) de S. Star (1989) et reprise par E. Wenger (1998, Wenger et al., 2002) dans sa réflexion sur les communautés de pratique. Les communautés de pratique sont des groupes de personnes qui partagent une préoccupation, un ensemble de problèmes, ou une passion à propos d’un 13 sujet, et qui approfondissent leurs connaissance et expertise dans ce domaine en interagissant de manière régulière6. Dans un contexte de conception mécanique médiatisée, différentes communautés de pratique cohabitent et effectuent diverses tâches dans un même objectif de finalisation d’un produit. Dans la TAR, les objets-frontières circulent au travers des réseaux en jouant différents rôles selon différentes situations. Ils ne sont pas forcément tangibles et peuvent être des « trucs et des choses, des outils, des artefacts et des techniques, des idées, des histoires et des mémoires » ((Clarke et Fujimura, 1992) cité par (Bowker et Star, 2000, p. 298)). Pour (Wenger, 1998), les objets-frontières se trouvent à la limite de communautés de pratique et permettent de créer des relations extérieures à la communauté. Ce type d’objet permet la coordination entre deux communautés, sans pour autant faire un pont que celles-ci traverseraient. En effet, selon E. Wenger, ils ne produisent pas de modifications des significations ou des perspectives inhérentes à chacune des communautés. Les objetsfrontières sont interprétés différemment selon les communautés de référence des interlocuteurs. La connaissance et les discussions autour de ces objets-frontières permettent d’édifier une compréhension partagée entre ces communautés de pratique et de les instituer en une communauté de partage. Dans le cadre de notre projet, nous allons nous intéresser aux moyens de communication mis en place entre les communautés, principalement les artefacts qui médiatisent la communication entre les membres des communautés. Suivant M. Ackerman et C. Halverson (1999), les documents et collections de documents dans des contextes de coopération peuvent être considérés comme des objets frontières (au sens de S. Star (1989)) permettant au groupe de structurer un contexte propre à ses membres et à ses objectifs. Les objets-frontières font partie des mécanismes d’articulation du travail dans un projet déjà organisé, et sont considérés comme relativement statiques. La collection de documents numériques est un élément partagé permettant d’ancrer des tâches distribuées dans un référentiel commun, autorisant ainsi une médiation de ce travail. Le groupe de conception observé possède un grand nombre de documents, base de communication entre les différents membres du projet. Ces documents sont peu organisés et ne répondent pas à une classification explicitée. 

Les schèmes de classification

C. Simone et M. Sarini (2001) considèrent également les schèmes de classification (Classification Schemes), comme des objets frontières définis au cours d’une construction collective et permettant de structurer les connaissances d’un groupe selon une organisation commune. Intégrer un document dans une classification physique (un thésaurus par exemple), c’est aussi l’intégrer à ses concepts individuels selon un schème de classification qui peut être partagé. Cette intégration de documents dans un schème individuel revient à comprendre le document par rapport à son contexte. C. Simone et M. Sarini (2001) soulignent que, malgré l’importance des schèmes de classification dans les mécanismes de coordination, ceux-ci ne sont pas suffisamment observés sur le plan de leurs évolutions et mises à jour. Cette évolution serait appréhensible en parvenant à tracer les négociations menées dans les phases de construction des schèmes de classification d’un groupe. En structurant l’ensemble des échanges du groupe, nous pensons qu’il serait possible de comprendre les négociations et argumentations intervenues dans la construction d’éléments ou produits du projet. Cela reviendrait alors à tracer la logique de communication d’un projet ou d’un document (définie chp. II section 4). 

Les artefacts de négociation de frontières

Les activités de conception donnent naissance à des artefacts nouveaux, émergeant dans des contextes organisationnels qui ne sont pas formellement établis. Les artefacts et le groupe qui collabore à leur conception se co-construisent au fil de l’activité. Dans ces contextes de coopérations émergentes, non encore établies, nous nous penchons avec intérêt sur le concept d’artefact de négociation de frontières (Boundary Negotiation Artifact (Lee, 2005)) utilisé pour noter, organiser, explorer, partager des idées, introduire de nouveaux concepts et techniques, créer des alliances ou encore créer une compréhension partagée de certains problèmes (Lee, 2005). Ces artefacts de négociation de frontières ont un rôle comparable à celui des objets intermédiaires (Boujut et Blanco, 2003) ou des prototypes définis en ingénierie de la conception (Subrahmanian et al., 2005). Dans des phases de réflexion dans l’action (in action (Schön et Bennet, 1996)), les concepteurs conçoivent un objet par une création continue en s’écoutant et en répondant aux surprises de la conversation. Les artefacts de négociation de frontières sont aussi construits par des échanges entre les participants d’une ou plusieurs communautés au cours d’une 15 activité collective et vont jusqu’à repousser certaines frontières entre les communautés. En participant à la construction négociée d’un référentiel commun au groupe (Clark, 1996) (une classification commune par exemple), un acteur manifeste son engagement dans la volonté de construire une communauté. Il participe ensuite à la création de documents et à leur classement selon le plan de classement défini. Les échanges permettent l’élaboration collective de schèmes de classification, mais aussi de concepts et de documents. Le document issu des échanges médiatisés devient un élément de communication, à la fois base de discussion et d’élaboration de nouveaux concepts et reflet de la logique de communication.

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