Traitement de l’hémophilie A à l’aide d’ARNm codant le facteur VIII

Traitement de l’hémophilie A à l’aide d’ARNm codant le facteur VIII  

Hémophilie A et FVIII 

Historique de l’hémophilie 

Bien avant sa description et sa caractérisation, l’hémophilie est évoquée dès le Ier siècle de notre ère. Rabban Shimon ben Gam liel (environ -10 av. JC – 70 ap. JC) interdit en effet la circoncision d’un garçon, car les fils de trois de ses tantes sont décédés de saignements consécutifs à l’acte. Un siècle plus tard, Rabbi Juda Ha-Nassi autorise dans la Mishna (première partie du Talmud), qu’un bébé de sexe masculin ne soit pas circoncis, si deux de ses frères sont déjà décédés de saignements suite à cette pratique1,2. Au cours du XIXe siècle, de nombreuses appellations sont utilisées pour décrire ce syndrome : idiosyncrasie hémorragique, hématophilie, diathèse hémorragique héréditaire, maladie hémorragique… Pour la première fois, Hopff utilise en 1828, le terme d’ « hémophilie » – haima (sang en grec) et philia (amour)3. C’est également au cours de ce siècle que nait la Reine Victoria du Royaume-Uni, porteuse asymptotique d’une mutation causant l’hémophilie. Sa descendance étant présente dans la majorité des cours d’Europe, on trouvera cette mutation dans de très nombreuses familles royales, jusqu’à celle du dernier tsar de Russie. C’est ce qui vaudra à l’hémophilie d’être appelée « la maladie Royale ». Cependant, c’est de l’hémophilie B dont il s’agit ici comme cela a récemment été découvert4; depuis 1952 et les travaux d’Aggeler5 et de Biggs6, deux types d’hémophilie sont connus : l’hémophilie A si le gène codant le facteur VIII (FVIII) est invalidé et hémophilie B si c’est celui codant le facteur IX (FIX). 

Description de l’hémophilie A 

L’hémophilie A est une maladie hémorragique qui affecte environ 1 naissance masculine sur 5 0007, ce qui en fait une des maladies hémorragiques les plus fréquentes . Elle est causée par différentes anomalies du gène F8 codant pour le FVIII de la coagulation. Ces mutations induisent un déficit quantitatif et/ou qualitatif de FVIII, ce qui se traduit par une importante hétérogénéité phénotypique de la maladie. Selon l’activité résiduelle du FVIII, l’hémophilie est qualifiée de sévère si l’activité résiduelle est inférieure à 1% de celle d’un plasma normal, de modérée entre 1 et 5% ou de mineure si elle est supérieure à 5%9. Ces sévérités concernent respectivement 50%, 10% et 40% des patients hémophiles A10 et se traduisent par des manifestations cliniques très diverses. Dans les cas les plus légers, les hémorragies sont ponctuelles et font souvent suite à un traumatisme ; par exemple lors d’une petite chirurgie. En revanche, dans les formes les plus sévères de la maladie, des hémorragies peuvent advenir spontanément et de manière chronique. Des hémorragies internes apparaissent en particulier au niveau des articulations (hémarthroses) pouvant déclencher des arthropathies invalidantes et conduire à la paralysie. Ces hémarthroses, très caractéristiques de l’hémophilie, ont d’ailleurs été décrites dès 1890 par König . Des hémorragies se développent également au niveau des tissus mous (hématomes) qui, lorsqu’elles concernent le cerveau, peuvent engendrer des séquelles neurologiques voire mettre en jeu le pronostic vita . En effet, les hémorragies intracérébrales concernent 7,5% des hémophiles  et sont 40 à 80 fois plus fréquentes chez les nouveau-nés hémophiles que dans la population générale . 

Génétique de l’hémophilie A 

L’hémophilie A est une maladie qui touche presque exclusivement les hommes. C’est ce qu’observe Christian Friedrich Nasse en 1820 en étudiant des familles sujettes à des saignements mortels. Il constate également que les hommes, bien qu’ayant une « disposition héréditaire aux saignements mortels », ne transmettent pas la maladie. C’est la première description de la transmission récessive de l’hémophilie A. Le gène F8 Nous savons aujourd’hui que le gène F8 codant pour le FVIII est situé en position 28 du bras long du chromosome X (Xq28) et que son expression est récessive ; ce qui explique qu’en cas de mutation délétère sur un chromosome X, les femmes soient porteuses de la maladie tandis que les hommes en sont atteints. Ce propos est cependant à nuancer par de rares exceptions de femmes atteintes d’hémophilie A, notamment à cause d’un défaut d’inactivation du chromosome X portant la version muté de F815. Le gène codant le FVIII est extrêmement long, puisqu’il s’étend sur 186 kb et est composé de 26 exons16. Il est transcrit en un ARN messager (ARNm) d’environ 9 kb comprenant une région 5’ non  traduite (untranslated – 5’ UTR) de 150 nucléotides et d’une région 3’ UTR de 1806 nucléotides, encadrant la région codante de 7056 nucléotides. Cette région codante est ensuite traduite en une protéine de 2332 acides aminés (aa) précédée d’une séquence signal de 19 aa permettant l’adressage de la protéine au réticulum endoplasmique (RE) puis sa sécrétion. Figure 1. Production du FVIII. Chez l’homme, le gène F8 (bleu clair) est situé en position Xq28 du chromosome X, fait 186 kb et est composé de 26 exons (bleu foncé). Sa transcription engendre un ARNm de 9012 nucléotides (nt) dont 7056 constituent la région codante. La traduction de cette région codante donne une chaine polypeptidique de 2351 acides aminés (aa) dont les 19 premiers constituent un peptide signal d’adressage au réticulum endoplasmique (gris foncé). Anomalies génétiques menant à l’hémophilie A A l’heure actuelle, des bases de données telles que « CDC Hemophilia A Mutation Project (CHAMP) » listent près de 3 000 mutations du gène F8 et y associent la sévérité de l’hémophilie observée17. La grande majorité des mutations sont des mutations ponctuelles, c’est-à-dire qu’elles concernent un seul nucléotide. Elles ont des conséquences variables et résultent en une sévérité de la maladie différente. Les mutations non-sens (11,1% des mutations dans CHAMP), qui engendrent l’apparition d’un codon-stop et aboutissent donc à une protéine tronquée, sont associées dans 90% des cas à une hémophilie A sévère. En revanche, les   mutations faux-sens (49%), qui modifient l’acide aminé synthétisé, résultent-elles en des phénotypes différents. Cette variabilité dépend de la région de la protéine concernée et des différences physico-chimiques entre l’acide aminé normal et celui qui le remplace (hydrophobicité, encombrement stérique, polarité). En effet 38% des patients avec ce type de mutation développent une hémophilie A mineure, soit presque autant que de patients chez qui cela engendre une hémophilie A sévère (39%). Les délétions sont le deuxième type de mutations les plus fréquentes chez les hémophiles A. Elles concernent de petits (<50pb) ou de larges (>50pb) fragments d’ADN, sont donc associées à des sévérités différentes et représentent 23% des mutations de la base de données CHAMP. Ce pourcentage est plus important dans CHAMP que ce que l’on trouve dans la littérature où elles sont estimées entre 5% et 10% 18. Concernant les hémophilies A sévères spécifiquement, elles sont consécutives dans 45% des cas à un réarrangement génique qui est l’inversion de l’intron 2219–22. Cette inversion, qui est due à la recombinaison de deux régions homologues, mène à la transcription des exons 1 à 22 dans le sens 3’-5’ et des exons 22 à 26 dans le sens 5’-3’, ce qui aboutit à la synthèse de deux ARNm incomplets. Enfin, d’autres mutations peuvent modifier le cadre de lecture, ajouter/éliminer des sites de glycosylation de la protéine ou modifier des sites d’épissage. A noter également que dans certains cas, l’hémophilie A n’est pas causée par une mutation dans le gène F8 à proprement parlé, mais dans ses séquences régulatrices, voire dans d’autres gènes. En effet, certaines mutations concernent des gènes codant des protéines intervenant dans le cycle de vie du FVIII, comme LMAN-1/ERGIC-5323 ou le facteur Willebrand (vWF)24. 4. Cycle de vie du FVIII Description du FVIII Le FVIII est un cofacteur de la coagulation principalement synthétisé dans le foie . Ces résultats ont été confirmés et affinés plus récemment, où des études utilisant soit la détection de l’ARNm codant le FVIII, soit une invalidation conditionnelle de F8, ont démontré une production de FVIII par les cellules endothéliales sinusoïdales . Il a également été démontré que les cellules endothéliales permettent une synthèse extrahépatique de FVIII  Un système de perfusion de poumons ex vivo a par exemple permis INTRODUCTION 18 de détecter une production de FVIII par cet organe 1. De manière générale, le FVIII semble produit par les cellules endothéliales microvasculaires, principalement du foie, mais également de certains autres organes . Le FVIII est une glycoprotéine traduite sous forme d’une chaine polypeptidique de 2351 aa. Elle est alors composée d’un peptide signal de 19 aa à son extrémité N-terminale suivi d’une séquence de 2332 aa divisée en 6 domaines (A1-A2-B-A3-C1-C2). Les trois premiers domaines sont séparés par 30 à 40 aa riches en acides aspartiques (Asp) et acides glutamiques (Glu), appelées « régions acides » 33 et nommées a1, a2 et a3. Les domaines A possèdent environ 40% d’homologie entre eux, avec le facteur V de la coagulation et avec la céruloplasmine34. De la même façon, les domaines C présentent des homologies avec les domaines C du facteur V. Le domaine B lui, ne montre aucune homologie avec d’autres protéines35. Synthèse du FVIII La séquence signal permet l’adressage à la lumière du réticulum endoplasmique où elle est clivée, donnant la protéine mature de 2332 aa. C’est dans le RE que le FVIII subit des N-glycosylations et interagit avec la calréticuline et la calnexine36. Une large proportion (80%) interagit également avec la protéine BiP via le domaine A1, qui le retient dans le RE pour dégradation37,38. Le reste passe dans l’appareil de Golgi de manière ATPdépendante où la maturation du FVIII se poursuit. Dans le Golgi, les N-glycosylations se complexifient, des O-glycosylations et des sulfatations apparaissent. C’est également le lieu des premières protéolyses menant au FVIII fonctionnel. En effet, le FVIII est clivé par une (des) protéase(s) intracellulaire(s) au niveau de l’arginine 1613 (Arg1313) et de l’arginine 1648 (Arg1648). Si la protéase clivant en position 1648 a été décrite comme étant la furine , son identité reste malgré tout controversée  . Quoi qu’il en soit, ce clivage en fin de domaine B aboutit à la séparation de la chaine lourde (A1-a1-A2-a2-B) d’une part et de la chaine légère (a3-A3-C1-C2) d’autre part. Ces 2 chaines sont reliées de manière non covalente par les domaines A1 et A3, par l’intermédiaire d’ions métalliques divalents, notamment le calcium, le cuivre ou le manganèse . Cependant, il semble que les ions cuivre présents dans molécule de FVIII jouent plutôt un rôle auxiliaire dans l’amélioration de l’activité cofacteur du FVIII, que  dans l’association de ses deux chaines44. C’est sous cette forme hétérodimérique inactive qu’est sécrété le FVIII et qu’il circule dans le plasma à environ 0,1 µg/mL.

Table des matières

INTRODUCTION
I. HÉMOPHILIE A ET FVIII
1. HISTORIQUE DE L’HEMOPHILIE
2. DESCRIPTION DE L’HEMOPHILIE A
3. GENETIQUE DE L’HEMOPHILIE A
Le gène F8
Anomalies génétiques menant à l’hémophilie A
4. CYCLE DE VIE DU FVIII
Description du FVIII
Synthèse du FVIII
Demi-vie du FVIII
Rôle du FVIII
Catabolisme du FVIII
II. TRAITEMENTS DE L’HEMOPHILIE A ET OPTIONS THERAPEUTIQUES
1. TRAITEMENTS ACTUELS
FVIII thérapeutiques
Thérapies sans FVIII
2. NOUVELLES STRATEGIES
FVIII à longue durée de vie
Emicizumab
Thérapie génique
III. COMPLICATION DU TRAITEMENT
1. IMMUNOGENICITE DU FVIII THERAPEUTIQUE
2. FACTEURS DE RISQUES INTRINSEQUES AUX PATIENTS
Anomalies du gène codant le FVIII
Autres gènes
Ethnie
3. AUTRES FACTEURS DE RISQUES
Antécédent de traitement
Le FVIII lui-même
Intensité du traitement
Traitement prophylactique ou à la demande
Changement de produit
4. REPONSE IMMUNITAIRE
Description générale de la réponse anti-FVIII thérapeutique
Endocytose et apprêtement du FVIII
CD206 et récepteurs d’endocytose
vWF et endocytose
FVIII à longue durée de vie et endocytose
Présentation aux lymphocytes T
Rôle des lymphocytes B
IV. STRATEGIES D’INDUCTION DE TOLERANCE AU FVIII
1. INDUCTION DE TOLERANCE IMMUNITAIRE (ITI)
Description des protocoles d’ITI
Mécanismes d’induction de tolérance
2. NOUVELLES STRATEGIES D’INDUCTION DE TOLERANCE
V. OBJECTIFS
RESULTATS
I. CORRECTION DES SAIGNEMENTS PAR INJECTION D’ARNM CODANT LE FVIII DANS UN MODELE MURIN D’HEMOPHILIE A
II. PREVENTION DE LA REPONSE MEMOIRE ANTI-FVIII PAR INHIBITION DE LA ‘BRUTON’S
TYROSINE KINASE’ (BTK) CHEZ LA SOURIS DEFICIENTE EN FVIII
III. CARACTERISATION D’UN NOUVEAU MODELE MURIN DEFICIENT EN FVIII ET HUMANISE POUR
LE HLA-DRB1*01:01
DISCUSSION
CONCLUSION & PERSPECTIVES
BIBLIOGRAPHIE

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