Technologies de communication et relations de proximité

Technologies de communication et relations de proximité

Les relations entre espace et télécommunication ont longtemps été analysées selon des schémas de causalité anachroniques. La mobilité (transport) et la communication sont perçues comme une conséquence de l’urbanisation alors qu’elles en sont le principe organisateur (Ascher 1995). La maîtrise de l’espace étant pensée exclusivement en termes de résorption des contraintes de distance, on en vient à oublier qu’historiquement l’invention du téléphone précède celle de l’automobile qui donna une impulsion décisive à l’extension de la métropole, et que les premières applications téléphoniques ont consisté à faciliter la coordination entre les étages des gratte-ciels américains voués aux affaires (une sorte d’interphone associé à la densité verticale ou concentration locale) avant de se mettre au service des particuliers aisés qui ont déserté le centre pour la banlieue en suivant l’extension des voies de tramway (dilution horizontale). Aujourd’hui, la croyance persiste : la télécommunication aurait pour vocation première de parachever ce long processus de maîtrise de l’espace imparfaitement réalisée par les transports et de performer des relations que l’éloignement rend problématiques. 

L’espace local et le temps de la communication

Les enquêtes basées sur l’identification et la localisation des correspondants téléphoniques dans la sphère de sociabilité des ménages ont contribué à mettre en évidence un phénomène inverse : le rôle de la télécommunication dans le maintien des liens à distance est accessoire au regard de la place fondamentale qu’elle occupe dans l’aménagement des relations de proximité. Les liens qui résistent à l’éloignement géographique et qui sont entretenus par le contact téléphonique régulier relèvent, dans une écrasante majorité, de la parenté. Loin d’entériner la tendance à la « globalisation » ou la « délocalisation » qui sont à l’œuvre dans l’espace économique, la vocation du téléphone (et plus spécifiquement du mobile) dans la sphère de sociabilité extrafamiliale consiste principalement à organiser les circonstances de proximité qui étaient 67 Paru dans Les Annales de la Recherche Urbaine, 2001, n°90, pp.67-76 Technologies de communication et relations de proximité 183 jusqu’alors activées par le dispositif spatial urbain et local. Dans cette optique, non seulement la télécommunication ne se substitue pas à la ville en palliant les rencontres physiques par des contacts à distance, mais elle la requalifie en favorisant de nouvelles opportunités conviviales de proximité, là où la forme urbaine n’arriverait plus à opérer sous l’effet de sa croissance excessive en mégalopole. Cette contribution de la télécommunication à l’animation de l’espace local est surtout notable à travers les usages du téléphone mobile, notamment mais pas seulement auprès des populations jeunes. Elle s’appuie sur deux aspects problématiques de la gestion de la vie sociale : un rapport plus ajusté avec le potentiel événementiel de la ville (être là où quelque chose se passe) et une place plus grande à l’improvisation quant au désir de se rencontrer à l’extérieur du domicile (opposé à la routine et à la rigidité des visites ou réceptions organisées à l’avance en raison des contraintes de l’économie domestique). Non seulement la mobilité accroît les opportunités de repérer les occasions de festivité ou de rassemblement non diffusées par les médias, et de les signaler à l’entourage en temps réel, mais elle permet aussi de rallier au dernier moment des personnes supplémentaires sans fixer au préalable un lieu de rendez-vous (cf. Mançeron 1997). Cette idée d’opportunité des sorties en ville n’est pas très éloignée du principe de flexibilité mis à l’œuvre dans la commercialisation des produits manufacturés, le « juste à temps » ou le « flux tendu » consistant à formater le produit (une automobile) en fonction d’une demande émise de façon concomitante, au lieu de l’anticiper ou de la suivre, ce qui évite les délais dissuasifs et le stockage coûteux. Sans doute, l’offre de transports et d’événements culturels s’adaptera-t-elle à cette nouvelle exigence d’opportunité avec l’aide des nouvelles technologies (modification de parcours en temps réel, volume de places non assujetties à la réservation ou vendues à la dernière minute, etc.) Par ailleurs, les controverses qui agitent actuellement les instances européennes et nationales concernant la « déréglementation » du travail féminin et l’ouverture des surfaces de distribution, le dimanche et la nuit, indiquent clairement un déplacement des enjeux inhérents aux modes de vie modernes, lesquels, désormais, se cristallisent moins sur la maîtrise de l’espace (diminution des contraintes d’éloignement et de déplace- 184 ment) que sur l’aménagement du temps (ajustement et synchronisation des agendas dans les vies professionnelle et privée). En ce qui concerne la sociabilité qui nous occupe ici, les enquêtes sur le télétravail à domicile, les inactifs et les retraités montrent que l’abolition individuelle de la contrainte de déplacement n’améliore ni ne change les astreintes de socialisation et de communication de ces personnes. Autrement dit, le temps économisé sur le transport (et même sur le travail) n’est pas convertible ou réinvesti en terme d’accomplissement de la vie relationnelle et de l’activité communicationnelle, dans leur dimension tant quantitative que qualitative. La disponibilité accrue des uns se heurtant à l’indisponibilité chronique des autres, le problème de l’opportunité des relations sociales et interpersonnelles relève d’un niveau macro de l’organisation de l’espace et du temps. Or si la télécommunication constitue un outil décisif de la gestion du temps, son efficacité est partiellement hypothéquée par l’organisation du temps imposée par l’offre des services urbains : le temps théoriquement continu de la communication (n’importe où et n’importe quand à condition d’associer modes synchrones et asynchrones – téléphonie, messageries et courrier électronique) se heurte à la réalité discontinue du temps de travail, des transports et des services publics ou marchands. Même le bastion du capitalisme, la Bourse, n’échappe pas à cette discontinuité horaire imposée, malgré l’introduction d’une logique de temps réel et continu dans la passation des ordres d’échange avec l’internet. 

L’inertie des temps et des lieux de communication

L’observation des usages de la télécommunication, croisée avec celle des pratiques de sociabilité, fait apparaître plusieurs constantes qui sont d’autant plus frappantes qu’elles concernent des catégories de population a priori hétérogènes (travailleurs indépendants à domicile, migrants, retraités, foyers monoparentaux…) ainsi que des événements de rupture biographique très contrastés (première installation, déménagement, première naissance, divorce, départ à la retraite…). Au regard des transformations opérées dans le monde du travail (35 heures) ainsi que par la diffusion massive des nouvelles technologies, la structure des usages résidentiels de la télécommunication présente une évolution beaucoup plus lente, caractérisée par des rythmes de vie relativement uniformes malgré les distinctions socioprofessionnelles, et surtout par une conformité aux mœurs familiales traditionnelles quant aux horaires prescrits et aux rôles assignés dans la configuration des échanges avec l’extérieur. Les conventions horaires Elles restent stables quelle que soit la durée passée au domicile, qu’il s’agisse d’actifs salariés, d’étudiants, de femmes au foyer ou en congé maternité, de retraités. Quand on compare les courbes de trafic téléphonique résidentiel des uns et des autres, les plages horaires correspondant au temps réglementaire de l’entreprise et de l’école se caractérisent par le plus faible trafic du foyer même lorsqu’un adulte y séjourne, avec une ascension amorcée vers 17 heures pour culminer entre 20 et 21 heures. Une exception notable subsiste avec la différence Paris-province quant à l’augmentation du trafic à l’heure du déjeuner en raison des facilités dont jouissent les provinciaux pour effectuer la pause repas chez eux. Les retraités présentent une structure proche de celle des foyers actifs, à la seule différence que leur pic de soirée se situe à 19 heures au lieu de 20 186 heures (et que une partie de la matinée est consacrée à régler des problèmes pratiques que les actifs arrangent souvent de leurs lieux de travail). 

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